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UGS : HR09 Catégories : ,

Description

Historail
trimestriel
n° 9
avril 2009
La Belle Epoque des assassins en chemin de fer
Historail
Historail
Tout ce que vous voulez savoir sur l’histoire du rail
(N° 9)
avril
2009
9,90
trimestriel
F:
1933
Vitry
Naissance
du banc d’essai
1919
Création
de l’OCEM
Les assassins
du rail au x
I
x
e
Avril 2009
Historail
Editorial
Une interrogation qui fait régulièrement le bonheur de nos chers professeurs
de philosophie, sans doute moins celui de leurs élèves. Cela dit, la mini-émeute
qui, le 23 janvier dernier, a secoué la gare de Paris-Saint-Lazare a aussitôt
éveillé en moi le souvenir d’un événement similaire survenu il y a plus
d’un siècle, le 3 janvier 1908 pour être exact. Même cause – dégradation
du service – et même effet : une exaspération explosive. Certes, nos aïeux
avaient le sang plus chaud et leur réaction fut bien plus violente que celle de
leurs descendants, mais la similitude est bien réelle.
Second exemple, début février, la SNCF part en chasse contre l’emploi abusif
du signal d’alarme dans les trains de banlieue : seul 1 sur 1.000 est justifié
selon la SNCF. Or ce sont plus de 7.000 signaux qui sont tirés chaque année
sur son réseau francilien. Et l’entreprise d’évoquer la possibilité de mettre
en œuvre de nouveaux systèmes susceptibles de remédier à ce type
de délinquance. Fait du hasard, je travaillais alors sur les origines
du signal d’alarme dans les années 1860-1880, mettant en lumière le peu
d’entrain des compagnies à mettre à la disposition des voyageurs un moyen
d’alerte par peur de l’emploi intempestif qui pourrait en être fait. Déjà !
D’une façon plus générale, j’aime croire que les grands réseaux ont tout
inventé et que, les innovations mises en avant par la SNCF ne sont souvent
que des copies réaménagées et modernisées de réalisations antérieures.
Les exemples ne manquent pas. Ainsi, lorsqu’elle annonce l’idée,
le 5 octobre 2008, de subventionner un certain nombre de taxis affectés
à sa clientèle, je n’ai pu que faire le rapprochement avec les services
de voitures automobiles avec chauffeur développés dans l’entre-deux-guerres
par les compagnies…
Bruno Carrière
I
L’histoire, un éternel recommencement?
I
4-
Historail
Avril 2009
En 1934, la Compagnie de l’Est soumet deux de ses locomotives 241.400 à des essais comparatifs. L’une, la 241.036 (ici au banc), est testée
dans son état d’origine ; l’autre, la 241.004 a été transformée afin d’améliorer son rendement. Les modifications s’étant avérées bénéfiques,
l’Est décide de les appliquer à toutes les unités de la série (241.002 à 041 livrées en 1932).
Avril 2009
Historail
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Vincent Lalu
RÉDACTEUR EN CHEF
Bruno Carrière
DIRECTION ARTISTIQUE
AMARENA
CHEF D’ÉDITION
François Champenois
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
Pascale Cancalon
RÉDACTRICE GRAPHISTE
Marie-Laure Le Fessant
ONT COLLABORÉ
Georges Ribeill (conseiller
éditorial), Hervé Barthélémy,
Etienne Delahaye, Henri Munsch.
PUBLICITÉ
Kiraouane Belhadri
VENTE AU NUMÉRO
Françoise Bézannier
SERVICE DES VENTES RÉSEAU
Victoria Irizar
ATTACHÉE DE PRESSE
Nathalie Leclerc (Cassiopée)
INFORMATIQUE & PRODUCTION
Robin Loison
Informatique: Ali Dahmani
Prépresse: Vincent Fournier,
Kouadio Kouassi, Simon Raby.
IMPRESSION
Aubin imprimeur, Ligugé (86)
Imprimé en France
Historail
est une publication
des Éditions La Vie du Rail,
Société anonyme au capital
de 2 043 200 euros.
PRÉSIDENT DU CONSEIL
D’ADMINISTRATION
Vincent Lalu
PRÉSIDENT D’HONNEUR
Pierre Lubek
PRINCIPAUX ACTIONNAIRES
SNCF,
Le Monde, Ouest-France
France Rail, VLA.
Durée de la société: 99 ans
RCS Paris B334 130 127
Numéro de commission paritaire:
Siège: 11, rue de Milan
75440 Paris Cedex 09
Tél.: 01 49 70 12 00
Fax: 01 48 74 37 98
Le titre
Historail
a été retenu
avec l’autorisation du musée
du chemin de fer HistoRail
de Saint-Léonard-de-Noblat
Sommaire
Ligne
– France-Belgique.
Genèse de la première ligne transfrontalière
Matériel
– L’OCEM, une création de l’entre-deux-guerres
– Le banc d’essai de Vitry-sur-Seine
– Qui se souvient de Claudius Renevey?
Exploitation
– Les premiers transports frigorifiques par rail
Dossier
La Belle Epoque des assassins en chemin de ferp. 47
La rencontre fatale du juge Poinsot et
de l’insaisissable Jud
L’assassinat du préfet Barrême:
réglement de comptes ou crime crapuleux?
Du sang à la une!
Vingt-cinq tentatives criminelles entre 1860 et 1886
1857-1886. De l’intercommunication entre agents
au signal d’alarme
Les compartiments «Dames seules»
à la SNCF après-guerre
Gares
– Les gares de Raoul Dautry, contribution à l’image
de marque du réseau de l’Etat
Curiosité
– Catéchisme et chemins de fer:
l’œuvre édifiante de deux abbés gascons
Clin d’œil
– 1908, la gare Saint-Lazare aux mains des émeutiers
Services
– 1949. L’ouverture du premier «garage-consigne»
Mémoire
– L’Association internationale d’histoire des chemins de ferp. 111
(AIHCF)
– Rail et Mémoire
Livres
6-
Historail
Avril 2009
M
ise à l’étude en 1837, l’idée
d’un chemin de fer de Lille et
de Valenciennes à la frontière belge
se concrétise en 1840, une commis-
sion étant alors constituée en vue
d’examiner le projet de loi présenté à
cette fin par le ministre des Travaux
publics. En réalité, cette démarche
s’inscrit dans le cadre d’un pro-
gramme plus ambitieux, qui vise à re-
lier à plus long terme les ports du lit-
toral de la Manche au chemin de fer
de Paris à Lille et à la Belgique.
Il est prévu que la section comprise en-
tre Lille et la frontière belge, longue de
14km 125, partirait de la station du
pont à bascule, traverserait le canal de
Marcq à l’ouest de Wasquehal, passe-
rait à l’ouest de la ville de Roubaix et ar-
riverait à la frontière, à proximité de
Mouscron, où elle se raccorderait au
réseau belge. Un
«embranchement
de peu de longueur»
rattacherait par
ailleurs à la ligne principale la ville de
Tourcoing,
«si importante par son in-
dustrie manufacturière
(1)
Mais cette solution, qui présente l’in-
convénient d’établir un embranche-
ment dont la construction est évaluée
à un sixième de la dépense totale, est
finalement abandonnée au profit
d’une station commune aux deux
villes
(2)
, puis d’une gare spécifique à
chacune d’elles. Au terme d’intermi-
nables palabres, une décision minis-
térielle du 9 novembre 1840 opte
pour cette deuxième solution et or-
donne que
«la station pour Tourcoing
[soit] placée à l’endroit appelé les Til-
leuls, et celle pour Roubaix au lieu-dit
l’Alouette
(3)
Juillet 1841, les travaux
sont poussés avec activité
Les 21, 22, 23 et 24 février 1841, les
propriétaires des terrains traversés par
le chemin de fer sur les communes de
Roubaix, Tourcoing et Wattrelos sont
convoqués
«à l’effet d’être présents
France-Belgique. Genèse de la
Le 6 novembre 1842, le rail franchit pour la première
fois notre frontière sous la forme d’un court tronçon
de 11km dirigé de Tourcoing sur Mouscron, en
Belgique, embryon de l’embranchement Lille (Fives) –
Roubaix – Tourcoing – Mouscron ouvert l’année
suivante. C’est à une évocation de la construction
de cette ligne historique et à ses premières années
d’exploitation, vues au travers de la presse locale
de l’époque, que nous convie Etienne Delahaye.
Ligne
Doc. E. Delahaye
Avril 2009
Historail
aux opérations du jury d’expropriation
et de présenter leurs observations s’il y
a lieu
(4)
. Dans le même temps, le 22
février, les usines de Decazeville (Avey-
ron) et du Creusot (Saône-et-Loire),
qui figuraient sur la liste des établisse-
ments métallurgiques admis à soumis-
sionner
(5)
, remportent le marché pour
la fourniture des rails destinés au che-
min de fer de Lille à la frontière belge.
Un choix dont
L’Indicateur de Tour-
coing
se fait l’écho le 28février:
«Nous savions déjà que l’établis –
sement de Decazeville avait récem-
ment allumé un nouveau fourneau à
la destination de cette fourniture qu’il
espérait obtenir par suite du bas prix et
de la qualité de ses fontes particulière-
ment propres aux rails. Ses produits
arriveront par mer jusqu’à Dunkerque
et par canaux jusqu’à Lille.»
Le 7 mai suivant, on procède à l’adju-
dication de 108800 chevilles en fer,
54400 coins en chêne et 27200 tra-
verses du même bois
(6)
« Les travaux
des chemins de fer de Lille et de Va-
lenciennes à la frontière vont com-
mencer»,
assure
L’Indicateur de Tour-
coing
du 9 mai.
Le 25 mai, les travaux de construction
de la 4
section, comprise entre le ruis-
seau de Favreuil (Roubaix) et la fron-
tière, travaux estimés à 450000francs,
sont adjugés à M.Riche-Gayffier, entre-
preneur à Paris, pour 318553francs
et 29 centimes
(7)
Le 14 juin, un nouveau marché por-
tant sur 18800 traverses en chêne
est adjugé en préfecture
(8)
Le 22 juillet suivant, l’
Echo du Nord
informe ses lecteurs que
«le chemin
de fer qui doit unir la ville de Lille au
réseau des chemins de la Belgique et
de l’Allemagne est enfin en voie
d’exécution»
. Suit un état des lieux
détaillé du chantier:
« Les travaux sont commencés et
poussés avec activité sur la partie de la
ligne qui s’étend entre Roubaix et la
frontière, mais surtout à partir de
Tourcoing. Le seul travail de terrasse-
ment un peu important sur le trajet
de Tourcoing au territoire belge est
dans le passage du Mont-à-Leux:
aussi, là, deux cents ouvriers sont
échelonnés depuis le ruisseau qui
forme la limite des deux pays,
jusqu’au haut du mont; ils creusent
avec vigueur de larges fossés sur le
bord de la route et font, avec les
terres qu’ils tirent de ces chambres
d’emprunt, un remblai considérable.
La Belgique, qui est chargée de
construire le viaduc sur le ruisseau qui
première
ligne transfrontalière
(1)
L’Indicateur de Tourcoing
, 19 avril 1840.
(2) Le 30 août 1840, la municipalité de Tourcoing avait
émis le vœu que le chemin de fer de Lille à la frontière
belge passe entre Roubaix et Tourcoing et qu’une station
commune à ces deux villes soit placée près de la route
départementale n°14, contre le cabaret désigné sous le
nom de l’Union
(L’Indicateur,
1
er
novembre 1840).
(3)
L’Indicateur de Tourcoing,
15 novembre 1840.
(4)
L’Indicateur de Tourcoing,
4 avril 1841.
(5) Le soin de désigner ces établissements avait été confié
à une commission instituée près le ministère des Travaux
publics.
(6)
L’Indicateur de Tourcoing,
2 mai 1841.
(7)
L’Indicateur de Tourcoing,
30 mai 1841.
(8)
L’Indicateur de Tourcoing,
13 juin 1841.
La gare de
Tourcoing,
la deuxième
du nom,
construite
en 1860.
Le bâtiment
d’origine,
un simple
baraquement,
s’élevait en aval
de la gare
actuelle, avenue
Gustave-Dron.
Photorail
Ligne
[ France-Belgique. Genèse de la première
forme la délimitation des territoires,
fait des briques à l’extrême frontière;
ses travaux sont, du reste, poussés
avec une grande vigueur en deçà et
au-delà de Mouscron.
Un second atelier de travail est orga-
nisé près du moulin de Lezi; là, le ter-
rain est presque de niveau, mais en
s’avançant vers Tourcoing, on va en
déblayant deux à trois pieds de terre:
une vingtaine d’ouvriers conduisent
ces terres vers le Mont-à-Leux. Le
moulin doit être déplacé; depuis huit
jours, on parlemente avec le proprié-
taire, mais celui-ci, aussi peu traitable
que le meunier de Sans-Souci, ne veut
arrêter ses meules que lorsqu’il sera
bien et dûment payé.
A la station de Tourcoing, le terrain
commence à se déblayer; les terrasse-
ments, du reste, seront peu impor-
tants: la fabrication de briques y est
entreprise sur une immense échelle;
malheureusement, les pluies viennent
contrarier ce travail.
Au-delà de la station de Tourcoing, le
chemin traverse la route départemen-
tale n°14, pour se porter dans la di-
rection de Roubaix après avoir fait une
courbe; cette route paraît devoir être
relevée, au point d’intersection, de
deux à trois pieds. Il y a là vingt à
trente terrassiers qui déblayent le ter-
rain à gauche de la route, et font des
remblais à droite.
A Fontenoy, mi-chemin de Tourcoing
à Roubaix, on commence à déblayer,
on ramène les terres vers Tourcoing.
Là, il y aura un travail considérable:
la tranchée sera d’environ dix mètres
de profondeur.
Enfin, à la station de Roubaix, on tra-
vaille avec activité; les briques sont
faites en partie; les approvisionne-
ments de sables paraissent terminés;
on déplace un moulin; il est difficile
dans notre pays de n’avoir pas à com-
battre les moulins à vent, pour peu
qu’on s’avance dans la campagne.
Au-delà de Roubaix, vers Lille, rien
n’est commencé encore. Il serait à dé-
sirer qu’on ne tardât pas à s’occuper
de cette partie de la ligne, et aussi
qu’on mît un plus grand nombre
d’ouvriers sur la portion entreprise.
Mais le zèle que nous avons vu dé-
ployer par l’administration, en mainte
circonstance, pour la grande entre-
prise qui occupe le pays, nous fait
croire que les lenteurs des expropria-
tions ont empêché de conduire les
travaux avec plus de célérité.
Tels sont les faits de détail qu’une vi-
site des lieux, sur tout le trajet du
rail-
way
, permet de constater […].»
En Belgique, les travaux du chemin
de fer de Mouscron à la frontière fran-
çaise avaient été, pour leur part, adju-
gés le 15 avril 1841. Ce qui permit au
journal
L’Emancipation de Bruxelles
d’annoncer:
« Il ne restera plus alors au gouverne-
ment français qu’une ligne de deux
lieues à construire, en partant de Lille,
pour mettre le chef-lieu du beau dé-
partement du Nord en communica-
tion ferrée avec Roubaix et Tourcoing
(France), Courtrai, Gand, Bruxelles,
Anvers, toute la Belgique enfin.
On jugera de l’importance qu’offre à
Lille l’exécution des travaux sur le ter-
ritoire français si l’on calcule que sur la
courte distance de deux lieues qui sé-
parent Lille de notre frontière se trou-
vent deux villes manufacturières de
premier ordre et dont la distance ne
sera plus que de six minutes pour
Roubaix et vingt pour Tourcoing.
Le trajet de Lille à Courtrai se fera en
une heure, en tenant compte de la
halte obligée de la douane; de Lille
à Gand en deux heures, de Lille à
Bruxelles ou Anvers en quatre à cinq
heures.
L’intérêt de ce prolongement de notre
réseau est si grand pour Lille qu’à dé-
faut de gouvernement elle trouverait
encore avantage à entreprendre les
travaux pour son propre compte.
Quoi qu’il en soit, il est vraisemblable
que nous aurons touché la France
avant qu’elle ait mis chez elle la main à
l’œuvre, tant sont puissants et tenaces
les égoïsmes qui neutralisent dans ce
pays l’entreprise industrielle et civilisa-
trice des chemins de fer […]
(9)
».
Cependant, le 4 octobre, l’adjudica –
tion des travaux de terrassement et
d’ouvrages d’art de la troisième sec-
tion,
«comprise entre le piquet n°66,
8-
Historail
Avril 2009
Le trajet de Lille à Bruxelles ou Anvers se fera
en quatre à cinq heures.
Photorail
La �rme André
Koechlin et Cie
livra au chemin
de fer de Lille à
la frontière
belge trois
locomotives du
même type que
celles qui
roulaient sur le
chemin de fer
d’Alsace. Elles
avaient pour
nom : la
Ville de
Lille
, la
Ville de
Roubaix
et le
Maréchal de
Bouf�ers.
Avril 2009
Historail
près de Wasquehal, et le piquet
n°99, près de Roubaix, sur une lon-
gueur de 3409 mètres 34 centimè-
tres»
, venait apporter, s’il en était be-
soin, un nouveau démenti aux
supputations pessimistes de nos voi-
sins belges. Le coût des travaux était
estimé à plus de 650000francs
(10)
. Et
L’Indicateur de Tourcoing
de préciser:
«Cinq sociétés belges y ont pris part,
aucune société française n’a soumis-
sionné; on attribue cela aux bas prix
qui sont généralement trop faibles
pour ces travaux.
(11)
Le 11 octobre, la commission d’en-
quête pour l’établissement de la sta-
tion de Tourcoing et des rues qui doi-
vent y aboutir adopte à l’unanimité le
tracé pour lequel le conseil municipal
avait émis un avis favorable le 23 août
précédent. De ce fait,
«l’entrée de la
rue principale, pour arriver à la sta-
tion, se trouvera contre la route dé-
partementale n°14, en face du jar-
din de l’établissement des Frères des
écoles chrétiennes
(12)
Le 8 novembre, une nouvelle section,
«comprise entre le piquet n°27, près
de la route départementale n°14, et
le piquet n°66, près de Wasquehal»
est mise en adjudication. Les travaux
de cette portion, longue de 3897
mètres, sont estimés à plus de
500000francs
(13)
Le 10, les ouvriers occupés à travail-
ler dans le secteur de l’Union font
une macabre découverte en exhu-
mant, à un mètre de profondeur, un
cadavre assez bien conservé. Un ha-
bitant du coin déclare que c’est un
Autrichien, victime de la guerre de
1792. Il se rappelle l’avoir vu enterré
avec plusieurs de ses compatriotes
«qui doivent se trouver à peu de dis-
tance»
. La balle qui l’a frappé est
également retrouvée
(14)
Août 1842, un premier
convoi entre Tourcoing et
Courtrai
En mars 1842, l’intérêt que suscite le
chantier du chemin de fer conduit le
maire de Roubaix à prendre, par me-
sure de sécurité, l’arrêté suivant:
« Nous Maire de la ville de Roubaix,
Vu la loi du 16-24 août 1790, qui
confie aux soins de l’administration
municipale tout ce qui intéresse la sû-
reté publique;
Vu les plaintes de M.l’entrepreneur
des travaux du chemin de fer, en date
du 8 de ce mois.
Attendu qu’une affluence considé-
rable de monde se porte sur la ligne
du chemin de fer en construction,
gêne les ouvriers dans leurs travaux,
que quelques personnes circulent
même sur les voies de fer parcourues
par les wagons et s’exposent à des
accidents que l’autorité municipale
doit prévenir;
ARRÊTONS:
Art. 1
. – Il est défendu de circuler
sur la ligne du chemin de fer en
construction, dans tous les endroits
où l’entrepreneur placera des écri-
teaux portant défense de passer.
Art. 2. – Le passage sur les voies de
fer parcourues par les wagons est
formellement interdit.
Il est également défendu de mon-
ter sur le viaduc de la route de Mou-
veaux, d’y causer des dégradations
et d’y jeter rien qui puisse atteindre
ou blesser les passants.
Art. 3. – Les contraventions au pré-
sent arrêté seront constatées par des
procès-verbaux, et jugées par le tri-
bunal de simple police.
Art. 4. – Le commissaire de police,
les gardes champêtres et la gendar-
merie sont chargés de surveiller
l’exécution du présent arrêté.
Fait à Roubaix, le 9 mars 1842.
Le Maire, signé, Bossut Fils»
Il est vrai que l’activité déployée sur
le site ne passe pas inaperçue.
L’Indi-
cateur de Tourcoing
du 29 mai 1842
en est le témoin:
« Depuis quelques mois, les travaux
de notre chemin de fer ont reçu une
nouvelle impulsion, favorisés par un
temps admirable; de nombreux ou-
vriers sont occupés jour et nuit sur
toute la ligne, et, grâce à cette acti-
ligne transfrontalière ]
(9) Rapporté par
L’Indicateur de Tourcoing
, 25 avril 1841.
(10)
L’Indicateur de Tourcoing
, 17 octobre 1841.
(11) Ibidem.
(12) Ibidem. En séance, le 3 mars 1842, le conseil
municipal de Tourcoing prendra la décision de porter au
compte de la ville les frais de percement de cette rue,
large de 14 mètres
(L’Indicateur de Tourcoing,
6 mars
1842). Au début du XX
e
siècle, la gare de Tourcoing sera
reconstruite plus près de la frontière belge.
(13)
L’Indicateur de Tourcoing,
17 octobre 1841.
(14)
L’Indicateur de Tourcoing
, 14 novembre 1841.
Doc. E. Delahaye
Premier horaire
de la ligne
depuis Lille
jusqu’à
Mouscron et
Courtrai valable
à partir du
6 juillet 1843,
au lendemain
donc de son
inauguration.
Ligne
[ France-Belgique. Genèse de la première
vité, les terrassements sont presque
terminés, à l’exception des travaux
d’exhaussement de la route de Rou-
baix à Tourcoing, à son point de jonc-
tion avec le chemin de fer. La pose
définitive des rails a commencé il y a
peu de jours, à partir du Mont-à-
Leux; tout fait donc présumer
qu’avant deux ou trois mois le
railway
pourra être livré à la circulation. La
Belgique, de son côté, ne reste pas
en arrière: M.Dewazières, ministre
des Travaux publics, a visité, la se-
maine dernière, la station de Mous-
cron et a donné l’assurance que l’ou-
verture de cette section à la frontière
aura lieu le 17 juillet, jour anniversaire
de l’entrée du roi Léopold en Bel-
gique. L’ingénieur dirigeant les tra-
vaux sur le territoire belge s’est, dit-
on, entendu avec l’ingénieur français
pour parcourir, le 25 juin prochain, au
moyen d’une locomotive, l’espace
compris entre Courtrai et Roubaix.»
En juillet, les terrassements et les ou-
vrages d’art sont entièrement termi-
nés entre Roubaix et Mouscron, sec-
tion que l’on espère pouvoir livrer à
l’exploitation au cours de l’été. Mais la
construction du matériel n’est point
aussi avancée, et les bâtiments des
stations ne sont pas même commen-
cés. En juin, une soumission a été lan-
cée dans ce dessein, étant précisé que
l’urgence des travaux de construction
des bâtiments exigeait qu’il soit pro-
cédé sans retard à leur adjudication.
Ceux-ci, répartis en deux lots distincts,
sont adjugés le 15 juillet et démarrent
sans plus attendre.
En août, la pose des rails est terminée.
Le 11, un premier convoi,
«composé
de deux locomotives, de plusieurs dili-
gences et d’environ quinze wagons
chargés de poutres pour le service de
la station de Tourcoing, parcourt sans
obstacle la distance qui sépare Courtrai
de cette dernière ville
(15)
. Une des lo-
comotives emmène ensuite les dili-
gences jusqu’à la tranchée de Rou-
baix, à la grande curiosité des badauds
massés sur le parcours!
Si les villes de Tourcoing et de Rou-
baix sont désormais réunies par le rail,
il reste cependant à prolonger la ligne
en direction de Lille.
L’Indicateur de
Tourcoing
rapporte que le 4 septem-
bre
«deux tranchées longues et pro-
fondes et un viaduc de 120 mètres
de longueur sont en cours d’exécu-
tion entre cette ville et Roubaix. Ces
travaux dont on s’occupe jour et nuit
seront achevés avant l’hiver, et il ne
restera plus qu’à poser les rails»
Mais, dans son édition du 25 septem-
bre, ce même journal affiche un opti-
misme plus raisonné:
« Plusieurs journaux annoncent d’une
manière positive qu’il sera procédé, le
29 de ce mois, à l’inauguration du
chemin de fer de Roubaix à Mouscron.
Nous pensons pouvoir affirmer que
cette cérémonie ne pourra avoir lieu
si tôt, les travaux qui restent à exécu-
ter exigeant encore un plus long délai.
Cependant, la plus grande activité n’a
cessé de régner sur toute la ligne de-
puis le commencement de cette an-
née, et maintenant que la seconde
voie de fer est placée, tous les ouvriers
sont employés aux travaux des sta-
tions. La rue principale qui doit abou-
tir à la station de Tourcoing est per-
cée; les bâtiments pour la remise des
voitures et des locomotives, le maga-
sin de coke, le réservoir d’eau, sont
presque entièrement terminés, et l’on
a commencé la construction des salles
d’attente, des bureaux de distribution
des billets et des bâtiments destinés
au service de la douane dont le per-
sonnel sera, dit-on, considérable. La
marche suivie dans l’exécution de ces
travaux témoigne hautement du ta-
lent des ingénieurs des Ponts et Chaus-
sées à qui la direction en est confiée.
Les trois locomotives, sorties des ate-
liers de MM.André Koechlin et Cie,
de Mulhouse, fonctionnent déjà et re-
morquent chaque jour, de Courtrai à
Tourcoing, des convois de poutres
destinées aux travaux du chemin de
fer; ces locomotives, d’un nouveau
modèle, réunissent l’élégance à la
bonne construction et sont, aux dires
des connaisseurs, préférables aux re-
morqueurs étrangers, surtout par la
supériorité de leur marche; chacune
10-
Historail
Avril 2009
Les locomotives sont, au dire des connaisseurs,
préférables aux remorqueurs étrangers.
Photorail
De Fives en 1843,
l’origine de la
ligne fut
repoussée à Lille
en 1848. La
construction
élevée à cette
époque céda la
place en 1869 au
bâtiment actuel,
dont le rez-de-
chaussée n’est
autre que la
façade de la gare
primitive de
Paris-Nord !
Avril 2009
Historail
d’elles, assure-t-on, ne coûte pas
moins de 50000francs.
On les a nommées la
Ville de Lille
, la
Ville de Roubaix
et le
Maréchal de
Boufflers
. Une quatrième locomotive,
en construction chez M.Pauwels, à
Paris, arrivera sous peu et aura nom la
Ville de Tourcoing.
M.Legrand, directeur général des
Ponts et Chaussées, est arrivé en no-
tre ville jeudi dernier non pour prési-
der à l’inauguration du chemin de fer
ainsi qu’on l’avait annoncé, mais pour
en visiter les travaux».
La mise en service de la ligne a finale-
ment lieu début novembre
(16)
, comme
L’Indicateur de Tourcoing
revient sur
l’événement dans son édition du
13novembre 1842:
« […] L’ouverture de notre chemin
de fer a eu lieu dimanche dernier,
sans appareil; les ingénieurs des
Ponts et chaussées et un petit nom-
bre de curieux assistaient au départ
du premier convoi.
On est généralement satisfait de la
construction du chemin dont les
remblais présentent partout la plus
grande solidité.
Quoique le service soit déjà établi, les
travaux des stations ne sont point en-
core achevés; de nombreux ouvriers
sont toujours occupés à la construc-
tion des bâtiments, et l’on commence
seulement le pavage de la place de la
station et de la rue principale; on es-
père cependant que, le beau temps
aidant, tout sera terminé le mois pro-
chain. En attendant que l’on
construise des voitures, le service se
fait au moyen des locomotives fran-
çaises et du matériel belge.
Demain, aura lieu l’ouverture du che-
min à Roubaix; les convois partiront
désormais de cette ville.»
Juillet 1843,
une inauguration boudée
par les édiles roubaisiens
En janvier 1843, plusieurs locomotives
construites chez Pauwels, à Paris, en
vue d’être affectées au chemin de fer
de Lille à la frontière belge, subissent
avec succès les tests préalables à leur
mise en service.
L’Indicateur de Tour-
coing
du 29 janvier s’en fait l’écho:
«Il résulte de ces épreuves que ces
machines ne le cèdent en rien aux
meilleures et aux plus élégantes ma-
chines anglaises.»
Au nombre des
nouvelles recrues figure la
Ville de
Tourcoing
(17)
».
En avril 1843, l’administration du che-
min de fer fait procéder à l’essai d’une
partie du matériel qui doit servir à l’ex-
ploitation de la section de Lille à Cour-
trai.
L’Indicateur de Tourcoing
en a fait
le récit:
«Un convoi composé d’une
berline, de trois chars à bancs et de
trois wagons a fait à plusieurs reprises
le trajet de Roubaix à la frontière et
vice-versa. L’avis unanime des per-
sonnes invitées à faire cette rapide
promenade est que ce matériel, qui
sort des ateliers de MM.Hambis et
Samain, à Fives-lez-Lille, ne laisse rien
à désirer sous le rapport de l’élégance
et de la bonne confection. La berline,
divisée en trois caisses de six places
chacune, est d’une commodité par-
faite. Toutes les places y sont égale-
ment bonnes. Les chars à bancs sont
un peu courts. On est obligé de se
croiser les jambes, comme dans une
diligence. Sans cet inconvénient, les
voyageurs du char à bancs ne porte-
raient pas envie à ceux de la berline.
On a remarqué comme une améliora-
tion importante dans la disposition
des voitures l’augmentation du nom-
bre des issues qui, en cas d’accident,
permettrait aux voyageurs de sortir
instantanément et sans presse.
Chaque berline, char à bancs ou wa-
gon étant divisé en trois parties, il s’y
trouve six portières, tandis que sui-
vant l’ancien mode de construction
adopté en Belgique, il n’y en avait que
deux. MM.les ingénieurs et plusieurs
personnes notables de Roubaix et de
Tourcoing, présents à cet essai, se sont
montrés satisfaits de ces résultats dont
le public est mis à même de jouir dès
ligne transfrontalière ]
(15)
L’Indicateur de Tourcoing,
14 août 1842. Les voitures
de 1
re
classe étaient alors appelées «diligences».
(16) Le mois précédent, avait eu lieu, en Belgique,
l’ouverture des sections du «railway» comprises entre
Courtrai, Mouscron et Tournai
(L’Indicateur de Tourcoing,
30 octobre 1842).
(17) A en croire M.Lucien-Maurice Vilain, cette machine
aurait eu une brève existence sur le Nord, puisque
rapidement versée au Chemin de fer de Bordeaux-La
Teste
(Dix décennies de locomotives sur le réseau du Nord
1845-1948
, éditions Picador). De fait, un rapport de
l’ingénieur des Ponts et Chaussées Alphand, chargé de la
surveillance de cette ligne, signale qu’en mai 1854 trois
locomotives venues du Nord, dont la
Ville de Tourcoing
n°4
, ont été essayées (Jean Brenot,
Cent cinquante ans de
chemin de fer de Bordeaux à La Teste et à Arcachon 1841-
1991
, L’Esprit du temps).
La gare de
Roubaix fut
reconstruite par
la compagnie du
Nord en 1888.
Photorail
Ligne
[ France-Belgique. Genèse de la première
aujourd’hui, le service devant être fait
désormais avec le matériel de l’admi-
nistration française.»
Le 1
mai suivant, la section allant de
Fives à Mouscron est parcourue pour
la première fois dans sa totalité. Evé-
nement rapporté par
L’Indicateur de
Tourcoing
du 7 mai:
«La locomotive
était dirigée par MM.les ingénieurs.
Un seul accident grave est arrivé: une
fille a roulé le long du talus et, dit-on,
s’est cassée une jambe. Les chevaux
des cuirassiers placés le long de la
route de fer ont été fort effrayés par le
bruit et le mouvement, mais cepen-
dant ont pu être contenus; quatre
cavaliers seulement ont été renversés
et leur chute, dit-on, n’a pas eu de
résultats bien fâcheux.
(18)
S’ensuit, le 5 juillet,
«une sorte d’inau-
guration provisoire»
de la ligne dé-
crite par
L’Indicateur de Tourcoing
« […] Vers midi, M.le Préfet, accom-
pagné des principales autorités civiles
et militaires et d’un grand nombre de
personnes invitées, s’est rendu au dé-
barcadère du Lion-d’Or où les atten-
dait un convoi de dix voitures. A midi
vingt-cinq minutes, le signal du dé-
part a été donné, tandis que des mor-
ceaux d’harmonie militaire étaient
joués par la musique du 52
régiment.
Le pont du Lion-d’Or et les abords de
la tranchée étaient couverts d’une
foule considérable, accourue de tous
les environs pour voir cette cérémo-
nie. En dix-neuf minutes (déduction
faite d’un temps de repos en route), le
convoi est arrivé à la station de Tour-
coing où se trouvaient déjà réunies
les autorités et la musique de cette
ville. Les honorables voyageurs y re-
çurent l’accueil le plus cordial, et l’ad-
ministration municipale leur offrit des
rafraîchissements que l’excessive cha-
12-
Historail
Avril 2009
L’avènement de la
traction vapeur
n’empêche pas certains
de prôner une forme
de retour à la traction
hippomobile, comme
on peut le lire dans
L’Indicateur de
Tourcoing
18 décembre 1842, qui
relaie une information
venant de Belgique:
« Les locomotives coû-
tent cher, dépensent
beaucoup et durent
peu. M.Dietz, ingé-
nieur-constructeur,
déjà connu par d’ingé-
nieuses conceptions,
vient d’imaginer un
moyen de locomotion
destiné, peut-être, à
réduire considérable-
ment et utilement le
service des locomo-
tives. Voici en quoi il
consiste: on sait que
même pour un convoi
de deux, quatre,
six wagons, l’emploi
d’une locomotive est
aujourd’hui nécessaire.
Hé bien, pour
ces petits services,
M.Dietz veut substi-
tuer les chevaux
à la locomotive, sans
qu’il y ait diminution
de vitesse. Pour cela,
bien entendu, les
chevaux ne marchent
pas sur la voie; ils sont
placés dans un wagon,
dans une locomotive
dont ils sont les
moteurs. En effet,
qu’on suppose quatre
chevaux, deux en
avant, deux en arrière,
tout comme dans les
attelages ordinaires,
retenus à des poteaux
fixes et marchant
sur un plancher en bois
et articulé qui, par
l’effort de leurs pieds,
fuit sous leurs pas,
on aura une idée non
seulement de
la possibilité, mais
même de la simplicité
d’un semblable
système.
Ce plancher, véritable
toile sans fin, roule
autour de poulies, et
ces poulies communi-
quent leur mouvement
à des roues, le tout
de manière à pouvoir
obtenir avec la marche
ordinaire des chevaux
une vitesse double,
quadruple, décuple.
L’invention de M.Dietz
ne consiste pas tant
dans l’idée première
de ce système
de locomotion que
dans la composition
de l’appareil, dans
le calcul de la plus
grande utilité possible
de la force donnée.»
Des chevaux comme moteurs
La gare de
Tourcoing,
troisième du
nom, fut édi�ée
en 1905 sur le
modèle de celle
de Roubaix.
Photorail
Avril 2009
Historail
leur du jour rendait assez utiles.
Une demi-heure environ fut employée
à visiter les ateliers construits pour le
service du chemin de fer et le matériel
important réuni sur ce point, puis le
convoi se remit en marche pour re-
tourner à Fives. La musique de Tour-
coing, invitée à prendre place dans
les wagons, exécuta pendant tout le
trajet divers morceaux d’harmonie. A
la grande tranchée de Roubaix, l’on
s’arrêta, et les voyageurs purent gra-
vir les escarpes entre lesquelles le che-
min est profondément encaissé. A
Wasquehal, nouvelle halte pour ad-
mirer les travaux du pont construit au-
dessus de la route et des deux bras
du canal. Ce bel ouvrage est sans
contredit le plus curieux de ceux que
l’on rencontre sur toute la ligne de
Lille à Bruxelles.
De retour à Fives, des ordres furent
immédiatement donnés par M.le
Maire de Lille pour que les personnes
venues de Tourcoing reçussent bon
accueil en attendant le départ du nou-
veau convoi qui devait les ramener;
et, en effet, les instants s’écoulèrent
rapidement au milieu des témoi-
gnages réciproques des sentiments
d’union et de bon voisinage.
Cet essai, aujourd’hui converti en ser-
vice régulier, a démontré que rien
n’avait été négligé soit dans les tra-
vaux de construction, soit dans l’éta-
blissement du matériel pour rendre
notre chemin de fer profitable et com-
mode aux nombreux voyageurs qui
sont appelés à en jouir. Il n’y a à cet
égard qu’un avis unanime, et la su-
périorité que nous venons d’acquérir
sur nos voisins n’est pas douteuse. Il
ne manque plus, pour donner à cette
nouvelle voie de communication toute
l’extension dont elle est susceptible,
que de la reporter jusque dans l’inté-
rieur de la ville de Lille. Espérons que
les difficultés que rencontre ce com-
plément nécessaire de notre
railway
ne tarderont pas à s’aplanir, et qu’on
verra se réaliser enfin tous les avan-
tages que l’on est en droit d’en at-
tendre.
(19)
Pour sa part,
L’Echo du Nord
en date
du 7 juillet s’interroge sur l’absence
des édiles roubaisiens à cette inaugu-
ration, avançant une explication:
«[…] Plusieurs personnes ont été
étonnées de ce que les magistrats
municipaux de Roubaix n’aient pas
imité, en cette circonstance, l’exem-
ple de ceux de Tourcoing. Pourquoi,
disait-on, MM.les Roubaisiens mon-
trent-ils tant d’indifférence pour une
innovation qui va quadrupler leurs
rapports avec le chef-lieu du dépar-
tement du Nord? Pourquoi ne pas
fraterniser avec leurs compatriotes de
Lille, dont ils ne sont séparés au-
jourd’hui que de quelques minutes?
Et nous-mêmes, nous partagions cet
étonnement; mais une personne bien
au courant de ce qui se passe à Rou-
baix nous a fait connaître la cause de
cette prétendue indifférence. On se
souvient que le 1
mai un convoi spé-
cial parti de Fives emporta jusqu’à
Mouscron les hauts fonctionnaires de
Lille; ce jour-là, MM.les Roubaisiens
avaient pris leurs mesures pour les re-
cevoir dignement. Qu’est-il arrivé?
L’orgueilleux convoi n’a pas daigné
s’arrêter à Roubaix, MM.les Roubai-
siens en ont été pour leurs frais et se
sont retirés mécontents de cette es-
pèce d’affront qu’ils venaient de re-
cevoir; jurant, mais un peu tard,
qu’on ne les y prendrait plus. […]»
Le Journal de Lille
, qui rend compte
de l’événement dans son édition du
6, conclut par ces mots:
«[…] Nous
avons voyagé sur les chemins de fer
en Belgique, eh bien! l’expérience
faite hier a constaté une supériorité
marquée en faveur du chemin de Lille
à Tourcoing tant sous le rapport de la
solidité de la voie que sous celui de la
bonne construction des machines et
du confortable des voitures destinées
aux voyageurs.»
On se plaît cependant à imaginer ces
Messieurs les officiels prendre place à
bord des voitures, pestant d’avoir pour
ligne transfrontalière ]
L’orgueilleux convoi n’ayant pas daigné s’arrêter
à Roubaix offense les édiles de cette ville.
(18) En 1879, la première victime du nouveau chemin
de fer entre Menin et Tourcoing allait être un lièvre!
(Gazette de Tourcoing et des cantons,
8 octobre 1879).
(19)
L’Indicateur de Tourcoing,
9 juillet 1843.
Porte d’entrée
en Belgique,
Mouscron était
reliée depuis
1842 à Tournai,
mais aussi à
Bruxelles via
Courtrai.
Photorail
Ligne
[ France-Belgique. Genèse de la première
la circonstance coiffé le haut-de-forme,
eu égard au peu de hauteur que pré-
sentent lesdites voitures. Fort heureu-
sement, l’imagination des chapeliers
va très vite remédier à ce désagré-
ment, comme l’atteste l’
Elégant
, un
journal de mode imprimé à Paris:
« Les chapeaux dits
Chemins de fer
font fureur pour le moment. Beau-
coup de personnes ont trouvé que la
forme des chapeaux était trop élevée
à 20 et 21 centimètres. Il est de fait
qu’avec de semblables formes il est
difficile de monter dans les voitures,
et notamment dans les wagons des
chemins de fer, puisque le plafond en
est tellement bas qu’il est rare qu’on
ne casse pas son chapeau en voulant
y pénétrer. C’est pour cela qu’on vient
de créer des chapeaux plus bas, hauts
seulement de 17 centimètres, formant
une corniche peu évidée à bords larges
et peu courbés et qui, à raison de leur
usage spécial, ont reçu le nom de
Cha-
peaux chemins de fer
. […]
(20)
A propos de couvre-chefs,
Le Moulin-
à-vent
du 30 juillet 1843 signale, non
sans humour, que
«des coups de vent
mal intentionnés ont enlevé cette se-
maine une foultitude de casquettes,
14-
Historail
Avril 2009
Quelques libertés avec les horaires
Cependant, il faut en convenir, le service n’est pas tou-
jours irréprochable. Dans son édition du 1
novembre
1843, L’Echo du Nord dénonce ainsi les libertés prises avec
l’horaire et fustige l’attitude de certains personnels: «
[…]
D’après le tableau dressé par l’administration, un convoi
doit passer à Roubaix à huit heures du soir et y prendre les
voyageurs pour Lille; hier, ce convoi est arrivé à Roubaix
à dix heures et demie seulement, et les personnes qui
étaient attendues à Lille à huit heures et demie n’ont pu
y être rendues qu’à onze heures. Nous ne savons sur qui
doivent tomber les reproches en cette circonstance, mais
nous devons blâmer sévèrement l’impolitesse de certains
employés que nous avons vu refuser de répondre aux
questions qui leur étaient adressées d’une manière conve-
nable par des voyageurs mécontents. […]
Ou L’Indicateur de Tourcoing qui, le 30 juillet 1843, écrit:
[…] Relativement au chemin de fer, nous avons encore
diverses remarques à enregistrer; ainsi, l’horloge de la
station de Fives avance ordinairement sur celle de la
place de Lille; il résulte souvent de ce désaccord que des
voyageurs manquent le convoi, tout en croyant arriver
trop tôt. Plusieurs négociants en toiles, qui dernièrement
voulaient se rendre au marché de Courtrai, ont éprouvé
ce fâcheux désappointement qui a pu leur porter un pré-
judice notable. On prétend que les horloges des diverses
stations se règlent sur celle de Bruxelles. Il faudrait, pour
être conséquent, assujettir au même régulateur les hor-
loges des villes, ou bien l’administration doit prendre
des mesures pour obvier à l’inconvénient que nous si-
gnalons. Elle ferait bien aussi de s’entendre avec l’admi-
nistration belge pour assumer des places aux voyageurs
jusqu’au terme de leur route, car dans l’état actuel des
choses, on ne délivre à Fives de cartes que jusqu’à Cour-
trai. De même qu’en Belgique on n’en délivre que jusqu’à
Roubaix, de sorte que les personnes qui vont plus loin
que l’une de ces stations sont obligées de descendre pour
prendre de nouvelles cartes, et pendant ce temps leurs
places sont souvent envahies par la foule qui attend le
passage du convoi.
(1)
C’est encore
Le Moulin-à-vent
qui, dans son édition du
octobre 1843, se plaît à rapporter sur un ton quelque
peu sarcastique le dialogue suivant:
[…]
– Perfectionnement, progrès! vous me faites de la peine,
parole d’honneur.
– Mais, monsieur, vous allez maintenant de Tourcoing à
Lille en douze minutes.
– Douze minutes!!! vous êtes charmant… douze mi-
nutes!… on va vous en fournir le détail de vos douze
minutes:

Un quart d’heure de mon domicile à la station,

Une demi-heure d’attente, c’est l’usage,

Trois minutes pour aller à Roubaix,

Cinq minutes à la station,

Douze minutes jusqu’à Fives,

Dix minutes employées à charger les bagages sur les
omnibus,

Dix minutes du Lion-d’Or à la douane,

Un quart d’heure pour la visite,

Cinq minutes à l’octroi,

Un quart d’heure de l’octroi à la Grand-Place, grâce
aux descentes répétées des voyageurs,

Total: cent vingt minutes; cent vingt minutes font deux
heures, si je sais bien compter.
– Oui, mais… est-ce que vous n’exagérez pas?
– Vérifiez, monsieur, vérifiez l’addition…
– C’est juste.
– Dites donc que c’est injuste!!….. deux heures de Tour-
coing à Lille! […]
En 1846, et alors que le réseau est désormais aux mains
de la Compagnie du Nord, les réclamations sont toujours
d’actualité:
Voici un fait qui témoigne combien le service du che-
min de fer du Nord laisse encore à désirer. Mercredi der-
nier, au convoi qui part pour Lille à 11 heures 25 minutes
du matin, on manqua de voitures; les conducteurs du-
rent entasser les voyageurs dans celles déjà pleines; plu-
sieurs d’entre eux réclamèrent et prétendirent rester seu-
Avril 2009
Historail
chapeaux et autres, qui se sont mis
tout à coup à voyager avec autant de
vitesse que leurs propriétaires, mais
en sens inverse»
Le nouveau mode de transport sus-
cite un réel engouement. Et, selon
Moulin-à-vent
du 16 juillet 1843, il
est de bon ton de s’y montrer:
« […] C’est dimanche surtout que les
abords du chemin de fer ont présenté
un spectacle intéressant. Le temps fa-
vorable avait attiré une foule immense
de curieux: les wagons s’emplissaient
incessamment d’une manière déme-
surée, volaient à la frontière, et reve-
naient prendre ceux qui attendaient
leur tour; aussi beaucoup, ne pou-
vant obtenir place, allèrent, en déses-
poir de cause, flâner du côté de Was-
quehal –où de remarquables travaux
ont été exécutés–, sans compter bon
nombre de gens tremblant à la seule
idée des mille accidents susceptibles
de vous casser un membre quel-
conque et préférant regarder de loin
la terrible locomotive que de lui
confier leur personne; si bien que de-
ligne transfrontalière ]
lement cinq sur chaque banquette, mais d’autres plus
candides consentirent à se laisser mettre en presse.
Arrivé à Roubaix, le convoi dut encore prendre beau-
coup de voyageurs. Contrairement aux arrêtés de l’auto-
rité supérieure, dont il paraît que les employés font bon
marché, il n’y avait à la station de Roubaix aucune voi-
ture d’attente. On continua d’entasser les voyageurs tant
bien que mal; on en avait même fait monter un bon
nombre dans le wagon de bagages qui suivait immédia-
tement le tender, et ils allaient faire le voyage en société
des caniches que l’on attache dans ce wagon lorsque le
commissaire de police de la station, s’étant aperçu de ce
nouvel abus, intima aux employés l’ordre de faire descen-
dre les voyageurs que l’on parvint enfin à placer dans
les voitures de 1
et de 2
classes, quoiqu’ils fussent mu-
nis de cachets de places inférieures.
Ce n’est pas tout, le 20 juin, l’administration a publié un
tableau des heures du chemin de fer; eh bien, depuis
dimanche dernier, il lui a plu d’avancer de 10 minutes le
départ de 11 heures 25 minutes, et cela sans porter ce
changement à la connaissance du public, sans le com-
muniquer aux journaux. Il s’ensuit que la plupart des
voyageurs arrivent trop tard à la station et sont forcés de
rentrer chez eux en pestant de bon cœur contre les au-
teurs de cette espèce de mystification.
(L’Indicateur,
14juillet 1846.)
Le 10 janvier 1847, ce même journal se fait l’écho d’un
mécontentement général engendré par les fermetures
répétées, et semble-t-il abusives, du passage à niveau si-
tué sur la route départementale qui va de Roubaix à Tour-
coing, l’un des axes les plus fréquentés du département:
[…] Ce n’est plus à l’approche réelle des convois qu’on
ferme la barrière, c’est à l’heure présumée de leur passage
et sans tenir aucun compte des circonstances qui les retar-
dent si fréquemment. Presque tous les jours, il arrive que
des voitures de marchandises ou autres soient obligées
d’attendre trois quarts d’heure et au-delà, sans qu’aucun
signal ait été donné d’un côté ni de l’autre. Nous croyons
devoir faire connaître à l’autorité supérieure cet abus très
grave qui constitue un empêchement de la voie publique,
sans motif, et cause un grand préjudice au commerce de
nos deux villes. Il suffirait bien certainement que la bar-
rière fût fermée au moment où les convois venant de
Mouscron arrivent dans la gare de Tourcoing, et où ceux
venant de Lille entrent dans celle de Roubaix. L’interrup –
tion du passage ne serait alors au plus que de dix à douze
minutes, et personne ne s’en plaindrait. […]
(2)
En janvier 1848, c’est un abonné qui adresse à
L’Echo du
Nord
le courrier suivant:
Chaque jour voit naître des faits qui accusent la plus
grande incurie dans le service du chemin de fer de Fives à
la frontière belge. […] Ainsi, il y a peu de jours, les voya-
geurs ont été forcés de parcourir à pied le tiers du chemin
de Lille à Roubaix, laissant derrière eux une locomotive
impuissante. Dimanche dernier, les voyageurs venant de
Belgique étaient encore forcés de descendre du train de
4 heures 30, arrêté en deçà de Mouscron, et, ce qui n’a
pas peu contribué à augmenter la mauvaise humeur des
voyageurs de Tourcoing, c’est qu’il ne leur a pas été per-
mis de prendre immédiatement le chemin le plus court
pour arriver à leur domicile. Ils ont dû suivre la ligne sous
l’escorte de douaniers, et passer la visite à la douane de
Tourcoing. Hier soir encore, le même train est arrivé à
Tourcoing deux heures environ après celle fixée.
(3)
Mais soyons juste, d’autres nouvelles ont sans doute de
quoi rendre le sourire aux lecteurs et aux usagers, comme
la mise en place de chaufferettes à eau chaude dans les
voitures de première classe (décembre 1846), la mise en
service de voitures-salons de neuf places sur Paris –
Bruxelles (mai 1847), ou encore la modération des tarifs
pour les ouvriers (août 1847).
(1) On peut pourtant lire dans
L’Indicateur
du 2 janvier
1842: «Des conférences ont lieu en ce moment, à l’effet
de régler les rapports à établir entre les services belge et
français pour l’exploitation des chemins de fer respectifs.
L’administration des douanes françaises a été aussi
consultée.»
(2) L’entrave à la circulation qu’allait constituer ce
passage à niveau avait été dénoncée lors des études
préalables à la ligne, mais à cette époque les ingénieurs
s’étaient opposés au pont réclamé. Fort heureusement,
le problème a depuis été résolu.
(3)
L’Echo du Nord,
20 janvier 1848.
(20) Rapporté par
L’Indicateur de Tourcoing,
16 juillet 1843.
Ligne
[ France-Belgique. Genèse de la première
puis le Lion-d’Or jusqu’à Wasquehal
étaient échelonnées des myriades de
promeneurs. […]
Or, pendant que tous, préoccupés du
chemin de fer, examinaient les terras-
sements, les fossés, les bâtisses,etc., le
ciel se couvre de sombres nuages et,
au même instant, une pluie… ou plu-
tôt un déluge, une cataracte fond sur
les promeneurs qui fuient précipitam-
ment et cherchent en vain un abri
contre cette subite inondation. Dire
le tableau de désolation qu’offrirent
alors les alentours serait impossible:
les dames ouvrent bravement leurs
ombrelles impuissantes contre les
vagues que le ciel prodigue avec tant
de générosité; les enfants pleurent
et se lamentent; les hommes courent
de tous côtés, implorant un asile pour
leur famille submergée, mais, hélas!
rien; il faut revenir à Fives, il faut se
résigner à être mouillé, transpercé
jusqu’aux os; ô douleur! le chapeau
neuf de MlleZ, la robe ponceau de
MmeY, les gants beurre-frais et le
gilet de satin vert de M.X, le matelot
rouge et blanc du petit V,!!!!!!!
Courons, nous voulons être à cou-
vert, dussions-nous pour cela monter
en wagons et faire forcément un
voyage d’agrément en Belgique!
Courons, les omnibus nous atten-
dent à la station! Courons, les bu-
reaux et les cafés voisins nous fourni-
ront un abri tutélaire!…
Et ils couraient sans regarder devant
eux, aveuglés par la pluie, et avec une
telle précipitation que plusieurs dé-
gringolèrent dans le large lit du fleuve
où naviguent les locomotives, les-
quelles poussèrent la délicatesse
jusqu’à ne pas écraser les imprudents;
nous n’avons donc aucun accident à
déplorer, sauf celui d’une dame qui
eut le malheur de tomber la tête en
avant, de telle sorte que, pendant le
trajet, ses jupons changèrent de posi-
tion et ne remplirent plus leur devoir.
Malgré la rapidité de cette course au
clocher, tous arrivaient trop tard: déjà
les omnibus étaient en route à desti-
nation de Lille; les salles d’attente
aussi bien que les cafés regorgeaient
de voyageurs, et chaque fois qu’ap-
paraissait une bienheureuse voiture,
elle recevait, en même temps que les
bénédictions de la multitude, trente
à quarante privilégiés, immédiatement
remplacés par cent autres, trempés
comme des poissons…
Je m’arrête; le cœur me manque (et
le papier aussi) pour continuer le récit
des nombreux incidents qui ont mar-
qué, en caractères ineffaçables, cette
journée fatale à bien des robes, à bien
des chapeaux et à une foultitude
d’autres ustensiles. […]»
Et comme chez nous tout finit par des
chansons, il est désormais possible de
se procurer pour 25 centimes la chan-
son en patois
Le Tourquennois au che-
16-
Historail
Avril 2009
C’est également par la
presse que viennent
aux oreilles de tout un
chacun certaines af-
faires portées devant
les tribunaux, affaires
mettant en cause le
chemin de fer du
Nord:
Le 16 février dernier,
le convoi de Mouscron,
qui croise ordinaire-
ment celui partant de
Lille le matin, à la hau-
teur du pont de Was-
quehal, se trouvait en
retard et arrêté dans la
station de Roubaix, où
l’on fait stationner les
trains arrivant sur la
même voie, pour la
commodité de la des-
cente et de la montée.
M.Hippolyte Hély,
conducteur-machiniste
du convoi de Lille, est
arrivé sans avoir,
comme à l’ordinaire,
croisé le convoi de
Mouscron à 700 mètres
de la gare de Roubaix,
et ce n’est qu’à force
de freins qu’il est par-
venu à retenir son
convoi qui allait se pré-
cipiter sur celui de
Mouscron. Procès-ver-
bal a été dressé, et
M.Hély est prévenu
d’être entré dans la
gare de Roubaix pen-
dant qu’un autre
convoi stationnait sur
la même voie, sans
avoir pris garde aux si-
gnaux qui lui ont été
faits à temps, en agi-
tant les drapeaux
rouges et en tournant
le disque de l’excen –
trique. Le conducteur-
machiniste se rejette
sur la force du vent qui
poussait le convoi par-
derrière, sur l’impossi –
bilité où il s’est trouvé
de voir à temps le
disque tourné et de
distinguer les signaux
donnés au moyen des
drapeaux, aveuglé
comme il l’était par la
neige et par la fumée
de sa locomotive. Il se
retranche sur cette cir-
constance que le
disque, qui devait être
placé à 500 mètres de
la gare de Roubaix,
n’en est éloigné que
de 140; il constate
qu’il a fait tous les ef-
forts humainement
possibles pour arrêter
à temps son convoi;
qu’il y a réussi,
puisqu’il est resté im-
mobile à 10 mètres de
celui qui l’avait pré-
cédé à la station. M.le
commissaire explique
au tribunal la manœu-
vre des trains, et dit
qu’il y aura journelle-
ment à craindre qu’ils
ne se rencontrent et se
heurtent, jusqu’à ce
que l’administration
ait pris d’autres me-
sures. M.Hély est
condamné à 100 francs
d’amende et aux
frais.
Cette affaire, rappor-
tée par
L’cho du Nord
du 11 mars 1847,
témoigne à la fois
de la dure condition
du «conducteur-
machiniste» et
de la sécurité toute
relative de la signalisa-
tion mise en place
à l’époque.
Une histoire de drapeaux et de disque
Avril 2009
Historail
min de fer
, disponible chez Jouan, 26,
place du Théâtre à Lille
(21)
Le 4 août, le
Journal de Lille
écrit:
« Le mouvement des voyageurs sur
le chemin de fer de Lille à la frontière
belge devient tous les jours plus
considérable. Le nombre de coupons
délivrés dans les trois stations de Tour-
coing, de Roubaix et de Fives s’est
élevé, dimanche dernier, au-delà de
5700, et le lendemain à plus de
4200. Cette affluence a rendu né-
cessaire l’organisation de convois
doubles qui ont quelquefois été com-
posés de vingt-quatre voitures et de
deux locomotives. De plus, des
convois supplémentaires ont été in-
tercalés et, bien que l’on ait prétendu
que ces convois, établis sans que le
public en ait été averti autrement que
par les avis affichés dans les stations,
ne soient pas d’une grande utilité, ils
ont pourtant emmené jusqu’à 600
voyageurs. […]»
Pour voyager de Fives à Roubaix, il en
coûte 60 centimes en 1
classe,
45centimes en 2
classe, 30 centimes
en 3
classe. De Fives à Tourcoing, les
tarifs sont respectivement de 80 cen-
times, 60 et 40 centimes. De Roubaix
à Tourcoing de 60, 45 et 25 cen-
times
(22)
Avril 1847, Lille comme
tête de ligne
Mais si nos trains sont désormais aux
portes de Lille, il leur reste à franchir
l’enceinte fortifiée de la ville pour y
pénétrer. Le 10 janvier 1845, décision
est prise d’établir une station intra-
muros aux Buisses. Fin mars 1847,
M.le baron James de Rothschild, à
qui la ligne de Paris à la frontière belge
a été adjugée le 9 juillet 1845
(23)
, vient
en personne se rendre compte de
l’avancement des travaux.
«Afin de
constater la bonne confection de la
voie qui, de la station de Fives, entre
dans nos murs et surtout pour s’as-
surer si le pont jeté sur les fortifica-
tions est solidement construit, si les
travaux de terrassements ont été bien
exécutés, il a donné ordre à un des
ingénieurs du chemin d’essayer cette
voie à petite vitesse, avec une loco-
motive et deux voitures. Cet essai doit
se faire demain, à dix heures du ma-
tin. Cette locomotive sera la première
qui entrera dans l’enceinte de la
ville
(24)
. »
Le 2 avril 1847 marque donc l’entrée
du premier train dans Lille!
Une semaine plus tard, la station de
Tourcoing est partiellement touchée
par un incendie
(25)
. Les locaux des
douanes sont entièrement détruits, le
BV l’est en partie, seules les salles d’at-
tente ayant été épargnées.
«Suivant
l’opinion générale, le feu s’est com-
muniqué par un tuyau de poêle trop
rapproché de la charpente. […] Mais
une difficulté sérieuse s’élève entre
messieurs de la douane et messieurs
de la Compagnie du Nord: il s’agit
de savoir si le vrai coupable est le
tuyau de poêle du gouvernement ou
celui de la compagnie Rothschild»
rapporte
L’Indicateur de Tourcoing
11 avril. Conséquence, les formalités
de douane sont transférées à Rou-
baix:
«Cette manière de procéder est
excessivement désagréable pour les
habitants de Tourcoing qui, de cette
façon, se trouvent assimilés pour la
visite aux personnes venant de la Bel-
gique. Les dames de Tourcoing sur-
tout ont à craindre de se rendre à Lille
avec quelques objets neufs soumis
aux droits d’entrée, sans compter
qu’elles sont exposées aux investiga-
tions les plus minutieuses, ce qui n’est
guère agréable pour une dame en toi-
lette
(26)

Quant aux Lillois, il leur faut encore
patienter avant de pouvoir étrenner
leur débarcadère intérieur.
«Une des
causes qui ont retardé son ouverture,
ce sont les travaux nécessités par la
pose des appareils pour l’éclairage au
gaz; car cet établissement n’exigera
pas moins de 300 becs
(27)
. »
Le 18 février 1848, le
Journal de Lille
annonce pour le dimanche suivant le
transfert de la plupart des bureaux de
Fives à Lille. Le lendemain, le même
périodique informe ses lecteurs que,
«par suite du transfert des bureaux
du chemin de fer en ville, une de-
mande allait être adressée à l’autorité
municipale, dans le but d’obtenir l’au-
torisation d’établir une compagnie qui
s’intitulerait: Administration des com-
missionnaires. Cette compagnie au-
rait dans toutes les rues des hommes
de peine, uniformément vêtus et mé-
daillés, qui transporteraient les ba-
gages et paquets au débarcadère in-
térieur, ou du débarcadère à domicile.
Le prix des courses serait, dit-on, fixé
à 20 centimes.»
Le 24 février suivant, comme annoncé
la veille dans la presse, la gare inté-
rieure est mise en service.
Une ère nouvelle s’ouvrait… N’annon-
çait-on pas sur Paris – Lille des loco-
motives capables de parcourir vingt
lieues à l’heure
(28)
Etienne DELAHAYE
ligne transfrontalière ]
(21)
Le Moulin-à-vent
, 13 août 1843.
(22)
L’Indicateur de Tourcoing,
3 septembre 1843.
(23) Voir: «1837-1937. Le rôle et l’influence du chemin
de fer dans l’expansion économique et industrielle de
Lille aux cours d’un siècle», par M.Vauquesal-Papin.
La
Vie du rail
n°693 du 19 avril 1959 (numéro spécial
consacré à Lille). Notons que dès 1844, ainsi qu’en
témoigne
L’Indicateur de Tourcoing
du 12 mai, décision
avait été prise par la commission du chemin de fer du
Nord d’achever et d’exploiter «la ligne de Paris à Lille,
déjà presque entièrement terminée par l’Etat».
(24)
L’Echo du Nord
, 1
er
avril 1847. C’est donc à la station
extérieure de Fives que stationne, le 14 juin 1846, le train
inaugural en provenance de Paris. Précisons que les
communes de Wazemmes, d’Esquermes, de Moulins-Lille
et de Fives furent rattachées à Lille par décret de
l’empereur Napoléon III le 13 octobre 1858.
(25) La station de Valenciennes connut un sort identique
en janvier 1848, et le mois suivant celle de Fives, aux
mains d’émeutiers, allait à son tour être partiellement
incendiée.
(26)
L’Indicateur de Tourcoing,
15 août 1847.
(27)
L’Echo du Nord,
12 janvier 1848.
(28)
L’Echo du Nord,
6 février 1848.
Photorail
18-
Historail
Avril 2009
L
e 14 septembre 1918, est mis en
place à l’initiative du ministère des
Travaux publics et des Transports un
comité pour l’étude technique, éco-
nomique et financière des questions
relatives au matériel roulant des
grands réseaux. Le 3 décembre, ce
dernier émet un avis, transmis le
même jour aux grands réseaux pour
examen. L’avis précise:

«il y a lieu de poursuivre l’unifi-
cation du matériel roulant des che-
mins de fer français»

«il est désirable qu’une organi-
sation permanente facilite les relations
des constructeurs et des administra-
tions exploitantes»
Poursuivre l’unification du matériel rou-
lant est bien le mot. Depuis octobre
1917, en effet, fonctionne une Com-
mission d’unification du matériel qui a
déjà abouti à des résultats importants,
telle l’unification des spécifications de la
boulonnerie de tous les organes
élémentaires des wagons PV de
20tonnes. Cependant, l’objectif nou-
veau est bien plus audacieux, puisqu’il
s’agit, ni plus ni moins, d’arrêter en
temps utile
«des types unifiés de lo-
comotives et de voitures»
devant ser-
vir de base à l’exécution des com-
mandes à livrer au cours des années
1921 et suivantes
. Pour parvenir à ce
résultat, le comité préconise aux grands
réseaux de constituer dans le plus bref
délai
«un bureau commun puissam-
L’OCEM,
une création
de l’entre-deux-guerres
Créé en 1919 à l’initiative des pouvoirs publics dans un souci d’unification
technique, l’Office central d’études de matériel de chemins de fer (OCEM)
perdure jusqu’en 1937, ses bureaux fournissant des milliers de plans tant
aux réseaux qu’aux industriels. Une seule ombre au tableau, la réticence du
Nord et de l’Est qui n’intègrent l’organisme qu’en 1928.
Matériel
Années 1930,
en gare Saint-
Lazare : Paci�c
et Mountain
attendent
l’heure du
départ. A
l’extême droite,
deux rames de
voitures OCEM
dont, au premier
plan, une C
9
y� à
rivets apparents
de 1925-28. A
noter la porte à
deux vantaux du
compartiment
central destinée
à la
manutention
des brancards en
cas d’utilisation
en véhicule
sanitaire.
Coll. Carré/Photorail
Avril 2009
Historail
ment organisé»
qui aurait pour mis-
sion, sous leur contrôle,
«de poursui-
vre toutes études concernant le maté-
riel, d’arrêter les types unifiés, de les
suivre en service, d’en assurer l’évolu-
tion de manière à les tenir constam-
ment au niveau des plus récents pro-
grès (…) et de procéder à cet effet à
tous les essais et expériences utiles»
Les rapports avec l’industrie sont l’au-
tre souci du comité. Pour cela, il re-
commande aux grands réseaux de
mettre en place
«un organe com-
mun»
dont le rôle serait
«de centra-
liser leurs commandes et de les né-
gocier avec les constructeurs»
. Cet
organe serait
«annexé»
au bureau
commun qui, ainsi doté d’une section
technique et d’une section commer-
ciale, deviendrait le Bureau commun
d’études et de commandes du maté-
riel de chemins de fer.
Réunis le 11 janvier 1919, les direc-
teurs des grands réseaux adhèrent au
projet et décident de confier l’orga-
nisation et la direction du nouvel or-
ganisme à Robert Dubois, ingénieur
en chef du matériel des chemins de
fer de l’Etat, assisté d’un adjoint
(Conte, ingénieur du matériel au PO)
et des membres de la Commission
d’unification du matériel. Le 4 février,
ils entérinent son installation (rendue
effective le 1
mars) dans un immeu-
ble situé au 70 bis, rue d’Amster-
dam
(3)
, à proximité de la gare Saint-
A la �n des
années 1920,
l’Etat fait
étudier par
l’OCEM un type
de voiture
métallique de
banlieue pour
rames
réversibles à
vapeur.
Ci-contre, la
voiture-pilote
OCEM-Etat dite
Talbot C
2
Eyfp
10581 du type
1932.
Photorail
Matériel
[ l’OCEM ]
Lazare, et arrêtent à 150000francs
le crédit nécessaire pour faire face aux
dépenses les plus urgentes. Dans les
premiers temps, l’OCEM peine à re-
cruter le personnel nécessaire à ses
activités : 35 agents sur les 50 prévus.
En fait, deux réseaux, le Nord et l’Est,
«réservé»
leur décision. Le pre-
mier est interpellé le 29 janvier par le
ministre des Travaux publics et des
Transports, Albert Claveille, qui lui rap-
pelle son souhait de pouvoir compter
sur un premier embryon de bureau
commun avant le 10 février. La ré-
ponse de l’intéressé tombe le 18 fé-
vrier: la Commission d’unification du
matériel mise en place en 1917 ré-
pond déjà aux attentes; quant à la
passation des commandes,
«nous es-
timons que nous ne pouvons pas en
déléguer le soin à un organe indé-
pendant du réseau»
Passant outre la défection de deux des
leurs, les grands réseaux poursuivent
l’établissement du bureau commun.
L’acte fondateur repose sur le
«règle-
ment»
du 21 avril 1919, qui prend
acte de la décision du PLM, du Midi,
du PO et de l’Etat de créer un organe
dénommé Office central d’études de
matériel de chemins de fer (OCEM), à
l’effet de
«procéder en commun à
l’étude de leur matériel suivant des
types unifiés»
et
«de faire également
en commun tous les essais et expé-
riences utiles pour améliorer ou contrô-
ler leur exploitation»
. Ce document
en définit ensuite les principaux
rouages avec, de haut en bas:

un conseil d’administration composé
des directeurs des réseaux participants;

un conseil de direction regroupant
les ingénieurs en chef du matériel et
de la traction des réseaux membres;

un conseil technique du matériel où
sont appelés à siéger, outre les repré-
sentants des réseaux, chacun dans
leur spécialité, toutes les personnes
qu’il
«croira utile de consulter pour
l’étude d’une question spéciale»

un directeur et un directeur adjoint.
20-
Historail
Avril 2009
Le matériel
voyageurs
métallique
OCEM se déclina
en voitures à
rivets apparents
et voitures à
faces lisses.
Ci-dessus, une
A
8
y� à rivets
apparents PLM
(40 unités livrées
en 1929-1931).
L’OCEM travailla
aussi à l’étude
de locomotives.
La «Super
Mountain»
241-101 Etat
de 1932,
initialement
proposée au
PLM, en est un
exemple.
Coll. Vilain/Photorail
Photorail
Avril 2009
Historail
Présidé par le directeur, réuni deux fois
par mois ou plus s’il y a lieu, le conseil
technique discute des travaux entre-
pris ou à entreprendre et soumet le
résultat de ses réflexions au comité
de direction qui décide en dernier res-
sort de la suite à donner aux diffé-
rents projets.
Le règlement spécifie encore que l’Of-
fice comprendrait en principe quatre
divisions principales –une division des
essais, une division des locomotives,
une division des voitures et wagons et
une division des études électriques–
et que son personnel serait composé
d’agents détachés des réseaux et de
personnes prises au dehors.
Les charges d’établissement et d’ex-
ploitation de l’Office incombent aux
réseaux membres (le PLM tenant le
rôle de comptable) pour moitié à parts
égales et pour moitié proportionnel-
lement au nombre de kilomètres en
exploitation des lignes de chaque ré-
seau à la fin de l’exercice précédent.
Pour compenser les frais engagés,
l’Office peut compter sur la vente des
dessins, reproductions et brochures
établis ou publiés par ses soins; sur
le remboursement par les réseaux des
études commandées à des fins per-
sonnelles et sur les contributions di-
verses aux études et essais faits sur la
demande de l’Etat ou d’un tiers.
Un additif est apporté au règlement
le 23 avril 1920. Il permet à l’OCEM
d’admettre des
«membres associés»
réseaux secondaires ou réseaux étran-
gers. Moyennant le versement d’une
cotisation annuelle de 10 francs (voie
étroite) ou 25 francs (voie normale)
par kilomètre de lignes exploitées,
ceux-ci peuvent profiter des services
offerts par l’Office: achat au prix coû-
tant de copies des dessins et docu-
Procéder en commun à l’étude de leur matériel
et aux essais et expériences utiles.
La 151 A 1 PLM
à distribution
Dabeg au banc
d’essai de
locomotives de
Vitry-sur-Seine,
annexe de
l’OCEM.
Coll. Derain/hotorail
Matériel
[ l’OCEM ]
ments établis par ses soins, exécution
moyennant rétribution d’investigations
spéciales. En fait, l’OCEM ne comp-
tera que trois membres associés : en
1920, les chemins de fer du Maroc et
la Compagnie du chemin de fer de
Tanger à Fès (celle-ci se retire quelques
mois plus tard) ; en 1932, la Compa-
gnie fermière des chemins tunisiens.
Ainsi constitué, l’OCEM présente tou-
tefois une lacune. Il ne peut, en effet,
ni s’assurer la propriété de ses dessins,
ni prendre des brevets ou faire un dé-
pôt de modèles, ni passer un traité
quelconque sans que les réseaux
membres interviennent conjointement.
D’où la décision, sur proposition du
Contentieux du Midi, de le constituer
en association professionnelle sous le
couvert des lois du 21 mars 1884, re-
lative à la création des syndicats pro-
fessionnels, et du 12 mars 1920, à l’ex-
tension de la capacité civile des
syndicats en question. Reprenant les
dispositions du règlement de 1919,
les nouveaux
«statuts»
, arrêtés le
20janvier 1921, sont déposés à la pré-
fecture du département de la Seine le
31 du même mois et inscrits au ré-
pertoire sous le n°3674.
La non-adhésion du Nord et de l’Est à
l’OCEM –la nouvelle administration
des Chemins de fer d’Alsace et de Lor-
raine (AL) a intégré l’organisme en dé-
cembre 1919– est évoquée par la
Conférence des directeurs du 29 mai
1923. En charge du PO, Alfred Mange
fait observer qu’il est anormal que
toute la charge de l’Office soit sup-
portée par certains réseaux, alors que
d’autres (le Nord et l’Est) peuvent pro-
fiter de son existence moyennant une
simple quote-part des frais occasion-
nés par une étude. Directement visé,
le directeur du Nord, Emile Javary, ré-
plique qu’il n’est pas opposé, en prin-
cipe, à la participation de son réseau à
l’OCEM,
«pourvu que cet organisme
soit considéré comme un bureau de
renseignements et d’études, s’occu-
pant notamment de la standardisa-
tion des éléments des machines et des
véhicules, et non comme un intermé-
diaire technique entre les réseaux et
les constructeurs»
. Une situation qui,
selon lui,
«stériliserait l’esprit de re-
cherche des réseaux et annihilerait
leur initiative»
. Faux, répond Mange:
l’OCEM,
«loin d’imposer aux réseaux
les types qu’il a conçus, n’est qu’un
organe d’exécution des études et es-
sais demandés par les ingénieurs en
chef du matériel et de la traction des
réseaux participants. (…) Au besoin,
on pourrait en modifier les statuts
pour préciser les limites de son ac-
tion»
. Javary prend acte et promet
d’examiner la question.
L’examen par la Conférence des di-
recteurs, le 15 janvier 1924, d’un pro-
jet de construction d’un
«laboratoire
d’essais de locomotives»
relance le
débat. Javary estime qu’il ne peut en-
visager l’adhésion du Nord que sous
les réserves déjà évoquées. Il insiste
notamment sur la nécessité
«de sau-
vegarder l’esprit de recherche et d’ini-
tiative des réseaux»
, considérant de
22-
Historail
Avril 2009
Pendant les dix
premières années de
son existence (de 1919
à 1929), l’OCEM étudie
pour le compte des
réseaux et des
constructeurs neuf
locomotives, deux
tenders, dix voitures
métalliques de grandes
lignes à bogies, huit
voitures métalliques de
banlieue à bogies, trois
fourgons dont un à
compartiment postal
et trente-trois wagons
à deux essieux ou à
bogies. Quelque
15800dessins ont été
produits à cet effet.
Sur ces types, il a été
construit ou commandé
par les réseaux
456 locomotives,
861 voitures métal –
liques de grandes
lignes, 481 voitures
métalliques de
banlieue, 410 voitures
postales à bogies,
380fourgons,
39104wagons (dont
1219spéciaux).
La décennie suivante
témoigne d’une activité
sans faille, avec une
pointe en 1931. Cette
année-là, les 223agents
de l’Office (contre 136
en 1928) ont établi
4400 dessins et terminé
les études de trois
locomotives (une 241
pour Etat, une 231 et
une 151 pour l’AL),
d’un tender à bogies de
35m
, de deux voitures
grandes lignes (une
A3B5 pour le PO et une
C10yfi transformable
en voiture sanitaire),
d’un fourgon Dq à
deux essieux pour GV,
de cinq voitures
postales (dont deux
allèges et trois bureaux)
et d’un wagon plat de
20t. Cependant, en
dépit des recettes
résultant de la vente
des études, l’organisme
restera déficitaire
jusqu’au bout. Ainsi, en
1931 toujours, les
dépenses d’exploitation
et d’établissement
se chiffrent à près
de 7,4millions pour
des recettes limitées à
un peu plus de
2,8millions…
La création de la SNCF
est fatale à l’OCEM
(226agents), dont
les bureaux éclatent
Vingt ans d’une intense activité
D’après le Nord, l’OCEM stériliserait l’esprit de
recherche des réseaux et annihilerait leur initiative…
Avril 2009
Historail
ce fait que
«les études de l’OCEM de-
vraient se limiter aux éléments de ma-
tériel, à l’exclusion des ensembles»
Prenant la parole au nom des réseaux
membres, Raoul Paul, directeur du
Midi, répond que le Nord
«n’a pas à
craindre l’intervention de l’OCEM
dans la passation des marchés et que,
au surplus, on pourrait envisager la
suppression de la personnalité civile»
Pour ce qui est de l’initiative laissée
au personnel des réseaux, il pense que
l’intervention de l’OCEM,
«loin d’être
une entrave à leur libre exercice, en
est au contraire un stimulant par les
discussions et les controverses qu’elle
provoque»
. Mais, conclut-il,
«il ne
peut admettre la limitation qu’indique
M.Javary dans l’ordre des études de
cet organisme: pareille disposition en-
lèverait tout intérêt à l’OCEM»
. En
conséquence de quoi, Javary main-
tient sa décision de ne pas y adhérer
jusqu’à nouvel ordre.
Ebranlé, Paul Riboud, directeur de
l’Est, se montre moins catégorique et
se dit prêt à étudier l’adhésion de sa
compagnie sous réserve d’une ré-
forme du statut de l’OCEM. Les ré-
seaux membres acceptent le principe
de cette réforme et l’invitent à bien
vouloir leur en indiquer les modalités
lors d’une prochaine réunion
(5)
Au terme de la Conférence des di-
recteurs, réunie le 6 mai 1924 pour
décider de la suite à donner à la pro-
position de construire le banc d’essai
pour locomotives, Paul intervient une
nouvelle fois auprès de Javary pour
savoir s’il continue de réserver sa par-
ticipation à l’OCEM. Bien que néga-
tive, sa réponse est moins catégo-
rique dans le sens où il admet que ce
dernier puisse s’occuper de l’étude
d’éléments de matériel communs aux
réseaux, mais aussi de celle de voi-
tures et de locomotives de type unifié,
à condition toutefois
«de faire l’objet
de dispositions spéciales prises à
l’unanimité»
En fait, il faut attendre 1928 pour que
Javary accepte enfin d’adhérer à
l’OCEM. Les raisons invoquées pour
expliquer ses réticences sont claire-
ment exposées dans un projet de let-
tre en date du 15 septembre 1928
destinée à Paul :
« Ces craintes, vous les connaissez
bien: je suis partisan aussi chaud que
quiconque de l’unification de tous les
éléments constitutifs de notre maté-
riel, avant tout des éléments de no-
tre matériel à marchandises que nous
avons mis en banalité, mais égale-
ment de ceux de nos voitures à voya-
geurs et de nos locomotives. Je suis
non moins chaud partisan de l’étude
en commun des diverses combinai-
sons suivant lesquelles ces éléments
Tractée par
une 221Atlantic
carénée, l’une
des quatre
rames du train
aérodynamique
du PLM à l’arrêt
en gare de
Laroche-
Migennes. Ces
rames étaient
formées de
matériel OCEM à
rivets apparents
ou à faces lisses.
Ici une
composition
du premier type
avec un
restaurant-
fourgon Ds
comme véhicule
de tête.
Cooll. Floquet/Photorail
Matériel
[ l’OCEM ]
peuvent être mis en œuvre pour
aboutir à des types successifs repré-
sentant chacun le dernier terme du
progrès, à l’heure où ils sont conçus.
Mais je n’ai jamais voulu déposséder
mes collaborateurs techniques de l’ini-
tiative de rechercher, de mettre au
point et de réaliser dans le cadre des
besoins que leur révèle la pratique
journalière, des solutions que la mise
en œuvre d’idées nouvelles, de mé-
taux nouveaux, de procédés de
construction nouveaux,etc. peuvent
permettre d’aborder; je n’ai pas voulu
non plus les décharger de la respon-
sabilité de poursuivre les réalisations
dans les conditions les plus avanta-
geuses pour l’exploitation, tant au
point de vue technique qu’au point
de vue financier. Enfin, la personna-
lité civile donnée à l’OCEM en sa qua-
lité d’association professionnelle m’a
fait craindre une interposition possi-
ble entre les constructeurs et mon ré-
seau, alors que je tiens essentiellement
à maintenir son indépendance abso-
lue vis-à-vis des constructeurs dans la
préparation comme dans la discus-
sion et l’exécution des marchés.»
Cette lettre fait également allusion à
un entretien qu’aurait eu Javary avec
ses homologues du PLM, du Midi,
du PO, de l’Etat et de l’AL, lesquels
lui auraient donné toutes les assu-
rances quant au respect de l’indé-
pendance du Nord sur tous les points
évoqués. En conséquence de quoi ce
dernier sollicitait son admission au
sein de l’OCEM.
La demande d’intégration du Nord et
de l’Est est examinée par le conseil
d’administration de l’OCEM le 12 dé-
cembre. Javary y a mis une dernière
condition: qu’une modification soit
apportée aux statuts de l’organisme
«afin de bien spécifier que les réseaux
ont toute liberté de confier à qui bon
leur semble, et non pas seulement à
l’Office, leurs études de matériel non
unifié»
. La modification porte sur le
premier alinéa de l’article 1, qui spéci-
fiait que les réseaux membres s’enga-
geaient, par le biais de l’Office, à
«pro-
céder en commun à l’étude de leur
matériel suivant des types unifiés»
. La
nouvelle rédaction précise que l’OCEM
aurait désormais pour mission
«de
procéder à l’étude, d’une part, du ma-
tériel unifié, d’autre part, du matériel
non unifié qu’ils
[les réseaux]
auront
reconnu avantageux de ne pas faire
étudier par leurs bureaux d’étude res-
pectifs»
. Ce qui, selon les réseaux, ne
devait poser aucun problème, cette
démarche étant
«déjà la pratique ac-
tuelle»
… Décision est donc prise d’ac-
cepter le Nord et l’Est au sein de
l’OCEM à compter du 1
janvier 1929.
Ironie, Javary succède le 1
janvier
1933 à Maurice Margot, directeur du
PLM, en tant que président du conseil
d’administration de l’OCEM. Il sera
lui-même remplacé le 1
janvier 1934
par Raoul Dautry, le directeur des Che-
mins de fer de l’Etat.
Bruno CARRIÈRE
24-
Historail
Avril 2009
(1) Dès le 13 novembre, Emile Javary, directeur du Nord, informe son ingénieur
en chef du matériel et de la traction, Bréville, de l’intention du ministère de
créer un «
bureau central d’études du matériel roulant, et même des
locomotives, commun à tous les réseaux français
».
(2) Les locomotives et voitures à commander immédiatement pour être livrées
en 1919 et 1920 seront, quant à elles, et pour chaque réseau, «
conformes à
des types existants et comportant pour chaque type des séries aussi
importantes que possible
».
(3) Le comité de direction des réseaux ayant décidé d’occuper les lieux, les
bureaux de l’Ocem seront transférés en décembre 1929 aux 100-102, avenue
de Suffren , dans un vaste immeuble acheté par les grands réseaux qu’ils
partagent avec ceux de l’Office du mouvement des wagons.
(4) Conséquence de la création de l’OCEM, la Conférence des directeurs
des réseaux du 21 octobre 1919 décide la suppression de la Commission
d’unification du matériel.
(5) On notera que, dès le 15 décembre 1923, Riboud a adressé à Javary un
avant-projet de ce que pourraient être les nouveaux statuts de l’Ocem.
(6) Le 14 mai 1925, le directeur général des chemins de fer (ministère des
Travaux publics) pressera Javary de revoir encore sa position.
Les précisions apportées sont tirées des archives de la Compagnie du chemin
de fer du Nord (AN 202 AQ 1248, dossier Ocem) et du fonds Raoul-Dautry (AN
307 AP 70, procès-verbaux du Conseil de réseau des chemins de fer de l’Etat).
Photorail
Fourgon OCEM
type 1929 à
rivets apparents
commandé à
250 exemplaires
par l’Etat.
Avril 2009
Historail
U
ne des grandes affaires de
l’OCEM a été la construction à
Vitry-sur-Seine d’un banc d’essai pour
locomotives. Evoqué dès 1920, le pro-
jet ne prend véritablement forme que
trois ans plus tard. Le 21 novembre
1923, Robert Dubois expose au
conseil d’administration de l’Office,
dont il est le directeur, tout l’intérêt
de cette démarche.
« Des expériences récentes entreprises
par l’OCEM dans le but de comparer
la consommation en service des loco-
motives Pacific et Mikado ont mis en
évidence le fait que, malgré tout le
soin apporté à l’exécution de ces es-
sais, il a été impossible de tirer des
conclusions précises des résultats ob-
tenus. Les différences entre les di-
verses locomotives essayées sont, en
effet, trop nombreuses pour qu’on
puisse séparer la part d’influence de
chacune d’elles. Il est donc nécessaire
d’opérer en n’agissant successivement
que sur une variable à la fois et dans
des conditions semblables et
constantes, toutes choses égales d’ail-
leurs. Ce résultat ne peut être obtenu
que par des essais en laboratoire au
point fixe. C’est ce qui explique le dé-
veloppement qu’ont pris à l’étranger
les laboratoires d’essais de locomo-
tives, en particulier aux Etats-Unis, où
on trouve plusieurs modèles du genre.
Il existe actuellement une dizaine de
ces laboratoires dans le monde
Nous serions d’avis de construire en
France un de ces laboratoires aux frais
communs des sept réseaux français.»
Dubois estime la dépense à quelque
trois millions. En regard du coût des
charbons consommés annuellement,
qui dépasse le milliard, il estime
«que
Le banc d’essai
de Vitry-sur-Seine
Coll. Derain/Photorail
Projeté dès 1920, le «laboratoire d’essais
de locomotives» à poste fixe de Vitry-sur-
Seine ouvre ses portes en 1933. Annexe
de l’OCDE, il devient le complément
indispensable aux essais en ligne.
Le passage au
banc de l’une
des 241 Etat
livrées entre
1931 et 1935 ne
suf�t pas à
convaincre de la
�abilité de ces
machines dont
la vitesse fut
limitée à
90km/h à la
suite de
plusieurs
déraillements.
Matériel
[ l’OCEM ]
la moindre économie de combustible
résultant des études qui seraient faites
dans ce laboratoire en couvrira im-
médiatement les dépenses»
La question est examinée par la Confé-
rence des directeurs le 15 janvier 1924.
Paul-Emile Javary, directeur du Nord,
qui vient une nouvelle fois de refuser
l’adhésion de son réseau à l’OCEM,
se montre d’emblée très réservé quant
à l’utilité du projet et aux économies
de combustible qui pourraient en ré-
sulter. Il commence par rappeler que
les réseaux ont reçu d’Amérique, où
les laboratoiressont au nombre de
cinq, des locomotives dont ils ont, avec
les moyens restreints dont ils dispo-
saient, abaissé la consommation de
30%. Il souligne ensuite qu’il ne voit
pas quels sont les essais que les ser-
vices du matériel et de la traction des
réseaux ne sont pas en mesure de
faire, et précise que
«ces essais doi-
vent être poursuivis, non pas dans des
conditions abstraites, mais dans les
conditions mêmes où les machines
(…) sont appelées à fonctionner»
Raoul Paul, directeur du Midi, et pour
l’heure président de la Conférence,
rétorque que le rôle joué par les la-
boratoires dans la mise au point des
locomotives reçues d’Amérique n’est
pas suffisamment connu pour les met-
tre en accusation. Et s’il ne conteste
pas aux services du matériel et de la
traction leur capacité à mener des es-
sais, il estime qu’ils ne sont pas à
même de répondre à toutes les inter-
rogations, notamment celles touchant
aux comparaisons de réseau à réseau.
Se rangeant à l’avis de Raoul Paul, les
directeurs des réseaux membres invi-
tent donc Dubois à préparer un dos-
sier détaillé sur le rôle et le fonction-
nement du futur laboratoire.
Dubois rend son rapport (
Note au su-
jet d’un laboratoire d’essai des loco-
motives
) le 8 avril 1924. Les premières
lignes sont une réponse au scepticisme
de Javary:
«Les résultats des expé-
riences faites sur les locomotives par
l’OCEM depuis sa création nous ont
amenés à la conviction que les essais
en service, les seuls qu’on puisse ef-
fectuer actuellement, ne permettent
pas de tirer des conclusions précises
des essais entrepris.»
Deux exemples
«typiques»
viennent étayer ses pro-
pos, le premier relatif à la consomma-
tion en service courant de locomotives
munies de divers types de réchauffeurs
d’eau d’alimentation, le second, à des
essais de comparaison de diverses Pa-
cific et Mikado sur trois réseaux. Dans
le premier cas, Dubois explique qu’en
dépit des précautions prises (locomo-
tives de la même série, placées dans
le même dépôt et le même roulement,
et toutes munies d’une garniture ca-
lorifuge) les résultats n’ont pas été pro-
bants:
«On a constaté des écarts
brusques et exagérés qu’on ne peut
attribuer qu’à des différences dans la
conduite des locomotives par les mé-
caniciens ou qu’à des variations im-
26-
Historail
Avril 2009
La réalisation
du gros œuvre
du banc d’essai
de Vitry (ici à
l’époque de son
inauguration en
1933) incomba
au PO. Sur la
vue du haut,
on distingue
au premier plan
le parc à
combustibles et
à droite les trois
réservoirs d’eau
réservés à
l’alimentation
des freins
hydrauliques.
ANMT/Photorail
ANMT/Photorail
Avril 2009
Historail
portantes de la charge des trains.»
Même observation pour le deuxième
exemple, qui a conduit notamment à
ne pouvoir chiffrer la part exacte qui
revenait au compoundage dans les
économies de combustible réalisées.
Dubois poursuit ensuite sur l’emploi
des trains spéciaux avec wagon-dy-
namomètre qui, s’ils donnent des ren-
seignements utiles sur les charges et
les consommations des locomotives,
«sont insuffisants pour déterminer
avec exactitude l’avantage que pro-
cure un appareil ou une disposition
déterminée»
Enfin, il revient sur les laboratoires pré-
sents outre-Atlantique, précisant qu’ils
sont tous la propriété d’universités et
ne servent qu’à l’instruction des étu-
diants, exception faite de celui d’Al-
toona, directement financé par le
Pennsylvania Railroad, qui a servi de-
puis à mettre au point et à perfec-
tionner constamment les types suc-
cessifs de locomotives de ce réseau
(2)
Dubois rappelle alors que pour qu’un
essai en service courant mette en évi-
dence, et d’une façon indiscutable, le
bénéfice d’un perfectionnement, il
faut que l’économie réalisée atteigne
10% environ,
«car ce n’est que
quand l’économie est de cette im-
portance qu’elle n’est pas masquée
par les variations des conditions d’ex-
périence en service»
. Or, constate-t-il,
ce cas de figure n’est guère fréquent.
Inversement,
«il y a une quantité de
dispositifs dont on peut attendre
quelques centièmes d’économie et
Inauguration
du 27 juillet
1933. A gauche,
le carton
d’invitation de
Paul Javary,
directeur du
Nord et depuis
peu président
du conseil
d’administration
de l’OCEM.
A droite, la
plaquette
publiée pour
l’occasion.
Ci-contre,
coupe
transversale
schématique du
banc d’essai. Les
rouleaux sont
calculés pour
supporter des
locomotives
pesant 30 t par
essieu. La vitesse
maximale
prévue est de
160 km/h.
Ci-dessous,
coupe
longitudinale
extraite des
cours prodigués
à l’Ecole des
ponts et
chaussées
par Claudius
Renevey,
directeur de
l’OCEM de 1928
à 1937. L’effort
de traction
supporté par le
dynamomètre
est de 45 t,
mais peut subir
des efforts
momentanés
de 70 t.
ANMT/Photorail
RGCF oct. 1933/Photorail
Doc. Renevey
Matériel
[ l’OCEM ]
que les réseaux hésitent à adopter
parce que les essais en service ne font
pas ressortir nettement qu’il y a éco-
nomie à les employer, ou entre les-
quels les réseaux hésitent à fixer leur
choix parce que la supériorité des uns
ou des autres ne peut être établie»
Pourraient être ainsi étudiées en la-
boratoire les questions touchant au
réchauffage de l’eau d’alimentation, à
l’échappement, aux sécheurs de va-
peur, aux méthodes de conduite du
feu…
«en ne changeant qu’une va-
riable à la fois, ce qui est impossible
avec les essais en service»
Le laboratoire serait à même d’exé-
cuter trois sortes d’essais:

essais de locomotives neuves pour
leur mise au point;
28-
Historail
Avril 2009
La «Cock o’ the
North»,
locomotive de la
compagnie
anglaise LNER,
au banc d’essai
en décembre
1934. C’est
à cette
occasion que
les installations
furent
présentées
à la presse
étrangère.
Photorail
Photorail
Avril 2009
Historail

essais de locomotives déjà en ser-
vice pour rechercher les améliorations
possibles ou diagnostiquer, pour une
même série, les causes de la défail-
lance de certaines machines par rap-
port à leurs sœurs (
«Le laboratoire
jouerait ainsi le rôle de clinique des
locomotives.»

essais d’appareils spéciaux: ré-
chauffeurs d’eau d’alimentation,
échappements, surchauffeurs,etc.
Le personnel se diviserait en agents
permanents recrutés par l’OCEM et
en agents détachés temporairement
des réseaux
«pour parfaire leur édu-
cation technique»
Discuté le 6 mai 1924 par la Confé-
rence des directeurs, le travail de Du-
bois emporte l’adhésion du Nord et
de l’Est.
«A la condition formelle,
pré-
cise toutefois Javary,
que le but pour-
suivi soit uniquement d’obtenir une
documentation, mais que son adhé-
sion ne prive le réseaud’aucune ini-
tiative, ni d’aucune liberté en matière
d’essais à faire chez lui, d’une part, et
qu’il n’en résulte, d’autre part, aucune
pression pour adopter telle ou telle dis-
position parce qu’elle aurait fait l’objet
d’essais déclarés favorables par le la-
boratoire.»
Par ailleurs, il est entendu
que chaque réseau prendra à sa
charge une part des dépenses liées aux
essais décidés en commun, mais sup-
portera entièrement les essais deman-
dés à titre privé. Bien qu’ayant fait l’ob-
jet d’un projet détaillé en 1925, la
réalisation du banc d’essai est repous-
sée momentanément pour des raisons
budgétaires. Le dossier est exhumé en
juillet 1928, et l’autorisation d’entre-
prendre la construction donnée par
décision ministérielle du 17 avril 1930.
Le financement, quelque 16 millions
de francs, est à la charge des réseaux:
6millions pour le PO, chargé de four-
nir les terrains et d’assurer les travaux
(dépenses pour lesquelles l’OCEM
paiera un loyer), le reste réparti entre
les six autres partenaires suivant la for-
mule appliquée à l’Office.
Aucune des entreprises approchées
pour l’exécution des travaux (Krupp,
Chantiers de la Loire, Fives-Lille,
Dubruille/Photorail
L’un des
multiples
instruments de
mesure du banc.
Les roues
motrices
entraînent
par frottement
les rouleaux du
banc accouplés
à des freins
Froude.
Matériel
[ l’OCEM ]
30-
Historail
Avril 2009
La Mountain Est
241.038 en
démonstration
le jour de
l’inauguration
du 27 juillet
1933.
En 1934, les
241.036 (avant
transformation)
et 241.004 Est
(après
transformation)
passèrent au
banc pour
comparaison.
Le contact entre
les roues de la
locomotive et
des rouleaux du
banc est assuré
par plate-forme
montée sur
vérins.
Doc. Renevey
Coll. Derain/Photorail
Photorail
Avril 2009
Historail
La Mountain
241 C 1 PLM.
Etudiée par
Schneider, livrée
en 1930,
elle était
la traduction
d’une nouvelle
conception
de ce type
de machine.
Atlantic 221 B
PLM. Deux de
ces machines
(ex-221 A)
furent carénées
�n 1934 pour
les besoins
des trains
aérodynamiques
de cette
compagnie.
Photorail
Photorail
Matériel
[ l’OCEM ]
Aciéries de la Marine et d’Homécourt)
n’osant se prononcer – Dubois
«craint
que ces maisons n’ayant pas l’assu-
rance d’avoir une commande hésitent
devant les dépenses assez élevées
d’une pareille étude»
–, la décision
est prise d’ouvrir un concours avec
prix. Les Aciéries de la Marine et d’Ho-
mécourt finissent par l’emporter sur
Krupp et signent le marché en sep-
tembre 1930.
C’est à Vitry-sur-Seine que le banc
d’essai voit le jour. Le choix de cet em-
placement a été déterminé par la re-
cherche d’un certain nombre de
conditions : proximité de Paris et d’un
grand atelier de réseau auquel il se-
rait raccordé et proximité d’une source
de courant continu à 1 500 volts per-
mettant, en cas de besoin, l’essai au
banc des locomotives électriques.
Les installations se composent :

d’un bâtiment (55 m x 15 m) ser-
vant d’abri au banc et aux installations
de mesures ;

d’une remise (50 m x 26 m) pour le
garage des locomotives à essayer et
des wagons dynamomètres ;

d’un bâtiment (28 m x 15 m) à
l’usage de bureaux et de laboratoires;

d’une conciergerie.
Des espaces importants sont ména-
gés pour des installations futures.
Le principe de fonctionnement du
banc d’essai est le suivant : la loco-
motive est montée sur des rouleaux
munis de freins, elle exerce son effort
de traction sur un dynamomètre at-
taché à un point fixe. La puissance dé-
veloppée par la locomotive est dissi-
pée par les freins ; elle est, d’autre
part, mesurée à chaque instant par le
produit de l’effort sur le dynamomètre
par la vitesse à la périphérie des roues.
En faisant varier le freinage des rou-
leaux, on peut essayer la locomotive à
toutes les vitesses et toutes les puis-
sances désirables.
Les appareils dynamométriques sont
fournis par la firme Amsler, de Schaff-
house, en Suisse (qui détient un mo-
nopole quasi exclusif en Europe), les
freins par Foudre, les ponts roulants
par Applevage, les accouplements
Wellann Bibby par Citroën.
Le banc est opérationnel début mai
1933. La Mikado 141.046 Etat est mo-
bilisée pour le réglage de l’installation.
«Mais, par suite d’un défaut d’équili-
brage et des mouvements longitudi-
naux exagérés pris par la machine, on
ne put dépasser la vitesse de 60
km/h.»
Le 27 juin, Claudius Renevey,
le successeur de Dubois à la tête de
l’Ocem, informe Javary, nouveau pré-
sident du conseil d’administration du
même organisme, de la suite des ré-
jouissances :
« Nous préparons pour
être essayée au banc une 241 Est et
la 241 C PLM (…). Cette préparation
demande un certain temps en raison
des installations à effectuer sur les ma-
chines pour y appliquer les prises de
température et de pression. Le tout
sera terminé avant le 14 juillet. D’un
autre côté, nous avons essayé la 241
Est sans dash-pot, elle s’est très bien
comportée, et nous avons tourné à
120 km/h sans aucune difficulté. Nous
n’avons pas encore essayé la 241 PLM,
32-
Historail
Avril 2009
A la fin des années 1920, les grands réseaux
disposent de plusieurs «wagons dynamomè-
tres» à deux ou trois essieux construits entre
1878 et 1903. Ces matériels ne répondent
malheureusement plus aux nouvelles exi-
gences. Ils ne peuvent être incorporés aux
trains les plus rapides et être soumis à des
efforts de traction trop élevés. De plus, les
instruments de mesure dont ils sont pourvus
ont perdu une partie de leur précision.
Autant de raisons qui incitent l’OCEM à
entreprendre l’étude de nouveaux wagons
dynamométriques à bogies. Au nombre de
quatre, leur budgétisation est autorisée par
décision ministérielle du 9 septembre 1929.
Leur construction et leur aménagement sont
confiés aux ateliers PLM de Villeneuve-Saint-
Georges. Le châssis et la caisse sont ceux
d’une voiture à bogies du type C10 OCEM.
Les appareils de mesures, dont la puissance a
été déterminée par l’Office, sont fournis par
la firme suisse Amsler. Trois des wagons sont
établis pour un effort de traction maximum
de 45t, le quatrième pour un effort de 90t.
Tous sont équipés des appareils nécessaires
pour les essais de chaudière: pyromètres et
thermomètres pour les températures de la
vapeur, des gaz et de l’eau; appareil pour
mesurer la proportion de CO
et CO dans les
gaz; compteur d’eau d’alimentation; comp-
teur de vapeur pour le chauffage des trains…
Mais seuls deux portent les appareils destinés
aux mesures des essais de frein, les deux
autres abritant uniquement les appareils des-
tinés aux mesures des mouvements relatifs de
la caisse et des bogies par rapport à la voie.
Les wagons sont livrés en 1932, le premier en
janvier, le dernier en novembre, et aussitôt
loués aux réseaux. Le n°1 (effort de 90t)
échoit au PO et au Nord, le n°2 à l’Etat, le
n°3 à l’AL et à l’Est, le n°4 au Midi et à l’Est.
En 1934, le n°1 est modifié afin de pouvoir
enregistrer des vitesses jusqu’à 225km/h,
contre 150km/h précédemment.
Quatre wagons dynamomètres
Photorail
Le wagon n° 4
en gare
des Aubrais.
Avril 2009
Historail
mais nous comptons le faire dans
quelques jours.»
Le 20 juillet, les membres du conseil
d’administration de l’OCEM visitent
les lieux et, réunis en assemblée, fixent
l’inauguration au 27 juillet. Pour l’oc-
casion, l’Office avait décidé la publi-
cation d’une brochure destinée aux in-
vités. Invité à en assurer la rédaction,
Renevey avait soumis son manuscrit à
Javary le 3 mai 1933. Le verdict était
tombé deux jours plus tard :
«J’ai
quelques observations à faire à votre
projet de note. Elles sont inspirées en
général par le fait que, possédant ad-
mirablement votre sujet, vous avez
peut-être un peu trop supposé que le
lecteur était comme vous et vous avez
négligé de parler aux gens du
monde.»
Un film avait été également com-
mandé à
France Actualités
(Société
française d’actualités parlantes & de
films documentaires), composé d’un
état des lieux réalisé en amont de
l’inauguration et d’images prises le
jour même de la cérémonie.
Le jour dit, à 15 h 30, quelque 80 per-
sonnes (sur 260 pressenties) se pres-
sent devant la gare d’Orsay pour em-
prunter l’un des quatre autocars de la
Starn, la filiale automobile du réseau
Nord, qui doivent les conduire jusqu’au
banc de Vitry. Accueillis par Javary à
16 h 00, ils sont conviés à suivre une
conférence donnée par Renvey. Suit
une visite commentée des installations
(avec mise en mouvement de la
Mountain Est jusqu’à 120 km/h), ter-
minée vers 18 h 00 par un buffet.
Les derniers mois de 1933 sont occu-
pés à l’expérimentation de la 141TD
42.125 Etat équipée du fumivore Py-
ram. En 1934, première année d’ex-
ploitation pleine du banc d’essai, ont
été menés à bien :

les essais de la 232 ADE-1 diesel
électrique du PLM algérien ;

l’étude des mouvements perturba-
teurs sur la 31.006 Est et la 241.101
Etat ;

l’étude de l’équilibrage du mouve-
ment des 231 G, 241 C 1 et 151 A 1

l’étude au stroborama de la distri-
bution Renaud sur la 231.523 Etat ;

les essais comparatifs de chauffe au
charbon et au mazout sur la
140.1387 Etat ;

les essais comparatifs des 241.036
(avant transformation) et 241.004 Est
(après transformation) ;

les essais de la locomotive anglaise
Cock o’ the North
2001 du LNER.
C’est à l’occasion des essais de cette
dernière machine (toujours en cours
début janvier 1935) que la presse
étrangère, écartée lors de l’inaugura-
tion officielle, a été conviée à visiter
les lieux. Parmi les curieux se tenaient
également les membres de la com-
mission anglaise chargée d’étudier
l’installation éventuelle d’un nouveau
banc d’essai outre-Manche…
Br. C.
(1) En Europe, la référence est alors le banc d’essai du Great
Western Railway établi en Angleterre, à Swindon, en 1904.
(2) Construit en 1905.
(3) Pour la description technique du banc d’essai, se
reporter aux différentes études publiées à l’époque:
Le Génie civil, 12 août 1933;
Revue générale des chemins
de fer
, octobre 1933; etc.
Photorail
La 230 D 3.565
Nord, de la série
3558 à 77
construite en
1912-1913. Ces
machines furent
dotées de la
distribution
Lemaître à partir
de 1935.
Matériel
[ l’OCEM ]
«
Monsieur, j’ai l’honneur d’ac-
cuser réception de votre lettre
du 28 courant par laquelle vous me
faites part de votre intention d’insérer
ma biographie dans le
Dictionnaire
national des contemporains. J
e dois
vous faire connaître que toute ma
carrière a été de l’ordre administratif
et que je tiens, de ce fait, à conserver
à mon activité un certain anonymat;
d’autre part, les travaux et les études
auxquels j’ai participé ne me parais-
sent pas mériter l’honneur de prendre
place dans l’ouvrage dont vous vous
occupez…»
Celui qui, en novembre 1937, répond
ainsi à Robert Lajeunesse, éditeur du
34-
Historail
Avril 2009
Ingénieur de la traction au PLM, Claudius Renevey
(1876-1969) a dirigé de 1928 à 1937 l’Office central
d’études du matériel roulant (OCEM), auquel était
rattaché le fameux banc d’essai pour locomotives de
Vitry-sur-Seine, inauguré en 1933. Une personnalité
oubliée du panthéon ferroviaire.
Qui se souvient
Claudius Renevey
dictionnaire en question, fait preuve
ici d’une étonnante et rare modestie.
Sauf que cet excès de discrétion fait
qu’il est aujourd’hui pratiquement in-
connu, y compris du monde ferro-
viaire au sein duquel il effectua pour-
tant la totalité de sa carrière, achevée
comme directeur de l’Office central
d’études du matériel roulant (OCEM).
C’est donc grâce à son fils Georges,
peintre, poète, graphiste et calli-
graphe de talent, mais aussi figure
emblématique de la Résistance azu-
réenne, décédé en 2005, que nous
avons pu réunir les quelques élé-
ments qui suivent
Claudius Théophile Renevey, puisque
c’est de lui qu’il s’agit, est né le
12décembre 1876 à Aix-les-Bains
(Savoie). Fils et petit-fils de cheminot,
boursier, il entre à Polytechnique en
1895, d’où il sort deux ans plus tard,
classé 62
sur 222 élèves. La fiche
d’identité établie à cette occasion dé-
crit un jeune homme de 1,73m, aux
cheveux châtain clair et aux yeux gris
bleu. Après son passage à l’Ecole
d’application de l’artillerie de Fontai-
nebleau, il opte pour la vie civile et
choisit d’entrer au PLM, où son père
occupe les fonctions de conducteur
de la voie.
Tout polytechnicien qu’il soit, il com-
mence au bas de l’échelle, le 1
oc-
Extraits des
cours professés
par Claudius
Renevey à
l’Ecole des ponts
et chaussées.
Les voitures
métalliques,
�eurons de
l’OCEM, y
occupent une
bonne place.
Doc. Renevey
Doc. Renevey
Avril 2009
Historail
tobre 1989, en tant que monteur
ajusteur aux ateliers d’Oullins, au trai-
tement mensuel de 5francs par
mois! Première marche d’une ascen-
sion qui, de mutation en mutation, le
conduit successivement aux fonctions
de chauffeur (Ambérieu, Dijon),
d’élève mécanicien (Dijon), de méca-
nicien (Dijon), de chef mécanicien
(Nîmes, Chambéry), de sous-chef de
dépôt (Marseille, Laroche, Grenoble)
et de chef de dépôt (Chambéry).
Nommé sous-chef de traction en
1907, en poste à Nîmes, il est promu
en 1911 au rang d’ingénieur de trac-
tion (Saint-Etienne, Dijon). Entre-
temps, il épouse en 1904 Odile Kauff-
man, la fille d’un artiste peintre, union
d’où naîtront six enfants.
Au sortir de la guerre, il quitte mo-
mentanément le PLM pour l’Admi-
nistration des chemins de fer d’Alsace
et de Lorraine (AL) où il occupe, de
1919 à 1928, les fonctions d’ingé-
nieur en chef du matériel. Il quitte
alors Strasbourg pour Paris où, à par-
tir du 1
juillet de cette même année,
il prend la direction de l’OCEM, au
traitement de 48000francs (porté à
125000francs en 1930).
Son arrivée est contemporaine de
l’adhésion du réseau du Nord à l’Of-
fice. Or on a vu combien Paul-Emile
Javary, directeur dudit réseau, avait été
jusque-là hostile à cet organisme.
Parmi les raisons invoquées par ce der-
nier pour justifier son revirement (pro-
jet de lettre à Raoul Paul, 15 septem-
bre 1928), on trouve cette phrase
sibylline:
«Le conseil d’administration
de l’OCEM (vient) de donner un nou-
veau gage de l’esprit dans lequel il (di-
rige) l’Office, en mettant à sa tête, en
qualité de directeur, un camarade dont
nous connaissons tous l’expérience ac-
quise dans le service actif, la largeur
des vues, la sûreté du caractère et l’es-
prit conciliant»
. Bel hommage de la
part d’un dirigeant généralement peu
enclin aux compliments.
De fait, la nomination de Renevey avait
Visite familiale
au banc d’essai
de Vitry.
Doc. Renevey
Matériel
[ l’OCEM ]
de quoi satisfaire Javary, dans le sens
où il partageait son point de vue quant
à la place que devait occuper l’Office:
«(…) je me (suis) toujours opposé,
re-
late-t-il dans ses souvenirs,
à ce que
l’OCEM sorte de son rôle de bureau
d’études pour s’occuper des com-
mandes de matériel comme certains
le désiraient. Je tenais essentiellement
à mon indépendance.»
Un état d’es-
prit conforme à ce qu’attendait Javary,
dont l’une des plus grandes craintes
était, qu’une fois son réseau affilié à
l’Office, il ne puisse continuer à trai-
ter aussi librement qu’avant avec les
constructeurs. Mais une indépendance
qui n’était pas sans conséquence.
Ainsi, ce secrétaire général d’une
grosse société de construction de l’Est,
d’accord avec lui sur une certaine
conception de construction appliquée
aux voitures OCEM qui aurait facilité la
tâche de ses ateliers, contraint de lui
avouer qu’il avait été obligé de tenir
un discours inverse devant le repré-
sentant d’un réseau:
«Que voulez-
vous, c’était un client!»
Outre le travail qui incombe originel-
lement à l’OCEM, Renevey est amené,
pendant son mandat, à superviser la
construction des quatre nouvelles voi-
tures dynamométriques (1932) et du
banc d’essai des locomotives de Vi-
try-sur-Seine (1933) destinés à com-
pléter sur le terrain les études théo-
riques poursuivies dans les bureaux
du 100, avenue de Suffren
(2)
Parallèlement, il dispense des cours
de chemin de fer à l’Ecole des ponts
et chaussées, enseignement centré
comme il se doit sur le matériel rou-
lant. La
Revue générale des chemins
de fer
, qui se prévaut de faire appel
aux signatures les plus prestigieuses
de la technique ferroviaire, lui ouvre
ses colonnes à deux reprises:
– en janvier 1928, alors qu’il est tou-
jours en poste à Strasbourg (exposé
sur les «voitures semi-métalliques de
classe pour grandes lignes du ré-
seau d’Alsace et de Lorraine», étu-
diées non pas par l’OCEM mais par
de Dietrich et Cie dans ses ateliers de
Reichshoffen);
– et en juin 1936 (étude «de quelques
dispositifs préconisés par certains in-
venteurs pour diminuer la résistance à
l’avancement des véhicules»).
Il est également donneur de confé-
rences, telle celle donnée le 14 jan-
vier 1934 (avec projections et vues ci-
nématographiques) au Conservatoire
des arts et métiers sur un sujet qu’il
connaît bien: «le banc d’essai de lo-
comotives de Vitry».
Renevey trouve aussi naturellement
sa place sur les bancs de l’UIC en tant
que président de la sous-commission
du frein.
Modeste, notre homme n’en est pas
moins impulsif et ses «coups de
gueule» sont redoutables. D’aucuns
affirment que le directeur des che-
mins de fer de l’Etat, Raoul Dautry,
pourtant spécialiste en la matière, en
aurait fait lui-même les frais… Il vit
d’ailleurs très mal la décision de la
nouvelle SNCF d’éclater l’OCEM entre
les différentes gares, ce qui, à ses
yeux, équivaut à l’arrêt de mort de
l’Office. Mais l’heure de la retraite
ayant fort heureusement sonné pour
lui, il se voit offrir en compensation
la direction d’une commission des
aciers spéciaux.
Refusant de faire allégeance au ma-
réchal Pétain –
« Je prête serment à
des institutions, pas à des per-
sonnes»
, écrit-il alors en renvoyant
sa rosette de la Légion d’honneur –, il
rejoint ses fils à Nice. Ceux-ci étant
membres d’un réseau appartenant au
mouvement Combat, il entre à son
tour en résistance. Son domaine étant
le renseignement, principalement fer-
roviaire, il s’entend avec le chef de
gare local, Romanetti.
De la clandestinité était issu un jour-
nal, le
Combat de Nice et du Sud-
Ouest
. Au nombre de ses initiateurs,
Renevey en est écarté lors de la trans-
formation du titre, l’actuel
Nice Matin
Définitivement retiré du monde du
travail, il décède en 1969, à l’âge de
93 ans.
Henri MUNSCH
(1) Renevey a néanmoins couché
sur le papier ses
Souvenirs d’un
tractionnaire
, publiés par la revue
de l’Afac
(Chemins de fer
n°158-160,
septembre 1949-janvier 1950).
(2) Leur construction a eté autorisée
respectivement par décision
ministérielle des 9 septembre 1929
et 17 avril 1930.
36-
Historail
Avril 2009
Située en
surplomb
du banc dans
une cabine
vitrée, la table
dynamométrique
permet
d’enregistrer
l’espace
parcouru,
la vitesse,
l’effort,
la traction,
le travail totalisé
et la puissance
instantanée.
Doc. Renevey
Un contenu diversifié
qui aborde tous les domaines de la grande aventure du
rail, sans exception. Les grandes évolutions techniques
bien sûr, mais aussi les questions économiques et
sociales, notre ambition étant de faire partager à tous
des travaux historiques trop souvent laissés dans l’ombre
et réservés à un petit nombre d’initiés.
Tous les trimestres
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N°1 –
N°2 –
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N°6 –
N°7 –
N°8
Une revue entièrement consacrée à l’histoire ferroviaire !
Historail avril 2009
38-
Historail
Avril 2009
C
’est la bière qui est à l’origine des
premiers transports frigorifiques
en France, en rapport avec la géné-
ralisation, depuis le milieu du XIXe siè-
cle, de la «fermentation basse», qui
exige de maintenir la production à
une température de 0 °C à 4 °C sous
peine d’altération. Un impératif qui
avait conduit la Compagnie de l’Est à
organiser dès 1860 des trains de bière
par wagons complets à marche accé-
lérée entre Strasbourg et la capitale.
Rendu quotidien en 1865, ce service,
quoique encore bien imparfait, avait
permis de décupler la vente des bières
d’Alsace, dont la consommation à Pa-
ris était passée de 15000hectolitres
en 1859 à 139326hectolitres en
1863 et 197404hectolitres en 1866.
Mais de wagons spéciaux il n’était pas
encore question.
En fait, c’est un important brasseur
autrichien, M.Dreher, qui, prenant
prétexte de l’Exposition internationale
de Paris, en 1867, introduit en France
le premier wagon «frigorifique»
(dans le sens générique du terme), ou
présenté comme tel avec ses doubles
parois garnies de paille hachée et ses
deux bacs à glace. Expédié de Vienne,
ce wagon avait permis de maintenir
le chargement –54hectolitres de
bière– à une température de 5 °C
pendant les cinq jours du voyage. Sé-
duits par la performance, les frères
Tourtel, brasseurs à Tantonville, en
Meurthe-et-Moselle, passent com-
mande en 1873 de 25«wagons gla-
cières» auprès de la Compagnie fran-
çaise du matériel de chemins de fer
d’Ivry-sur-Seine, bientôt imités par
d’autres de leurs confrères. En 1888,
66wagons d’un type similaire, appar-
tenant à cinq brasseries, circulent déjà
sur le réseau de l’Est.
Mais jusqu’au début du siècle, et hors
la bière, les expériences de transport
frigorifique par le rail restent rares. Les
deux exemples qui reviennent réguliè-
rement sont celui d’un dénommé Ni-
colas qui, en 1881, s’essaie à un trans-
port de lait par wagon-glacière sur le
réseau de l’Est, et celui de la
Compania
sansinena de carnes congeladas
Buenos Aires (Argentine) qui, en 1887,
loue à la Compagnie de l’Ouest sept
wagons couverts qu’elle isole sommai-
rement pour le transport en transit de
viandes congelées entre le port du Ha-
vre et la Suisse. Citons aussi l’initiative
de l’ingénieur Henri Rouart qui, à l’Ex-
position de Paris de 1889, présente un
conteneur entouré d’une enveloppe
d’eau salée qu’on raccorde à une ma-
chine frigorifique pour la congeler
avant expédition.
En fait, les conditions ne se prêtent
pas en France à un développement de
ce genre de transport. Les distances à
parcourir sont relativement courtes et
les services de messageries et de mar-
chandises à grande vitesse que pro-
posent les compagnies ferroviaires suf-
fisent aux besoins. Celles-ci estiment
en outre que la fraîcheur de la nuit et
une bonne ventilation offrent des ga –
ranties suffisantes. Elles se dotent d’ail –
leurs de matériels spécifiques répon-
dant à ces conditions: wagons plats à
panneaux mobiles pouvant être relevés
ou abaissés en fonction de la tempéra-
ture pour le lait, cadres à claire-voie
voyageant à l’air libre pour la marée,
Les premiers
transports
En France, le transport de froid par wagons spéciaux
ne prend véritablement son essor qu’au début
du siècle sous l’impulsion d’initiatives privées, les
chemins de fer de l’État étant les seuls à participer
ouvertement au mouvement. Il faut attendre la fin
de la Grande Guerre pour voir les réseaux créer
leurs propres filiales.
Exploitation
Coll. Roger-Viollet
Avril 2009
Historail
ou encore wagons de primeurs à dou-
bles parois et baies d’aération avec vo-
lets pleins permettant de moduler la
circulation de l’air. Pour freiner les ar-
deurs du soleil, les chemins de fer de
l’État innovent en peignant leurs wa-
gons de primeurs en blanc ou encore
en vert. Enfin, un effort particulier est
fait pour améliorer le conditionnement
et l’emballage des produits.
En 1899 cependant, sollicitée par l’As-
sociation centrale des laiteries coopé-
ratives des Charentes et du Poitou,
l’Administration des chemins de fer
de l’État accepte de mettre gratuite-
ment trois wagons couverts à la dis-
position d’une douzaine de laiteries
désireuses de concurrencer les beurres
normands sur le marché parisien,
à charge pour elles d’assurer leur
aménagement en wagons- glacières.
Ceux-ci donnent de si bons résultats
que l’Association décide d’étendre
l’expérience, la gare de Thouars de-
venant bientôt la plaque tournante
de cette nouvelle organisation. En
1912, elle gère 18wagons: 15 sont
frigorifiques
par rail
Déchargement
de bananes en
gare de Paris-
Ivry en 1921.
Les wagons
sont ceux de
la Compagnie
des transports
frigoriques,
filiale du PO.
Exploitation
[ les premiers transports frigorifiques
immatriculés sur le réseau de l’État et
trois sur celui du Paris- Orléans (PO)
–ces derniers mis en route en 1911
entre Poitiers et Paris. Sa part sur le
marché parisien passe de 9000t en
1902 à 16000t en 1913.
Ce succès conduit les producteurs de
viandes abattues et de volailles mortes
à exiger les mêmes facilités. Mais au-
cun ne pouvant justifier individuelle-
ment l’utilisation d’un wagon, l’Admi –
nistration des chemins de fer de l’État
est conduite en 1902 à transformer
elle-même 10wagons et à mettre en
place l’embryon d’un service régulier
ouvert à tous. Ces wagons entrent en
exploitation le 1
juillet 1903. Incor –
porés aux trains express de nuit, ils ar-
rivent à Paris entre 4h et 5h du matin
suivant trois itinéraires: Saint-Mariens
– Niort – Thouars – Paris-Vaugirard; La
Rochelle – Niort – Thouars – Paris-Vau-
girard; La Rochelle – La Roche-sur-Yon
– Bressuire – Thouars – Paris-Vaugirard.
Les heures de départ et d’arrivée aux
diverses gares sont portées à la
connaissance du public par voie d’af –
fiche. Ne sont prises en compte que
les expéditions de 50kg au minimum
(ou payant pour ce poids), accompa-
gnées d’une déclaration portant ex-
plicitement la mention «à transporter
dans le wagon réfrigéré “État”».
Cette innovation s’accompagne d’une
modification du tarif GV (grande vi-
tesse) n°14 portant une majoration
de 10% des barèmes de base.
Portés à 13 en 1904, les wagons-
glacières de l’État ne circulent que
pendant les mois les plus chauds, de
mai à septembre. Les premières sta-
tistiques font état de 285t transpor-
tées la première année et de 550t la
deuxième année. En 1906, le réseau
en emploie quelques-uns au transport
sur Paris des huîtres de la région de
Marennes pendant les périodes de
froid intense, la glace étant rempla-
cée pour l’occasion par des bouillottes
de façon à les préserver du gel.
La démarche de l’Administration des
chemins de fer de l’État est unique en
soi dans le sens où les autres compa-
gnies n’ont pas cru devoir se lancer
dans l’organisation d’un tel service,
laissant ce soin aux particuliers (lorsque
leur situation le justifie) ou à des so-
ciétés spécialisées. D’ailleurs, un nou-
veau tarif commun à l’ensemble des
réseaux (GVn°121) est homologué
le 14août 1903 pour tenir compte de
la situation nouvelle. Les candidats ont
le choix entre construire eux-mêmes
leurs wagons ou transformer la caisse
de matériels donnés en location. Dans
le premier cas, les chemins de fer ac-
cordent aux propriétaires un dédom-
magement sous la forme d’une rede-
vance proportionnelle au nombre de
kilomètres parcourus par chaque wa-
gon (de 0,02franc au minimum,
jusqu’à 0,045franc sur le PO –sur ce
réseau, un wagon effectuant
25voyages de 600km chacun ac-
quiert ainsi un droit à redevance de
675francs), ce qui leur permet de cou-
vrir une partie des charges du capital
et d’entretien du wagon.
40-
Historail
Avril 2009
Photorail
Photorail
La bière
n’aimant pas
la chaleur, les
brasseurs sont
les premiers
à recourir
aux transports
frigori�ques
dans les années
1870-1880.
Ils sont imités au
début du siècle
dernier par
les producteurs
de lait des
Charentes et
du Poitou.
Avril 2009
Historail
Dans le second cas, les conditions de
location sont soit clairement stipulées
dans les tarifs (0,85franc par véhicule
et par jour sur le Nord ou 310francs
par an), soit débattues de gré à gré.
Plus pratique –elle évite les problèmes
techniques posés par le respect de
normes ferroviaires très strictes–, cette
dernière solution est aussi la plus suivie.
C’est ainsi que sur les 60wagons-gla-
cières en circulation sur le réseau de
l’Ouest en 1908, 13seulement appar-
tiennent en propre à des particuliers:

cinq aux Brasseries de la Meuse, de
Sèvres;

quatre à l’entreprise G.Pellerin et
Cie, de Malaunay (beurre);

trois à l’entreprise Ch.Gervais, de
Gournay-Ferrières (fromage);

un à l’entreprise Maggi, de Vernon
(lait).
Les 47autres sont des wagons de
typeJ loués par la Compagnie de
l’Ouest, moyennant 600 francs par
an, plus 50francs pour graissage et
entretien, l’aménagement intérieur
étant à la charge du locataire:

deux à la Brasserie La Rose Blanche,
de Saint-Germain-en-Laye;

quatre à l’entreprise J.Lepelletier, de
Carentan (beurre);

treize à l’entreprise Bretel frères, de
Valognes (beurre);

quatre à l’entreprise Fortin frères, de
Vire (beurre);

un à l’Association des agriculteurs
de l’arrondissement, de Bayeux
(beurre);

deux à l’entreprise A.-L. Dauger, de
Gournay (fromage);

un à l’entreprise Jean Cussac, des
Andelys (lait, beurre);

vingt à la Compagnie générale des
wagons et entrepôts frigorifiques de
Rennes (denrées).
Dans tous les cas, les wagons ne sont
acceptés que pour un seul destina-
taire et une seule direction. Ils peu-
vent circuler indifféremment en
grande ou en petite vitesse et sans
majoration de prix sous certaines
conditions de poids (minimum de
1700kg en GV; de 2500kg en PV
–petite vitesse). Le retour à vide, fac-
turé 0,20franc du kilomètre en GV,
est assuré gratuitement en PV, mais
sous réserve que la compagnie puisse
faire usage des wagons en cas de be-
soin. Le cas échéant, des billets aller et
retour de troisième classe au quart du
tarif normal sont délivrés aux per-
sonnes chargées de recueillir les pro-
duits tout au long de la route.
Le rattachement en 1909 du réseau
de l’Ouest à l’Administration des che-
mins de fer de l’État conduit celle-ci
à réorganiser et à étendre à la France
de l’Ouest l’organisation frigorifique
mise en place sur son réseau, chose
faite par étapes les 1
(sur État) et
25juin 1912 (sur l’ex-Ouest). À cette
date, l’Ouest-État possède en propre
un parc de 28wagons-glacières en
rapport:

treize affectés aux lignes de l’État
(dix en roulement et trois en réserve)
au départ de La Rochelle-Ville (deux
relations par jour à raison de deux wa-
gons pour chacune), de Saint-Mariens
(3), de La Roche-sur-Yon (2) et de
Thouars (1);

quinze affectés aux lignes de l’an-
par rail ]
Quatre types de transport
à températures déterminées

Wagon isotherme:
wagon dont la caisse
est construite de façon
à maintenir à l’inté –
rieur une température
aussi constante que
possible sans aucune
source de réfrigération.

Wagon réfrigérant:
wagon isotherme
pourvu d’une source de
réfrigération consti-
tuée par de la glace, un
mélange réfrigérant ou
une autre combinaison
produisant du froid
sans exiger d’instal –
lations mécaniques.

Wagon calorifique:
wagon isotherme
pourvu d’un appareil
de chauffage sans ins-
tallations mécaniques.

Wagon frigorifique:
wagon isotherme
possédant des installa-
tions mécaniques
permettant la produc-
tion de températures
déterminées.
Photorail
Wagon
réfrigérant
des chemins de
fer de l’Etat,
qui s’engagèrent
dans la voie
des transports
frigori�ques
dès 1902 en
transformant
dix wagons et
en mettant en
place l’embryon
d’un premier
service régulier
ouvert à tous.
Exploitation
[ les premiers transports frigorifiques
cien Ouest (onze en roulement et
quatre en réserve) à destination de
Paris-Vaugirard et au départ de Brest
(3), de Rennes (3), de Nantes via Segré
(3) et de Cherbourg (2).
Tous aboutissent en gare de Paris-
Vaugirard, excepté ceux au départ de
Cherbourg qui ont Paris-Batignolles
pour point de chute. L’approvisionne –
ment en glace est assuré à Surgères,
La Roche-sur-Yon, Thouars, Brest,
Rennes, Nantes-État et Cherbourg.
Certaines gares de passage, comme
Laval, peuvent être sollicitées en cas
de retards ou de fortes chaleurs. La
durée du trajet de bout en bout varie
de dix heures (Nantes-État) à vingt
heures (Thouars). La taxe de 10%
instaurée en 1903 est portée à 12%
en 1913.
À côté des wagons de particuliers, on
trouve aussi des wagons appartenant
à des sociétés qui se sont spécialisées
dans les transports frigorifiques par
rail à la demande. La plus ancienne, la
Compagnie générale des wagons et
entrepôts frigorifiques de France, est
fondée à Rennes en 1902. Elle remplit
son premier contrat le 7juillet de la
même année: l’expédition sur Paris
d’un chargement de langoustes. Elle
saura trouver un trafic rémunérateur
en facilitant le transport sur la capi-
tale des poissons et crustacés des
côtes de l’Atlantique, du Morbihan à
l’Ille-et-Vilaine, des beurres, volailles
et viandes de Bretagne et de Norman-
die, sans oublier les primeurs de la
côte nord du Finistère (pays de Léon).
En 1911, elle ne dispose encore que
de 20wagons-glacières, tous loués à
la Compagnie de l’Ouest, puis à l’Etat.
Plus importante est la Société des ma-
gasins et transports frigorifiques de
France, fondée elle aussi en 1902 à
l’initiative de syndicats agricoles lyon-
nais et avignonnais (rachetée en 1909
par la Société des travaux de ports et
d’entreprises maritimes J.-B.Rubaudo
et Cie, de Marseille, elle conserva son
autonomie commerciale). Basée à
Lyon, elle étend ses activités à toute la
France (dès 1904, des wagons sont
expédiés quotidiennement de Bor-
deaux et de Brive sur Paris) et à l’étran –
ger (marée du bassin d’Arcachon et
du golfe de Gascogne sur l’Espagne
et l’Italie; fruits, légumes et fleurs sur
l’Angleterre et l’Allemagne).
En 1906, son parc compte déjà
44wagons-glacières, nombre porté
à67 en 1909 et 80 en 1911, pour la
majorité construits à ses frais par la
So cié té de travaux de la Buire, les
autres loués au PLM, au PO et à
l’Auxiliaire de Milan. Le 7juin 1911,
elle inaugure, en collaboration avec
le PO, un service régulier «de cueil-
lette» similaire à celui de l’Ouest-État.
Ce service est assuré chaque jour de la
semaine, sauf le samedi, et moyen-
nant une taxe de 15%, par trois wa-
gons à destination de Paris:

un au départ de Bordeaux-Bastide
pour la desserte des stations com-
prises entre cette gare et Libourne ex-
clus et entre Angoulême exclus et
Tours inclus;

un au départ de Bordeaux-Bastide
pour la desserte des stations com-
prises entre Libourne inclus et Angou-
lême inclus;

un au départ de Périgueux via Ussel
pour la desserte des stations com-
prises entre Brive inclus et Saint-Sé-
bastien inclus.
La position prédominante de cette so-
ciété est en grande partie l’œuvre de
L.Velluz, agent commercial principal
du PLM en retraite, que d’aucuns
42-
Historail
Avril 2009
Outre l’Ouest-Etat, plusieurs sociétés privées se
disputent le marché des transports frigori�ques.
Photorail
Photorail
Au début du
siècle dernier,
trois sociétés
spécialisées se
partageaient le
marché avec,
ci-contre : la
Compagnie
générale des
wagons et
entrepôts
frigori�ques de
France (1902) et
la Société des
magasins et
transports
frigori�ques de
France (1902) ;
et, page de
droite, la Société
française des
wagons
aérothermiques
(1907).
Avril 2009
Historail
considéreront dans les années1920
comme le véritable initiateur en ma-
tière de transports frigorifiques sur les
réseaux français.
Dernière venue, la Société française
des wagons aérothermiques, est fon-
dée en 1907 pour l’exploitation d’un
wagon «autofrigorifère» dans lequel
le froid est produit, non plus par de
la glace, mais mécaniquement par un
compresseur à gaz actionné par un
essieu du véhicule, en l’occurrence ici
par un compresseur à chlorure de mé-
thyle. Un type de wagon qui permet
d’obtenir des températures basses et
réglables, mais au prix d’une installa-
tion onéreuse et chère à l’entretien.
En 1911, cette société est à la tête
d’un parc de 25wagons autofrigori-
fères (nombre porté à30 en 1913) et
de 50wagons-glacières. Immatricu-
lés sur le réseau du Nord, ces matériels
sont basés à La Plaine-Saint-Denis.
En dépit de leur coût, les wagons au-
tofrigorifères se prêtent particulière –
ment aux longs parcours sans arrêt.
Ce qui n’est pas sans intérêt au mo-
ment où nombre de producteurs par-
tent à la conquête de marchés plus
lointains, notamment à l’étranger. La
célérité n’est plus alors un atout dans
le sens où, pour des distances plus
grandes, le prix du transport en grande
vitesse s’avère souvent supérieur au
produit de la vente elle-même. D’ail-
leurs, alors qu’elle était encore en for-
mation, la So ciété française des wa-
gons aérothermiques, consciente du
problème, s’était fait connaître en or-
ganisant au mois d’août 1905, de
concert avec l’Intercontinental Railway
Company, l’acheminement entre Per-
pignan et Londres, via Dieppe et New-
haven, d’un wagon frigorifique chargé
d’une tonne de fruits, vendus à Co-
vent-Garden à des prix variant de
25% à 33% au-dessus du cours au
terme d’un voyage de soixante-trois
heures. En juillet 1911, c’est un wa-
gon à circulation de saumure du sys-
tème Frigator, en service sur les che-
mins de fer de l’État suédois, qui relie
Lulea, près du cercle polaire, à Paris en
sept jours avec une cargaison de pois-
son. Mis en vente aux Halles deux
jours aprèsleur arrivée, saumonset
truites saumonées étonnent les ache-
teurs par leur fraîcheur.
La France est alors l’un des pays les
par rail ]
Photorail
Coll. Chanuc
Exploitation
[ les premiers transports frigorifiques
plus réceptifs aux progrès de l’indus –
trie du froid industriel. C’est elle qui,
en 1907, prend l’initiative de réunir à
Paris le premier Congrès international
du froid. Tenu à la Sorbonne en octo-
bre 1908, il réunit 3000participants
appartenant à plus de 40pays. Le7,
plus de 800 d’entre eux se transpor-
tent à la gare du Champ-de-Mars où
la Société des magasins et transports
frigorifiques de France et la Société
française des wagons aérothermiques
exposent quelques-uns de leurs wa-
gons. Également constituée à Paris le
25janvier 1909, l’Association inter-
nationale du froid se dote d’une Com-
mission des transports qui, le même
jour, émet le vœu que soit établi, dans
l’enceinte même d’une gare française,
un établissement qui procéderait à la
réfrigération des denrées périssables
et des wagons, et qui se livrerait aussi
à une étude comparative des diffé-
rents systèmes de réfrigération appli-
qués jusqu’ici au matériel roulant.
La mission de créer cette «station ex-
périmentale du froid» échoit à l’As-
sociation française du froid (née en
décembre 1908) et plus précisément à
sa section des transports frigorifiques,
présidée par O.de Pellerin de La-
touche, par ailleurs administrateur du
PLM. Expédiant jusqu’à 140wagons
de primeurs par jour (elle se classe
alors par son tonnage en GV immé-
diatement derrière Paris-Bercy), c’est
la gare de Châteaurenard qui est re-
tenue, de préférence à celle de Car-
pentras, pourtant siège d’un entrepôt
de la Société des magasins et trans-
ports frigorifiques de France. Paradoxe,
sa desserte n’est pas assurée par le
PLM, mais par les Chemins de fer dé-
partementaux des Bouches-du-Rhône
(ligne à voie normale de Barbentane-
PLM à Orgon). Il est vrai que ceux-ci
s’étaient engagés à fournir le terrain
nécessaire à l’édification de la station
et une subvention de 10000francs.
Inaugurée le 20juillet 1910 par le pré-
sident de la République Émile Loubet,
la station expérimentale de Châteaure-
nard dispose d’une remise artificielle-
ment refroidie pouvant recevoir deux
wagons à la fois, séparée de trois
chambres froides et d’une salle de ma-
nutention par un quai. L’un de ses pre-
miers travaux consiste, les 22 et
24septembre, à mesurer le degré de
conservation de fruits et légumes préa-
lablement réfrigérés et placés dans un
caisson isotherme acheminé jusqu’à
Saint-Rémy-de-Provence via Dijon dans
un wagon à primeurs ordinaire.
Le 29novembre 1913, l’Association
française du froid décide de renfor-
cer ses moyens d’observation en se
dotant d’un wagon destiné à être à la
fois un laboratoire mobile pour
l’étude des questions de conserva-
tion, d’emballage et de transport des
denrées périssables et un instrument
de démonstration et de vulgarisation.
Ce véhicule –un wagon à primeurs
prêté par le PLM pour deux ans– est
aménagé de façon à comprendre
deux chambres froides (une unité de
réfrigération et une unité de congéla-
tion) placées aux deux extrémités et
une chambre centrale pour la ma-
chine frigorifique. La réfrigération de
chacune des chambres s’effectue, soit
par circulation de saumure, soit par
circulation d’air froid, soit par les deux
simultanément. Achevé le 1
juin
1914, il effectue sa première sortie
du 15 au 30juin dans la région de
Roscoff et de Saint-Pol-de-Léon (Fi-
nistère) –les compagnies lui assurent
la gratuité de circulation et de
garage– pour étudier les meilleures
conditions de conservation des pro-
ductions locales, soit en vue du trans-
port, soit en vue d’un échelonnement
de la consommation.
Malgré tout, la France ne compte en
1913 que 360wagons frigorifiques,
dont 149 sont des wagons-glacières
appartenant à de grandes brasseries.
Il est vrai que les envois frigorifiques
ne représentent encore que 1% du
tonnage des denrées expédiées en
grande vitesse. Outre les faibles dis-
tances à parcourir, la prévention des
44-
Historail
Avril 2009
L’Association française du froid gère la station
expérimentale du froid en gare de Châteaurenard
Photorail
En 1919, le PO
crée sa propre
�liale de
transports
frigori�ques :
la Compagnie
de transports
frigori�ques
(CTF)…
Avril 2009
Historail
consommateurs vis-à-vis des produits
réfrigérés ou congelés, des tarifs par-
fois encore trop élevés (il est ainsi plus
avantageux d’expédier le bétail sur
pied), le climat tempéré de nos ré-
gions qui limite souvent les transports
frigorifiques aux seuls mois d’été, sont
autant d’explications à cette faiblesse.
Les wagons se caractérisent alors par
leur faible isolation, souvent réduite à
des feuilles de liège d’une épaisseur
de trois à six centimètres au maxi-
mum. Au début de la guerre, seuls
une cinquantaine d’entre eux trouve
grâce auprès des autorités militaires.
Mais les nécessités du ravitaillement
des armées en viandes congelées va
complètement modifier cette situa-
tion, non seulement en augmentant
considérablement le parc, mais en fai-
sant appel à une conception nouvelle
–celle du wagon dit «isother-
mique», à très forte isolation et sans
réfrigération– mise en lumière à la
suite d’expériences menées à la de-
mande de l’Administration militaire
aux docks frigorifiques de Bordeaux
en janvier-février 1915.
On avait pu constater ainsi qu’avec
un wagon bien isolé, l’élévation de
température de 6t de viande conge-
lée (qui porte en elle un volant de
froid considérable) n’atteignait pas
dans les conditions les plus défavora-
bles un degré par vingt-quatre heures,
ce qui assurait une durée de conserva-
tion d’une dizaine de jours au moins.
Ce constat conduit, au début de
1915, à transformer et aménager
700wagons à primeurs à double pa-
roi en service sur le PLM (500) et le
PO (200). S’inspirant de ces résultats,
l’armée britannique met en service sur
le continent un certain nombre de
wagons analogues, pourvus toutefois
d’une isolation moindre. Il en est de
même de l’armée américaine qui,
après avoir d’abord introduit en
France des wagons (à bogies!) dotés
de bacs à glace, reconnaît vite l’inuti-
lité de cette installation.
Les autorités militaires françaises
avaient fait étudier éga lement la pos-
sibilité de pré réfrigérer les wagons
par insufflation d’air froid à -8°C
pendant trois ou quatre heures au
moyen de deux manches en toile
adaptées sur les ouvertures pratiquées
dans les extrémités hautes des caisses.
Mais cette opération, qui impliquait
la construction de locaux isolés, dits
«hangars de préréfrigération», s’était
avérée superflue du fait qu’elle n’al –
longeait l’autonomie des wagons que
d’un ou deux jours. Par contre, la
crainte que certaines circonstances
puissent exiger des périodes de sta-
tionnement prolongées (ou l’obliga –
tion d’assurer la conservation à proxi-
mité du front d’un stock important
de viande congelée toujours prêt à
être poussé en avant) incita
l’intendance à réclamer de véritables
entrepôts frigorifiques sur rail.
Quatre rames furent ainsi constituées,
chacune formée de 16 à 20wagons
reliés par une circulation de saumure
froide entretenue par une machine
installée sur un wagon spécial (wa-
gon frigorigène), auquel se trouvait
annexé un wagon-citerne pour l’ali –
mentation en eau du condenseur. Un
de ces trains frigorifiques a effective-
ment été mis en marche pendant plu-
sieurs semaines en septembre 1915
lors de l’offensive de Champagne.
Au sortir de la guerre, le PO et le PLM
reprennent les 750wagons mobilisés
pour les besoins des armées et se par-
tagent avec le réseau de l’État ceux
laissés derrière eux par les Américains
(au nombre de 1450). Mais renon-
çant à les exploiter directement, et
pour répondre à une directive ministé-
rielle, ils en confient la gestion à des fi-
liales. Sont ainsi créées: côté PO, la
Compagnie de transports frigorifiques
–CTF– (1919); côté PLM, en associa-
tion avec le Nord et l’Est, la Société
française de transports et entrepôts
frigorifiques –SFTEF– (1920). Le ré-
seau de l’État suivra le même exemple
en 1927 avec la Société d’exploitation
de wagons frigorifiques. Ces filiales
entraînent à terme la disparition des
sociétés primitives, telle la Société
française des wagons aérothermiques,
qui cède ses avoirs au Nord en 1922.
La CTF et la SFTEF n’ont dès lors de
cesse de promouvoir l’utilisation des
wagons isothermes, dont elles mon-
trent qu’ils se prêtent au transport de
denrées autres que les viandes conge-
lées (poissons, bananes, viandes
fraîches et lait notamment), et de créer,
seules ou en association, tout un ré-
seau d’entrepôts frigorifiques, tels ceux
d’Évry (1921) et de Bercy (1923), à Pa-
ris. C’est le début d’une période parti-
culièrement riche pour les transports
frigorifiques sur rail en France, période
qui prend fin en 1939 avec la prise de
contrôle de la SFTEF par la SNCF.
Bruno CARRIÈRE
par rail ]
… imité dès 1920
par le PLM à
l’origine de la
Société française
de transports et
entrepôts
frigori�ques
(SFTEF).
Photorail
Avril 2009
Historail
Dossier
Les assassinats du haut
magistrat Poinsot en 1860
et du préfet Barrême en
1886 jalonnent la longue
série des agressions
criminelles perpétrées
à bord des trains dans
les années 1860-1880.
La multiplication de ces
«attentats», que facilite
l’aménagement des
voitures en compartiments
isolés (le couloir
ne s’imposera qu’à la fin
du siècle), conduit
les pouvoirs publics à
réfléchir et imposer
aux compagnies la mise
en œuvre de systèmes
d’alarme propres à mieux
assurer la sécurité des
voyageurs.
La Belle Epoque
des assassins
en chemin de fer
Collection Georges Ribeill
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
48-
Historail
Avril 2009
Photorail
L’INCONNU
AVAIT BOULE
SUR LE
BALLAST…
Dessin original
signé Martibas
accompagnant
le récit de
Maurice Garçon
publié par
La Vie
du Rail
en 1964.
en chemin de fer ]
O
rientée vers les problèmes de
prévention des accidents de
trains, l’enquête sur les moyens d’as-
surer la régularité et la sûreté de l’ex-
ploitation sur les chemins de fer,
commanditée en 1853 et publiée en
1858, avait abordé incidemment la
question de la capacité des voya-
geurs à pouvoir déclencher l’arrêt du
train. Mais elle avait conclu par une
fin de non-recevoir
(1)
Quelques personnes désireraient
qu’il fût possible de mettre à la dis-
position de tous les voyageurs un
moyen de donner au mécanicien le
signal d’arrêt. Des recherches sé-
rieuses n’ont pas été faites dans cette
voie par les Compagnies, et on le
comprend : en effet, outre que le pro-
blème se complique au point de vue
mécanique, il y aurait à craindre que
certains voyageurs ne se fissent un jeu
de répandre l’alarme en provoquant
l’arrêt des trains, ou n’abusassent des
moyens mis à leur disposition exclusi-
vement pour les cas graves en don-
nant le signal d’arrêt pour des causes
futiles ou sans gravité réelle. Dans tous
les cas, la Commission pense que, si la
science parvient à résoudre le pro-
blème, l’Administration ne devrait au-
toriser l’installation de l’appareil dans
les trains que lorsque la législation per-
mettra de punir de peines très sévères
les voyageurs qui feraient un emploi
abusif de ce moyen de sécurité.
Il faut donc attendre trois ans encore
pour que l’administration se décide à
aborder sérieusement le sujet à la
suite de l’assassinat, le jeudi 6 dé-
cembre 1860, d’un haut fonctionnaire
de la Justice, Poinsot, président de la
chambre de la Cour impériale de
Paris. Bien que parfaitement identifié,
son habile assassin, Jud, ne fut jamais
retrouvé. Mais laissons narrer l’affaire
par Maître Maurice Garçon (1889-
1967). Cet avocat, membre de l’Aca-
démie française (1946), savait joindre
à son talentueux verbe de plaideur la
plume d’un bon chroniqueur judi-
ciaire. C’est à ce titre que les 12 et
19juillet 1964, il narre dans les co-
lonnes de
La Vie du Rail
« la véritable
histoire de Jud » d’où l’on a extrait la
partie proprement criminelle.
« Il est des noms qu’on répète
comme rituellement, à propos de cer-
tains événements. Lorsque le nom est
prononcé, chacun fait l’entendu et
pourtant bien peu savent à quels
événements exacts il se rattache.
Tel est celui de Jud qu’on cite toutes
les fois que quelque crime est com-
mis en chemin de fer. Qui sait encore
quel crime a commis Jud et même à
quelle époque il a vécu ?
[…]
Les employés de la gare de l’Est qui
visitèrent à Paris le train-poste de
Bâle qui était arrivé à 4 heures du
matin le 6 décembre 1860 firent une
lugubre découverte. Dans le wagon
de première classe le plus rapproché
de la locomotive, un homme gisait,
baignant dans le sang. La blessure la
plus apparente était à la tête, on crut
d’abord à un suicide. Dans les vête-
ments du cadavre, on ne trouva au-
cune indication d’identité ; mais un
Avril 2009
Historail
(1) Ministère des Travaux publics,
Enquête sur les moyens d’assurer
la régularité et la sûreté de
l’exploitation sur les chemins de fer
,
1858, p. LXXVII.
La rencontre fatale
du juge Poinsot et
l’insaisissable Jud
Le 6 décembre 1860, en gare de l’Est, Poinsot, haut
magistrat, est retrouvé assassiné dans le train-poste
de Bâle. L’enquête permettra d’identifier l’auteur du
crime, Charles Jud, dont on découvrira qu’il était
déjà responsable d’une agression similaire perpétrée
trois mois plus tôt. L’émoi suscité par cette affaire
incita les pouvoirs publics à se pencher sérieusement
sur la question des mesures à prendre pour assurer la
sécurité des voyageurs à bord des trains.
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
colis enregistré aux bagages n’ayant
point été retiré et portant une éti-
quette au nom de M. Poinsot, 12, rue
de l’Isly, on fit un rapprochement et
les magistrats du parquet, appelés
en hâte, reconnurent sans peine que
la victime d’un drame, dont on igno-
rait encore tout, était M. Poinsot,
président de la 4
e
chambre à la Cour
impériale de Paris.
Une autopsie pratiquée par le Dr Tar-
dieu, médecin-légiste, établit qu’on
se trouvait incontestablement en pré-
sence d’un crime. Le président Poin-
sot avait été atteint de deux balles
de revolver. L’une, mortelle, avait tra-
versé le crâne de part en part, péné-
trant un peu au-dessus de la tempe
et laissant à l’orifice de sortie une
énorme blessure. L’autre, tirée dans
la région du cœur, avait traversé le
paletot, l’habit, le gilet, la chemise,
la flanelle et n’avait pas pénétré la
peau ; on la retrouva dans les vête-
ments. L’assassin s’était acharné sur
sa victime et, à l’aide d’un instrument
contondant, avait abominablement
mutilé la tête.
La nouvelle du forfait jeta la conster-
nation dans le Palais. A la 4
e
cham-
bre, le conseiller Henriot, faisant of-
fice de président, exposa qu’il serait
impossible à la Cour de juger sous le
poids d’une aussi cruelle émotion et
renvoya toutes les affaires à huitaine.
On fit de même dans presque toutes
les chambres ; même celle des appels
de police correctionnelle chôma et
renvoya les détenus à la prison pour
être jugés ultérieurement.
Le président Poinsot était particuliè-
rement estimé et bien vu aux Tuile-
ries pour son attachement à l’Empire.
Après avoir été procureur à Troyes, il
avait été nommé substitut à la Seine
le 7 juillet 1833, puis substitut géné-
ral et ensuite avocat général le
14avril 1847 ; il avait été révoqué le
29 février 1848. Le 2 mai suivant, il
avait été réintégré comme conseiller
à la Cour et le 6 avril 1857 le gouver-
nement impérial l’avait nommé pré-
sident de chambre.
Les méchantes langues disaient qu’il
avait, au cours de sa carrière, connu
d’assez ténébreuses affaires intéres-
sant l’Empire et qu’il avait rendu de
signalés services en sachant éviter de
leur laisser prendre de l’éclat.
Lorsqu’il avait été tué, il revenait
d’avoir passé deux jours dans une
propriété qu’il avait aux environs de
Troyes ; il s’y était rendu pour tou-
cher des fermages. Les obsèques fu-
rent faites le 8 décembre.
De la rue de l’Isly où demeurait le dé-
50-
Historail
Avril 2009
Photorail
en chemin de fer ]
Avril 2009
Historail
funt à l’église Saint-Louis d’Antin,
une foule considérable s’était ras-
semblée pour assister au défilé du
corbillard, surchargé de fleurs, et suivi
de la magistrature en robe. Beaucoup
d’avocats, parmi lesquels le bâton-
nier Jules Favre, Berryer et Marie,
s’étaient joints au cortège. Pendant
la cérémonie religieuse, Jules Favre
se pencha vers Berryer, son voisin, et
lui dit à l’oreille en confidence :
– Voilà ce qu’il en coûte d’être trop
bien avec le Château !
Un mouchard qui se trouvait mêlé à
l’assistance entendit le propos et en
fit aussitôt un rapport.
Le bâtonnier n’avait fait qu’exprimer
une idée généralement répandue :
un peu partout on commençait à dire
qu’il s’agissait d’un crime politique.
A Chaource, on avait, dans la pro-
priété du magistrat, pratiqué une per-
quisition. Cette mesure renforça l’opi-
nion qu’on pouvait avoir d’une
ténébreuse affaire à laquelle la poli-
tique n’était pas étrangère. S’il ne
s’agissait, comme on le répétait, que
d’un crime d’argent, d’un attentat
dont le mobile était le vol, quel be-
soin avait-on de perquisitionner chez
la victime ? Cette perquisition appa-
rut à beaucoup comme destinée seu-
lement à faire disparaître des papiers,
compromettants pour le gouverne-
ment, que pouvait détenir le magis-
trat.
Grande fut la surprise des enquêteurs
de trouver vide le coffre-fort que le
magistrat avait dans sa maison de
campagne. Souvent le président Poin-
sot avait laissé entendre qu’il conser-
vait là-bas des documents importants
touchant des affaires auxquelles il
avait été mêlé. Leur disparition lais-
sait confondu.
Un domestique entendu fournit une
indication précieuse. M. Poinsot était
bien venu toucher ses fermages. Parti
de Paris le samedi 1
er
décembre après
l’audience, il était arrivé chez lui le
dimanche 2 au matin. Comme il ne
siégeait que les trois derniers jours
de la semaine, il avait prolongé son
séjour jusqu’au mercredi 5. Il avait
voyagé la nuit du 5 au 6 pour pou-
voir se trouver à l’audience du jeudi 6
qui ouvrait à 11 heures du matin.
Mais c’était une erreur de croire qu’il
n’était venu à Chaource que pour
jouir de la campagne et veiller à ses
intérêts. Une autre raison avait né-
cessité son voyage. Le 5 décembre au
soir, un personnage inconnu et mys-
térieux, dont le serviteur fournissait
le signalement, était venu voir le ma-
gistrat. Visiblement il avait avec lui
un rendez-vous insolite. Les deux
hommes s’étaient enfermés dans la
chambre du président, comme pour
un entretien grave et sérieux. Le do-
mestique affirmait que l’inconnu
avait ensuite rejoint son maître à la
gare pour prendre le train avec lui.
Ce rendez-vous, joint à la disparition
d’une sacoche que portait la victime
et qui devait contenir de précieux do-
cuments puisqu’on n’en trouvait plus
dans le coffre, accrédita mieux encore
la version d’un crime politique. Qui
pouvait avoir intérêt à mettre la main
sur les papiers du magistrat ? Avec
quel mystérieux personnage le pré-
sident Poinsot avait-il pu avoir un té-
nébreux entretien ?
Tandis que les uns accusaient le Gou-
vernement d’avoir voulu reprendre
des documents compromettants,
d’autres imaginaient que la Prusse,
jalouse des succès de la France pen-
dant la guerre d’Italie avait voulu
s’emparer de pièces détenues par un
magistrat fort au courant des «
crimes de l’Empire ». Au Palais, on
pensait en général que Poinsot avait
succombé victime de quelque plai-
deur mécontent ou de quelque mal-
faiteur lourdement condamné. Au
greffe, on pensait à dresser la liste de
toutes les affaires par lui jugées de-
puis quelques années, afin de voir si
l’on n’y retrouverait pas une indica-
tion précieuse.
Un journal ayant publié dès le 8 dé-
cembre que l’instruction avait la
preuve que le crime avait pour prin-
cipal mobile un sentiment de ven-
geance personnelle, un communiqué
officiel démentit aussitôt. L’opinion
publique n’en tenant pas compte, un
second communiqué, quelques jours
plus tard, prémunit impérieusement
contre toute autre supposition que
le vol.
La police cependant n’avait pas perdu
son temps. Très rapidement, elle avait
réuni un faisceau de présomptions
graves, qui allait la conduire à révéler
la personnalité de l’assassin présumé,
en moins d’une semaine.
En ce qui la concernait, le mobile du
crime ne lui paraissait pas douteux
et elle tenait à le proclamer nette-
ment. Il était incontestable que le ma-
gistrat avait été dévalisé. On avait
constaté la disparition d’une couver-
ture de voyage à longs poils, noir et
blanc, d’une montre en or dont on
avait le numéro, d’une chaîne en or,
d’un porte-monnaie en maroquin
noir et surtout de la fameuse sacoche
que M.Poinsot portait suspendue au
cou et qui contenait pour la police
Avec quel mystérieux personnage le président
Poinsot avait-il pu avoir un ténébreux entretien ?
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
des livres de jardinage, un ouvrage
de Dubreuil, et un couteau à manche
de corne de cerf. L’opinion publique y
ajoutait des papiers constituant des
secrets d’Etat.
L’assassin, dans sa hâte, avait laissé
deux objets compromettants, à sa-
voir un cache-nez de coton blanc et
lie de vin et une tabatière dite
queue-de-rat. C’était peu de chose,
mais assez toutefois, à cause de leur
peu de prix et de leur qualité vul-
gaire, pour penser que le meurtrier
n’appartenait pas à la même classe
sociale que la victime.
L’assassin avait agi précipitamment. Il
avait frappé le magistrat endormi
alors qu’il avait la tête appuyée
contre le coussin servant de dossier,
ainsi qu’en témoignaient les écla-
boussures sanglantes. M. Poinsot,
pour mieux dormir et éviter le froid,
avait enfilé par-dessus ses chaussures
des chaussons fourrés. Dépouillant
sa victime, le malfaiteur avait vérifié
immédiatement le contenu du porte-
monnaie en si grande hâte qu’il avait
laissé tomber dix-huit sous sur la ban-
quette et avait négligé de les ramas-
ser. L’heure du crime et la manière
dont l’assassin avait disparu furent
facilement déterminées. Entre Troyes
et Paris, le train s’était arrêté notam-
ment à Longueville, où un employé
avait changé les bouillottes. Pour ce
faire, il avait dû ouvrir tous les com-
partiments et n’avait rien observé de
suspect.
L’attentat avait donc été perpétré
postérieurement. Vers Nogent-sur-
Marne, un voyageur de 3
e
classe, se
penchant à la fenêtre, avait observé
qu’un homme se tenait sur le mar-
chepied comme s’il se préparait à
descendre. Il lui avait crié de n’en rien
faire par crainte d’accident. L’individu
interpellé avait détourné la tête et,
comme le convoi arrivait sur ces en-
trefaites vers Noisy, et ralentissait
beaucoup en arrivant à un aiguillage,
l’inconnu, qui portait un paquet,
s’était laissé choir, avait boulé sur le
ballast, s’était relevé, puis, franchis-
sant la haie qui bordait la voie, s’était
enfui à travers champs. Le témoin,
pensant qu’il s’agissait d’un voyageur
sans billet, qui voulait éviter le
contrôle de la gare d’arrivée, n’y prit
pas autrement garde.
Le même fait fut attesté par un
garde-barrière de Noisy, qui vit, pen-
dant le ralentissement, l’inconnu
tomber, se relever et fuir sans avoir
lâché le fardeau dont il était chargé.
Le signalement donné par ces deux
témoins était assez précis.
En même temps, on opérait une vé-
rification des billets. A Troyes, ce soir-
là, on n’avait délivré qu’un billet de
3
e
classe pour Mesgrigny, qui est la
première gare après Troyes. Un train
partait de Troyes pour cette destina-
tion à 10 h 25 du soir, c’est-à-dire
presque en même temps que passait
l’express Bâle-Paris où avait été com-
mis le crime, et le porteur du billet
n’avait pas dû se rendre à Mesgri-
gny, car aucun billet n’était retrouvé
à cette station. Il y avait donc lieu de
présumer qu’il s’agissait de l’assas-
sin, qui avait profité de son billet
pour avoir accès aux quais et avait
pris le train de Paris. De plus, le len-
demain du crime, 6 décembre, un
voyageur arrivant à Troyes voulut re-
mettre au contrôle le fameux billet
Troyes-Mesgrigny. L’employé lui
ayant répondu que ce billet n’était
pas valable, le voyageur fouilla dans
sa poche et en sortit un second billet
Mesgrigny-Troyes, valable celui-là.
Ainsi y avait-il lieu de présumer que
le meurtrier, parti le 5 décembre en
même temps que M. Poinsot, mais
avec un billet pour Mesgrigny seule-
ment, avait pris le train de Paris, était
descendu, son forfait accompli, à
Noisy, était revenu de Noisy à Mes-
grigny dans la journée du 6, par un
moyen demeuré inconnu, et avait le
soir même repris un train à Mesgri-
gny pour réintégrer Troyes.
A Troyes, on retrouva la trace d’un
suspect qui bientôt, grâce à des pré-
cisions nouvelles, parut bien être le
coupable.
Habituellement, lorsque le président
Poinsot quittait sa propriété de
Chaource, il prenait place dans une
voiture publique, qui le conduisait à
Troyes et s’arrêtait à l’hôtel Saint-Lau-
rent, où il était connu et où il dînait
en attendant son train. Par exception,
le 5 décembre, il avait pris place à
Chaource dans la diligence de Ton-
nerre à Troyes, qui l’avait déposé à
l’hôtel des Mulets. Il y avait dîné et
de là s’était rendu à la gare proche,
peu avant l’heure du train, c’est-à-
dire vers 10 heures.
Or, un individu du nom de Matricon,
qui était depuis deux jours pension-
naire à l’hôtel des Mulets et qui avait
dîné à la table d’hôte près du prési-
dent, était parti précipitamment
après lui dans la soirée du 5, laissant
ses bagages dans sa chambre. Il ne
réapparut que dans la soirée du 6.
Après son départ, on s’aperçut qu’il
avait échangé au portemanteau sa
redingote contre le caban d’un client
de l’hôtel. A l’examen, on s’aperçut
52-
Historail
Avril 2009
L’heure du crime et la manière dont l’assassin
avait disparu furent facilement déterminées.
en chemin de fer ]
que la redingote portait au collet et
aux manches des traces de sang.
A Marseille, on ne retrouvait pas Ma-
tricon, mais la police des garnis si-
gnalait son passage le 7 au soir à
Lyon à l’hôtel de Vaucluse. Le 8, il
changeait de gîte et se rendait à l’hô-
tel de Strasbourg. Le 9, il avait fait
conduire ses bagages à la gare de
Perrache.
Le 13 décembre, la police de Genève
faisait savoir qu’un individu, arrivé le
11 à l’hôtel de la Poste, inscrit sous
le nom de Dullin et reparti le 12, avait
oublié dans sa chambre une couver-
ture qui était précisément celle du
président Poinsot. Le doute n’était
plus possible : Matricon-Dullin était
le coupable.
Un fait surprit. Le 13, il s’était rendu
dans une maison publique et avait
soldé sa dépense avec des pièces d’or
russes. Le 14, il avait passé la soirée
avec une fille Klein et lui avait éga-
lement donné une pièce de même
monnaie. La fille Klein avait pu
s’apercevoir qu’il était porteur d’un
revolver. Le 18 décembre, on retrouva
la trace de Dullin à l’hôtel des Vingt-
deux-Cantons à Genève. Puis il avait
définitivement disparu.
Qui était-il ? On se perdait en conjec-
tures ! Matricon-Dullin étaient deux
noms parfaitement inconnus.
On eut alors l’idée de revenir perqui-
sitionner à l’hôtel des Mulets de
Troyes, dans la chambre où avait logé
l’assassin la veille et le lendemain du
crime.
Une découverte surprenante devait
tout éclaircir. Derrière un secrétaire,
on trouva une robuste chaînette
d’acier assortie de deux cadenas. On
reconnut sans peine en ces objets des
menottes réglementaires de gendar-
merie. En les examinant de près, on
vit qu’elles portaient des initiales et
peu après on identifia le propriétaire,
qui était un gendarme de Ferrette,
localité de 10 000 habitants, située
dans le Haut-Rhin, à 21 km d’Altkirch.
Qu’on ne croie pas que le gendarme
était l’assassin ! Bien que beaucoup
de gens affirmassent qu’on était en
présence d’un crime policier, le gen-
darme fournit des explications excel-
lentes. Il révéla notamment à quelle
occasion ses menottes lui avaient été
dérobées par un malfaiteur « de l’es-
pèce la plus dangereuse » dont il
donna le nom.
Cette fois, l’assassin était identifié :
il s’appelait Jud, le fameux Charles
Jud qu’on ne devait jamais revoir.
Pour la Justice, tout mystère était
éclairci. »
Demeuré à jamais introuvable, Jud fut
condamné à mort en cour d’assises
par contumace le 15 octobre 1861,
mais «
négligea de venir purger sa
peine
», comme le rapporte ironique-
ment M
Garçon. Evidemment, le
lâche assassinat de Poinsot suscita un
très grand émoi relayé par la presse
Avril 2009
Historail
Photorail
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
54-
Historail
Avril 2009
Jud était né à Bourogne, à 13 km de Belfort, le 7 février
1834. Il appartenait à une famille nombreuse ; ses parents
étaient honorables, mais dès sa jeunesse il avait révélé
une perversité assez précoce. De menus larcins, il était passé
à des vols, et lorsque sa classe fut appelée à tirer au sort au
début de 1855, il ne put se présenter parce qu’il était
présentement occupé à purger une peine de six mois
d’emprisonnement prononcée par le tribunal d’Altkirch,
à raison d’un vol qu’il avait commis. Le maire avait dû tirer
au sort pour lui absent et le numéro qui sortit le fit déclarer
bon pour le service. Dès sa sortie de prison, il reçut son
ordre de route pour rejoindre en Afrique le 3
escadron du
train des équipages, auquel il était affecté. Il y arriva
le 18 août 1855. Son état signalétique le décrivait ainsi:
Charles Jud, fils de Jean-Jacques et de Françoise Grillon,
domicilié à Altkirch. Taille 1,68 m, cheveux et sourcils bruns,
yeux gris, front haut, nez moyen, bouche moyenne,
menton large, visage long. Pas de signe particulier. Porté
déserteur en juin 1859 et poursuivi pour tentative de vol
qualifié, il fut déclaré contumax et condamné par le conseil
de guerre, le 3 septembre suivant, à vingt ans de travaux
forcés et à la dégradation militaire.
Mais revenons à la verve de Maurice Garçon:
« Avec la plus surprenante audace, il se rendit à son pays natal, à
Bourogne, et s’y fit reconnaître de quelques vieux amis. A un ca-
marade d’enfance, Muller, il proposa de faire dérailler un train
pour dévaliser ensuite les voyageurs blessés. Comme son interlo-
cuteur refusait, il proposa ensuite d’assassiner quelque voyageur
isolé dans un train.
– Rien n’est plus facile que de tuer un homme pendant le trajet, lui
aurait-il dit : on enveloppe une pierre dans un mouchoir, on frappe
à la tête et on jette le corps par la portière…
Muller le pria de faire ses propositions à d’autres qu’à lui.
Pendant quelque temps, Jud se tint tranquille, ou du moins on le
perd de vue. On ne devait le retrouver que dans des circonstances
particulièrement tragiques.
Dans la nuit du 12 septembre 1860, des employés de la voie trou-
vèrent sur le ballast, entre Zillisheim et Illfurth, un corps inanimé.
Relevée, la victime de ce qu’on supposait un accident ou un suicide
était dans le coma et prononçait des mots en russe et en anglais.
Aucune, parmi les personnes présentes, ne comprenant ces
langues, on ne sut que penser et on transporta l’infortuné à l’hô-
pital. Il portait une blessure grave à la tête, mais ses jours n’étaient
pas en danger sérieux. Dès le matin, on s’aperçut qu’il avait été vic-
time d’une tentative d’assassinat. Un compartiment du train était
plein de sang, ce qui excluait que la blessure eût été faite en tom-
bant sur la voie ; le malheureux avait été précipité hors de son
wagon, alors que déjà il était frappé et probablement évanoui.
La victime était un médecin militaire russe, le docteur Heppé. Il
avait été dépouillé de tout son argent et ne se rappelait absolu-
ment rien. Vraisemblablement, on l’avait attaqué pendant son
sommeil. Sur la voie on retrouva son portefeuille vide. Il manquait
des pièces d’or russes et de la menue monnaie russe et française.»
Après plusieurs autres escroqueries, Jud se réfugie à
Ferrette, non loin d’Altkirch.
« Bien qu’il fût de la région et y eût longuement vécu, on ne le
reconnut pas. Son audace dépassait toute mesure. Sous le nom
de Matricon, il intenta un procès à la Compagnie de l’Est sous pré-
texte qu’elle lui avait perdu des bagages, et, sous le nom de Mon-
taldi, il vint le 27 novembre se mêler dans la forêt impériale de la
Harth à une battue organisée par une société de chasse. » Re-
connu par l’un des participants, il est arrêté le soir même. « Le
contumax, fouillé, fut trouvé porteur de treize billets de banque
russes que les gendarmes, qui ne savaient pas le cours du change,
inscrivirent au procès-verbal comme de « valeur indéterminée », de
354 francs en or et en pièces diverses russes et françaises. Un rap-
prochement s’imposait avec la tentative d’assassinat sur la per-
sonne du docteur Heppé. La prise était bonne.»
Conduit à la gendarmerie et enfermé dans l’attente de son
transfert, Jud réussit néanmoins à s’évader, assommant au
passage un représentant de la maréchaussée.
« Depuis ce moment, on n’avait plus entendu parler de lui.
Lorsqu’on eut identifié le Dullin, signalé en Suisse porteur d’ar-
gent russe, avec Jud et qu’on sut que le Dullin avait abandonné à
Genève la couverture du président Poinsot, tout parut clair. Un
seul et même individu, parfaitement connu, avait commis les deux
crimes, selon une technique à peu près identique.
Probablement à cours d’argent après son évasion du 28 novembre,
il avait erré, vivant de menus larcins.
On apprit qu’il était venu à Paris voir son frère Jacques qui l’avait
chassé avec effroi, car toute la presse était pleine de l’attentat
contre le médecin russe et de l’agression contre les gendarmes de
Ferrette. Jud avait enfin échoué à Troyes, où le hasard lui avait
fait rencontrer à l’hôtel des Mulets le président Poinsot. Alléché à
l’idée que ce magistrat cossu devait avoir de l’argent dans sa sa-
coche, il l’avait suivi à la gare, tué et dépouillé. »
Où l’on s’aperçoit que Jud s‘était déjà rendu coupable
d’une agression en chemin de fer
en chemin de fer ]
Avril 2009
Historail
et l’attention de la haute administra-
tion… Dans son édition du 8 décem-
bre, le
Journal des chemins de fer
lan-
çait un appel à une réforme complète
en matière de sécurité:
Quand on songe que l’homme ho-
norable que la magistrature vient de
perdre s’est trouvé livré sans défense
au poignard d’un assassin, dans un
train composé peut-être de plus de
deux cents personnes, sans être vu et
sans pouvoir se faire entendre des
voyageurs composant la caisse voi-
sine, sans avoir aucun moyen d’ap-
peler à son secours ; quand on songe
qu’il n’y a peut-être même pas eu
lutte entre l’assassin et la victime qui a
pu être tuée pendant son sommeil,
on comprend la nécessité de modifier
l’état des choses actuel.
Ce journal publia la lettre d’un ancien
administrateur de la Compagnie du
chemin de fer de Paris à Versailles RG,
Tarbé de Sablons, qui proposait un
procédé facile pour protéger les vieil-
lards, les femmes et les enfants du
danger de se trouver «
à la merci d’un
assassin, d’un voleur ou d’un libertin
survenant en route
On pourrait mettre facilement,
promptement et sans dépenses im-
portantes, les diverses caisses d’une
même voiture en communication par
une glace dormante, donnant d’une
caisse dans l’autre comme cela existait
autrefois dans certaines diligences.
Je crois que cette communication seu-
lement visuelle sans doute, mais qui,
par le bris de la glace, en cas de né-
cessité, pourrait prendre un autre ca-
ractère, remédierait provisoirement,
dans la plupart des cas, aux inconvé-
nients manifestes de l’état actuel.
Dans une circulaire du 12 décembre
, le ministre des Travaux publics
Rouher prend en compte les appré-
hensions des voyageurs – «
Le public a
vu en quelque sorte, dans cet affreux
événement, la révélation d’un danger
dont il semblait ne pas soupçonner
l’existence
» – et interroge les ingé-
nieurs en chef du contrôle. N’est-il pas
temps d’étudier diverses mesures telles
que l’extension de la vérification des
billets en cours de route, opération as-
surée par les agents grâce à l’utilisa-
tion de marchepieds convenablement
disposés le long des voitures côté ac-
cotement de la voie ? «
Ce système,
qui se pratique déjà sur les chemins
de fer du Nord et du Midi, est, je le
sais, peu favorablement accueilli par
le public, qui se plaint des fréquents
dérangements qu’il occasionne. Mais
les considérations de sécurité générale
doivent l’emporter sur de simples
questions de commodité ou de conve-
nances. Ce contrôle des agents des
trains pouvant s’exercer à des mo-
ments indéterminés, et à toute époque
de la marche des trains, semble une
garantie sérieuse et qu’il n’est pas per-
mis de négliger.
» Et Rouher d’évo-
quer aussi la possibilité de mettre «
disposition des voyageurs, dans
chaque compartiment, un signal vi-
suel qui serait arboré au-dessus de la
voiture et qui appellerait le conduc-
teur placé dans la vigie du train. Ce si-
gnal pourrait être éclairé la nuit au
moyen d’un réflecteur placé au-des-
sus des lampes.
» Pourquoi pas aussi
aménager dans les cloisons séparant
les compartiments des « glaces dor-
mantes » ?
Le 23 février 1861, une enquête est
confiée en ce sens à trois ingénieurs
en chef des Ponts et Chaussées char-
gés du contrôle de certaines compa-
gnies : Thoyot (PLM), Couche (Est) et
de Fourcy (Nord). La commission ainsi
formée est chargée d’examiner ac-
cessoirement trente-deux suggestions
émanant de l’imagination excitée d’in-
venteurs particuliers : dix visent le
contrôle de route, deux proposent un
garde-corps, six des appareils visuels
ou sonores, quatre des tuyaux acous-
tiques communiquant sur toute la lon-
gueur du train, six autres mettent en
communication les compartiments
contigus d’une même voiture, quatre
enfin ne méritent aucune discussion.
Mais, des conclusions de son rapport
rendu le 12 avril, il ressort qu’aucune
ne trouve véritablement grâce à leurs
yeux : «
Il demeure bien évident, et il
serait oiseux d’y insister, que nulle
des mesures écloses de l’imagination
des inventeurs n’aurait pu sauver M.
le président Poinsot, ni la glace dor-
mante placée dans l’épaisseur des
compartiments, ni les tubes acous-
tiques, ni les signaux visuels, ni les
communications électriques. Le
contrôle de route, si un hasard pro-
videntiel avait fait apparaître l’agent
du train en temps opportun, aurait
pu seul arrêter le bras de l’assassin, et
ce contrôle est encore la seule me-
sure dont l’efficacité résiste à toute
discussion.
Finalement, les modestes recomman-
dations auxquelles elle aboutit privi-
légient un contrôle de route rendu
plus efficient par la généralisation des
marchepieds et des mains-courantes
le long de toutes les voitures.
Georges RIBEILL
Nulle des mesures écloses de l’imagination des
inventeurs n’aurait pu sauver le président Poinsot.
(2)
Le Journal des chemins de fer
, 29 décembre 1860,
p. 1028.
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
L
e 13 janvier 1886, à 20 h 05, les
agents du train 635 signalaient en
gare de Maisons-Laffitte avoir aperçu
un cadavre dans l’entrevoie à hauteur
du pont du même nom, sur la ligne
de Paris à Rouen. Les autorités eurent
tôt fait d’identifier Jules Barrême, le
préfet de l’Eure en exercice, parti seul
de Paris à bord d’un compartiment de
classe par l’express 55 Paris-Evreux,
direct de Paris à Mantes.
Confiée à Got, le médecin légiste de
Versailles, l’autopsie du corps révéla
que la mort était due à un coup de
revolver à la tête, la balle d’un petit
calibre (7 mm) entrée par le tempo-
ral gauche s’étant logée en haut de
l’hémisphère droit. D’après ces don-
nées et les taches de sang maculant le
compartiment, il ne fit aucun doute
que notre homme avait été assassiné
durant son sommeil.
La presse nationale amplifia la portée
médiatique de l’événement : un pré-
fet avait été lâchement assassiné pour
la première fois en France ! Barrême
fut inhumé en grande pompe à
Evreux le 18 janvier en présence du
ministre de l’Agriculture, du chef de
cabinet du ministre de l’Intérieur et
des notables du département.
Grâce au zèle du procureur, mais aussi
du commissaire de surveillance de Bi-
zemont de la gare de Mantes et de
quelques-uns de ses agents, l’en-
quête, rondement menée, permit de
décrire l’assassin sans pour autant lui
conférer une identité. A l’arrêt du train
en gare de Mantes, à 18 h 55, une
seule personne était descendue
comme le témoignait l’unique billet
déposé à la sortie ce soir-là. Un
homme d’équipe, Patois, se souvenait
l’avoir croisé : assez grand, teint ba-
sané, moustaches noires et pattes de
lapin, 30 ans environ, l’air d’un « mos-
sieu », portant un chapeau de feutre
à bords plats, un paletot gris-marron
assez long, et ayant sur le bras une
couverture rouge bordée de noir. A la
gare Saint-Lazare, on put également
prouver qu’un seul billet avait été dé-
livré au départ de l’express d’Evreux,
qui plus est à un individu correspon-
dant au signalement donné par Pa-
tois. On tenait donc le portrait précis
de l’assassin. L’appel à témoins per-
mit de faire progresser l’enquête.
Deux jeunes filles, employées comme
domestiques à Mantes, avaient
aperçu vers 19 h, boulevard de la Ré-
publique, un homme peu avenant
qui, on le sut plus tard, répondait au
signalement. Marchant sur le trottoir
opposé, il avait déposé un paquet sur
la chaussée avant de s’en retourner
par où il était venu. Pris d’une peur
panique, les deux témoins de la scène
s’étaient précipités chez Crognier, le
chef cantonnier, pour lui signaler les
faits. Ce dernier s’était emparé de
l’objet abandonné, une couverture
rouge à bordure qui se révéla être
celle de Barrême.
Quel était le mobile du crime ? Le vol
semblait exclu puisqu’on avait retrouvé
500 francs dans le portefeuille du pré-
fet et de la menue monnaie dans la
poche de son gilet. De l’avis des gens
du pays et d’après le signalement
fourni, le criminel ne pouvait être que
l’un de ces bonneteurs ou bookma-
kers qui infestaient la région. Chargé
de l’enquête, Jaume se rendit à Evreux,
où le secrétaire général de la préfec-
ture l’orienta vers le monde des bon-
neteurs auquel le préfet avait livré une
guerre acharnée. Il découvrit aussi que
des notes, peut-être compromettantes,
avaient été brûlées dans la cheminée
56-
Historail
Avril 2009
L’assassinat du préfet
Barrême:
règlement de comptes
ou crime crapuleux?
Il ne �t aucun doute que notre homme avait été
assassiné durant son sommeil.
en chemin de fer ]
Avril 2009
Historail
de la préfecture… Du coup, les hypo-
thèses les plus contradictoires sur le
mobile du crime se multiplièrent : ven-
geance d’ennemis politiques, voire du
gouvernement ? Tragédie intime ?
Drame passionnel ? Mais en fin de
compte Jaume ne découvrit rien dans
le passé du préfet qui put permettre
d’orienter plus efficacement ses re-
cherches. Si bien que l’affaire finit par
être classée… Au grand dam de l’opi-
nion populaire et d’une presse judi-
ciaire soupçonneuse, dont le célèbre
chroniqueur Bataille se fit l’écho
Le mystère le plus profond enve-
loppe ce drame. Il semble que la po-
lice ait tout fait pour laisser échapper
les assassins. L’impéritie prodigieuse
du chef de la sûreté, M. Taylor, les ré-
sistances inattendues qu’a rencontrées
l’instruction, la marche enfantine de la
procédure, tout a favorisé l’impunité
du meurtrier et de ses complices. De
vives protestations se sont élevées
dans la presse. Des pistes ont été in-
diquées. Des noms ont été pronon-
cés. L’information est restée impuis-
sante et une conviction s’est accrédi-
tée, c’est qu’on ne voulait pas arrêter
le coupable, soit dans un intérêt poli-
tique, soit dans la crainte de soulever
un scandale intime.
La vertu de ce crime fut de susciter,
dès le 16 janvier, l’interpellation à la
Chambre des députés du ministre des
Travaux publics Baïhaut. L’attaque vint
du député républicain de gauche Laur,
ingénieur civil des Mines, qui, dans le
contexte de grave dépression écono-
mique, voulait combiner sécurité amé-
liorée des voyageurs et relance des in-
dustries de construction de matériel
ferroviaire…
M. Laur. – Messieurs, je désirerais
adresser à M. le ministre des Travaux
publics une question très courte, re-
lativement à un événement tragique
qui a ému profondément l’opinion
publique. Un citoyen français a pu
être assassiné dans un compartiment
de chemin de fer. L’assassin a pu tirer
un coup de revolver sans attirer l’at-
tention ; il a pu prendre le cadavre, le
traîner pour le jeter par la portière ;
l’assassin a pu enfin s’échapper à la
station d’arrivée, sans être arrêté, en
violant les règlements administratifs…
(Exclamations et rires.) – Je veux dire
que l’assassin a pu s’échapper à
contre-voie. (Bruit.) […]
« Le fait que je rappelle n’est pas
isolé; depuis longtemps, il s’en pro-
duit de pareils, notamment sur la ligne
de Marseille, et cela avec une impu-
nité remarquable, car j’ai pu faire la
statistique de ces crimes et je puis
vous démontrer qu’il n’y en a eu
qu’un de réprimé sur 15 ou 20. Ce
qui s’impose à votre esprit et ce qui
est reconnu par tous les hommes
compétents, c’est que ces crimes ont
pour cause l’isolement du voyageur,
c’est-à-dire que nos règlements per-
mettent d’enfermer le meurtrier et la
victime pour ainsi dire à clef et que
ces règlements n’offrent que des
moyens dérisoires pour appeler l’at-
tention du dehors.
(1) Albert Bataille,
Causes criminelles et mondaines en
1886
, Paris, Dentu, 1887, p. 101-102.
Photorail
C’est à hauteur
du pont de
Maisons-Laf�tte
que fut retrouvé
le corps du
préfet Barrême
le 13 janvier
1886.
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
« […] L’isolement dans lequel se
trouve le voyageur, les moyens qui
sont mis, dans certains comparti-
ments, à sa disposition, lorsqu’il est
victime d’une agression, sont des
moyens absolument illusoires. En ef-
fet, pour appeler à son aide, il est
obligé de briser une glace pour faire
mouvoir une sonnette d’alarme et, en
général, les boutons électriques ne
fonctionnent pas. Il est donc indis-
pensable de changer profondément,
par une modification des comparti-
ments [un couloir latéral aux compar-
timents], le matériel des chemins de
fer français. Je demande donc for-
mellement une modification de ce
matériel.
Cela est grave, je le sais, et c’est pour
cela que j’estime que la question mé-
rite d’être toute votre attention. L’in-
dustrie souffre, en effet, messieurs, et
elle accueillera favorablement un
changement du matériel des chemins
de fer […].
Le ministre répond sur la question de
l’intercirculation:
Vous savez que, dans certains pays,
ce système fonctionne déjà ; il a ses
avantages, mais il a aussi ses incon-
vénients. En France, on n’aime pas
être dérangé une fois installé sur sa
banquette ; on recherche volontiers
l’isolement. En général, quand nous
voyageons, chacun de nous choisit
de préférence les wagons où il n’y a
personne.
«Ce système ne permet guère de
s’étendre pour dormir. On peut ajou-
ter encore que ces wagons communi-
quant ensemble permettraient à
l’homme qui médite un attentat de pas-
ser d’un compartiment dans un com-
partiment voisin et de choisir ainsi sa
victime, en dehors du compartiment
où il se serait primitivement installé.
« Il y a encore d’autres objections à faire
à ce système : en effet, on ne pourrait
opérer cette transformation du matériel
des compagnies françaises d’un jour à
l’autre. Il en résulterait, comme le disait
M. Laur lui-même, une grosse dépense,
et il ne serait guère possible que d’en-
gager les compagnies à tenir compte
de ces améliorations en ce qui concerne
leurs commandes nouvelles.
Député d’extrême-gauche, Delattre,
pourfendeur régulier des compagnies,
insiste sur l’urgence qu’il y a à
contrain dre ces dernières à transfor-
mer leur matériel, quitte à leur impo-
ser une loi :
Si la chambre décide une transfor-
mation réclamée au nom de la sécu-
rité publique, les compagnies se re-
dressent, leurs conventions à la main,
et vous disent : « C’est à vous qu’in-
combe cette charge « , et alors le gou-
vernement hésitera à grever un bud-
get déjà si lourd. Nous demandons
précisément la transformation de la
question en interpellation, parce qu’il
ne s’agit plus ici d’une anodine circu-
laire que le ministre des Travaux pu-
blics adressera aux compagnies pour
les prier de transformer le matériel.
Non pas, s’il vous plaît ! « (…)
« Ecartons donc l’idée d’une circulaire
ministérielle. C’est un projet de loi que
le ministre doit vous apporter, après
une étude approfondie (…). J’ai rap-
pelé la prédiction des gens avisés, af-
firmant en 1857 qu’il n’y aurait de
transformation que le jour où un grand
personnage serait assassiné en chemin
de fer. Eh bien ! j’ai entendu au-
jourd’hui l’expression de cette même
pensée. Un de nos anciens collègues,
des plus vénérés, disait tout à l’heure
dans les couloirs :  » Si au lieu d’un pré-
fet, c’eût été un ministre, la transfor-
mation serait faite avant six mois « .»
« Le ministre. – Nous ne saurions nous
désintéresser de ce qui a trait à la sé-
curité de la vie humaine ; les compa-
gnies y ont un intérêt évident ; l’Etat
en a le devoir très strict ; mais je vou-
drais rassurer l’opinion publique, en
indiquant les chiffres de ces assassi-
nats commis sur les lignes de chemins
de fer depuis un certain nombre d’an-
nées. Voici la statistique : de 1860 à
1870, il y a eu 7 assassinats ; et de
1870 à 1880, il y en a eu 9. Ainsi, pen-
dant un délai de 26
(sic)
années, 16as-
sassinats ont été commis et cela sur
plus de trois milliards de voyageurs
transportés ! (Mouvements divers.)
« Un membre à gauche. – Mais alors
c’est un encouragement ; il n’y en a
pas eu assez !
« Le ministre. – Je m’empresse
d’ajouter que c’est 16 de trop. Cela
est évident. En résumé, messieurs ;
je prends très volontiers et très sin-
cèrement l’engagement formel
d’étudier la question dans le plus bref
délai possible»…
De fait, quelques jours plus tard, le
ministre nomme une commission d’in-
génieurs, dont le rapport motivera
une nouvelle circulaire…
G. R.
58-
Historail
Avril 2009
Photorail
ssez grand,
teint basané,
moustaches
noires et pattes
30 ans environ,
l’air d’un
«mossieu»…
L’assassin
présumé serait
descendu en
gare de Mantes.
en chemin de fer ]
L
e premier fait la une du
Progrès il-
lustré
, supplément littéraire du
Pro-
grès de Lyon
, daté du 10 mai 1891. Il
se rapporte à un crime passionnel sur-
venu le 28 avril précédant dans le
train de nuit Bordeaux-Paris de
22heures. Cette nuit là, trois per-
sonnes prennent place dans un com-
partiment de 1
classe : Bouly de Les-
dain, agent général d’une compagnie
d’assurances, sa jeune et jolie femme,
fille d’un colonel en retraite, et leur
ami Régis Delboeuf, un professeur
âgé de 37 ans. A hauteur de la gare
de Montmoreau (Charente), Bouly de
Lesdain, qui s’était assoupi, est subite-
ment réveillé par des soupirs qui ne
lui laissent aucun doute : Delboeuf
est l’amant de sa femme ! Au comble
de la colère, il sort son revolver et tire
trois fois : la première balle fracasse
Avril 2009
Historail
Du sang
à la une!
De tout temps, les faits-divers
ont alimenté avec succès une
presse sachant habilement
jouer des émotions populaires
à grand renfort de unes
racoleuses puisant leur
inspiration dans la
reconstitution de scènes
nauséeuses. Le monde du
chemin de fer n’a pas échappé
à leur attention. Certes, les
récits d’accidents (collisions,
écrasements pour l’essentiel)
ont souvent primé. Mais les
crimes commis à bord de
trains, plus rares il est vrai,
n’ont pas été oubliés. Nous
donnons ici deux exemples de
cette presse.
Crimes
crapuleux
et crimes
passionnels ont
fait le bonheur
d’une certaine
presse.
Arch.
Le Progrès de Lyon
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
la mâchoire de la jeune femme, les
deux autres atteignent son amant à
la tête. Le meurtrier prévient aussitôt
le chef de gare, et les trois protago-
nistes du drame sont transportés à
Angoulême, puis à Paris. Le journal
d’où est extrait ce compte-rendu laisse
entendre une issue fatale pour Del-
boeuf, dont une balle n’a toujours pas
été extraite du crâne…
L
e deuxième exemple relate l’agres-
sion d’un marchand de bestiaux
dans la nuit du 6 au 7 octobre 1908,
retrouvé mort en gare d’Autun
(Saône-et-Loire) à bord du train qui le
reconduisait de Paris à sa Nièvre na-
tale. Cette affaire fut couverte par la
gazette hebdomadaire à sensa-
tions fortes qu’était
L’Oeil de
la police
(1)
qui choisit d’en faire sa
couverture
(voir p. 47)
. La scène du
crime s’étale donc en une, ap-
puyée par une succession de
vignettes (reproduites ici) re-
latant sommairement par
l’image et le texte les te-
nants et les aboutissants
de cette affaire. On retien-
dra que le crime a été
commis dans une voiture
à couloir… La Cour d’as-
sises de la Seine condam-
nera Leblanc aux travaux
forcés à perpétuité et à
la restitution de l’argent
volé.
60-
Historail
Avril 2009
(1) Lancé en 1908, ce
journal offre chaque
semaine un assortiment
d’articles journalistiques
divers (faits dramatiques,
événements passionnels ou
tragiques) ou littéraires
(romans de détectives et
de police).
1.
A l’arrivée du train
131, les employés de la
gare d’Autun trouvaient
dans un compartiment
de seconde classe,
le cadavre de
M. Leuthreau, marchand
de bestiaux et maire de
Dun-les-Places (Nièvre).
M. Leuthreau, encore
vigoureux malgré ses
65 ans, venait à Paris
tous les mardis, puis se
rendait à la bourse
du Commerce
et y traitait
d’importantes
affaires.
Il rentrait dans
la Nièvre par
un train
de nuit,
la poche
bourrée
de billets de
banque. Mais
d’un naturel
très confiant,
M. Leuthreau
ne prenait
aucune
précaution et
ne songeait
qu’à goûter
un repos
réparateur.
2.
Un misérable, nommé Abel
Leblanc, décida de faire un
coup dans le train 131. Il acheta
un marteau et fit raccourcir
le manche pour l’avoir mieux
en main.
3.
Voici comment fut accompli
l’assassinat : ayant jeté
son dévolu sur M. Leuthreau,
à qui il avait vu de l’argent,
Leblanc le fila et monta dans
le même train.
en chemin de fer ]
Avril 2009
Historail
4.
Le train arrivait à Laroche : le misérable
gagna le compartiment où M. Leuthreau
dormait. Il le frappa de son marteau avec
tant de violence que le pauvre homme se
souleva à moitié, les yeux démesurément
ouverts, puis retomba sur la banquette :
il était mort.
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
62-
Historail
Avril 2009
5.
Après avoir dérobé
sa victime, Leblanc ne quitta
le train qu’à Auxerre où
sa nervosité le fit remarquer
des employés.
6.
Leblanc se fit conduire en
automobile à Troyes. Arrivé à
Paris, il paya à différentes
reprises avec ces billets de mille.
7.
Tant de maladresses le
désignaient à la police qui
procéda bientôt à son
arrestation : c’est tremblant de
peur qu’il suivit M. Sébille,
commissaire divisionnaire.
Leblanc couvrit la figure de ses
mains en montant dans le fiacre
qui le conduisait au Dépôt.
8.
A Druyes, où habite la mère de
Leblanc dont la famille est des plus
honorables, se passait une scène
déchirante : « Dites-moi que mon fils
est innocent ! », s’écriait la
malheureuse femme à un journaliste
qui était allé l’interviewer. Leblanc
avait trouvé 6 500 francs en billets et
80 francs en or.
Avril 2009
Historail
en chemin de fer ]
L
e 5 novembre 1886, entre Golfe-
Juan et Cannes, un artiste-peintre
du nom de Briarde est agressé dans
son sommeil par deux individus
montés furtivement dans son com-
partiment. Le vingt-cinquième atten-
tat criminel commis en France dans
un train depuis 1860, et le qua-
trième de l’année 1886! Pourtant,
dès l’assassinat du préfet Barrême
survenu le 13 janvier de cette même
année, les pouvoirs publics s’étaient
empressés de nommer une commis-
sion d’ingénieurs chargée de propo-
ser des solutions susceptibles d’amé –
liorer la sécurité des voyageurs.
Parmi les documents sur lesquels
cette commission fonda ses travaux,
figurait la liste des tentatives crimi-
nelles signalées sur les chemins de fer
français depuis 1860. Vingt-deux af-
faires en tout, dont l’étude minu-
tieuse était censée l’éclairer sur les
décisions à prendre.
Il ressort notamment que onze des
vingt-deux agressions recensées ont
touché des voyageurs de 1
re
classe,
cinq des voyageurs de 2
classe et six
des voyageurs de 3
classe. Sur ces
vingt-deux agressions, dix se sont ré-
vélées mortelles : six en 1
re
classe, deux
en 2
classe (attribuées toutes deux à
des actes de folie) et deux en 3
classe.
L’examen des moyens d’alerte mis à
disposition des voyageurs révèle que
neuf voitures de 1
re
classe étaient équi-
pées du système d’intercommunica –
tion (dont une non opérationnelle),
mais qu’une seule victime y a eu véri-
tablement recours. Les marchepieds
établis le long des voitures ont été uti-
lisés, quant à eux, tant par les victimes
en quête de secours (quatre fois) que
par les agresseurs pour s’introduire
dans les compartiments (trois fois).
Enfin, les voyageurs assis dans les
compartiments contigus à ceux où se
sont déroulées les agressions n’ont
perçu des cris que dans trois cas.
Du rapport final de la commission, dé-
coula une circulaire ministérielle en
date du 10 juillet imposant aux com-
pagnies de mettre en œuvre dans
chaque compartiment, au plus tard le
janvier 1888, des dispositifs
d’alarme facilement accessibles par
chaque voyageur.
En fait, cette commission était la cin-
quième à s’être penchée sur la ques-
tion, et la circulaire ministérielle qui
avait suivi la douzième à traiter du su-
jet depuis 1857. Cette série récurrente
de commissions et de circulaires té-
moigne de la difficulté de résoudre le
problème de la sécurité des voyageurs
au temps, faut-il le rappeler, où les
voitures, privées de tout couloir central
ou latéral, n’offraient qu’une suite de
compartiments totalement isolés les
uns des autres et accessibles seule-
ment par des portières latérales ou-
vrant sur les deux côtés de la voie. Dis-
position qui, en cas de contrôle de
route du train en marche, contraignait
les agents à longer la rame en em-
pruntant les marchepieds extérieurs.
Dans son
Traité des chemins de fer
(1)
publié en 1887, Alfred Picard, haut
fonctionnaire au Conseil d’Etat, a ré-
capitulé sous forme de tableaux les
vingt-deux dossiers de tentatives crimi-
nelles citées plus haut. Il y a adjoint
les trois nouveaux cas signalés en
1886 au lendemain de l’assassinat du
préfet Barrême, portant ainsi à vingt-
cinq le nombre de tentatives crimi-
nelles recensées entre 1860 et 1886.
Ces tableaux (reproduits dans les
pages qui suivent) sont ainsi résumés
par Picard:
« Trois agressions de fous, une tenta-
tive de caractère inconnu, trois chutes
par les portières pour causes dou-
teuses ou inconnues, dix-huit assassi-
nats ou tentatives d’assassinat. (…)
« Sur les dix-huit assassinats ou tenta-
tives d’assassinat, seize ont été com-
mis de nuit et deux de jour; onze en
classe, six en 2
classe et un en 3
classe; onze en train express ou poste
et sept en train omnibus ou mixte.
« Parmi les onze attentats perpétrés
en 1
classe, huit l’ont été dans des
voitures munies de moyen d’appel par
intercommunication en état de fonc-
tionnement; une seule fois, il a été
fait usage de l’appareil et l’agresseur
a été arrêté.
« Cinq agressions, dont une tentative
d’assassinat, ont eu lieu dans des voi-
tures de 3
classe à cloisons sépara-
tives à hauteur d’appui.
« Sur les dix-huit assassins, neuf ont
été arrêtés, un dixième s’est suicidé,
huit sont restés inconnus.»
On retiendra donc, dans les cas d’as-
sassinats ou tentatives d’assassinat,
que ceux-ci ont eu lieu principalement
de nuit, de préférence à bord de trains
au long cours, que les victimes étaient
majoritairement issues d’un milieu
aisé, que les systèmes d’alarme pré-
sents n’ont été à une exception près
d’aucune utilité, enfin, qu’une fois sur
deux, le crime a été perpétré en toute
impunité!
Ce maigre bilan des efforts d’une ad-
ministration qui avait poussé les com-
pagnies –toujours promptes à reculer
devant les dépenses et sceptiques
quant aux résultats– à s’équiper de
moyens de sécurité permet de com-
prendre pourquoi longtemps encore
les assassins ont pu se livrer à des
actes criminels.
G. R.
Vingt-cinq
tentatives criminelles
entre 1860 et 1886
(1) Alfred Picard, Traité des chemins de fer, Rothschild,
1887, tome 3, p. 574.
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
64-
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en chemin de fer ]
Avril 2009
Historail
Photorail
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
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Photorail
en chemin de fer
Avril 2009
Historail
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
P
ermettre aux conducteurs gardes-
freins de pouvoir entrer en contact
avec le mécanicien a été le premier
souci des législateurs. De fait, l’article
23 de l’ordonnance du 15 novembre
1846, qui réglemente la police, la sû-
reté et l’exploitation des chemins de
fer, précise:
«Les conducteurs gardes-
freins seront mis en communication
avec le mécanicien pour donner, en
cas d’accident, le signal d’alarme par
tel moyen qui sera autorisé par le mi-
nistre des Travaux publics, sur la pro-
position de la compagnie.»
La mise en relation
du conducteur chef
des gardes-freins avec
le mécanicien
Commanditée en 1853 par le minis-
tre des Travaux publics P.Magne et
close en 1857, l’enquête sur les
moyens d’assurer la régularité et la sû-
reté de l’exploitation sur les chemins
de fer donne quelques précisions sur
les solutions adoptées. A la question
68-
Historail
Avril 2009
Suite à la multiplication des agressions, les compagnies ont été
invitées à réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour sécuriser
les voyageurs. Développé dans la continuité de l’intercommuni –
cation, le signal d’alarme fut la réponse à cette inquiétude.
1857-1886.
De
l’intercommunication
entre agents
au
signal d’alarme
Poignées du
signal d’alarme
aménagées sous
vitre dans la
cloison du
compartiment
(triangles),
ailettes mobiles
en position
fermée à
l’extérieur (dans
les coins
supérieurs des
fenêtres), cette
gravure illustre
le procédé
Prud’homme en
service sur le
Nord depuis
1865.
La Nature 1886/Photorail
en chemin de fer ]
«Par quels moyens le conducteur chef
et les gardes-freins peuvent-ils com-
muniquer avec le mécanicien pendant
le trajet?»
, il est répondu:
«Il n’y a
généralement pas d’autres moyens de
communication entre les conducteurs
et le mécanicien que les signaux porta-
tifs des conducteurs. Les cantonniers et
gardes-lignes, en voyant les agents
chargés de la conduite d’un train agi-
ter leur drapeau ou leur lanterne, doi-
vent répéter ces manœuvres de ma-
nière à être aperçus du mécanicien.
«L’attention du mécanicien peut éga-
lement être appelée par le sifflet du
conducteur chef et le serrage des
freins.
«La Compagnie d’Orléans emploie
un signal particulier consistant en un
cordeau qui, partant de la guérite du
garde-frein placé sur le fourgon à ba-
gages, met en mouvement un timbre
placé sur le tender: ce garde-frein
tourne le dos à la locomotive et voit
tout le train.
«Sur les lignes de Rhône et Loire, on
fait également usage d’un timbre
comme moyen de communication
entre les conducteurs et le mécani-
cien, mais comme moyen préventif
seulement et non comme moyen de
sécurité absolue.
«La Compagnie du Nord fait adap-
ter le long de ses voitures des mains-
courantes qui permettent aux conduc-
teurs de circuler d’un bout à l’autre
du train.»
Le 18 août 1857, le ministre invite les
compagnies, en exécution de l’arti-
cle 23, à suivre l’exemple de la Com-
pagnie d’Orléans et à adapter au ten-
der de chaque locomotive une cloche
de 18 à 20 centimètres de diamètre,
disposée de manière que le conduc-
teur garde-frein, placé dans la vigie
du fourgon à bagages, puisse met-
tre le battant en mouvement au
moyen d’une corde allant de ce four-
gon au tender. Toutefois, par une au-
tre circulaire du 8 octobre 1857, le
ministre autorise les compagnies à
restreindre l’application de cette me-
sure aux seuls trains de voyageurs et
aux trains mixtes.
La mise en relation de
tous les agents de train
entre eux
Cette disposition ne répondait cepen-
dant qu’indirectement à l’article 23,
en n’assurant que la communication
de l’un des conducteurs avec le méca-
nicien. Aussi les compagnies sont-elles
invitées par une circulaire du 13 jan-
vier 1860 à examiner s’il ne convien-
drait pas d’adopter le système en
usage en Allemagne, qui consiste à
faire courir le long du train une corde
accessible à tous les conducteurs, de
façon à leur permettre d’actionner soit
la cloche installée sur le tender, soit
un sifflet à vapeur spécial. Mais la
commission créée par décision minis-
térielle du 5 novembre 1861 pour
procéder à une nouvelle enquête sur
la construction et l’exploitation des
chemins de fer reconnaît que la com-
munication par corde est inapplicable
pour les trains composés d’un grand
nombre de voitures ou soumis en
route à des remaniements dans leur
Avril 2009
Historail
Coll. Henry/Photorail
030 Est au dépôt
de Saint-Dizier
en 1897. Sur le
tender, la cloche
qui, reliée par
une corde au
fourgon de tête,
permettait au
chef de train
d’alerter le
mécanicien en
cas de besoin.
Les débuts de
l’intercommuni-
cation.
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
composition. Elle enregistre cepen-
dant les essais des Compagnies du
Nord et de l’Est sur les nouveaux sys-
tèmes de communication électrique
Prud’homme et Achard.
Le 7 août 1863, le ministre rappelle
aux compagnies la nécessité de se
conformer à sa circulaire du 18 août
1857, à défaut à recourir à tout autre
moyen propre à assurer l’exécution
de l’article 23. Il leur signale les résul-
tats favorables des expériences aux-
quelles ont été soumis sur les réseaux
du Nord, de l’Est et de Lyon, deux ap-
pareils inventés par Spiller et
Prud’homme.
Le 1
février 1864, le ministre revient
à la charge et donne trois mois aux
compagnies pour avancer des propo-
sitions définitives.
La commission appelée à délibérer sur
les réponses des compagnies recon-
naît que:

la communication par corde n’est
pas d’une efficacité suffisante;

la communication par les marche-
pieds n’est pas possible sur toutes
les lignes (gabarit) et n’est d’ailleurs
pas assez rapide en cas de danger
imminent.
Et elle recommande d’attendre les ré-
sultats des expériences poursuivies par
les compagnies du Nord et de l’Est.
Le 21 avril 1865, le ministre consent
un délai supplémentaire aux compa-
gnies, tout en les invitant de se mettre
en mesure de formuler une solution à
la première réquisition.
Le 29 novembre suivant, le ministre,
jugeant l’efficacité des appareils
Prud’homme et Achard suffisamment
démontrée, prescrit aux compagnies
de prendre les dispositions nécessaires
pour assurer dans un délai de quatre
mois la communication des gardes-
freins avec les mécaniciens dans les
trains de voyageurs et les trains
mixtes, soit au moyen de l’un de ces
appareils, soit par tout autre procédé
préférable et préalablement approuvé
par l’administration.
Malheureusement, les espérances nées
des appareils électriques ne se réali-
sent pas, ceux-ci s’accommodant dif-
ficilement du mouvement et de la tré-
pidation des trains en marche. Aussi,
en dépit de rappels successifs, les dis-
positions de l’article 23 continuent à
ne pas être strictement observées.
La mise en relation
des voyageurs avec les
agents de train
L’ordonnance du 15 novembre 1846
ne contient aucune disposition expli-
cite pour les communications entre
les voyageurs et les agents de train.
Cette lacune est mise en exergue à la
suite du meurtre du président Poin-
sot (Est, 6 décembre 1860), ce qui
conduit à la création, le 13 février
1861, d’une commission chargée
d’étudier la question de la sécurité des
voyageurs dans les trains en marche.
Ses membres doivent notamment se
prononcer sur les résultats d’une ins-
truction antérieure par laquelle le mi-
nistre avait prescrit aux ingénieurs du
contrôle de réfléchir à l’opportunité:

d’inviter les agents de train à assurer
un contrôle de route en circulant sur
les marchepieds des voitures;

d’installer dans chaque voiture
des signaux visuels à la portée des
voyageurs;
70-
Historail
Avril 2009
Ancienne
voiture de
1
re
classe type
1880 des
chemins de fer
de l’Etat : trois
compartiments
avec portières
latérales ouvrant
sur la voie. Pour
seul «couloir»,
le marchepied
extérieur !
Compartiment
d’une voiture
de 1
re
classe
type 1889 des
chemins de fer
de l’Est.
Un espace clos
propices aux
agressions.
Photorail
Photorail
en chemin de fer ]
Avril 2009
Historail

de mettre en relation les divers com-
partiments d’une même voiture par
des panneaux à glaces dormantes;

d’exercer une surveillance spéciale
aux points de ralentissement des
trains.
Cette commission repousse l’emploi
des voitures du type américain, préco-
nisé par certaines personnes mais qui
ne répondait ni au goût d’isolement ni
aux habitudes des voyageurs français.
Elle se borne à demander que les
compagnies soient invitées:
1° à pratiquer dans le délai de six mois,
dans les compartiments de 1
et de
classe, une ou deux ouvertures fer-
mées par des glaces transparentes et
placées au-dessus des filets à bagages;
2° à organiser, dans le même délai, sur
toutes les voitures composant les trains
de voyageurs un système de marche-
pieds et de mains-courantes horizon-
tales pour permettre aux agents du
train ou à des contrôleurs spéciaux de
parcourir toute la longueur du convoi.
Il ne s’agit donc pas encore de mettre
à la disposition des voyageurs un
moyen de faire appel aux agents.
D’ailleurs, aux difficultés mécaniques
de l’installation, se greffe la crainte de
voir les voyageurs interrompre la
marche du train pour des causes fu-
tiles ou sans gravité réelle.
La commission d’enquête citée plus
haut constituée fin 1861 écarte les
deux propositions, comme n’étant pas
de nature à procurer des résultats effi-
caces. Elle craint que la possibilité don-
née aux voyageurs d’entrer en contact
avec les agents des trains soit la source
de pertes de temps, voire d’accidents.
Elle exprime aussi l’avis que la circula-
tion extérieure des agents les expose-
rait aux plus graves périls, notamment
à la traversée des souterrains.
La question n’évolue guère dans les
trois années qui suivent. Il faut atten-
dre toute une série d’accidents et
d’agressions pour que le ministre,
poussé par l’opinion publique et ju-
geant démontrée l’efficacité des appa-
reils électriques Prud’homme et
Achard, prescrive aux compagnies le
29 novembre 1865 de combiner un
appareil de communication entre les
voyageurs et les agents avec celui des-
tiné à la communication entre les
gardes-freins et le mécanicien.
L’idée du signal d’alarme
fait son chemin
Le 15 août 1879, un grave accident
endeuille le réseau de l’Ouest. D’une
collision frontale entre un train de
voyageurs et un train de marchan-
dises sur une section à voie unique
entre les stations de Flers et de Mont-
secret, on relève dix morts (dont les
deux équipes de conduite) et 52 bles-
sés. Le 29 du même mois, une com-
mission d’enquête est réunie pour re-
chercher les moyens d’empêcher le
retour d’accidents analogues sur les
lignes à voie unique. Ses membres
pensent cependant qu’il importe de
donner à leurs investigations le déve-
loppement le plus complet et de com-
prendre dans leur champ d’étude tout
ce qui pouvait intéresser la sécurité de
l’exploitation des chemins de fer.
Un questionnaire imprimé à 300 exem-
plaires est adressé le 15 novembre
1879 aux compagnies françaises et
étrangères et aux principaux ingénieurs
de chemins de fer. Annoncée par voie
de presse, cette démarche vaut à la
commission de recevoir de nombreuses
communications d’inventeurs. Sur les
Bouton d’appel
�xé au plafond.
Bouton d’appel
�xé au plafond
employé sur
l’Est. Le
couvercle de
l’ancien modèle
(1881) portait
l’inscription :
«Ne tirer le
bouton qu’en
cas de danger
absolu.»
Système à air
comprimé
expérimenté par
la compagnie
du Midi dans les
années 1880.
On ne pousse
plus, on tire…
RGCF mars 1891/Photorail
La Nature/Photorail
RGCF octobre 1889/Photorail
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
72-
Historail
Avril 2009
Quelques mois à peine après sa mise en œuvre sur le Nord, en
1865, le système d’intercommunication Prud’homme fait l’objet
de débats animés à la Société des Ingénieurs civils de France, où les
membres adhérents ont l’habitude, lors de séances bimensuelles, de
débattre des dernières nouveautés technologiques. C’est un certain
Bonnaterre, ingénieur civil, qui, le 4 mai 1866 (
Mémoires des
comptes-rendus des travaux de la SICF
, 1866, p. 179-181), leur pré-
sente l’appareil conçu pour répondre à trois stipulations :

mettre les différents agents du train à même de communiquer en-
semble ;

permettre à un voyageur d’un compartiment quelconque de faire
appel aux différents conducteurs ;

en cas de rupture accidentelle d’attelage, avertir le conducteur de
chaque tronçon de cet accident.
Le 18 mai, revenant sur le sujet, Charles Bricogne, ingénieur du
matériel au Nord, énumère les améliorations apportées depuis au
dispositif de Prud’homme. Les disques rouges qui jaillissaient de
chaque côté de la voiture d’où le signal d’alarme avait été déclen-
ché font désormais place à des ailettes blanches surgissant en bout
au-dessus de la caisse. Et, au bouton de contact initial, protégé
par une vitre «
afin d’éviter la malice ou l’ignorance de certains
voyageurs
» (Bonnaterre), on a substitué une chaîne terminée par
un anneau actionnant une tringle.
Même si «
ce système marche assez bien
», la confiance de Bri-
cogne dans sa réelle efficacité reste très limitée : «
… arriv[erait]-
il à fonctionner d’une manière irréprochable, il resterait encore
à savoir s’il répond[rait] au besoin qu’on cherche à satisfaire.
Ces appareils ne serviront jamais dans le cas d’attentats contre les
personnes, faits contre lesquels les moyens préventifs seront im-
puissants
Outre ces dicussions entre techniciens, le système Prud’homme
a inspiré de nombreux textes de vulgarisation destinée à toucher
un plus large public. Appartiennent à cette catégorie, les extraits
de l’article suivant («Intercommunication électrique»), publié
par
La Nature
le 27 septembre 1884 sous la signature d’Alexandre
Laplaiche, commissaire de surveillance administrative des che-
mins de fer.
[…] Une boîte mobile contenant une pile et une sonnerie est
disposée dans le fourgon d’arrière et le fourgon d’avant, où elle
s’adapte à des crochets de suspension; sur la paroi du wagon et à
proximité de cette boîte est fixé un levier d’appel à ressort, dit
commutateur, sur lequel il suffit de presser pour faire fonctionner
la sonnerie électrique placée à l’autre extrémité du train. La com-
munication entre la tête et la queue du train est assurée au moyen
de deux fils métalliques posés sous le châssis de chaque wagon et
constituant deux circuits correspondant à la sonnerie d’avant et à
la sonnerie d’arrière. Entre deux wagons adjacents, la communica-
tion de ces deux fils est assurée par des cordes ou câbles d‘attelage
composés de fils métalliques recouverts d’une enveloppe de co-
ton et ne présentant à la tension qu’une résistance très limitée:
aussi doit-on éviter qu’ils soient accrochés par les barres et les
chaînes d’attelage.
[…] Dans chaque wagon [voiture], les boutons d’appel fixés sur le
plafond, à côté de la lampe, sont reliés aux fils conducteurs dont
nous venons de parler et permettent d’utiliser le circuit électrique
que ceux-ci réalisent pour faire communiquer les voyageurs avec les
agents de train. Chaque bouton d’appel est entouré de l’inscrip-
tion:
“Appel au chef de train en cas de danger absolu”.
[…] Le chef de train fait usage de l’appareil Prud’homme tantôt
pour s’assurer de la présence à son poste du garde-frein d’arrière,
qui doit répondre à ses appels, tantôt pour éveiller son attention
lorsque le mécanicien siffle aux freins. Le garde-frein peut égale-
ment appeler le chef de train en cas d’événement extraordinaire.
Enfin, les voyageurs peuvent aussi appeler les agents du train à
l’aide des boutons placés dans les compartiments. En cas de rupture
d’attelage d’une voiture d’un train, les appareils fonctionnent au-
tomatiquement par décrochage des câbles qui relient cette voi-
ture à la précédente.
Par une circulaire ministérielle en date du 15 avril 1884, toutes les
compagnies de chemins de fer ont été mises en demeure d’établir
l’intercommunication dans tous les trains express ou directs effec-
tuant des parcours de 25 kilomètres ou plus sans arrêt. Cette impor-
tante amélioration devra être réalisée avant le 1
juillet 1885. Les
appareils devront, à l’avenir, donner aux agents, par un signe placé
de préférence à l’extérieur des voitures, le moyen de reconnaître le
compartiment d’où un signal est parti, sans qu’il soit possible aux
voyageurs d’en supprimer l’indication. Sur le réseau du Nord, cette
condition est depuis longtemps réalisée: des ailettes faisant saillie
sur les parois latérales de la voiture deviennent visibles dès qu’un
voyageur a établi le circuit électrique, et indiquent le comparti-
ment d’où est parti l’appel.
Le même Laplaiche revient sur le sujet («La sécurité en chemin de
fer») deux ans plus tard (
La Nature
, 20 février 1886). L’occasion
pour lui d’exposer les modifications apportées par le Nord au
commutateur:
La Compagnie du Nord […] a mis à la disposition des voyageurs
un commutateur d’appel tout différent du précédent. Une ouver-
ture triangulaire est pratiquée à hauteur des yeux, dans chaque
Le système
Prud’homme
en chemin de fer ]
Avril 2009
Historail
cloison de voiture, et fermée de part et d’autre par deux vitres
d’environ un millimètre et demi d’épaisseur. Entre ces vitres, on
aperçoit, des deux compartiments contigus, un anneau suspendu à
une chaînette. Pour faire appel aux agents du train, il faut briser la
vitre, tirer l’anneau et, dit l’écriteau placé dans chaque comparti-
ment, agiter le bras en dehors de la portière de droite par rapport
au sens de la marche du train. On conviendra que ce mode de
fonctionnement présente bien des complications. Si vous êtes atta-
qués par un malfaiteur, il est peu probable qu’il vous accorde le
temps de briser la glace et de tirer la chaînette; il est encore moins
certain qu’il vous permette d’ouvrir la fenêtre et d’agiter le bras du
côté de l’entrevoie. Quoi qu’il en soit, la traction de la chaînette
peut, par l’intermédiaire d’une petite manivelle, imprimer un mou-
vement de rotation d’un quart de cercle à une tringle disposée
dans l’épaisseur de la cloison du compartiment et faisant saillie de
chaque côté du wagon; un commutateur placé à une extrémité de
cette tringle ferme alors le circuit, et la sonnerie fonctionne dans les
fourgons. Chaque extrémité de la tringle porte un petit voyant
peint en blanc, qui est ordinairement horizontal, et qui vient occu-
per une position verticale lorsque l’appareil est mis en mouve-
ment: ce petit voyant sert à appeler immédiatement l’attention des
agents du train sur le compartiment qui a donné le signal d’alarme.
Il est représenté en V sur notre gravure.
Laplaiche rappelle que le PLM a également opté pour le système
Prud’homme et que s’il est resté fidèle au «
bouton d’appel fixé au
plafond, près de la lampe
», il a néanmoins «
fait placer dans toutes
les cloisons séparant les compartiments deux petites glaces triangu-
laires sans tain, qui facilitent […] une communication optique en-
tre les voyageurs de compartiments contigus
». Il cite parmi les au-
tres adeptes du système Prud’homme le Midi et le PO (dont le
commutateur est fixé à la cloison du compartiment). Mais omet
de nommer l’Est qui, pourtant, après avoir observé de près depuis
1878 les matériels Nord entrant dans la composition des trains di-
rects de Calais à Bâle via Laon et Delle, s’était décidé à appliquer le
système Prud’homme à ses voitures à partir de 1882 (bouton d’ap-
pel au plafond).
L’Ouest, précise Laplaiche, fait cavalier seul, ayant développé
un système d’intercommunication reposant sur l’emploi de l’air
comprimé:
A cet effet, un tuyau vertical de petit diamètre s’embranche à
chaque voiture, sur la conduite générale du frein Westinghouse
dont tous les trains sont pourvus, et se termine, à la partie supé-
rieure, par un sifflet disposé à l’extrémité de la toiture du wagon.
Une poignée placée au plafond, dans l’intérieur de chaque compar-
timent, et qu’il suffit de tirer, permet de donner une issue à l’air
comprimé et de faire fonctionner le sifflet dont nous venons de
parler, en même temps qu’un second sifflet installé sur la machine
fonctionne aussi sous l’influence de la dépression produite dans
la conduite générale. Le sifflet placé sur la machine sert à avertir les
agents du train; le sifflet placé sur le wagon indique la voiture
d’où est parti l’appel; enfin, la poignée qui demeure abaissée dé-
signe le compartiment.
Appelé à se développer jusqu’à devenir prépondérant, ce système
est vite adopté par le Midi. Il équipe déjà les différentes voitures
que la compagnie présente à l’Exposition universelle de Paris de
1889 (RGCF, janvier 1891). Les notices précisent que ces voitures
sont dotées de «
l’intercommunication pneumatique (type Midi),
qui permet à tout voyageur, en cas de danger, de serrer les freins et,
par suite, d’arrêter les trains, par le simple tirage d’un bouton placé
à sa portée, vers le milieu de chaque compartiment. Deux voyants
extérieurs, un de chaque côté de la caisse, et le bouton faisant sail-
lie dans le compartiment et qui ne peut être remis en place par
les voyageurs désignent aux agents la voiture et le compartiment
d’où les freins ont été serrés
».
La nécessité de pouvoir localiser rapidement le compartiment d’où
a été actionné le signal d’alarme répond moins au souci de secou-
rir la victime présumée que de traquer les mauvais plaisants. Emile
Chaperon, ingénieur de son état et, comme tel, inventeur d’un ap-
pareil électrique d’appel avec voyant extérieur essayé par le PLM en
1884 (RGCF, mars 1885), se fait l’écho de ces agissements pour le
moins répréhensibles:
Les commutateurs d’appel mis dans les compartiments à la dispo-
sition des voyageurs sont souvent des boutons identiques aux bou-
tons des sonneries d’appartement qui, s’ils ont l’avantage d’être
peu compliqués, présentent l’inconvénient de ne pas laisser de
trace de l’appel qui a été fait. Il en résulte que, dans certains cas,
des trains sont arrêtés à la suite d’appel fait sans motif par des
voyageurs et qu’il est impossible aux agents des trains de savoir
de quel compartiment le signal a été actionné.
«Il y avait intérêt, tant pour faciliter les recherches que pour sup-
primer les abus, à ce qu’un signal extérieur accompagnât l’appel
fait par le voyageur, et à ce que ce signal subsistât jusqu’à ce qu’il
ait été supprimé par un agent de la compagnie.
A ce propos, citons encore le commentaire de deux ingénieurs de
la Compagnie de l’Est prononcé au regard de l’examen de statis-
tiques portant sur l’utilisation entre 1882 et 1890 de l’intercom-
munication électrique en vigueur sur le réseau (
RGCF
, avril 1891):
En ce qui concerne l’emploi des appareils par les voyageurs, nous
n’avons jamais eu connaissance qu’un bouton ait été tiré par un
voyageur sans que l’intercommunication ait fonctionné. Malheu-
reusement, il a été constaté que, dans la plupart des cas, l’appel
n’était aucunement justifié.
Br. C.
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
218 dossiers officieux et officiels, 120,
soit un peu plus de la moitié, sont pris
en compte et font l’objet d’un rapport.
La commission entend aussi les inven-
teurs (ou leurs représentants) dont les
systèmes, adoptés par les grandes
compagnies, ont été déjà sanctionnés
par la pratique. Parmi eux: Lartigue,
Regnault et Jousselin pour les appareils
électriques appliqués aux signaux;
Bailly pour le frein Westinghouse;
Hardy pour le frein à vide; Achard pour
le frein électrique; Falkingham pour
les appareils d’enclenchement Saxby
et Farmer.
Au cours des travaux –la commission
tient 23 séances du 16 octobre 1879
au 6 juillet 1880–, deux événements,
l’agression dans son compartiment,
entre Rognac et Miramas, d’un entre-
preneur de travaux public (PLM,
30avril 1880) et un accident de per-
sonne, l’un et l’autre ayant entraîné
mort d’homme, démontrent la néces-
sité d’exiger l’exécution de l’article 23
dans toute son étendue.
Le rapport général est présenté au mi-
nistre des Travaux publics par l’inspec-
teur général des Mines Guillebot de
Nerville le 8 juillet 1880. La question
de la communication des voyageurs
avec les agents des trains fait l’objet
d’un rapport spécial.
La commission constate
«que les
moyens de communication actuelle-
ment employés ne répondent, d’une
manière efficace, ni aux besoins de la
sécurité ni au vœu de l’article 23. En
effet, l’emploi de la corde ne fait com-
muniquer aujourd’hui que le mécani-
cien et le conducteur garde-frein placé
dans le fourgon de tête
(1)
; les autres
agents ne peuvent échanger, avec
ceux-ci et entre eux, que des signaux
visuels. Ces signaux échangés d’une
vigie à l’autre sont difficilement per-
ceptibles et sans effet par temps de
brouillard. Ils exigent, d’ailleurs, des
agents une attention trop continue et
sur laquelle on ne peut pas entière-
ment compter. Quant aux voyageurs,
ils n’ont généralement aucun moyen
de faire parvenir un avertissement à
un agent quelconque du train».
Elle estime cependant que l’on peut
faire davantage, ce que les compa-
gnies ont déjà compris en expérimen-
tant divers systèmes: transmission
mécanique, transmission pneuma-
tique, emploi de l’électricité. C’est ce
dernier système que la commission
recommande, sans exclure toutefois
les autres procédés. Elle lui reconnaît
le double avantage d’établir la com-
munication des agents entre eux et
des voyageurs avec les agents:
«Se
fondant sur les résultats d’expériences
depuis longtemps entreprises sur les
réseaux du Nord et de la Méditerra-
née, la commission pense qu’avec des
soins et une surveillance convenables
ce système peut fonctionner, dans des
conditions suffisantes de régularité,
et devenir ainsi susceptible d’une ap-
plication pratique.»
La commission signale encore que le
système retenu pourrait être complété
par l’installation de marchepieds et de
mains-courantes destinés à faciliter la
circulation des agents le long des
trains, et par la réalisation d’ouver-
tures de dimensions restreintes fer-
mées par des glaces pour que les
voyageurs placés dans des comparti-
ments voisins ne soient pas privés de
toute communication entre eux.
Prenant en compte les recommanda-
tions de la commission, le ministre,
par une circulaire du 30 juillet 1880,
invite les compagnies à:

donner aux conducteurs gardes-
freins un moyen sûr et efficace de
communiquer avec le mécanicien soit
directement, soit par l’intermédiaire
de l’un d’eux;

prendre les mesures nécessaires pour
donner aux voyageurs, dans toutes
les voitures à cloisons séparatives com-
plètes, le moyen de faire appel aux
agents et de recommander le mode
de communication en usage au Nord
et au PLM;

faire en sorte que dans tous les trains
l’un des agents au moins puisse cir-
culer le long des voitures;

prendre en compte l’utilité qu’il y au-
rait à établir des communications par-
tielles entre les compartiments voisins
d’une même voiture, par exemple au
moyen d’ouvertures de dimensions
restreintes fermées par des glaces.
La troisième de ces mesures devra être
réalisée immédiatement. La première
et la deuxième devront l’être avant le
mai 1881 pour tous les trains ex-
press ou directs ayant des parcours de
25km ou plus sans arrêt.
Autant de consignes reprises et confir-
mées dans sa circulaire du 13 septem-
bre 1880 relative aux autres points
abordés par la commission.
Les dernières hésitations
Si toutes les compagnies se font un
devoir d’assurer dans l’immédiat la cir-
culation de leurs agents le long des
voitures, certaines, comme le constate
une circulaire du 2 novembre 1881,
ont cru pouvoir encore entreprendre
des essais complémentaires: inter-
communication à l’air comprimé en
74-
Historail
Avril 2009
Les voyageurs n’ont généralement aucun moyen
d’avertir un agent quelconque du train.
en chemin de fer ]
relation avec le frein Westinghouse,
nouveau système à corde, système à
pétards…
Plusieurs «attentats» commis dans
des trains en marche conduisent ce-
pendant le ministre à demander au
Comité d’exploitation technique de
lui faire connaître d’urgence son avis
sur l’état d’avancement des travaux
entrepris par les compagnies et sur les
mesures à prescrire définitivement.
Une commission, prise dans le sein
dudit comité, révèle dans un rapport
détaillé que toutes les compagnies
–sauf celle de l’Ouest qui a préféré
une transmission pneumatique pour
laquelle elle utilise la conduite du frein
à air comprimé Westinghouse– ont
adopté le système Prud’homme sans
ou avec modifications. Elle précise en-
core que les résultats obtenus sont
généralement satisfaisants et qu’ils se-
raient meilleurs encore si toutes les
compagnies, à l’exemple de celles du
Nord et du PLM, avaient organisé un
service d’agents spéciaux chargés de
l’entretien des appareils et de leur vé-
rification en cours de route. Et conclut
en ces termes:
« Il y a lieu d’inviter les compagnies et
l’administration des chemins de fer de
l’Etat à se mettre en mesure d’exécu-
ter complètement, avant le 1
juillet
1885, la circulaire du 30 juillet 1880.
«Quel que soit l’appareil adopté par
elles, les organes placés dans les voi-
tures pour appeler les agents doivent
remplir les conditions suivantes:
«Etre d’un fonctionnement sûr, d’un
accès suffisamment facile; se prêter à
des vérifications fréquentes du bon
fonctionnement; donner aux agents,
par un signe placé de préférence à
l’extérieur des voitures, le moyen de
reconnaître le compartiment d’où un
appel est parti sans qu’il soit possible
au voyageur de supprimer l’indication.
«Dans le cas où les appareils actuelle-
ment existants auraient besoin d’être
modifiés pour remplir ces conditions,
des délais pourraient être accordés.
«Les compagnies devront organiser
l’entretien et la vérification des appa-
reils, de manière à en assurer efficace-
ment le bon fonctionnement. (…) »
Cet avis est notifié aux compagnies
par circulaire du 15 avril 1884, avec
invitation de terminer l’installation
avant le 1
juillet 1885 pour tous les
trains express et directs.
Le 16 janvier 1886, trois jours après
l’assassinat du préfet de l’Eure Bar-
rême (Ouest, 13 janvier 1886), un dé-
puté interpelle le gouvernement sur
les transformations qu’il y aurait à ap-
porter au matériel des chemins de fer
pour éviter un nouveau drame.
Le ministre Baïhaut institue le 23 jan-
vier 1886 une nouvelle commission
chargée d’étudier les perfectionne-
ments réalisables tant dans le matériel
roulant que dans le service des agents
des trains. Leurs investigations doi-
vent porter principalement sur:

les signaux d’appel en France et à
l’étranger, leur fonctionnement, leur
réglementation, les moyens d’en faci-
liter l’usage au public;

la modification à apporter aux types
de voitures, à l’effet d’établir des com-
munications permanentes ou faculta-
tives par l’emploi de glaces dormantes
ou de tout autre moyen, soit entre les
compartiments contigus d’un même
véhicule, soit entre toutes les voitures
d’un même train;

la surveillance du train et des voya-
geurs en cours de route par les agents
des compagnies.
Le programme détaillé ayant servi de
base à ces études ne comprend pas
moins de 26 questions.
Au terme de ses investigations, la
commission recommande:

d’étendre à tous les trains de voya-
geurs, à l’exception des trains mixtes,
le système d’intercommunication avec
signaux d’alarme déjà prescrits pour
tous les trains express et directs effec-
tuant des parcours de 25km ou plus
sans arrêt;

de ne pas rechercher la solution du
problème dans une transformation du
type actuel de voitures (une mesure
qui entraînerait des dépenses consi-
dérables), sans toutefois interrompre
les expériences déjà entreprises visant
à mettre en circulation divers types de
voitures à intercirculation;

d’opter plutôt pour l’installation de
Avril 2009
Historail
Un usage
détourné pour
le moins cocasse
des glaces
dormantes
aménagée dans
les cloisons
séparatrices
pour permettre
aux voyageurs
d’avoir un
œil sur les
occupants des
compartiments
voisins.
Photorail
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
glaces dormantes dans les cloisons sé-
paratives des compartiments.
Elle n’a par contre aucun avis à don-
ner sur la dernière question, si ce n’est
qu’elle juge la surveillance par les
agents circulant sur les marchepieds
impossible dans bien des cas, en rai-
son de l’insuffisance du gabarit des
ouvrages d’art, et inefficace au point
de vue des attentats.
Le signal d’alarme
devient réalité
Conformément à ses conclusions,
le ministre décide le 10 juillet 1886
que tous les trains de voyageurs se-
raient pourvus avant le 1
janvier
1888 d’un système d’intercom –
munication avec signaux d’alarme.
Les appareils devront satisfaire aux
conditions suivantes:
« 1° En aucun cas, la hauteur des
boutons ou poignées d’appel au-des-
sus du plancher de la voiture ne doit
dépasser 1,80 m.
« 2° Chaque compartiment doit
contenir un bouton ou une poignée
placés vers le centre du plafond ou,
si cette condition ne peut être rem-
plie, deux boutons ou deux poignées
placés sur les parois.
« 3° Les boutons ou poignées d’ap-
pel doivent être tout à fait libres, de
telle sorte qu’il n’y ait rien à briser ou
à déplacer avant de les mettre en jeu.
« 4° Les conditions d’emploi de l’ap-
pareil doivent être indiquées par des
placards bien apparents et imprimés
en caractères commodément lisibles.
« 5° Les appareils doivent être dispo-
sés, autant que possible, de telle sorte
que la sonnerie ou le sifflement provo-
qués par leur manœuvre continue à
se faire entendre jusqu’à ce que les
agents du train interviennent pour y
mettre fin.»
Le ministre prescrit en même temps
76-
Historail
Avril 2009
« Tout fut dit sur les
invraisemblables
sonneries d’alarme
“qui ne fonctionnent
jamais”. J’avoue que
ne m’étant jamais
précipité sur un bouton
d’appel au chef de
train, je n’ai jamais pu
savoir par expérience si
les sonnettes d’alarme
fonctionnent ou ne
fonctionnent pas en
général sur les lignes
françaises. Je sais qu’à
l’étranger elles
marchent très bien. Je
crois qu’en France elles
fonctionnent aussi.
Mais, en France, on ne
relie les sonnettes au
fourgon que dans les
trains de vitesse. On en
fait l’épreuve toujours
avant le départ du
train, ce que le
voyageur ignore. On
devrait de temps en
temps les éprouver en
cours de route, sans
prévenir les employés
subalternes, comme on
fait pour les
manœuvres d’incendie.
Mais qu’il y ait ou non
des sonneries d’alarme,
le bon sens indique
que ce n’est pas encore
cet engin qui sauvera
les vies attaquées par
le banditisme en délire.
Vous imaginez-vous
que si un Robert-
Macaire de la voie
ferrée en veut à vos
bank-notes, il vous
laissera le temps de
vous suspendre au
bouton à vapeur des
wagons de l’Ouest, par
exemple? Vous
pourriez lui en
demander la
permission et tirer à
deux mains sur le
bouton. Après quoi, le
brigand commencerait
son crime. Mais il
n’accepterait pas cette
proposition dilatoire.
Vous représentez-vous
la petite dame qui a
toujours un mignon
revolver dans sa poche
et qui, le couteau sur la
gorge, hésitera entre
ces deux alternatives:
1° se fouiller
profondément pour
extraire de ses jupes
l’arme défensive; 2°
s’élancer sur le bouton
électrique des wagons
du P.-L.-M., placé au-
dessus de l’une des
portières? Cette
hésitation la perdra.
Cependant, il est un
cas où le voleur
pourrait vous donner
du temps, histoire de
mieux savourer son
attentat: si vous étiez
en route sur une des
lignes du Nord, par
exemple!
Comique, vous savez,
la situation dans
laquelle vous seriez
placé si un détrousseur
de profession venait
vous demander l’heure
à minuit dans un
compartiment de la
Compagnie du Nord!
La sonnerie d’alarme
de ce réseau a déjà
désopilé la rate de
deux générations!
C’est un petit triangle
de verre incrusté dans
le drap du wagon, avec
un petit anneau
mystérieux. Oh! cet
Pierre Giffard (
La Vie en chemin de fer
, 1888) ne pouvait manquer d’ironiser sur
l’utilité réelle des «sonneries d’alarme» en cas d’agression.
« Puis-je tirer le petit anneau, bon voleur?»
en chemin de fer ]
aux compagnies de munir les cloisons
séparatives des compartiments de
glaces dormantes analogues à celles
en usage au Nord et au PLM, suffi-
samment grandes pour permettre de
voir tous les voyageurs de la ban-
quette opposée. Cette amélioration
doit être appliquée aux voitures neu –
ves lors de leur construction et aux
voi tures envoyées en grosse répara-
tion. Au 1
janvier 1888, la mesure
prend toute son ampleur. La Com-
pagnie de l’Est l’applique ainsi à l’en-
semble de ses trains de voyageurs
(hors les trains mixtes), exception
faite de ceux des lignes de la ban-
lieue et de Vincennes dont les voi-
tures ne seront équipées de l’inter-
communication qu’un an plus tard.
En 1890, le nombre de ses véhicules
dotés des appareils adéquats est de
424 voitures de 1
classe, 414 voi-
tures mixtes, 730voitures de 2
classe, 1098 voitures de 3
classe,
750 fourgons à voyageurs, 155 véhi-
cules accessoires de la grande vitesse,
150 fourgons à marchandises,
150wagons couverts sérieN.
Enfin, afin de couper court aux abus
que pourraient provoquer ces me-
sures, un décret réglementaire du
11août 1883 a modifié et complété
l’ordonnance de 1846, en ajoutant
aux différentes interdictions faites aux
voyageurs (interdiction de voyager
sans billet, de fumer…) édictées par
l’article 63 celle
«de se servir, sans
motif plausible, du signal d’alarme
mis à la disposition des voyageurs
pour faire appel aux agents de la
compagnie»
Bruno CARRIÈRE
Avril 2009
Historail
anneau! Un rêve! une
trouvaille!
Le détrousseur arrive.
Vous lui demandez
d’abord la permission
de frotter une
allumette-bougie et de
lire ce qu’il y a d’écrit
au-dessous du petit
triangle en verre.
– Parfaitement,
monsieur. Lisez.
J’attendrai.
Pendant ce temps-là, il
affile son couteau.
Au bout d’une minute,
vous avez compris ce
qui vous reste à faire.
Les instructions sont
précises: “Casser le
triangle en verre, tirer
sur l’anneau, ouvrir la
glace de la portière de
droite et agiter le
bras”, comme autrefois
les télégraphes
Chappe, pour donner
au conducteur une
idée de la place que
vous occupez dans le
train.
Le voleur sourit. Il tient
sa proie, il n’est pas
pressé. Il vous attend.
Vous risquez une
requête.
– Puis-je casser le petit
carreau, dites donc,
voleur?
– Certainement, ne
vous gênez pas. Ça
vous enhardit, cette
faiblesse.
– Puis-je tirer le petit
anneau, bon voleur?
– Je n’y vois pas
d’inconvénient. Allez-
y! Quel espoir!
Maintenant, à la
portière de droite!
– Puis-je ouvrir la glace
de la portière de
droite, bon voleur?
– Ma foi! Ça n’a pas
d’importance. Il fait
nuit noire.
N’importe, vous
balancez le bras dans
les ténèbres.
– Que faire,
maintenant? J’ai
accompli toutes les
prescriptions contenues
dans le carré de carton
qui est fixé sous le
carreau de verre.
– C’est fini. Le signal est
donné. Je suis obligé
maintenant de vous
saigner, car, à la fin, on
pourrait venir!…
Et couic! Vous tombez
mort ou morte sur le
marchepied du wagon
qui dévore l’espace.
(…) »
A�n de
s’opposer
à un usage
intempestif du
signal d’alarme,
les compagnies
ont multiplié les
obstacles jusqu’à
le rendre
inopérant.
(1) Notons que la Compagnie de l’Est avait complété
ce système par l’addition d’une deuxième corde
tendue du dernier fourgon au premier et
communiquant également avec un timbre ou
une cloche placé dans le fourgon.
Photorail
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
78-
Historail
Avril 2009
La question de l’intercommunication a suscité très vite
une polémique, de nombreuses voix s’élevant pour ré-
clamer l’adoption en France de l’intercirculation, large-
ment répandue outre-Atlantique. Chroniqueur spécia-
lisé, P.Clémenceau s’en fait l’écho en 1886: «
En France,
comme presque partout en Europe, on aime à voyager
isolé, dans une boîte roulante. Le système américain est
incontestablement préférable; sans être l’idéal évidem-
ment, il permet aux agents d’exercer une surveillance
constante dans toutes les voitures, et c’est seulement
lorsqu’on aura adopté les longs wagons communiquant
par un couloir les uns avec les autres qu’on pourra en
voyage dormir en paix, sans avoir à redouter qu’un mon-
sieur à allure distinguée, un chapeau melon sur la tête,
vienne vous brûler la cervelle à bout portant
» («Inter-
communication électrique des trains dans les chemins de
fer français»,
La Lumière électrique,
20 mars 1886).
Laplaiche («La sécurité en chemin de feré,
La Nature
20 février 1886) estime lui aussi que les voitures à cou-
loir pourraient être la solution au problème. Mais il craint
que les Français ne soient pas prêts à accepter cette révo-
lution: «
On sait qu’il existe deux types bien distincts de
wagons à voyageurs: le type anglais, à compartiments
transversaux s’ouvrant sur les deux côtés de la voiture,
et le type américain, à couloir longitudinal s’ouvrant sur
une plate-forme aux deux extrémités de chaque voiture
et permettant la circulation d’un bout à l’autre du train
pendant la route au moyen de passerelles qui unissent
les plates-formes. Or c’est le type anglais qui a prévalu
chez nous. Pourquoi? Probablement parce que la plu-
part des voyageurs français cherchent à s’isoler en che-
min de fer. Chez nous, chacun voudrait s’emparer d’un
compartiment tout entier pour lui seul. Au théâtre, à
l’église, aux courses, nous ne voyons aucun inconvénient
à nous installer à côté de nos semblables; mais en chemin
de fer, nous semblons les fuir instinctivement.
» Et La-
plaiche d’appeler à la rescousse Théophile Gautier pour
qui les voitures françaises «
représentent l’idéal de la ber-
line ou de la diligence
», à l’antipode donc de ce qu’elles
devraient être: «
Un train de chemin de fer
, affirme ce
dernier,
doit offrir la même accommodation qu’un stea-
mer maritime ou fluvial: c’est le steamer terrestre. Rem-
placez les voitures par des chambres communiquant en-
tre elles, d’un bout à l’autre du convoi, pratiquez dans
ces compartiments plus ou moins vastes un ou plusieurs
salons, une salle à manger, un café, une tabagie, une bi-
bliothèque, un dortoir avec des cadres comme dans les
vaisseaux. A l’extérieur de la chose, faites circuler une ga-
lerie, rendez praticable la plate-forme, ou plutôt le pont
de ce navire à roulettes, et alors seulement la locomo-
tive à vapeur sur railway aura rompu avec la vieille rou-
tine. N’est-il pas ridicule d’atteler à une file de fiacres l’ir-
résistible machine de Stephenson?
En 1888, Pierre Giffard consacre un ouvrage satirique à la
vie en chemin de fer. Il ne peut passer sous silence le dé-
bat né de la réticence des pouvoirs publics et des com-
pagnies de promouvoir les voitures à couloir. Il cite à l’ap-
pui Albert Millaud, chroniqueur au
Figaro
et partisan de
cette solution:
Cette catégorie de crimes peut ne plus exister demain,
si l’on veut. Il suffit que le gouvernement ou un député
présente une loi ordonnant aux compagnies de chemins
Débat autour de l’intercirculation et des voitures à couloir
L’une des
premières
applications de
l’intercirculation
en France sur la
ligne de
Longpré au
Tréport (1872).
Elle rend
possible la
circulation entre
compartiments,
mais pas encore
entre voitures.
Photorail
Photorail
en chemin de fer ]
de fer de modifier immédiatement leur matériel roulant
–en transformant les wagons en cars américains, c’est-
à-dire en vastes salons-omnibus, sans séparation– et en
faisant communiquer entre elles toutes les voitures, de-
puis la machine jusqu’au fourgon de bagages.
«C’est ainsi que l’on en use en Allemagne, en Suisse et en
Amérique. Les wagons sont conçus à la façon des tram-
ways. La circulation est incessante d’un wagon à l’autre et
les employés du train vont et viennent, nuit et jour. Aussi,
vous n’entendez jamais parler d’un crime ou d’un vol sur
les lignes allemandes, suisses, américaines et russes.
«II faudrait que les journaux de Paris et de la France en-
tière se missent en tête d’entreprendre une campagne
pour forcer la main aux compagnies de chemins de fer,
beaucoup plus financières que pratiques. Peut-être dé-
penserait-on quelques cinquantaines de millions pour
transformer du tout au tout le vieux matériel de nos vieux
railways, mais qu’est-ce que l’argent à côté de la sécurité
publique? Certes, on y viendra un jour, quand les assas-
sins, assurés de l’impunité, ne garderont plus aucune ver-
gogne et que chaque train emportera sa victime.
«Ce jour-là est encore lointain.
«Pour le moment, on se contentera d’inventer un nou-
veau signal d’alarme plus bête que les autres et d’appli-
quer sur certains compartiments réservés des plaques gra-
vées, ainsi conçues: “Assassins seuls”.
En fait, Giffard doute de la sincérité de Millaud. Prenant
à son tour la parole, il poursuit:
La chute est drôle, mais l’idée générale ne tient pas de-
bout. Le Français a horreur de la promiscuité, et notre
ami Albert Millaud lui-même, quand il s’apprête à mon-
ter dans le train de Chatou, par les beaux soirs d’été, se
gardera bien de prendre place dans les cars américains
qu’il nous souhaite, si on nous les impose.
«Dès qu’il apercevra un wagon-salon contenant seule-
ment huit personnes, il se sauvera, soyez-en certain.
Ne verra-t-il que quatre voyageurs dans un compartiment
ordinaire? Il les évitera et tâchera de se blottir lestement
dans un bon coin, où il aura l’espoir d’être seul, en tête-
à-tête avec une idée de pièce pour les Variétés.
«Des mots! des mots!
L’intercirculation commencera de s’imposer en France à
partir des années 1890, au lendemain de la présentation
à l’Exposition universelle de 1889, par l’Etat et le PO, de
voitures conformes à cette idée. Etait-elle perçue comme
la solution à tous les maux? Chargé de cours à l’Ecole
nationale des mines, Eugène Vicaire en doute: «
Le pu-
, écrit-t-il,
considère l’intercirculation comme le moyen
le plus efficace d’assurer la sécurité des voyageurs à ce
point de vue. Cette confiance est excessive, car on a vu se
produire des attentats dans des trains composés de voi-
tures à couloir; si les compartiments séparés donnent au
malfaiteur plus de facilités pour accomplir son crime, l’in-
tercirculation lui en donne pour le préparer, pour choisir
sa victime et pour s’échapper ensuite.
Cours de che-
min de fer
, Gauthier-Villars,1903, p. 118-119.)
Br. C.
Photorail
Photorail
A gauche,
voiture de
3
e
classe du PO
des années 1890.
Les portes
d’accès latérales
subsistent,
mais les
compartiments
clos ont disparu
et un couloir
latéral permet
de circuler de
bout en bout.
La tâche des
criminels devient
quasi impossible.
A droite,
l’ébauche
des futures
voitures à
intercirculation
modernes avec
couloir latéral
et passerelle en
bout. D’aucuns
pensent que
cette disposition
peut faciliter
la fuite des
délinquants.
Avril 2009
Historail
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
80-
Historail
Avril 2009
L
a sécurité des femmes voyageant
seules dans les trains soucia tôt
l’administration. Ainsi, l’article 32,
paragraphe 8, du cahier des charges
imposé aux compagnies en vertu de
la loi de 1845 et de l’ordonnance de
1846 sur les chemins de fer spécifie
clairement que celle-ci
«pourra exi-
ger qu’un compartiment de chaque
classe soit réservé, dans les trains de
Les compartiments
«Dames seules»
Voyager seule n’était pas toujours rassurant pour
une femme. Outre les paroles et les gestes déplacés,
elle devait affronter le sans-gêne de certains de
ces messieurs. D’où la décision catégorique prise en
1863 de mettre à leur disposition des compartiments
«Dames seules».
Photorail
en chemin de fer ]
voyageurs, aux femmes voyageant
seules»
. La précaution était d’autant
plus louable que les voitures de
l’époque offraient, avant la générali-
sation, à partir de la fin du XIX
siè-
cle, du couloir longitudinal, une suc-
cession de compartiments entière-
ment clos, sans aucune communica-
tion entre eux. La multiplication des
affaires de mœurs et des plaintes
devaient conduire l’administration à
imposer de façon formelle la créa-
tion de compartiments «Dames
seules» en 1863.
« II est question,
dit un journal,
d’obli-
ger les compagnies de chemins de fer
à tenir, dans tous les trains, des wa-
gons de diverses classes à la disposi-
tion des femmes qui désirent voyager
seules. Cette mesure, sur l’opportu-
nité de laquelle des actes fréquents
et déplorables ont appelé l’attention
de l’autorité, serait accueillie avec re-
connaissance par le public.»
Publié par le
Journal des chemins de
fer
dans son édition du 22 janvier
1859, cet entrefilet est le reflet d’une
attente bien réelle.
Certes, des mesures en ce sens ont
déjà été prises par les compagnies,
mais à leur propre initiative et de fa-
çon partielle. Le chroniqueur du
Jour-
nal des chemins de fer
s’en fait lui-
même l’écho, citant l’exemple de la
Compagnie de l’Ouest pour ses lignes
de banlieue. Elle n’est pas la première.
Ainsi, dès 1846, la Compagnie du
Nord informe son personnel qu’
«au-
tant que possible on réservera, dans
chaque train, un compartiment spécial
de 1
classe et un de 2
classe pour
les dames qui voyagent seules»
. Elle
est imitée en 1852 par la Compagnie
de l’Est qui invite ses agents à
«placer,
autant que possible, dans un com-
partiment réservé les dames voya-
geant seules»
. Une consigne sans
doute mal entendue par certains, une
nouvelle circulaire venant rappeler
deux ansplus tard que
«les femmes
doivent être constamment l’objet du
respect et des égards particuliers de
tous les agents de la compagnie»
En décembre 1860, les chemins de
fer belges, qui ont depuis peu pris le
parti de réserver
«une caisse de dili-
gence»
dans la plupart de leurs trains
pour les femmes voyageant seules ou
avec des enfants, demande à la Com-
pagnie du Nord de mettre à disposi-
tion un compartiment de 1
classe
aux dames non accompagnées em-
pruntant les trains internationaux,
principalement ceux de nuit, dirigés
Avril 2009
Historail
(1) Ordre de service n°165 du 30 juillet 1846.
(2) Circulaires n°747 du 24 septembre 1852 et n°1252 du
6 avril 1854.
Coll. J. Devoluy/Photorail
Voyager en
chemin de fer
pour les dames
de la haute
exigeait des
toilettes
adéquates.
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
de Paris vers Bruxelles et Cologne.
Celle-ci répond favorablement et,
mieux, décide d’étendre la mesure à
l’ensemble de ses trains, rappelant
qu’elle ne ferait par là que suivre
l’exemple des Compagnies de l’Ouest
et de Lyon. Chose faite à compter du
4 février 1861, une «plaquette» por-
tant la mention «COMPARTIMENT
RÉSERVÉ AUX DAMES» et attachée à
la contre-poignée des deux portières
du compartiment désigne ostensible-
ment aux intéressées l’objet de leur
désir
(3)
Pourquoi réserver ce privilège aux
seules voyageuses munies d’un billet
de 1
classe? Les pouvoirs publics,
s’engouffrant dans la brèche, s’em-
pressent de solliciter la Compagnie du
Nord en faveur des femmes seules
voyageant en 2
et 3
classes. Et, pour
couper court aux possibles objections
quant à la difficulté d’étendre la me-
sure aux voitures de 3
classe dépour-
vues de compartiments fermés, ap-
portent leur solution au problème:
«Ce but sera facilement atteint en
rendant plein un des dossiers à claire-
voie situés à l’extrémité de ces voi-
tures et en élevant ce dossier de ma-
nière à ce qu’il reste un intervalle
d’environ vingt centimètres entre sa
partie supérieure et le plafond de la
voiture.»
(4)
Relancée en 1862, la Compagnie du
Nord argue des difficultés de multi-
plier les compartiments réservés,
«source de complications fâcheuses
pour le service»
, pour justifier son
peu d’empressement à répondre à
l’attente de l’administration. Pour ce
qui est de l’aménagement des voi-
tures de 3
classe, elle reconnaît que la
dépense serait modique. Toutefois,
poursuit-elle,
«s’il s’agissait d’une
amélioration importante et sérieuse-
ment réclamée par les dames voya-
geant seules en 3
classe, nous n’hé-
siterions pas à l’adopter. Mais veuillez,
Monsieur le ministre, nous permettre
de vous faire observer que ces voya-
geurs ne seront pas plus en sûreté
dans les compartiments proposés que
dans une place quelconque des voi-
tures actuelles, disposées de telle sorte
qu’aucune inconvenance ne saurait
s’y commettre sans attirer l’attention
de tous les voyageurs».
(5)
C’est en 1863, l’administration
n’ayant jusqu’alors
«pas cru devoir
exiger l’exécution rigoureuse de la
prescription»
de l’article 32, §8, que
«autant que possible»
prend un ca-
ractère obligatoire. Trois circulaires mi-
nistérielles en édictent les principes.
La première, en date du 9 mars, in-
vite les compagnies
«à donner les or-
dres nécessaires afin qu’il soit pla-
cardé, dans toutes les gares de leurs
réseaux, des affiches apparentes an-
nonçant au public que les chefs de
gare doivent mettre à la disposition
de toute dame munie d’un billet de
ou de 2
classe qui en fera la de-
mande un compartiment de la classe
afférente à son billet de place et ex-
clusivement réservé pour les femmes
voyageant seules»
Les compagnies protestent aussitôt,
faisant
«remarquer que sur les lignes
peu étendues et où la circulation est
peu développée l’isolement des
femmes n’a, pour ainsi dire, pas d’ob-
jet; que la distribution du matériel
roulant ne permettrait pas, dans
toutes les gares, de satisfaire aux de-
mandes qui pourraient être faites, à
moins de réserver d’avance, dans tous
les trains et sur tous les parcours, des
compartiments des deux premières
classes, ce qui imposerait une grave
sujétion à l’exploitation»
. Certaines
ajoutent
«que, dans les trains mixtes,
on n’introduit souvent qu’une voiture
mixte de 1
et de 2
classes, d’où im-
possibilité de réserver des comparti-
ments sans augmenter le nombre des
voitures du train»
. Autant d’argu-
ments rejetés par le ministre qui, le
5mai, réitère sa circulaire du 9 mars,
applicable y compris sur les lignes
d’embranchement ou de faible trafic.
Opposition de courte durée car la se-
conde circulaire, en date du 26 mai,
82-
Historail
Avril 2009
Sur les lignes peu étendues l’isolement des
femmes n’a, pour ainsi dire, pas d’objet.
Illustration
du sans-gêne
de certains voya-
geurs. L’odeur
du tabac était
particulièrement
dénoncée par
ces dames.
Photorail
en chemin de fer ]
Avril 2009
Historail
donne satisfaction aux compagnies.
Elle les invite
«à préciser les lignes de
leurs réseaux sur lesquelles ladite me-
sure peut être appliquée, sans gêne
sensible pour l’exploitation, et quelles
sont celles, au contraire, qui devraient
être dispensées, quant à présent,
d’admettre des compartiments réser-
vés aux dames voyageant seules»
L’opinion publique ayant accueilli
«avec une grande satisfaction»
l’ex-
tension des compartiments réservés
aux détentrices d’un billet de 2
de nombreuses demandes sont alors
formulées à l’effet d’obtenir la géné-
ralisation de la mesure aux voyageuses
de 3
classe.
La troisième circulaire, en date du
5octobre, convie ainsi les compa-
gnies à présenter au ministre leurs
propositions pour les modifications
qu’il sera nécessaire d’apporter dans
la construction d’un certain nombre
de voitures de 3
classe,
«de manière
à y ménager des compartiments fer-
més, sans communication aucune
avec les autres compartiments»
Toutes les compagnies répondent
qu’elles prennent immédiatement
des mesures conformes à l’invitation
administrative.
L’application des circulaires de 1863
s’est traduite à la Compagnie du Nord
par autant d’ordres de service et de
circulaire:

ordre de service n°1630 du 1
mai
1863 relatif aux compartiments de
dames seules de 2
classe (pris à la
suite d’un rappel à l’ordre du minis-
tre évoquant un récent attentat à la
pudeur commis dans l’une de ses voi-
tures de 2
classe); l’ordre de service
précise que les compartiments réser-
vés seraient signalés par les mêmes
plaquettes en tôle émaillée en usage
pour les voitures de 1
classe, à dé-
faut par des écriteaux en carton;

ordre de service n°1658 du 26 jan-
vier 1864 relatif aux compartiments
de dames seules de 3
classe (rendu
effectif au 1
février); à cette date,
55 voitures ont subi la transformation
prescrite;

circulaire n°204 du 21 octobre
1864 relative aux compartiments de
dames seules de 3
classe: mise en
garde du chef de l’exploitation Pe-
tiet:
«Cette prescription n’étant pas
toujours scrupuleusement suivie, je
crois devoir rappeler qu’elle ne com-
porte aucune exception; j’ajoute qu’à
l’avenir les chefs de train seront res-
ponsables de l’exécution absolue de
la mesure et sévèrement punis pour
chaque infraction.»
Fin 1874, la compagnie du Nord rap-
pelle qu’en dépit des
«arrange-
ments»
possibles proposés par l’ad-
ministration elle s’est toujours fait un
devoir de réserver un compartiment
de 3
classe pour dames seules dans
chacun de ses trains
. Or, par suite de
l’extension de son réseau, et notam-
ment l’ouverture de lignes à faible tra-
fic, elle se voit dans l’obligation de
demander, à l’exemple d’autres com-
pagnies, des dérogations –étendues
aux trois classes– à une obligation qui
a pour conséquence d’augmenter
sans nécessité la composition de ses
Différentes affaires
portant sur l’occu-
pation illégale d’un
compartiment
«Dames seules»
par une personne
non autorisée
ont été portées
en justice.
Ainsi, en 1875, est
jugé un homme qui,
au départ de Paris, a
enlevé la plaque in-
dicative du compar-
timent pour voyager
avec deux dames
dont il ne voulait
pas être séparé.
En 1887, c’est un
voyageur qui, sur le
point de manquer
son train, a ouvert
précipitamment la
porte du comparti-
ment des «dames
seules» et s’y est in-
troduit nonobstant
les injonctions du
personnel. Plus co-
casse, en 1873, la
justice poursuit un
chef de gare qui,
sans tenir compte
de l’opposition du
chef de train, a en-
levé la plaque
«Dames seules» et
fait monter six
hommes dans le
compartiment déjà
occupé par une
femme…
Six hommes et une femme
dans un «Dame seule»
(3) Ordre de service n°1552 du 29 janvier 1861. Un arrêté
du 1
er
mars 1861 imposera aux compagnies l’obligation
de désigner ostensiblement, au moyen de plaques
appendues à l’un des panneaux, les compartiments
réservés de quelque catégorie qu’ils soient.
(4) Lettre du ministre des Travaux publics du 23 janvier
1861.
(5) Lettre au ministre des Travaux publics du 24 janvier
1862.
(6) Allusion à une circulaire ministérielle du 26 mai 1863
selon laquelle l’administration était disposée à admettre
certaines restrictions en faveur des lignes qui, en raison
d’un faible trafic, ne comportaient le plus souvent que
des trains mixtes.
Des compartiments signalés par des plaquettes en
tôle émaillée, à défaut par des écriteaux en carton.
Dossier
[ la Belle Epoque des assassins
84-
Historail
Avril 2009
Ah ! les Dames seules !
c’est assommant.
Voici une dame qui cherche les «Dames seules». Que
de lances ont été rompues dans la presse, il y a dix ans,
pour obtenir des compagnies qu’un compartiment fût
réservé dans chaque train aux dames voyageant seules!
Sage précaution, qui rend de grands services aux femmes.
Mais avez-vous remarqué que nombre de femmes voya-
geant seules s’obstinent à ne pas monter dans ce com-
partiment? Ces réfractaires sont de tous les âges, de
tous les mondes; il y en a d’élégantes, de vertueuses,
de légères, de fort spirituelles et de très niaises. Si vous
les interrogez, elles vous répondront:
– Ah! les Dames seules! c’est assommant. On n’y ren-
contre que des vieilles matrones qui jacassent sans ar-
rêter. Ou bien:
– Oh! les Dames seules! Ne m’en parlez pas. On n’y voit
que des figures en lame de couteau. Sitôt qu’une jolie
femme entre là-dedans, elle est toisée, inventoriée, par
un personnel spécial de vieilles rigoristes, de jeunes ma-
niaques qui n’auraient pourtant rien à craindre si elles
voyageaient seules avec un régiment d’artilleurs.
Doit-on conclure que la «dame seule» qui monte dans
un compartiment ordinaire vient y chercher des flirta-
tions malsaines? Que non pas! La dame seule qui ne
monte pas dans les «Dames seules» est simplement
une femme d’esprit qui connaît les faiblesses de son
sexe, et qui les fuit.
Elle ne prend les «Dames seules» que lorsqu’il lui faut
faire un trajet quotidien et court, un trajet de banlieue
par exemple, où elle est exposée à se trouver chaque
jour avec les mêmes hommes, égrillards et polissons qui
lui murmurent des saletés à l’oreille ou l’auscultent d’une
manière indécente.
– Ah! les femmes en troupe sont terribles, mais les
hommes en troupeau ne valent pas cher. Ce qu’il y a de
vilains bonshommes dans le tas, c’est effrayant!
Je tiens cette amère réflexion de jolies voyageuses qui
n’ont pas, comme on dit, froid aux yeux.
Le compartiment des «Dames seules» existe dans tous
les pays du monde. Maintenant, il n’est pas de si petit ré-
seau qui n’ait ces écriteaux:
DAMES SEULES, en France.
SIGNORA SOLE, en Italie.
LADIES ONLY, en Angleterre.
DAMEN, en Allemagne.
SENORAS, en Espagne.
KVINDER, en Danemark.
Etc.,etc.
Les deuxième et troisième classes bénéficient plus en-
core que la première de cette mesure défensive. Et cela
se comprend: plus on descend l’échelle sociale, plus la
brutalité de l’homme menace la femme, plus la femme
a besoin d’être protégée.
Pierre Giffard,
La Vie en chemin de fer,
1888, p.56-58.
Photorail
– Oh! les Dames
seules! Ne m’en
parlez pas. On
n’y voit que des
figures en lame
de couteau…
(dessin de
en chemin de fer ]
trains. Ces dérogations porteront sur la
totalité ou une partie seulement des
trains des lignes incriminées: train
mixte n°1700 de la ligne de Saint-De-
nis à Paris; tous les trains locaux de la
ligne de Pontoise à Saint-Ouen; trains
n°115, 127 bis, 114, 128 spécial di-
manches et fêtes de la ligne de Paris à
Gonesse
… Elles font l’objet de plu-
sieurs ordres de service: n°2116 du
29 janvier 1875 (
«les compartiments
pour dames voyageant seules cesse-
ront d’être réservés dans chacune des
trois classes sur les lignes et dans les
trains indiqués[…]»
); n°2132 du
28juin 1875 (
«maintien d’un com-
partiment de chaque classe sauf pour
les trains affichés»
Une mesure que François Jacqmin es-
time tout à fait justifiée:
« Sur les lignes à faible trafic, il n’y a
pas assez de voyageurs pour occuper
toutes les voitures, et en établissant
des catégories de voyageurs, on aug-
mente beaucoup le vide dans les
trains […] ;
« Trois compartiments pour les dames
seules en 1
et 3
classes, deux
compartiments pour les fumeurs en
et 2
classe, souvent un comparti-
ment dit de service pour les agents
des compagnies, surveillants, piqueurs
de la voie, gardes-freins, doua-
niers,etc. Tout cela représente à peu
près cinquante places dont les quatre
cinquièmes sont souvent inoccupées.
« L’administration supérieure a auto-
risé les compagnies à supprimer la
spécialisation des compartiments sur
les embranchements de faible lon-
gueur, et elle a ainsi diminué, dans la
limite du possible, les inconvénients
que nous venons de signaler.»
(8)
Maigre consolation, la compagnie dé-
cide, en 1875 toujours, que les com-
partiments de 3
classe réservés aux
dames seules seraient désormais
chauffés l’hiver.
(9)
En 1877, la Compagnie du Nord ob-
tient de nouvelles dérogations pour
les trains exclusivement formés de voi-
tures à couloir intérieur ou pour ceux
qui, étant composés de voitures ordi-
naires à compartiments, accomplissent
leur trajet entier pendant le jour.
En 1896, l’attention de l’administra-
tion est attirée sur le fait que les com-
partiments réservés «Dames seules»
et «Fumeurs» soient souvent conti-
gus, les premières ayant ainsi
«à sup-
porter l’odeur du tabac qui passe à
travers la cloison»
. Consigne est don-
née aux compagnies de remédier à ce
problème pour que ces compartiments
soient, autant que possible, séparés.
(10)
A en croire Pierre Giffard (
La Vie en
chemin de fer
, 1888), le risque pour
ces dames d’être importunées étant
plus grand dans les trains de banlieue
(voir encadré)
. Or ces trains étaient
précisément ceux qui bénéficiaient des
dérogations les plus nombreuses. Les
plaintes se multipliant, l’administra-
tion invite les compagnies à revoir la
composition de leurs rames en consé-
quence. D’abord ciblée –au prin-
temps 1906, suite à la plainte d’une
voyageuse, la Compagnie du Nord est
contrainte de doter ses trains ouvriers
circulant entre Paris et Gargan d’un
compartiment de 3
classe réservé aux
dames seules
«afin de les soustraire
aux inconvénients résultant de l’état
des planchers [malpropreté] et de
l’odeur du tabac»
(11)
–, la mesure est
généralisée à l’ensemble des trains de
banlieue: à partir du 15 juillet 1910
sur le réseau Nord.
De quand date la disparition des com-
partiments «Dames seules»? Difficile
de répondre avec certitude. Quelques
indices laissent à penser que ceux-ci
auraient été supprimés au cours de la
Première Guerre mondiale en raison
de la pénurie de matériel, des diffi-
cultés de l’exploitation, de la généra-
lisation des couloirs longitudinaux,
mais aussi, sans doute, des prémices
de l’émancipation des femmes.
Le 2 mars 1920, une question écrite
interpelle le ministre des Travaux pu-
blics sur les mesures que comptaient
prendre les compagnies en prévision
de l’augmentation du nombre des
voyageurs de 3
classe consécutive-
ment au relèvement des tarifs ferro-
viaires. Il est notamment demandé si
celles-ci envisageaient d’augmenter
le nombre des compartiments de
classe réservés aux dames seules.
Nous n’avons pas la réponse globale à
cette interrogation examinée le
30mars par la conférence des chefs
de l’exploitation. Seule nous est par-
venue celle de la Compagnie du Nord
qui déclare péremptoirement qu’elle
«ne rétablira pas»
les compartiments
«Dames seules»… Reste qu’en fai-
sant ouvertement allusion à ces com-
partiments, la question écrite laisse
planer un doute sur le maintien ou
non de ce type de service.
Bruno CARRIÈRE
Avril 2009
Historail
En 1920, le Nord déclare péremptoirement qu’il ne
rétablira pas les compartiments «Dames seules».
(7) Lettre au ministre des Travaux publics du 4 décembre
1874.
(8) François Jacqmin,
Traité élémentaire des chemins de
fer,
t.2, 1858, p. 171.
(9) Ordre de service n°2150 du 25 octobre 1875.
(10) Dépêche du ministre des Travaux publics du 25 avril
1896.
(11) Lettres du ministre des Travaux publics au Nord des
16 décembre 1905 et 17 février 1906.
86-
Historail
Avril 2009
Les gares de Raoul Dautry,
contribution à l’image
de marque du réseau de l’Etat
Gares
(1) Raoul Dautry, « Bâtir : mission royale »,
L’Architecture d’aujourd’hui
, 1936, p. 3.
(2) Donato Notarnicola, François Poupardin, « Un siècle d’architecture ferroviaire : le bâtiment voyageurs comme espace
de représentation urbaine des chemins de fer de 1837 à 1937 », in « Les chemins de fer dans la ville »,
Revue d’histoire
des chemins de fer
n°5-6 (AHICF), automne 1991, p. 91-126.
L’entre-deux-guerres est le témoin de la construction des dernières gares issues de
l’ère des grands réseaux. Certains travaux, notamment sur le Nord et sur l’Est, sont
une réponse aux destructions de la Grande Guerre. D’autres sont suscités par un
souci de modernisation de bâtiments ne répondant plus aux besoins de l’exploitation.
Quelques-uns, enfin, sont l’expression de l’ego de municipalités en mal de
reconnaissance.
Sur l’Ouest-Etat, exception faite des gares de La Rochelle (1922), de Rochefort
(1922), du Pont-Cardinet (1923) et de Rouen RD (1923), toutes sont contemporaines
du mandat de Raoul Dautry, directeur général du réseau de 1928 à 1937. Celui-là
même qui fustigeait le manque d’audace des compagnies au XIX
siècle : «
constructions de la plus grande industrie, celle des transports, en particulier,
écrivait-il
en 1936,
sont le témoignage le plus fréquent de notre manque de goût et de
l’absence de tout style. C’est hélas ! que nos chemins de fer sont nés à l’une des
époques les plus basses de notre architecture. Alors que l’opportunité leur était
offerte de jeter sur le pays un manteau de beauté comme l’avait fait en son temps
l’Eglise, ils n’ont créé que laideur et médiocrité
L’habileté de Dautry est d’avoir su s’attacher les services d’architectes parmi les plus
grands de l’époque, à commencer par Urbain Cassan (1890-1979), Henry Pacon
(1882-1946), Jean Phillipot (1901-1988) ou encore André Ventre (1874-1951)
Son autre grand mérite est, selon François Poupardin, auteur en 2005 d’une thèse
sur l’architecture des bâtiments voyageurs en France des origines à la Seconde Guerre
mondiale, «
est d’avoir reconnu le rôle esthétique de l’architecte sans restreindre
cette compétence à son domaine d’intervention traditionnel, le bâtiment opposé à la
halle, comme c’était le cas au siècle précédent. La gare de l’entre-deux-guerre prend
de ce fait une nouvelle unité : la halle disparaît des données du programme pour être
remplacée par des abris de quai. L’architecte devient alors l’acteur principal du projet
tandis que l’ingénieur n’intervient que dans les calculs des structures
Avril 2009
Historail
Trouville-Deauville
ALVADOS
Jean Phillipot
Dreux
URE
P
aul-Louis Genuys
Photos Photorail
Gares
[ les gares de Raoul Dautry, cont
ribution
88-
Historail
Avril 2009
Dinan
ORD
RMOR
Georges-Robert Lefort
Cherbourg-Maritime
ANCHE
)
René Levasseur
Photos Photorail
Avril 2009
Historail
à l’image de marque du réseau de l’Etat ]
Saint-Brieuc
ORD
RMOR
Jules Touzard
Saint-Lo
ANCHE
)
Photos Photorail
Gares
[ les gares de Raoul Dautry, cont
ribution
90-
Historail
Avril 2009
Brest
INISTÈRE
Urbain Cassan
Versailles-Chantiers
EINE
VELINES
André Ventre
Photos Photorail
Avril 2009
Historail
à l’image de marque du réseau de l’Etat ]
Chartres
URE
OIR
Henri Pacon
Le Havre
EINE
ARITIME
Henri Pacon
Photos Photorail
Gares
[ les gares de Raoul Dautry, cont
ribution
92-
Historail
Avril 2009
Caen
ALVADOS
Henri Pacon
Vanves-Malakoff
EINE
AUTS
EINE
Jean Phillipot
Photos Photorail
Avril 2009
Historail
à l’image de marque du réseau de l’Etat ]
Bois-Colombes
EINE
AUTS
EINE
Urbain Cassan
Meudon
EINE
AUTS
EINE
Jean P
hillipot
Photos Photorail
Gares
[ les gares de Raoul Dautry, cont
ribution
94-
Historail
Avril 2009
Bellevue
(Seine-et-Oise/Hauts-de-Seine)
André Vent
re
Chaville RG
EINE
AUTS
EINE
Henri Pacon
Photos Photorail
Avril 2009
Historail
à l’image de marque du réseau de l’Etat ]
Maine
EINE
Henri P
acon
Le Havre
EINE
MARITIME
Urbain Cassan
Photos Photorail
Collection Pierre Tullin
96-
Historail
Avril 2009
N
ous avons en main un petit livre,
Dogme, morale et culte. Le Ca-
téchisme des familles
, signé de l’abbé
Rabet-Vanblotaque, du diocèse de Pa-
ris, et de l’abbé Villeneuve, du dio-
cèse d’Auch. Vendu chez ce dernier
ou diffusé à Paris par la Librairie des
catéchismes, 10, rue de Mézières,
l’ouvrage de 925 pages se présente
comme une
«nouvelle édition revue,
corrigée et augmentée»
dont l’im-
primatur de l’archevêque de Bor-
deaux, le cardinal Lecot, date du
28novembre 1907. Ce catéchisme,
relevant du 5
mille, semble donc avoir
connu un certain succès.
En fait, il avait commencé par paraître
en partie sous la forme de petites bro-
chures éditées à partir de 1903 par la
librairie A.Saintignon de Mont-de-
Marsan, sous la signature du seul
abbé Rabet-Vanblotaque
: plus fa-
ciles à lire qu’un livre –
« Les intelli-
gences, anémiées, ne supportent plus
les livres»
–, moins coûteuses et pou-
vant servir de
«récompense à la fin
du mois aux enfants studieux, au lieu
d’une image qu’ils laissent dans l’ou-
bli»
. Tels étaient les atouts de ces bro-
chures d’une cinquantaine de pages.
L’originalité du livre qui leur succède
est double. Au plan littéraire, d’abord,
les auteurs revendiquent l’invention
de nombreuses paraboles à l’instar de
Jésus-Christ:
«Sine parabolis, non lo-
quebatur»
, peut-on lire dans l’Evan-
gile de Matthieu (XIII, 34); mais elles
seront très fréquemment puisées dans
le registre très matérialiste des
«le-
çons naturelles de choses»
, cet en-
seignement scolaire d’inspiration po-
sitiviste en plein essor. Au plan
iconographique, ensuite, l’ouvrage of-
frant de très nombreuses illustrations
qui, aux traditionnelles images pieuses
des catéchismes, mêlent des vignettes
tirées des manuels de leçons de
choses de l’époque. Cet inédit et fort
insolite rapprochement, qui s’est ré-
vélé très efficace, motive les
appro-
bations
reproduites en tête de ce nou-
veau catéchisme.
«L’originalité de la
méthode suivie pour faire compren-
dre aux plus humbles les vérités de
notre foi m’a beaucoup frappé et je
n’hésite pas à donner tous les encou-
ragements à des travaux aussi inté-
ressants et aussi sûrs»
, écrit le cardinal
Lecot, archevêque de Bordeaux. De
son côté, l’évêque de Dax applaudit
à une
«méthode aussi ingénieuse
qu’attrayante»
« Les nombreuses
images rendent la vérité plus facile à
saisir: et, si les livres de classe sont
illustrés, il convenait de puiser, comme
vous l’avez fait, dans les dessins don-
nés par l’Eglise elle-même à travers
les siècles pour faciliter l’étude du ca-
téchisme»
, renchérit l’archevêque
d’Auch.
Nous avons relevé les nombreuses
évocations, voire démonstrations, ins-
pirées par les chemins de fer, les lo-
comotives ou les voyages en train, sur
le mode allégorique ou symbolique
privilégié…
Pourquoi le Saint-Esprit
est-il nommé le meilleur
des consolateurs?
« Voyez ces deux voyageurs. En de-
hors de l’heure des trains, ils peuvent
monter sur leur
sail-car
(char à voile),
toléré en Amérique, mais les compa-
gnies n’assument aucune responsa-
bilité en cas d’accident. Si le vent est
contre eux, ils doivent pousser péni-
blement à la main pour faire quelques
pas; mais, quand le vent leur est fa-
vorable, il enfle la voile, et, durant ce
temps, nos voyageurs avancent rapi-
dement et se reposent; lorsque le
Cette nouvelle édition du Catéchisme des familles,
publié en 1907 avec l’imprimatur de l’évêque
de Bordeaux, recourt à de nombreuses paraboles
et illustrations d’inspiration ferroviaire…
Curiosité
Catéchisme
et chemins
de fer: l’œuvre édifiante
de deux abbés gascons
Avril 2009
Historail
souffle propulseur tombera, ils re-
commenceront la manœuvre. Ainsi
en est-il de nous, quand le Saint-Esprit
remplit notre âme de ses consolations.
Acceptons ce bienfait avec recon-
naissance, profitons de son souffle
tant qu’il lui plaira de nous secourir»
(p.236-237).
La mort sans bagages
« Si nous voyons passer un cortège
funèbre, c’est une voix qui nous crie:
aujourd’hui, c’est mon tour, demain
ce sera le tien. En prenant un billet de
chemin de fer, rappelons-nous qu’au
jour où la mort recevra l’ordre de nous
donner un ticket pour l’autre monde,
il faudra laisser là nos bagages; nous
n’emporterons que nos œuvres. Au-
rons-nous le temps de prendre le
Saint-Viatique? Le train part au mo-
ment où l’on y pense le moins. Les
morts imprévues sont si fréquentes!»
(p.349).
Pourquoi est-il nécessaire
de nous associer à la prière
commune de l’Eglise?
« Dans l’ordre matériel, l’union fait la
force. Un peu de vapeur sortant d’une
eau en ébullition n’a aucune force;
mais si on la renferme dans un réci-
pient, à raison de son élasticité, on
peut l’employer comme un moteur
puissant, au point, par exemple, de
lui faire traîner un nombre incalculable
de wagons d’une énorme pesanteur»
(p.423).
Préservation des dangers
Ce dessin représente la disposition
grâce à laquelle les piétons égarés sur
la voie des funiculaires, en Amérique,
sont cueillis délicatement, couchés
Illustrations Collection Georges Ribeill
Curiosité
[ catéchisme et chemins de fer:
dans un filet et mis, sans douleur au-
cune, hors de tout danger. Dans sa
charité infinie, l’Eglise est toujours
prête à recueillir ses enfants, petits et
grands, quand le danger menace leur
âme, et, les pressant sur son sein, elle
les préserve de la mort éternelle
(p.512).
Est-il dangereux de résister
à la Grâce?
« Oui, surtout si on a le malheur
d’être en état de péché mortel. La
Grâce de Dieu prévient et accom-
pagne chacun de nos actes; il ne faut
ni la négliger, ni la dédaigner. Un em-
ployé de chemin de fer, averti par la
sonnerie électrique, fait la sourde
oreille; sa résistance sera cause de la
rencontre de deux trains, des morts,
des blessures, des avaries,etc. De
même, si on ne répond pas à l’appel
de Dieu, on risque de tomber dans le
péché mortel et d’y faire tomber plu-
sieurs autres âmes» (p.700).
Qu’est-ce que la prière?
« La prière est une élévation de nos
cœurs vers Dieu, pour l’adorer, lui ex-
poser nos besoins, lui demander ses
grâces et le remercier de ses bienfaits.
(…) A Marseille, c’est l’ascension
continuelle, à Notre-Dame de la
Garde, des fidèles qui vont prier la
bonne Mère et qui redescendent à
leur travail, théorie incessante de ceux
qui demandent des grâces; s’ils n’ob-
tiennent pas toujours ce qu’ils de-
mandent, du moins, sont-ils plus rési-
gnés à leur sort, ce qui vaut souvent
mieux que les transports les plus su-
blimes de la contemplation» (p.703-
Qu’est-ce que le don
de science?
« La science humaine est comme la
vapeur
: elle est très utile si elle est
bien réglée, mais très dangereuse si
elle ne l’est pas. Si un mécanicien
intelligent nous dirige bien, nos
wagons pourront être entraînés
en toute sécurité; sinon, nous
pourrions dérailler et marcher à
l’abîme» (p.769).
Ne peut-on comparer
les sacrements au chemin
de fer?
« 1°) La vie est un voyage, il faut
prendre son
billet
, qui donne droit
à tout le parcours dans la direction
demandée, et monter. Ce billet
nous rappelle le
baptême
nous confère ce droit indispensa-
ble: il nous donne place dans
l’Eglise, qui doit nous porter au
Ciel.
«2°) Une fois parti, le train s’accé-
lère; il faut mettre du
charbon
dans le
foyer pour avancer rapidement, et,
parmi les ravins et les collines, on
marche toujours à la même vitesse.
Ainsi, la
confirmation
confère la
Grâce, c’est-à-dire les forces d’en
haut, accélère notre marche et nous
fait avancer dans la perfection mal-
gré tous les obstacles.
« 3°) Sur la route, surtout si elle est
longue, il faut des provisions en at-
tendant qu’on soit rendu à destina-
tion. Pour l’âme, la
Sainte-Eucharistie
est nécessaire: on l’appelle “le pain
des enfants, la nourriture des voya-
geurs“,
factus cibus viaiorum
« 4°) Mais il peut arriver des avaries
à la machine, un accident survient, le
train déraille; il faut une réparation.
Ainsi, pour nous, la nécessité de la
pé-
nitence
, qui opère sur nos âmes bri-
sées, tombées dans le péché, et les
remet en état de continuer la route
vers le Ciel.
«5°) Puis on approche du terme, c’est
l’heure du
contrôle
; il faut se mettre
en règle et montrer son ticket. Ainsi,
Extrême Onction
dispose notre âme
au dernier passage avant d’arriver au
point terminus, le Paradis.
6°) Sur le train, il faut un
mécani-
ayant fait ses preuves et connais-
sant la voie à suivre. Le sacrement de
l’Ordre fournit à nos âmes des direc-
98-
Historail
Avril 2009
Illustrations Collection Georges Ribeill
Avril 2009
Historail
teurs instruits, toujours à notre dispo-
sition pour ce qu’il nous importe de
savoir ou de faire pour arriver au but.
« 7°) Enfin, en voyage, il en est qui
n’aiment pas être
seuls
, ils ont besoin
de la société des hommes pour faire
plus agréablement le trajet. Le sacre-
ment du
Mariage
adoucit les fatigues
de la vie en donnant aux âmes la
grâce de se supporter mutuellement.
Hélas! combien de nos frères sépa-
rés n’ont conservé que le baptême: ils
ne prennent que le ticket; cela suf-
fit-il pour arriver au but?» (p.736).
A côté de ces évocations, on trouve
aussi des recommandations utiles
dans la vie pratique, par exemple lors
de voyages en chemin de fer. Où l’on
découvre le châtiment divin qui frappe
fréquemment ceux qui oublieraient
leur devoir dominical: attention aux
trains du dimanche!
Comment acquérir,
conserver, augmenter,
affaiblir, perdre et recouvrer
la Grâce sanctifiante?
« On augmente la Grâce par la prière,
les bonnes œuvres et la pratique des
vertus. La locomotive marchera,
pourvu qu’on entretienne la provision
d’eau et de charbon. Entretenons en
nous par la prière et les sacrements,
les forces surnaturelles, et nous mar-
cherons vers la perfection» (p.695).
Quand faut-il faire le signe
de la croix?
« Le signe de la croix est une arme
défensive contre les tentations, un
préservatif efficace contre les maux
temporels et spirituels. (…) Ainsi,
nous placerons chacune de nos prin-
cipales actions sous la protection de
la croix. Partant en voyage, traçant le
premier sillon, ouvrant un magasin,
avant que le wagon ne s’ébranle,
avant de faire des achats au début
d’un travail quelconque, le bon chré-
tien ne rougit pas de faire son signe
de croix: ainsi, son acte devient la
propriété de Dieu et reçoit sa béné-
diction» (p.157).
«Il faut bien que jeunesse
se passe.»
Nous sommes
toujours à temps de songer à
la mort
« Je réponds qu’il ne suffit pas de cou-
rir, il faut partir à temps. Vous prenez
tranquillement une consommation au
café de la gare: ce n’est pas une
faute. Mais vous savez le moment du
départ, vous avez l’heure sous les yeux
et vous vous dites: il faut que la soif
passe. Pendant ce temps, le train est
en vue, il ne va rester qu’une minute
en gare. Vous êtes un imprudent d’at-
tendre le dernier instant. Cependant,
si vous le manquez, vous avez la res-
source de prendre le train suivant:
tandis que la mort ne fait qu’une vi-
site, aussitôt après, le jugement com-
mence; et, après le jugement, vient
l’éternité. C’est de la démence de la
risquer pour un plaisir d’un moment»
(p.350-351).
Dans quelles dispositions
devons-nous monter en
chemin de fer?
« Il est fort utile de faire son acte de
contrition. Combien n’y songent pas
et trouvent la mort là où ils allaient
chercher le plaisir. Voyez encore ce
train tombé par les fenêtres de la gare
Montparnasse, le 22 octobre 1895.
Les voyageurs avaient-ils lu cette page
du cardinal Pie?
“Dans ce siècle, le
génie humain a enfanté des pro-
diges: l’homme, émule du Tout-Puis-
sant, a fait les vents ses messagers, et
le feu dévorant son ministre. Sous les
pas brûlants de ces nouveaux cour-
siers, les distances s’effacent. Mais
l’homme est effrayé lui-même, le pre-
mier, des forces terribles qu’il met en
jeu. Il tremble devant l’œuvre de ses
mains. Qui peut lui assurer que la
mort ne sortira pas de cette fournaise
volcanique? Il alimente les flancs de
l’ouragan impétueux qu’il promène
et qu’il se flatte de gouverner.”»
(T.I,
p.33).
On conseille de s’engager dans l’ar-
chiconfrérie de Notre-Dame des Voya-
geurs, établie dans l’église de Capde-
nac (Aveyron)
(2)
On y prend
«la résolution de faire le
signe de la croix lorsque le wagon
l’œuvre édifiante de deux abbés gascons ]
Curiosité
s’ébranle et de ne pas voyager le di-
manche»
. Sa Sainteté Léon XIII a
enrichi cette belle œuvre d’indul-
gences, par un bref spécial du 9 juil-
let 1894. Les preuves éclatantes de
la protection de Marie sur ceux qui
prennent ces précautions surabon-
dent (p.355-356).
Le dimanche doit être
réservé au repos et
à la prière et non pas aux
voyages en chemin de fer
« La terrible catastrophe de la ligne
de Versailles [8 mai 1842], où périt
l’amiral Dumont-d’Urville avec plu-
sieurs centaines de personnes brûlées
vives et dont le souvenir est rappelé
par une petite chapelle dédiée à No-
tre-Dame des Flammes, est arrivée un
dimanche. La rencontre de deux
trains, qui fit un si grand nombre de
victimes, sur la ligne de Lyon à Saint-
Etienne, le 1
mars 1845, est arrivée le
dimanche. La catastrophe de Saint-
Mandé [26 juillet 1891] où périrent
50 personnes et qui fit plus de
150victimes: un dimanche. L’acci-
dent du 12 juillet, sur la ligne du Nord
à Paris [1891, Pont Marcadet]: un di-
manche [2 tués]. L’accident de Moen-
chenstein [près de Berne, 14 juin
1891] qui fit 120 victimes: un di-
manche. L’accident de Groenendael
[3 février en 1889, ligne de Bruxelles à
Namur], encore présent à la mémoire
de tous en Belgique: un dimanche.
L’accident du 3 septembre 1882 à
Fribourg [près de la station de Hugs-
tetten, sur la ligne badoise reliant Col-
mar à Bade]: déraillement où 60per-
sonnes furent tuées et 150blessées:
un dimanche. La catastrophe du
28décembre 1879, au pont de la Tay,
la plus terrible de toutes (200 vic-
times): un dimanche. Celle de Pont-
de-Cé, un train dans la Loire (4 août
1907): un dimanche.
« Que l’on recherche dans les archives
des chemins de fer pendant vingt ans,
et l’on verra que le nombre des acci-
dents du dimanche est infiniment plus
grand que celui des autres jours. Nous
donnons ici le tableau des accidents
du dimanche d’après le
Génie civil
, le
plus complet des journaux industriels
« Ce qu’il y aurait de plus pratique,
ce serait d’augmenter, le dimanche,
le prix des voyages, comme on parle
d’augmenter la taxe des lettres, pour
donner aux employés des postes le
repos dominical auquel ils ont droit;
au lieu de le diminuer, comme on le
fait, pour favoriser le plaisir.
« La morale y gagnerait, chacun res-
tant dans le cercle des relations intimes
et calmes de la famille: l’observation
des commandements de Dieu procu-
rerait un grand bien à tous, et les em-
ployés des compagnies, moins surme-
nés, ne s’en plaindraient pas
davantage. Le dimanche est fait pour
eux, comme pour tout le monde. Eux,
comme les autres, ont un Dieu à servir,
une âme à sauver et le Ciel à gagner.
« Depuis l’origine de la malheureuse
guerre de 1870, a-t-on remarqué que
les mauvaises nouvelles sont tombées
sur nous comme des coups de fou-
dre presque toujours le dimanche?
(…) Si nous approfondissons l’histoire,
nous voyons que la profanation du
dimanche est pour quelque chose
dans les événements politiques d’un
pays. Dieu se joue des princes comme
le vent d’un simple fétu de paille»
(p.470-472).
Les révélations de nos deux abbés
quant au risque encouru en prenant le
train le dimanche, accréditant ainsi le
principe d’un châtiment divin, pour-
raient néanmoins être interprétées très
différemment par de bons esprits…
Voilà en effet, pourraient-ils avancer,
cinq bonnes raisons objectives qui ren-
dent moins sûre l’exploitation ferro-
viaire le dimanche:

du point de vue trafic, ce jour-là,
sont mis en circulation des
trains de
plaisir
ou, en raison de l’affluence,
des
trains supplémentaires
, toutes
circulations exceptionnelles et plus
nombreuses…

ce jour-là, en raison du congé
octroyé à de nombreux agents, les
effectifs sont très réduits…

ce dernier jour de la semaine, les
agents accusent la fatigue accumulée
depuis le lundi précédent!

durant ce jour férié pour beaucoup,
les esprits des agents sont en partie
tournés ailleurs, un peu moins absor-
bés par leurs tâches, un peu plus dis-
traits en pensant à leur famille restée
au foyer;

enfin, faute de pouvoir satisfaire à
leur devoir religieux dominical, pleins
de remords, voire de culpabilité, cer-
tains agents peuvent être tourmen-
tés, au détriment de leur attention re-
quise à tout instant!
Georges RIBEILL
(1) Livraison n°15, L’Extrême-
Onction, librairie Saintignon, 1904,
Mont-de-Marsan.
(2) Nouvelle église de Capdenac,
construite à partir de 1899, dont un
célèbre vitrail est consacré à Notre-
Dame des Voyageurs.
(3) Nous avons cherché en vain dans
les tables annuelles du
Génie civil
des
comptes-rendus systématiques ou des
statistiques d’accidents de chemins
de fer.
100-
Historail
Avril 2009
Illustrations Collection Georges Ribeill
Nom: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Prénom: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Adresse: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Code postal: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Ville: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Tél.: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .E-mail: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Historail avril 2009
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au lieu de 138,60
100%
Train
102-
Historail
Avril 2009
L
e 17 janvier 1908, Maurice Ber-
teaux, maire de Chatou et député
radical-socialiste de Seine-et-Oise, in-
terpelle les membres du gouverne-
ment sur les événements qui se sont
produits le vendredi 3 janvier en gare
Saint-Lazare.
« Messieurs, vous vous rappelez ce
qui s’est passé le 3 janvier à la gare
Saint-Lazare. Il y eut dès le matin des
retards effroyables. A sept heures et
demie, le premier train transportant
des ouvriers arrivait en gare: en proie
à une surexcitation bien compréhen-
sible, ces travailleurs, qui allaient une
fois de plus encourir les reproches de
leurs employeurs, se précipitèrent du
côté du cabinet des chefs de gare; ils
demandent des bulletins de retard.
La compagnie les refuse sous pré-
1908, la gare Saint-Lazare
Le 13 janvier dernier, suite à un arrêt de travail
spontané des conducteurs pour répondre à
l’agression de l’un des leurs, la SNCF a pris le parti
de fermer la gare Saint-Lazare pour éviter tout
débordement. Dix jours plus tard, le 23 au soir, un
«accident de personne» ayant provoqué une
nouvelle interruption de circulation, plusieurs milliers
de voyageurs, excédés par des mois de grèves
tournantes et de trafic perturbé, ont laissé exploser
leur colère. Une impression de déjà-vu qui remonte à
l’année… 1908! Il y a plus d’un siècle, donc.
Clin d’œil
La gare Saint-Lazare au début
du siècle dernier. Les rames de
banlieue font encore largement
appel aux voitures à impériale.
Photorail
Avril 2009
Historail
texte qu’ils sont trop. Parce qu’il y a
trop de voyageurs mis en retard, la
Compagnie de l’Ouest refuse de leur
délivrer les bulletins qui justifieront
de ce retard!
«Aussi, les manifestants prennent-ils
le parti de rester à la gare Saint-La-
zare. Ils se bornent tout d’abord à des
cris. Mais, à huit heures et demie, ar-
rive un train de Saint-Germain; les
voyageurs qui en descendent, exas-
pérés par la lenteur avec laquelle ce
train a accompli le trajet, s’en pren-
nent –d’ailleurs tout à fait à tort– aux
malheureux mécanicien et chauffeur
qui n’en peuvent mais, et se mettent
à les invectiver. Quelques-uns, plus im-
patients que les autres, font mine de
monter à l’avant de la machine.
« Le mécanicien et le chauffeur doi-
vent se défendre avec la pelle à char-
bon, avec le tisonnier. Survient un chef
de gare adjoint avec un certain nom-
bre d’employés; ils cherchent à les
dégager. La foule s’en prend alors à
ce chef adjoint, le malmène, le bous-
cule. Il est obligé de se réfugier dans
les bâtiments de la gare pendant que
les manifestants se précipitent sur la
plate-forme des grandes lignes, bri-
sent les bancs et cassent les carreaux,
quelques-uns se font même, avec des
parapluies, des torches improvisées et
les promènent contre les boiseries.
« Puis on se précipite du côté du cabi-
net du commissaire de surveillance ad-
ministrative; on y trouve un voyageur
assis à la table de ce fonctionnaire; il
était en train de rédiger une protesta-
tion. Mais la foule des manifestants se
trompe; elle le prend pour un employé
de la compagnie; elle s’en prend à lui,
et le malheureux, laissant là inachevée
la protestation qu’il était en train de
rédiger, est trop heureux de s’enfuir,
après avoir été quelque peu malmené.
« La compagnie fait appel à la police.
Des gardiens de la paix arrivent en
masse. Ils parviennent à déblayer la
plate-forme et les quais de la gare
Saint-Lazare. Mais les manifestations
se poursuivent dans la salle des pas
perdus et des théories de voyageurs
de l’Ouest s’en vont jusque sur les
boulevards aux cris de: “Rachat!
Conspuez l’Ouest!”.»
La presse, qui s’est fait l’écho des évé-
nements, apporte quelques précisions
supplémentaires. Les retards se succè-
dent de 7h30 à 10h. A l’attente insup-
portable en pleine voie, sont venus se
greffer les effets d’une température
glaciale. Quelque 3000 manifestants
se demandent
«si on allait continuer
encore longtemps à se moquer d’eux,
à les “brouetter” d’aussi singulière fa-
çon»
Le Petit Parisien
, 4 janvier 1908).
Seul l’afflux massif des réclamations a
contraint les agents, débordés, à in-
terrompre la distribution des certifi-
cats, l’argument déclencheur des pre-
miers incidents:
«Les voyageurs se
livrèrent alors à de violentes manifesta-
tions; ils se mirent à conspuer la Com-
pagnie de l’Ouest et ses employés,
puis, passant des paroles aux gestes, ils
brisèrent tous les bancs qu’ils trouvè-
rent sur les quais et sur la plate-forme
des grandes lignes. Les vitres tombè-
rent sous les coups de canne des ma-
nifestants et l’un de ceux-ci, mettant le
feu à son parapluie grand ouvert, cher-
cha à incendier les boiseries»
Le Petit
Journal
, 4 janvier 1908). D’autres ra-
massent des cailloux, s’emparent de
boulons et se mettent à en bombarder
les bureaux:
«En un clin d’œil, les vi-
tres volèrent en éclats; les agents de la
compagnie qui tentèrent de s’interpo –
ser furent fortement houspillés. Une
tige de fer s’abattit sur la table du chef
de gare principal, M.Foucaud, qui au-
rait reçu ce projectile sur la tête s‘il
avait été là»
Le Petit Parisien
L’arrivée du train en provenance de
Saint-Germain-en-Laye avec un retard
d’une heure et demie attise le vent de
révolte. Se succèdent les épisodes du
aux mains
des émeutiers
Le mécanicien et le chauffeur doivent se défendre
avec la pelle à charbon et le tisonnier.
Aux approches
de Paris-Saint-
Lazare, la gare
des Batignolles
(Pont-Cardinet)
est envahie
par les ouvriers
et employés qui
constituaient
alors le principal
contingent
des voyageurs
de banlieue.
Photorail
Clin d’œil
[ 1908, la gare Saint-Lazare aux mains
mécanicien et de son chauffeur pris à
partie par la foule et de l’occupation
du bureau du commissaire de surveil-
lance administrative:
«Un agent d’as-
surances ayant une plainte à formu-
ler avait été installé à un bureau par
un employé et, par lettre, il exposait
ses griefs quand des manifestants en-
trèrent dans le cabinet, le prirent pour
le commissaire et se mirent en devoir
de le houspiller d’importance.»
Le commissaire spécial de police de la
gare, Leroy, cherche alors à rétablir le
calme en persuadant quelques mani-
festants à le suivre dans son bureau
afin de rédiger une pétition adressée
au ministre des Travaux publics. En
voici le texte:
Nous protestons énergiquement
contre les retards journaliers appor-
tés dans le service de la compagnie.
104-
Historail
Avril 2009
Depuis plusieurs années, les voyageurs de la banlieue
Saint-Lazare étaient en butte à des retards continuels.
Les plaintes affluaient, d’autant plus nombreuses que les
ouvriers et employés étaient particulièrement lésés par
cette situation. Chaque retard faisait l’objet d’une retenue
sur salaire et, plus grave, pouvait conduire au licencie-
ment. Pour preuve, cet avertissement adressé par une
grande maison de dentelles, crêpes et tulles de la rue du
Quatre-Septembre à l’un de ses employés habitant Le
Pecq: «
Monsieur, nous vous confirmons notre entretien
de ce matin au sujet des retards consécutifs qui vous sont
arrivés. Vous avez allégué que ces retards étaient imputa-
bles à la Compagnie de l’Ouest; nous le regrettons pour
vous et nous tenons à vous dire qu’à la première récidive
nous serons obligés de nous priver de vos services.
» Cer-
taines entreprises exigeaient même de leurs salariés qu’ils
quittent la banlieue pour venir habiter dans Paris. Le pire
était que les victimes n’avaient aucune possibilité de se re-
tourner contre la compagnie, une clause des cartes
d’abonnement stipulant qu’elle n’était nullement tenue
responsable en cas de retard ou de suppression des trains.
Les fonctionnaires eux-mêmes n’étaient pas à l’abri, es-
suyant réprimandes et privations de gratification. Tout
comme d’ailleurs les agents de la compagnie, enjoints de
se débrouiller pour arriver à l’heure!
En décembre 1907, les retards atteignirent des proportions
ubuesques. Le 16, les trains venant de Versailles accusè-
rent quatre heures de retard et plus. Un voyageur de Sèvres
affirma avoir vu «
de malheureuses femmes qui allaient
livrer leur ouvrage, marchant sur la voie, chargées de gros
paquets, dans le seul but de gagner un train ou deux
Les mêmes désagréments se renouvelèrent les 17 et 23 dé-
cembre et le 1
janvier 1908. Outre les retards, les voya-
geurs avaient à affronter les rigueurs du froid. Un habi-
tué de la ligne d’Epône à Plaisir-Grignon et aux Invalides,
monté à Nézel, résuma la situation en ces termes: «
Les
bouillottes, qui étaient déjà froides à Nézel, étaient complè-
tement gelées en arrivant à Paris. Nous avons cruellement
souffert du froid; j’y ai gagné un splendide rhume. […]
Pour quarante kilomètres à faire, nous avons mis plus de
trois heures. On irait plus vite avec un fiacre à galerie.
Le 17 décembre 1907, un déraillement ayant entraîné l’in –
terception des deux voies principales avait été à l’origine
de l’interruption momentanée du service, provoquant un
premier mouvement d’humeur des voyageurs, abandon-
nés à leur sort en rase campagne pendant plus d’une
heure sans aucune information sur les raisons de leur infor-
tune. Le 3 janvier 1908, une nouvelle perturbation, provo-
quée par la rupture entre Asnières et Paris de fils de si-
gnaux sous l’effet du gel, suscita cette fois-ci une flambée
de violences en gare Saint-Lazare. La compagnie chercha
aussitôt à minimiser l’incident, en adressant à la presse
un communiqué faisant état de «
quelques bris de vitres et
de bancs sur les quais d’arrivée de la gare
» et d’un petit
nombre d’arrestations. Elle promit aussi que, dorénavant,
elle apposerait des affiches jaunes au-dessus de chaque
guichet pour prévenir des retards et des affiches blanches
encadrées de rouge pour renseigner en cas d’accident…
Le rapport du contrôle se montra plus sévère. II fit remar-
quer que «
les retards survenus dans la matinée du 3 jan-
vier n’auraient cependant pas suffi, selon toute vraisem-
blance, à provoquer les protestations violentes qui se sont
manifestées, s’ils avaient présenté un caractère excep-
tionnel. Mais les retards considérables qui se sont pro-
duits à plusieurs reprises depuis trois semaines ont pro-
gressivement contribué à exaspérer les habitants de la
banlieue que leurs occupations appellent journellement
à Paris et qui ne peuvent plus compter en fait sur la régu-
larité des horaires
».
Dans son édition du 4 janvier,
Le Figaro
jugea «
véritable-
ment injuste
» la fureur du public contre la compagnie, es-
timant qu’il valait mieux encore arriver en retard que de
subir un déraillement ou un tamponnement meurtrier.
Selon lui, le problème était ailleurs: «
Menacée par le ra-
chat, la compagnie ne peut, jusqu’à nouvel ordre, conti-
nuer les réformes et les améliorations qu’elle avait l’in-
tention de faire et qu’elle eût faites déjà si elle avait été
fixée sur son sort. Les sacrifices passés qu’elle a consentis
pour la commodité des voyageurs de banlieue surtout lui
mériteraient plus d’indulgence.
» L’assertion n’était pas
fausse. En 1904, déjà, un rapport avait mis en garde la di-
rection contre la politique visant à réduire les crédits néces-
saires à l’entretien des locomotives. Une option qui, avait
prophétisé son auteur, «
aura pour conséquence de nous
forcer à renoncer à une remise en état suffisamment com-
plète du matériel, opération qui nous paraît s’imposer et,
Une colère prévisible
Avril 2009
Historail
Les retards se chiffrent par trente et
quarante-cinq minutes chaque jour et
à chaque train.
« Les gares de banlieue ne sont pas
prévenues de ces retards et ne peu-
vent en aviser le public.
« Les trains ne sont pas chauffés suf-
fisamment. Les violences commises
ce matin se renouvelleront fatalement
car l’exaspération des voyageurs est
au comble. Nous avons pu le consta-
ter et nous sommes les premiers à dé-
plorer de tels excès qui n’avancent à
rien et qui ne pourront que nuire à la
cause que nous défendons.
« C’est pourquoi nous prions le mi-
nistre des Travaux publics d’agir au-
près de la compagnie pour obtenir
d’elle une plus grande régularité dans
ses services.»
Suivent les noms des signataires: Tou-
des émeutiers ]
dans ces conditions, il faut craindre de voir se produire
des plaintes du public sur la banlieue principalement
De fait, la compagnie n’avait cessé d’imputer les difficul-
tés qu’elle rencontrait à l’insuffisance numérique et au
manque de puissance de ses machines de banlieue:
construites pour remorquer 15 voitures, elles en tractaient
24. Elle dénonçait aussi les actes de malveillance dont elle
se croyait la cible: vols de fils, détérioration de si-
gnaux,etc., corroborant par là les rumeurs d’actes de sa-
botage. N’était-elle pas devenue, selon certains, un re-
paire d’anarchistes? Mais d’autres voix s’étaient élevées
pour dénoncer un stratagème visant à faire supporter la
responsabilité des retards au petit personnel.
Le 17 janvier 1908, l’affaire fut portée devant la Chambre
à la demande du député Maurice Berteaux, qui, au terme
d’un long débat, adjura le ministre des Travaux publics
d’imposer à la compagnie qu’elle prenne immédiatement
un certain nombre de mesures, au nombre desquelles
l’augmentation de son personnel partout où il faisait dé-
faut, le rétablissement des primes d’exactitude pour les
mécaniciens, l’achat de charbon de meilleure qualité, la
location de machines auprès des autres compagnies, la
délivrance de certificats à tous les voyageurs en cas de
retard d’une certaine importance, la possibilité pour les
abonnés de pouvoir se retourner contre la compagnie,
la création d’une direction banlieue spécifique telle
qu’elle existait toujours en 1900.
Qu’en fut-il? Laissons la parole à la compagnie: «
Nous
avons, dès le début de cette crise,
confia-t-elle à ses ac-
tionnaires en 1908,
déclaré qu’elle était uniquement due
à l’insuffisance momentanée de nos moyens de traction,
les machines spéciales que nous avions commandées au
mois de février 1906
[vingt 030T]
ne nous étant pas en-
core livrées et le trafic de la banlieue s’étant développé,
dans les deux dernières années, d’une manière tout à fait
imprévue. Or, la suite a pleinement justifié notre assertion.
A défaut des machines spéciales attendues, nous avons
pu, en effet, grâce aux livraisons de la fin de 1907, re-
prendre une vingtaine de machines de grandes lignes
d’un type adaptable aux exigences du service de ban-
lieue, et la situation s’est aussitôt améliorée, au point de
devenir, dès maintenant, presque entièrement satisfai-
sante. Mais il ne faut pas se faire d’illusion; la gare Saint-
Lazare et ses voies d’accès sont arrivées actuellement à
l’extrême limite d’utilisation de leur capacité et, tant que
n’auront pas été faits les grands travaux dont nous vous
avons entretenus
[électrification des lignes de Saint-Ger-
main et d’Argenteuil]
, […] la régularité du service y res-
tera, quoi que nous fassions, à la merci du moindre inci-
dent, car le plus léger retard survenant à l’un des premiers
trains de la série du matin, par exemple entre 7 et
9heures, se répercute et s’amplifie par la fermeture des
signaux sur tous les trains suivants qui se pressent, à inter-
valle de cantonnement, sur les lignes entre Asnières et
Paris
» (rapport à l’assemblée générale du 31 mars 1908).
En mai 1908, la Compagnie de l’Ouest exposa en gare
Saint-Lazare trois de ses nouvelles locomotives: deux 231
destinées aux express et une 030T réservée aux trains de
banlieue. Cette dernière machine faisait partie de la com-
mande de 1906, dont dix unités étaient d’ores et déjà en
service [une commande supplémentaire de 30 unités fut
passée en 1908]. Mais, en dépit de l’unanimité de la presse
à reconnaître que depuis leur livraison le service si chargé
de la banlieue RD (rive droite) s’était considérablement
amélioré, les difficultés perdurèrent. Cette même presse
s’empressa d’ailleurs de s’en faire l’écho.
Le Matin
23août 1910 relata ainsi la course qui, dans la nuit du
dimanche 21, opposa l’un de ses rédacteurs juché à bord
d’une automobile à un train de l’Ouest-Etat entre As-
nières et Paris: partis respectivement à 0h40 et 0h42, le
premier arriva à destination à 1h22, le second à 1h45!
Quant à
L’Eclair
du 15 décembre 1911, il informa ses lec-
teurs du développement de «
petits métiers
» liés aux re-
tards continuels des trains de banlieue. Il rapportait
qu’une cinquantaine de conducteurs de taxis et de fia-
cres à chevaux basés à Levallois, en cheville avec des «
pis-
teurs
» chargés de leur signaler le moindre incident d’ex-
ploitation, se précipitaient à la rencontre des voyageurs
retenus en otage sur les voies: moyennant 3francs par
tête et 4 personnes par voiture, «
ça fait encore de bonnes
petites recettes
». Par ailleurs, armés de deux échelles
doubles et opérant deux par deux, quatre Asniérois of-
fraient leur service aux dames «
pour enjamber les fils et
passer par-dessus les treillages de la voie ferrée
». C’est
l’époque aussi où on lisait sur des panneaux-réclames ins-
tallés le long de la ligne, près d’Asnières:
Paris-Saint-Lazare
à 5 kilomètres
Sur pneus X
5 minutes
Par l’Ouest-Etat
Chronométrez!
Br.C.
Clin d’œil
venelle d’Asnières, Maurice Bernard
de Bécon, A.Nepveu de Courbevoie
et Kauffmann, industriel, rue du Sen-
tier, à Paris.
Dans le même temps, Leroy demande
des renforts par téléphone au poste
central du 8
arrondissement. Les gar-
diens de la paix réussissent à refouler
la foule à l’extérieur du bâtiment:
«Les scènes tumultueuses se prolon-
gèrent jusque dans la cour du Havre
où trois cents mécontents criaient à
tue-tête: “Conspuez l’Ouest”, cris
qu’ils sont d’ailleurs allés proférer sur
les grands boulevards. […] Une tren-
taine d’interpellations ont été opérées
pour refus de circuler, bris de clôture
ou outrages aux agents; six seule-
ment ont été maintenues, mais les
personnes arrêtées ayant justifié de
leur domicile ont été remises en li-
berté»
Le Petit Journal
A 11h, l’intérieur de la gare
«avait re-
pris sa physionomie habituelle. […]
Dans la soirée, le calme a été relatif,
les escouades de gardes républicains
et d’agents placés en réserve dans di-
verses salles n’ont pas eu à interve-
nir; mais les esprits sont très surexci-
tés»
Le Petit Parisien
Face à la rébellion, la Compagnie de
l’Ouest ne s’émeut point et minimise
l’événement. Au siège, écrit le corres-
pondant du
Petit Parisien
«on affecte
de considérer ce qui s’est passé
comme un incident auquel il ne faut
pas attacher plus d’importance qu’il
n’en mérite».
De fait, elle se contente
d’un court communiqué sur la cause
des retards:
« A la suite du coup de froid succé-
dant brusquement cette nuit à la
fonte de la neige d’hier, certains fils
de signaux se sont rompus entre As-
nières et Paris.
« Par mesure de sécurité, les trains
ont dû marcher au pas dans cette
portion de la ligne.
« Il est forcément résulté des retards
importants, et le mécontentement du
public de la banlieue s’est traduit par
quelques bris de vitres et de bancs sur
les quais d’arrivée de la gare.
« La police a dû intervenir et quelques
arrestations ont été opérées.»
Cependant, d’aucuns mettent en
doute l’explication donnée:
«Hier, on
n’a constaté la mauvaise marche des
signaux que sur trois sections se succé-
dant entre Asnières et Batignolles. Le
fait est assez curieux pour qu’il re-
tienne l’attention non seulement de
la Compagnie de l’Ouest, mais encore
du contrôle de l’Etat»
Le Petit Pari-
sien
). De là à évoquer la possibilité
d’actes de malveillance délibérés, il n’y
a qu’un pas.
Bruno CARRIÈRE
106-
Historail
Avril 2009
Photorail
Photorail
Photorail
La gare
Saint-Lazare
se distinguait
déjà par son
important tra�c
banlieue.
La plate-forme
d’accès aux
quais (ci-contre),
la salle des pas
perdus et la cour
de Rome (ci-
dessous) furent
autant de lieux
d’affrontement
entre
manifestants et
forces de l’ordre.
À
la suite de la suppression d’un
certain nombre de lignes secon-
daires, des usagers du rail, de plus en
plus nombreux, sont amenés à rejoin-
dre en voiture la gare principale,
contraints de laisser leur véhicule à
proximité de celle-ci, pour plusieurs
jours parfois. C’est le cas notamment
de plusieurs habitants de Guéret qui,
se rendant de nuit en gare de La Sou-
terraine pour prendre un train, éprou-
vent des difficultés pour remiser leur
voiture, les garages locaux étant fer-
més. Saisie du problème, la région
Sud-Ouest propose alors d’aménager
un espace disponible dans la gare
même de La Souterraine, accessible à
ces véhicules moyennant une faible
redevance. L’idée paraît intéressante.
Soumise au ministère des Travaux pu-
blics qui l’approuve, elle permet l’ou-
verture à la gare de La Souterraine, le
16 novembre 1949, du premier ga-
rage-consigne.
La formule fait par la suite l’objet
d’une large extension. Le nombre des
garages-consignes passant de 25 en
1952, à 30 en 1953, 34 en 1954, 45
en 1955 et 92 en 1960. Ils se répartis-
sent alors comme suit : 9 sur la région
Est, 9 sur le Nord, 15 sur l’Ouest, 26
sur le Sud-Ouest et 33 sur les régions
Sud-Est et Méditerranée.
La progression plus rapide observée
à partir de 1954 résulte d’une impor-
tante simplification apportée à la pro-
cédure portant sur la création des ga-
rages-consignes. Jusque là, en effet,
leur ouverture était soumise, au cas
1949.L’ouverture du premier
«garage-consigne»
Pouvoir voyager sereinement après avoir garé son véhicule
à proximité immédiate d’une gare devient après-guerre
la préoccupation d’un nombre croissant d’automobilistes.
Pour répondre à leur attente, la SNCF crée à La Souterraine
(Creuse), en 1949, son premier «garage-consigne».
Services
Le premier
garage-consigne
aménagé en
1949 dans les
dépendances de
la gare de La
Souterraine, en
Creuse.
108-
Historail
Avril 2009
Avril 2009
Historail
C’est également en 1949
que la SNCF a mis sur pied
le service « train + auto »
qui permet aux voyageurs
arrivant par le train dans
certaines villes de disposer
de voitures sans chauffeur,
4 CV Renault, puis Simca
Aronde et, depuis le début
de l’été 1956, Renault
Dauphine et 2 CV Citroën.
A cet effet, peu soucieuse
disposer de son propre parc
de véhicules, la SNCF a
sollicité la collaboration
de loueurs de voitures sans
chauffeur déjà en place
et prêts à mettre à sa
disposition un certain
nombre de voitures en
contrepartie de l’apport
de sa clientèle et de la
publicité faite autour de ce
service. Aucune ristourne
ne leur est d’ailleurs
demandée. La SNCF n’as-
sume, du reste, pas
directement la charge du
service qu’elle a confié à la
SCETA, société filiale dont
la structure commerciale
facilite les rapports avec
les sociétés privées.
Depuis sa création,
le service « train + auto »
s’est constamment
développé. De 55 en 1951,
le nombre des villes dispo-
sant de voitures sans chauf-
feur s’est élevé progressive-
ment jusqu’à 134 en 1958,
la formule couvrant
la plupart des préfectures
et des centres économiques
importants desservis par
le rail. Cette année-là,
le nombre de commandes
de voitures s’est élevé à
27351 contre 5 993 seule-
ment en 1951 et celui des
journées voiture à 79 086
contre 26079. Soit une
durée moyenne de location
de l’ordre de trois jours.
Le service a été étendu
à l’Allemagne, la Belgique
et l’Espagne en 1959, à la
Suisse et à l’Italie en 1961.
Le service «train + auto»
Af�che
improvisée
participant à la
promotion du
nouveau service.
Le service
«train+ auto»
en gare de
Bordeaux-Saint-
Jean à la fin des
années 1950.
Premiers pas
du service
«train + auto».
La 4 cv était-elle
alors livrée au
pied du train ou
s’agit-il d’une
opération
montée pour les
besoins du
reportage ?
J. Dejean/Photorail
Long/Photorail
Dubruille/Photorail
Services
par cas, à l’agrément du ministre des
Travaux publics, qui devait, en parti-
culier, approuver le taux de la taxe à
percevoir des utilisateurs. Un frein levé
le 6 novembre 1954, la SNCF étant
désormais autorisée à aménager des
garages-consignes à la seule réserve
d’en rendre compte à l’Administra-
tion supérieure et à la double condi-
tion, d’une part, que toutes disposi-
tions soient prises pour que la
circulation des voitures se fasse sans
danger et sans gêne pour l’exploita-
tion des gares, d’autre part, que la
taxe de garage soit, sauf autorisation
spéciale du ministre, uniformément
fixée à 100 francs par voiture et par
période indivisible de 24 heures.
À de nombreuses reprises il avait été
demandé d’étendre cette initiative aux
gares de Paris où le problème du sta-
tionnement se posait avec plus
d’acuité. Paris-Montparnasse est la
première à en bénéficier avec l’inau-
guration, le 1
juillet 1955, d’un «par-
king» au 15, boulevard de Vaugirard.
D’une capacité de 80 voitures envi-
ron, il est réservé en principe aux
voyageurs, ainsi qu’aux personnes ve-
nant les conduire ou les recevoir.
Fermé aux heures creuses de circula-
tion ferroviaire (de 0 h à 5 h 30, de
11h à 12 h et de 16 à 17 h), il est
placé sous la surveillance d’un gardien
qui remet à chaque automobiliste
deux feuillets, l’un pour être apposé
sur le pare-brise, l’autre servant de
reçu, le tarif étant exceptionnellement
fixé à 120 francs par fraction indivisible
de 24 heures pour tenir compte des
frais engagés et des prix pratiqués
dans les garages locaux. Il fermera pré-
maturément en 1959.
Le parking de Paris-Montparnasse
n’est pas le seul à faire l’objet d’un
dépassement tarifaire. Pour des rai-
sons identiques, ceux de Chalon-sur-
Saône et de Vienne réclament égale-
ment 120 francs. De son côté, celui
de Reims exige 150 francs en raison
d’une surveillance coûteuse liée au fait
qu’il soit particulièrement fréquenté.
Pour l’année 1960 (92 garages-
consignes en service), les résultats d’ex –
ploitation se résument comme suit:
170579 journées de garage pour une
recette de quelque 260 000 NF.
Bien que leur accès soit réservé en
priorité aux usagers munis de titres
de transport SNCF, des exceptions
sont permises lorsque des places res-
tent disponibles. Chaque automobi-
liste reçoit un bulletin de consigne
semblable au modèle utilisé pour la
mise en dépôt des bagages. Les rè-
gles, en matière de responsabilité de
la SNCF en cas de vol, avaries ou in-
cendies, sont également celles en vi-
gueur pour les bagages remis en dé-
pôt dans les consignes des gares.
En règle générale, la SNCF ne procède
à la création de garages-consignes
dans ses gares que lorsque les garages
locaux ne peuvent répondre à la de-
mande de la clientèle faute de par-
king à proximité de la gare. Leurs ca-
ractéristiques vont du simple parc
découvert et non clos au local entière-
ment couvert et clos. Et là où les gares
ne disposent pas d’espaces suscepti-
bles d’être aménagés, la SNCF n’hési-
tent pas à s’entendre avec les gara-
gistes voisins pour la création de
garages-consignes.
Enfin, la région de la Méditerranée a
autorisé dans certaines de ses gares
des « parkings » gratuits constitués
par de simples emplacements amé-
nagés dans les cours (bandes peintes
en jaune sur le sol) et signalés par des
panneaux. Ces parkings sont réser-
vés aux voyageurs justifiant d’un ti-
tre de transport, mais aucun bulletin
de consigne de leur est délivré afin
que la SNCF ne puisse être considérée
comme « dépositaire » des voitures
et, comme telle, responsable des vols
ou avaries qui pourraient survenir. En
1956, cette formule était appliquée
aux gares de Marseille-Saint-Charles,
Avignon, Toulon, Nîmes, Sète et
Saint-Flour.
L’existence des garages-consignes est
portée à la connaissance du public au
moyen d’annonces dans les journaux
locaux, de tracts, d’affiches apposées
dans les gares, d’avis aux agences de
voyages, et aux automobile-clubs et
aux chambres de commerce. En ou-
tre, les gares pourvues de garages-
consignes figurent dans la publicité
générale que fait la SNCF : Informa-
tions SNCF, Indicateurs Chaix, etc.
Bruno CARRIÈRE
110-
Historail
Avril 2009
Le garage-
consigne
de Paris-
Montparnasse.
En 1955, Montparnasse est la première gare
parisienne à béné�cier d’un parking de… 80 places !
Avril 2009
Historail
C
hacun connaît l’Association pour
l’histoire des chemins de fer en
France (AHICF), créée en 1987, il y a
donc plus de vingt ans déjà. Plus dis-
crète est l’Association internationale
d’histoire des chemins de fer (AIHCF)
–en anglais:
International Railway
History Association
(IRHA), en espa-
gnol:
Asociación International de His-
toria Ferroviaria
(AIHF)–, constituée
le 21 juin 2002.
L’AIHCF s’est donné pour objet de:

réunir toutes les personnes morales
ou physiques intéressées, à titre pro-
fessionnel, à l’histoire et à la sauve-
garde des archives et du patrimoine
historique, social et culturel de tous
les transports par rail, quels que soient
l’échelle des réseaux –urbains, indus-
triels, régionaux, nationaux ou inter-
nationaux– et le matériel employé;

promouvoir, coordonner et dévelop-
per par tous les moyens à sa disposi-
tion l’histoire des entreprises ferro-
viaires, l’histoire sociale et culturelle
des cheminots et des usagers; élabo-
rer et mettre en œuvre des projets de
recherche communs dans tous les do-
maines de l’histoire des transports par
rail, en privilégiant les comparaisons
internationales;

coordonner les informations à usage
professionnel et l’ensemble des res-
sources documentaires relevant de ce
domaine; diffuser largement, par tous
moyens appropriés (conférences pu-
bliques, colloques, publications, ex-
positions, médias audiovisuels, Inter-
net…), les résultats de la recherche
historique et les mettre à la disposi-
tion de tous les publics intéressés;

encourager la sauvegarde et la mise
en valeur du patrimoine historique,
social et culturel des transports par
rail et prendre éventuellement des ini-
tiatives qui y contribuent; favoriser le
partenariat de tous les acteurs inté-
ressés à son avenir (institutions cultu-
relles et musées, propriétaires et ges-
tionnaires, chercheurs).
Fondée à l’initiative de
l’historienne Michèle
Merger, chargée de
recherche au CNRS et
membre du comité
scientifique de l’AHICF,
qui a su réunir autour
d’elle universitaires et
chargés de patrimoine,
l’AIHCF est présidée de-
puis plus d’un an par
Henry Jacolin, diplomate
honoraire.
L’Association a déjà or-
ganisé deux colloques in-
ternationaux d’histoire
ferroviaire. Le premier,
tenu en septembre 2004 à Semme-
ring, en Autriche, a porté sur les in-
vestissements ferroviaires internatio-
naux aux XIX
et XX
siècles (les actes
devraient en être publiés sous peu).
Le second, qui s’est déroulé en no-
vembre 2006 à Lisbonne, au Portu-
gal, a eu pour thème la modernisa-
tion du rail aux XIX
et XX
siècles.
Un troisième colloque est programmé
les 24, 25 et 26 septembre prochains
à Bratislava, en Slovaquie. Henry Ja-
colin attache une grande importance
à sa réussite. En effet, spécialiste des
questions touchant aux Balkans et ar-
dent «ferroviphile» (il a fourni à
Vie du Rail
dans les années 1972-
1976 plusieurs papiers sur le rail en
Yougoslavie, signés Jacques Marville,
et publié en 2006, dans la
Revue
d’histoire des chemins de fer,
étude sur l’établissement de la pre-
mière voie ferrée entre l’Europe et la
Turquie), le thème retenu –les che-
mins de fer de l’Est aux XX
siècles
(1)
– lui tient
particulièrement à cœur.
Avec pour ambition
d’obtenir la participation
active, outre celle des
historiens et géogra –
phes, de ceux qui ont eu
à gérer, et continuent
parfois à administrer, les
affaires ferroviaires de
leur pays après l’effon –
drement du bloc com-
muniste en 1989.
Pour l’heure, l’AIHCF,
forte d’une trentaine de
membres, est essentiel-
lement implantée en Eu-
rope de l’Ouest: Alle-
magne, Belgique, Espagne (Miguel
Munoz Rubio, directeur des archives
ferroviaires au sein de la Fundación
de los Ferrocarriles Españoles est le
vice-président de l’association, fonc-
tion qu’il partage avec Paul Veyron,
directeur de la communication à
l’UIC
(2)
), France, Grande-Bretagne, Ita-
lie, Pays-Bas, Suisse. Elle espère,
grâce au colloque de Bratislava, pou-
voir opérer un glissement vers les
pays de l’Est.
Br.C.
Mémoire
(1) « Railways in Transition – Eastern Europe Railways.
Past, Present and Future in the 20th and 21st Centuries».
Renseignements auprès d’Henry Jacolin, 8, rue des Ecoles,
75005 Paris (henry.jacolin@free.fr).
(2) L’Union internationale des chemins de fer (UIC) abrite
officiellement le siège de l’AIHCF.
L’Association internationale
d’histoire des chemins de fer
(AIHCF)
112-
Historail
Avril 2009
Mémoire
C
réée en 2004, l’association Rail
et Mémoire s’est donné pour but
de recenser les cheminots victimes
du nazisme, déportés, fusillés ou
massacrés pour actes de résistance.
Elle est née de la volonté d’un petit
groupe composé principalement de
cheminots: des agents du service
des trains de Chartres, un conduc-
teur de Fleury-les-Aubrais fils de dé-
porté, son cousin fils d’un cheminot
déporté, un ami professeur d’histoire.
Tous réunis autour de Maurice Arth,
retraité des chemins de fer au-
jourd’hui décédé, matricule 65424 à
Sachsenhausen. Rien ne nous prépa-
rait à une telle démarche: nous vou-
lions simplement donner une histoire
et un visage aux noms figurant sur
les plaques commémoratives de nos
gares. L’intérêt commun que nous
portions sur la période de la Seconde
Guerre mondiale, la curiosité et l’ami-
tié ont fait le reste.
La genèse de l’association
Tout est parti d’un constat. Cheminots
nous étions, et cheminots nous hono-
rions nos collègues morts pour la
France aux commémorations du 8-Mai
et du 11-Novembre. Combien étaient-
ils? Qui étaient-ils? Pour beaucoup,
la réalité était terrible: nous l’igno-
rions. Les lectures des uns et des autres
sur le sujet nous avaient frustrés plutôt
qu’éclairés. Aussi, en 2000, lors d’un
premier voyage en Allemagne, au
camp de Sachsenhausen, avec Mau-
rice Arth, l’idée de faire «quelque
chose» nous est venue, naturellement
et collectivement. Au retour, nous
avons commencé à «lister» les vic-
times des différents monuments aux
morts de nos gares et de celles dans
lesquelles le service nous appelait.
C’est en 2003, au cours d’un second
voyage en Allemagne, que le projet
s’est affiné. N’ayant ni les compé-
tences des historiens ni la légitimité
officielle de l’entreprise, il nous restait
Internet et le projet de création d’un
site rendant hommage aux cheminots
martyrs.
La démarche
de Rail et Mémoire
Les stèles commémoratives apposées
dans les gares précisent rarement les
circonstances de la disparition des vic-
times, la mention
«tués par faits de
guerre»
étant la plus commune. Or, à
nos yeux, il y avait une énorme diffé-
rence entre les agents
«fusillés»
«morts en déportation»
, résultat d’un
engagement volontaire pour lutter
contre l’occupant, et ceux disparus ou
tués pour des raisons plus prosaïques,
notamment les milliers de civils lors de
bombardements.
Nous souhaitions donc rendre aux pre-
miers une histoire et tenter autant que
possible, pour chacun d’eux, de re-
trouver une photographie, une lettre
Rail et Mémoire
Mettre un visage et une histoire derrière chaque
cheminot mort pour faits de résistance.
Le monument
érigé à la
mémoire des
cheminots «tués
par faits de
guerre» en gare
de Marseille-
Saint-Charles. Ce
sont ces plaques
et monuments
qui servent
de �l rouge aux
membres de
l’association.
Photorail
Avril 2009
Historail
ou toute autre pièce permettant de
redonner une identité, même incom-
plète, à un simple nom gravé dans le
marbre. Peu à peu, cette démarche,
locale à l’origine, s’est étendue à l’en-
semble du territoire. Il nous fallait
envisager quelque chose de
plus ambitieux. Le nombre
des victimes directement
concernées (fusillés, dépor-
tés, massacrés) n’était pas
si élevé qu’il pût représen-
ter un obstacle insurmon-
table: estimé à quelque
2000 individus selon les ou-
vrages de référence et les études
des «spécialistes»publiés au lende-
main de la guerre. La tâche était à no-
tre portée.
Nous avons été conduits à travailler
avec l’association Mémoire vive, qui
s’est consacrée aux deux seuls convois
de déportés politiques partis de France
pour Auschwitz-Birkenau les 6 juillet
1942 (convois des «45000», 1175
hommes) et 24 janvier 1943 (convoi
des «31000», 230 femmes). L’inter –
activité de leur site (www.memoire-
vive.ibretagne.net) nous a semblé être
une très bonne approche à prendre
en exemple.
Un site interactif
L’ouverture d’un blog comme préala-
ble nous a permis d’entrer en contact
avec d’autres sites «mémoriaux» par-
tageant des intérêts similaires aux nô-
tres. Il s’en est suivi un échange d’in-
formations, de mises en relation avec
d’autres associations, des réseaux…
Deux années de collecte qui, en sus
des recherches livresques, nous ont
permis de compiler un peu plus de
1500 biographies d’agents. Il restait à
les mettre en ligne. Opérationnel de-
puis le 1
mai 2008, notre site
http://railetmemoire.blog4ever.com/
blog/index-203016.html a rapidement
démontré son efficacité. Des familles,
frères, sœurs ou enfants de fusillés ou
martyrisés, nous ont contactés pour
nous confier, plus de soixante ans
après les faits, leurs souvenirs, leurs
émotions, leur douleur parfois encore
si vive…
Grâce à leur contribution (témoi-
gnages, photos et autres documents),
le site ne cesse de s’enrichir. En effet, si
le fait de répertorier les dé-
portés ne pose pas de
grosses difficultés
–il suffit de faire
des recoupe-
ments entre les
noms et pré-
noms figurant sur
les plaques de gare
et le
Livre-mémorial des
déportés de France arrêtés
par mesure de répression,
publié sous
l’égide la Fondation pour la mémoire
de la Déportation en 2004 (éditions Ti-
résias, 4 volumes)–, il est par contre
beaucoup moins aisé de discerner les
fusillés et massacrés, qui, pour l’heure,
n’ont fait l’objet d’aucun recensement
particulier. Par exemple, nous ne sa-
vons presque rien de Louis Leclère dont
le nom figure sur la plaque des ateliers
de Moulin-Neuf avec la mention FFI.
C’est là qu’interviennent les différents
contacts établis. Parfois, une simple in-
formation «postée» par un internaute
est la base de départ de nouvelles re-
cherches. Dix mois après l’ouverture
du site, nous avons dénombré plusieurs
milliers de consultations, chiffre en
constante augmentation.
L’association compte aujourd’hui une
vingtaine d’adhérents et des dizaines
de correspondants. Sensibles à notre
démarche, des municipalités n’hési-
tent pas à nous apporter leur soutien.
Parfois même au-delà de nos espé-
rances. Ainsi, en octobre dernier, la
municipalité de Saint-Pellerin (Eure-et-
Loir) a répondu favorablement à no-
tre souhait de voir donner à un square
nouvellement créé le nom d’un che-
minot FTP originaire de cette bourgade
et y résidant à l’époque, Jean Saliou,
32 ans, père de trois enfants, fusillé
au Mont-Valérien en mars 1944…
Quelques semaines après, c’est le fils
de Jean Saliou qui, via notre site, nous
remerciait et nous proposait des do-
cuments concernant son père.
Vers l’avenir
Bien que nous soyons pour la plupart
des cheminots en activité, nous conti-
nuons avec détermination notre
quête. Lorsque ce travail de mé-
moire sera bouclé, les his –
toriens auront, nous l’espé –
rons, la volonté de le
prolonger par une version
papier, dans l’esprit des
Dictionnaires biographi –
ques du mouvement ou-
vrier français
, les fameux
Maitron,
Livre-mémo-
rial
cité plus haut.
L’avenir sera ce que nous en ferons,
et rendre un hommage fort à ces
cheminots qui ont donné leur vie
pour un monde plus juste n’est en
aucun cas désuet. Ce travail tente
d’éclairer en ces périodes sujettes à
la polémique la diversité d’opinions
de ces hommes, mais aussi l’esprit
de corps d’une corporation qui, au-
delà des risques encourus, a su dire
non à l’ignominie et en a payé le prix
fort. Il nous rappelle que l’histoire a
aussi ses enjeux mémoriels que tra-
versent certaines tentatives plus ou
moins révisionnistes.
Hervé BARTHÉLÉMY,
Président de Rail et Mémoire
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Mont Valérien : Les
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a coûté la vie à 8.938 cheminots. 15.977 ont été blessés
« Simples et humains, ils ont donné volontairement leur vie
pour qu’au-delà de la
victoire des armes, un sens nouveau et jeune soit donné aux idées de liberté et de
démocratie »
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RAIL et MEMOIRE

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A gauche, Jean
Saliou, cheminot
FTP fusillé au
Mont-Valérien
en 1944, dont le
nom a été
donné à un
square de Saint-
Pellerin (Eure-et-
Loire), sa ville
natale, grâce à
l’association.
A droite, le
jeune André
Couespel,
cheminot à
Chatou
(Yvelines), fusillé
le 25 août 1944
à 16 ans. Il sera
nommé sergent
à titre posthume
en tant que
membre du
personnel de
la résistance
intérieure
française. C’est
sa sœur, depuis
lors adhérente
de l’association,
qui veille à sa
mémoire.
Rail et Mémoire, association loi 1901
Adresse: 8, place Pierre-Sémard, 28000 Chartres
courriel: railetmemoire@orange.fr
Site Internet:
http://railetmemoire.blog4ever.com/blog/index-
203016.html
Livres
JEAN-GEORGES TROUILLET
FRANCIS ALBERT
Chemins de fer
et brasseries
en Alsace-Lorraine
et au Grand-Duché
de Luxembourg
C’est au rail que la bière
alsacienne, lorraine ou
luxembourgeoise, jusqu’alors
consommée sur place faute
de pouvoir être transportée,
doit sa fortune. Raconter
l’histoire des brasseries et
leurs liens avec les chemins
de fer, leurs wagons à bière
et leurs embranchements
(notamment celui des usines
de Schiltigheim, établi aux
portes de Strasbourg en
1870), voilà le défi que s’est
lancé J.-G. Trouillet aidé de
Francis Albert. Un travail long
et minutieux tant les sources
sont rares et éparses. Mais le
résultat (200 pages format
A4, plus de 180 illustrations)
est à la hauteur de l’investis-
sement. Un ouvrage indispen-
sable pour ne plus rien igno-
rer de l’histoire des brasseries,
de la fabrication de la bière,
de la naissance du wagon à
bière et des trains de bière de
la Compagnie de l’Est puis
des chemins de fer impériaux
d’Alsace-Lorraine.
A commander par chèque auprès
de J.-G. Trouillet, 36 rue
Principale, 68420 Husseren-les-
Châteaux au prix de 48
port
compris.
GERARD MAGNIEN
JEAN-CLAUDE BAS
Le temps des trains
entre Saône et Loire
Essayer de sauver toute une
partie de l’histoire régionale,
en l’occurrence celle des
lignes comprises entre
la Saône et la Loire, telle est
l’ambition des auteurs.
Sont donc autopsiées les
lignes d’intérêt général de
Mâcon à Paray-le-Monial
(1870), de Chalon-sur-Saône
à Pouilly-sur-Charlieu (1888-
1889) et de Saint-Gengoux
à Montchanin (1889), toutes
trois exploitées par le PLM.
Y ont été jointes les lignes
d’intérêt local (les « tacots »),
de Cluny à Monsols et à La
Clayette (1911) et de Saint-
Bonnet-Beaubery à Mont-
ceau-les-Mines (1900), exploi-
tées, la première, par la
Compagnie des chemins de
fer départementaux du
Rhône et de Saône-et-Loire,
la seconde, par la Compagnie
des chemins de fer d’intérêt
local de Saône-et-Loire. Outre
une mise en pages originale
pour ce type d’approche,
l’ouvrage vaut aussi pour
ses anecdotes et « tranches
de vie » prises sur le vif.
Editions La Taillanderie. En vente
La Vie du Rail
, réf. : 121 001,
franco de port.
PASCAL PLAS
MICHEL C. KIENER
La Résistance
et le rail. Le cas du
Limousin 1940-1944
Au cours de la dernière
guerre, point de passage
obligé entre le nord et le sud
de la France, entre les deux
zones occupée et libre (Li-
moges demeure en zone libre
jusqu’au 11 novembre 1942),
le Limousin était un nœud
ferroviaire stratégiquement
important. Ecrit par deux en-
seignants spécialistes de la
période et de la région, ce pe-
tit livre (80 pages) met en lu-
mière les multiples facettes de
la Résistance interne (les pré-
mices, le développement) et
externe (le maquis) au monde
du rail et la réaction de l’oc-
cupant et de Vichy (le corps
des Gardes des communica-
tions chargés de la surveil-
lance des gares et des voies,
la répression). Il s’étend
ensuite sur la guerre du rail
en 1944, rend hommage aux
hommes du rail tombés au
combat, et se termine par
l’itinéraire de certains d’entre
eux. A noter le récit inédit de
René Deville, ingénieur SNCF
de la Voie et des Bâtiments à
Limoges en 1943-1944.
Editions Lucien Souny,
Le Puy Fraud, 87260 Saint-Paul.
Tél. : 05 55 75 57 38. Adresse
mail : editions-souny@orange.fr.
EVELYNE ET JEAN-PIERRE
RIGOUARD
Locomotives (1904-
1930) – Tome III
A l’invitation de nombreux
inconditionnels, Evelyne et
Jean-Pierre Rigouard poursui-
vent ici la publication des
cartes postales Fleury consa-
crées aux locomotives.
Les deux premiers volumes,
parus en 2003 et 2005,
couvraient les années 1900-
1930. Le troisième se focalise
plus particulièrement sur
la période 1900-1914, la plus
prisée des amateurs à
la lecture des courriers reçus.
Bien entendu, tous les clichés
sont inédits par rapport aux
deux premières livraisons.
Par contre, la présentation
reste inchangée : récapitula-
tion des matériels compagnie
par compagnie ; deux repro-
ductions par page accompa-
gnées chacune d’un
commentaire historique.
Et notre couple nous promet
déjà un quatrième tome, plus
éclectique celui-là, puisque
regroupant pêle-mêle grands
trains, locomotives étran-
gères, grève des cheminots
de 1910, gares de banlieue
et tramways.
Editions Alan Sutton. En vente à
La Vie du Rail
. Réf. : 120 998,
franco de port.
114-
Historail
Avril 2009

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