6,93 

UGS : HR18 Catégories : ,

Description

trimestriel
n° 18
Juillet 2011
Le « Mistral »
Le
Mistral
Trains de légende
3:HIKRTE=WU^^U]:?a@a@l@s@a;
M 07942
– 18 –
F:
9,90
Juillet 2011
Historail
C
e numéro d’
Historail
marque le retour de deux auteurs dont le nom n’est pas inconnu des ferroviphiles.
Le premier, André Victor, publia, au début des années 1980, dans
La Vie du Rail
, un feuilleton resté
fameux, intitulé « Sur les rails du souvenir », dans lequel il retraçait son parcours d’amateur de la chose
ferroviaire de l’enfance aux confins de l’adolescence et de l’âge adulte.
Le second, Jacques Andreu, participa aux premières années de l’aventure de
Rail Passion
, puis après
une longue éclipse, imposée par de lourdes obligations professionnelles, reprit la plume cette fois-ci
pour
Historail
, auquel il livra notamment, dans le numéro 6, un étonnant dossier, vivant et instructif,
consacré au tournage de
Bébert et l’omnibus.
Différents dans leur style, plus impressionniste et lyrique chez André Victor, plus objectif et factuel
chez Jacques Andreu, les deux auteurs n’en affichent pas moins de nombreux points communs:
l’indéfectible nostalgie d’un monde ferroviaire « d’avant » à jamais disparu – purement et simplement
rayé de la carte ou subsistant à l’état de vestiges que l’on revisiterait comme les ruines d’un vieux temple
hindou mangées par la végétation, témoin dérisoire d’une splendeur révolue – et la volonté de le faire
revivre, par la magie du souvenir et du document conservé, sans oublier aucunes de ses dimensions,
à commencer par la dimension humaine, qui reste au centre de leurs préoccupations.
Vous pourrez en juger à la lecture du dossier qu’a réalisé Jacques Andreu sur le
Mistral,
et à celle du
premier épisode du feuilleton d’André Victor « Sur les rails du souvenir », que nous republions quelque
30 ans plus tard avec une iconographie totalement renouvelée, puisqu’il était essentiellement illustré
à l’époque de croquis d’alors jeunes dessinateurs.
Olivier BERTRAND
I
Souvenirs, souvenirs…
I
Avant le départ
d’une 141 R,
l’équipe s’affaire
encore mais pose
tout de même pour
le photographe.
Les «R», baptisées
«Libération»,
sont un symbole
de cette époque
de l’après-guerre.
Brûlé/Photorail
De gauche à droite et de haut en bas:
une vue du train 2 «Mistral» filant vers
Marseille et Paris en 1958. Tracté par
une 141 R, ce train de luxe est composé
d’un fourgon-générateur, d’une voiture-salon
Pullman, d’une voiture-restaurant CIWL
et d’une rame de DEV inox climatisées ;
des passagères à bord du «Mistral» ;
une 141 R quitte Nice-Ville avec
son «Mistral». Les voitures inox 1956
ont été les premières à être dotées de
la climatisation, luxe qui ne sera généralisé
qu’avec les voitures Corail de 1975 ;
une rame typique du «Mistral» 69 passe au
Trayas en 1972. C’est surtout la voiture-bar
qui attira l’attention avec son salon
de coiffure, son secrétariat et sa boutique
de mode.
Walter/Photorail
Y. Broncard/Photorail
Y. Broncard/Photorail
M. Imbert/Coll. Coccoz
Réseau
– La Compagnie des Ardennes: naissance des premiers
p.6
chemins de fer dans les Ardennes et la grande région…
Curiosité
– École communale: quand la «France ferroviaire»
p.26
était encore au programme…
Presse
– «L’Écho de la STCRP», journal d’entreprise
p.28
du transporteur public parisien
Anniversaire
– Il y a 75 ans, le PLM électrifiait Culoz – Chambéry
p.36
Dossier
– La trajectoire du «Mistral»
p.42
– Paris – Lyon – Marseille – Nice en tête du « Mistral »
p.44
– Entretien avec André Victor: le «Mistral»
p.68
au prisme de l’enfance
Sommaire 2010
p.74
Feuilleton
– Sur les rails du souvenir (1) : Gamins de Ceinture
p.76
Livres
– Gares d’hier
p.100
– Une vie en autorail
p.106
– L’œuvre d’Étienne Cattin : un long parcours sensible
aux côtés des « gueules noires »
– Notes de lecture
p.114
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Vincent Lalu
DIRECTRICE ADMINISTRATIVE
ET FINANCIÈRE
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RÉDACTEUR EN CHEF
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CONSEIL ÉDITORIAL
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Dominique Paris, Georges Ribeill
DIRECTION ARTISTIQUE
ET MISE EN PAGES
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SECRÉTARIAT DE RÉDACTION
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Marie-Laure Le Fessant
ONT COLLABORÉ
Jacques Andreu,
Philippe-Enrico Attal,
Jean Collin, André Victor
PUBLICITÉ
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VENTE AU NUMÉRO
Françoise Bézannier
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INFORMATIQUE & PRODUCTION
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Informatique: Ali Dahmani
Prépresse: Simon Raby.
IMPRESSION
Loire Offset 42 Saint-Étienne
Imprimé en France.
Historail
est une publication
des Éditions La Vie du Rail,
Société anonyme au capital
de 2 043 200 euros.
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D’ADMINISTRATION
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Numéro de commission paritaire:
Siège: 11, rue de Milan
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Tél.: 01 49 70 12 00
Fax: 01 48 74 37 98
Le titre
Historail
a été retenu
avec l’autorisation du musée
du chemin de fer HistoRail
de Saint-Léonard-de-Noblat
Historail
Historail
Tout ce que vous voulez savoir sur l’histoire du rail
N° 18 – Juillet 2011– Trimestriel – 9,90

• La Compagnie des Ardennes
• Le PLM électrifiait Culoz – Chambéry
• « L’Écho de la STCRP »
Le
Mistral
Trains de légende
Sommaire
Juillet 2011
Historail
Photo de couverture: tracté par la BB 25237, le «Mistral» longe la côte méditerranéenne, près d’Antibes
(1973). Ce train symbolisera incontestablement les Trente Glorieuses (Imbert/Photorail).
En vignette : en avril 1969, le «Mistral» prend la pose en gare de Nice (Pilloux/Photorail).
Juillet 2011
Historail
L
a première ligne de chemin de fer
s’est ouverte en juillet 1827 dans
le département de la Loire; elle relie
Saint-Étienne à Andrézieux et des
chevaux tractent des wagonnets
de charbon déchargés ensuite sur
des chalands.
Si l’on excepte la ligne de Paris à Saint-
Germain, ouverte en 1837 pour le ser-
vice des voyageurs, tous les embryons
de ligne qui s’ouvrent à l’aube de la
Révolution industrielle manquent de
plans d’ensemble et ne répondent qu’à
des besoins locaux, s’agissant le plus
souvent d’acheminer du minerai ou de
la houille vers la voie d’eau la plus
proche, telle la ligne de Saint-Étienne à
Givors et Lyon, ouverte en 1828-1832
ou encore La Grand-Combe (Gard) à
Beaucaire ouverte en 1840, achemi-
nant la houille cévenole au Rhône. C’est
en Alsace qu’est exécuté le premier
chemin de fer dans l’est de la France,
une ligne de 18 km reliant Mulhouse
à Thann, ouverte en 1839, œuvre du
grand industriel Nicolas Koechlin.
Dans le département des Ardennes,
un premier projet de chemin de fer naît
dès 1837-1838 avec l’assentiment de
la chambre consultative de Charleville
(ancêtre de l’actuelle chambre de com-
merce), un groupe de financiers belges
propose la construction d’une ligne
industrielle reliant le bassin houiller de
Charleroi à Charleville; faute de capi-
taux suffisants et d’appuis politiques
conséquents, le projet avorte mais une
idée assez semblable va être reprise
peu après: en avril 1845, une entre-
prise britannique, la WP Richard & Cie
obtient de l’État belge la concession
d’une ligne de Charleroi à Vireux et
fonde pour l’occasion la SA du
Chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-
Meuse. Les travaux débutent dès 1845
mais sont vite interrompus pour
raisons financières.
Après bien des vicissitudes, les travaux
seront terminés avec l’apport de
capitaux d’état, la première section
Charleroi – Walcourt est ouverte le
27 novembre 1848, la totalité de la
ligne est achevée par l’ouverture de
la section orientale Mariembourg à
Vireux le 15 juin 1854. C’est ainsi
qu’apparaît le premier chemin de fer
dans le département: ce court tron-
çon de 2 km de la frontière à Vireux.
Entre-temps les progrès des chemins
de fer en France, pour importants
qu’ils soient, étaient moindres que
dans d’autres pays d’Europe occiden-
tale. Les difficultés financières rebu-
tant les entrepreneurs, le gouverne-
ment de l’époque va être amené à
réaliser un programme d’intérêt
général comme l’avaient été aupara-
vant les routes royales. Ce fut l’objet
de la loi charte du 11 juin 1842, dans
la lignée d’un projet visionnaire et am-
bitieux initié dès 1832 par le directeur
des Ponts et Chaussées, Legrand,
disciple, et avec lui nombre de grands
ingénieurs et industriels, de la doctrine
des saint-simoniens (1). Ce projet am-
bitieux dessinait un étoilement de
lignes principales rayonnant depuis la
capitale, vers la Belgique, l’Allemagne,
l’Espagne, le Centre, la Méditerranée.
Plus près de nous cette « étoile de
Legrand » concernait une ligne de
Paris à Strasbourg avec embranche-
ments d’Épernay à Reims et de
Frouard à Metz et Forbach; ce sera la
genèse de la Compagnie de Paris à
Strasbourg qui obtient ainsi la conces-
sion de 665 km de lignes. Cet ensem-
ble, grossi par la reprise de concessions
de lignes construites ou à construire,
aboutira après fusions successives à la
naissance de la Compagnie de l’Est en
janvier 1854 (2).
D’autre part, une ligne de Paris à Lille et
la Belgique avec embranchements vers
Calais et Valenciennes dont les conces-
sions attribuées en septembre 1845
formeront la genèse de la Compagnie
du Nord, celle-ci reprenant des lignes
frontalières en 1846 et, à partir de
1847,un ensemble de chantiers de
lignes du nord de la France aux
concessionnaires défaillants.
Tandis que cette Compagnie du Nord
semblait limiter ses ambitions vers
Infographie V. Morell/Historail
Dans le département des Ardennes, un premier
projet de chemin de fer naît dès 1837-1838.
Cette carte des
chemins de fer
de la Compagnie
des Ardennes
donne un aperçu
de l’état de réseau
à la fusion
du 1
janvier 1864.
Réseau
[ la Compagnie des Ardennes:
Valenciennes et Mons par Saint-
Quentin, Maubeuge et au-delà vers
Bruxelles
le bassin houiller de Char-
leroi…, tandis que la Compagnie de
Paris à Strasbourg semblait s’en tenir
à un axe poussé vers l’est à partir de la
vallée de la Marne, un vaste triangle
apparemment sans intérêt incluant les
Ardennes, ne faisait l’objet d’aucune
demande de concession. Toutefois en
1845, le préfet des Ardennes fait étu-
dier une relation de Reims à la fron-
tière belge; ce sont deux ingénieurs
des Ponts et Chaussées, MM. Payen
et Thirion qui établissent un avant-
projet en ce sens, cette ligne devant
s’embrancher à la ligne de Strasbourg
après Château-Thierry, à Port-à-
Binson. Ce tracé, s’il délaissait Éper-
nay, avait l’avantage, par contre,
d’éviter la « montagne de Reims »;
deux variantes de tracé furent envisa-
gées (entre Reims et Rethel et Rethel
à Mézières) afin d’atténuer les diffi-
cultés dues aux reliefs à traverser. Les
autorités militaires omniprésentes
dans le processus de décision étaient
divisées entre l’idée même d’ouvrir une
relation ferroviaire vers la frontière qui
aurait pu être mise à profit par un en-
vahisseur potentiel dans cette région
hautement stratégique, historique-
ment un lieu de « passage obligé des
invasions ». En même temps militait
l’idée que cette relation pourrait
assurer la concentration rapide de nos
armées depuis Paris vers les places
fortes de Rocroi, Givet, Mézières et
Sedan. Malgré l’intérêt de cette rela-
tion tant économique que straté-
gique, l’avant-projet en l’état ne
connut pas de suite favorable. Un
groupe d’industriels du Valenciennois
s’inquiète de la construction de la
ligne belge de la Compagnie de
l’Entre-Sambre-et-Meuse Charleroi –
Mariembourg – Treignes – Vireux. Afin
de concurrencer la houille belge, il fait
étudier une ligne de Valenciennes à
Mézières; en même temps cette ligne
pourrait alimenter en minerai le bassin
métallurgique émergent de Denain-
Anzin et s’affranchir de la fourniture
en fontes belges plus chères. À plus
long terme, un ingénieur des Ponts et
Chaussées, M. Lefort, étend même ce
projet à une relation Angleterre –
Lorraine-Alsace avec étude en premier
lieu d’une ligne Valenciennes à Metz
traversant les Ardennes, ses promo-
teurs ambitionnant même de relier
Dunkerque à Bâle. Malgré un
a priori
bienveillant du ministère des Travaux
publics et un avis favorable des com-
missions d’enquête de l’Aisne et des
Ardennes, un refus irrévocable du
conseil général du Nord enterre ce
projet ambitieux, laissant les Ardennes
et les Ardennais dans leur isolement
ferroviaire du moment. Il est vrai que
l’environnement économique ne se
prêtait pas à une telle réalisation. Une
crise financière secouait le pays, due
entre autres causes, à une baisse ver-
tigineuse des actions des chemins
de fer conduisant à une succession de
faillites, les événements de la Révo –
lution de 1848 s’y ajoutant. Les
séquelles de cette crise vont s’étaler
jusqu’au début des années 1850.
L’une des conséquences de l’avène-
ment du prince Louis Napoléon, après
son coup d’État du 2 décembre 1851,
fut un retour en grâce des actions des
compagnies accompagnant un essor
économique sans précédent. Cet en-
vironnement propice au monde des
affaires avive l’intérêt des grandes
banques et capitaines d’industrie de
l’époque. La Compagnie de Paris à
Strasbourg (qui va devenir peu après
la Compagnie de l’Est) et la Compa-
gnie du Nord, fortes de leurs appuis
politiques dans l’entourage de l’em-
pereur Napoléon III, entendent désor-
maisétendre leurs réseaux respectifs
vers les régions industrielles des
Ardennes et du pays haut lorrain.
Avec le concours influant en haut lieu
de la banque des frères Pereire (3), la
Compagnie de Paris à Strasbourg sou-
met l’exécution d’une ligne de Reims
à Charleville et Givet avec embran-
chement vers Sedan, en même temps
que les Rothschild (4), actionnaires
principaux de la Compagnie du Nord
soumettaient, eux, une ligne Laon –
Neufchâtel – faubourg de Reims (mais
ignorant la ville) – Rethel à Mézières.
Ce dernier projet provoque la fureur
du conseil municipal de Reims qui, en
novembre 1852, accepte à l’unani-
8-
Historail
Juillet 2011
Coll. F. Villemaux
A�n de concurrencer la houille belge, il fallait
étudier une ligne de Valenciennes à Mézières […].
Vue générale de
la gare de Virieux
avant 1914. C’est la
première localité
du département
atteinte par
le chemin de fer
de la ligne belge
Mariembourg –
Treignes – Frontière
du réseau
de l’Entre-Sambre-
et-Meuse.
Juillet 2011
Historail
naissance des premiers chemins de fer… ]
mité la demande de la Compagnie de
Strasbourg en pressant le ministre des
Travaux publics, Pierre Magne (5), de
hâter l’adoption de l’avant-projet des
ingénieurs Payen et Thirion.
L’essor économique sous le Second
Empire va être émaillé d’une succes-
sion de rivalités, conséquences d’une
lutte féroce sur toutes les places
financières d’Europe, afin de contrôler
et accaparer le développement des
chemins de fer, des mines, de la
banque, des assurances et de l’indus-
trie en général; parmi les principaux
instigateurs, le groupe financier des
frères Pereire et la richissime famille
Rothschild. La naissance du chemin
de fer dans les Ardennes va être l’une
des plus révélatrices péripéties de ce
monde affairiste. Parmi l’une des
causes exacerbant cette rivalité, fut le
concours de James de Rothschild
apporté à Paulin Talabot (6), contre
les intérêts de la banque Pereire à la
constitution du chemin de fer de Lyon
à la Méditerranée (cette compagnie
LM fusionnera en 1857 avec d’autres
dans le sud-est de la France pour
aboutir à la constitution du plus grand
réseau ferré national de l’époque: le
PLM [Paris – Lyon à la Méditerranée]).
Pour répliquer, les frères Pereire créent
en novembre 1852, le Crédit mobilier,
organisme de crédit d’aide à l’indus-
trie en même temps qu’une machine
de guerre montée contre la puissance
des Rothschild; le directeur de ce nou-
veau Crédit mobilier se trouve être
Benoît Fould, le frère d’Achille Fould (7)
ministre des Finances et deuxième per-
sonnage de l’État après l’Empereur, le
ministre s’employant à « travailler »
ce dernier pour s’affranchir de la tutelle
des Rothschild. C’est sur ce fond que
s’affrontent les deux grands groupes
financiers pour obtenir les concessions
désirées vers les Ardennes et la fron-
tière. Le ministre des Travaux publics,
Pierre Magne, est désireux de tran-
cher. En mars 1853, son portefeuille
est étendu au Commerce et à l’Agri-
culture, et il va vraisemblablement pri-
vilégier un troisième groupe désirant
« se tailler un territoire », groupe qui
toutefois reste contrôlé par l’entou-
rage du ministre Fould, tout en ten-
tant de désamorcer la rivalité dans ce
contexte, entre les deux grands
groupes financiers cités précédem-
ment. Par décret du 20 juillet 1853
sont attribués à une compagnie
locale, un chemin de fer de Reims à
Charleville et Sedan, et, un autre, de
Creil à Beauvais. La présidence de
cette compagnie est confiée à Charles
Philippe Henri de Noailles, duc de
Mouchy (8), l’échafaudage financier
de la jeune compagnie assuré princi-
palement par le banquier Seillère, ami
d’une vieille famille protestante ar-
dennaise spécialisée dans la finance,
les Neuflize, ainsi qu’un autre ban-
quier, le comte Henri Siméon, fils d’un
ancien ministre de Louis XVIII. Ce sera
la genèse de la Compagnie des
Ardennes et de l’Oise, dont l’appro-
bation des statuts est entérinée par
décret du 11 juillet 1855.
Tout en assurant le montage financier
des premières lignes concédées pour
lesquelles on doit réunir 30 millions
de francs – des capitaux anglais vont
y contribuer aussi – la nouvelle com-
pagnie est désireuse de s’ouvrir un
Photos Coll. F. Villemaux
En haut, la
locomotive Est
n°363 vue au dépôt
primitif de Mohon
en 1885. Elle
assurera le premier
train de la première
ligne de la Cie des
Ardennes le 1
sept.
1857 entre Creil
et Beauvais.
Ci-dessus, au nord
de la gare de Reims,
à l’origine, la lisière
de la Cie des
Ardennes et la Cie
de l’Est à gauche,
les voies vers la
gare voyageurs et la
gare marchandises
de Clairmarais, sites
de la Cie de l’Est
(début
XX
s.).
Réseau
[ la Compagnie des Ardennes:
débouché vers la capitale en convoi-
tant la concession d’une ligne directe
de Soissons à Paris, en même temps
qu’elle envisage de mailler son futur
réseau vers la frontière belge, ainsi
qu’au-delà de Sedan, vers le pays haut
lorrain et la vallée de la Moselle.
Durant la même période, la Compa-
gnie du Nord (et son actionnaire prin-
cipal, la banque Rothschild) avait
demandé, elle aussi, la concession d’une
ligne de Paris à Soissons. La banque
Pereire et son Crédit mobilier enten-
daient contribuer aux financements
des projets de la jeune compagnie des
Ardennes et de l’Oise, et avaient
« monté » la « petite » compagnie
contre la « grande » Compagnie du
Nord, la « petite » désirant grandir
et ambitionnant la relation Paris –
Soissons à Givet et la frontière, ainsi
qu’une transversale Rouen à Reims
avec pour point d’appui la section
primitivement concédée de Creil à
Beauvais. Durant cette période, le
ministre d’État, Achille Fould, a cédé
en février 1855 son portefeuille des
Finances à Pierre Magne; ce dernier
voit sa charge de ministre de l’Agri-
culture, du Commerce et des Travaux
publics, attribuée à Eugène Rouher (9),
jusque-là, ministre de la Justice. Le
gouvernement recherche alors à don-
ner un semblant de cohérence à
toutes ces infrastructures ferroviaires
naissantes et tente de mettre fin à
tout ce « bazar » de rivalités d’inté-
rêts. Dans ses fonctions, Eugène
Rouher va devenir un des arbitres des
plus équitables au possible dans
la recherche de l’intérêt général…
des intérêts de l’État, des usagers,
des compagnies; il devient l’artisan
des grandes fusions et conventions de
la décennie qui aboutissent, notam-
ment, à la convention de 1859 dite
« convention de Franqueville » (10),
du nom du directeur des Chemins de
fer au ministère des Travaux publics.
Avec ces conventions, certes, les action-
naires sont contrôlés par le regard
de l’État, mais en même temps ils
bénéficient d’une garantie d’intérêt,
sorte de maintien des droits acquis
malgré le régime de concession et les
résultats financiers à attendre moins
favorables des nouvelles lignes. Ainsi,
à l’orée de la décennie 1860, et com-
plétés par les conventions de 1883,
ont émergé les plus grands réseaux
ferrés du pays qui seront nationalisés
en 1938 par la création de la SNCF (11).
C’est dans ce contexte qu’est attri-
buée à la Compagnie du Nord la
concession d’une ligne de Paris à
Villers-Cotterêts et Soissons (décret
impérial du 26 juin 1857), frustrant
ainsi la petite Compagnie des
Ardennes et de l’Oise. Embarrassé,
le gouvernement, malgré ses préfé-
rences, se doit de ménager le groupe
Rothschild sur recommandation de
l’Empereur. Il attribue alors à la jeune
compagnie un ensemble de nouvelles
concessions représentant 259km
de lignes, soit de Charleville à
Givet, Sedan à Audun-le-Roman et
Thionville, Longuyon à Longwy à la
frontière belge vers Arlon, ainsi que
Reims à Soissons. Toujours dans le
souci d’homogénéiser les grands
réseaux qui se dessinent sur le terri-
10-
Historail
Juillet 2011
Photos Coll. F. Villemaux
En haut, un omnibus
Reims – Laon entre
en gare remorqué
par une 3500 (future
230 B SNCF).
Ci-dessus, le BV
de Witry-lès-Reims
à l’architecture
proche de celle
du BV de Loivre.
Un train omnibus
Charleville – Reims
entre en gare,
tracté par
une locomotive
série 800
dite «chameau»
(début xx
siècle).
Juillet 2011
Historail
toire national, le ministre Rouher
prescrit l’échange avec la Compagnie
du Nord, de la ligne de Creil à
Beauvais contre celle de Laon à Reims
dont les travaux de constructions ont
déjà bien avancé lorsque toutes ces
dispositions font l’objet du décret
impérial du 11juin 1857. Cela
aboutit donc à un réseau naissant de
417 km de lignes. Avec l’échange
de ligne intervenant dans ce décret,
la Compagnie des Ardennes et de
l’Oise modifie ses statuts primitifs et
prend l’appellation de « Compagnie
des chemins de fer des Ardennes »
après décret du 3juillet 1857. Toute-
fois l’accès vers la capitale du nou-
veau réseau en voie de constitution
n’étant pas résolu, le décret du 11juin
1857 avait recommandé le principe
d’une fusion avec la Compagnie de
l’Est. Leurs relations bienveillantes font
que le principe d’une fusion avait été
déjà décidé précédemment par un
accord du 12mai 1857. Dès lors, les
deux compagnies vont partager leurs
voies en deux groupes à leur point
de contact à Reims. Reims est déjà
desservi par le chemin de fer, depuis
mai-juin 1854, avec l’ouverture de
« l’embranchement » Épernay à
Reims de la ligne Paris à Strasbourg…
La première ligne de la jeune
Compagnie des Ardennes est ouverte
au service en août-septembre 1857,
c’est la « ligne échangée », la section
à double voie de Laon à Reims
en cours de finition à l’application
du décret de juin 1857.
Dès la constitution de la Compagnie
des Ardennes et de l’Oise, en juillet
1855, il avait été procédé au recrute-
ment des ingénieurs des études,
MM. Gallois et Grillé sous l’autorité
en décembre 1855 de M. Ducos,
ingénieur en chef; ce dernier avait
déjà une expérience précédente à la
constitution des premières lignes de
la Compagnie de l’Ouest.
Des considérations militaires et des
difficultés d’expropriation des terrains
ajoutées à des lenteurs administratives
retardent les levers d’études parcel-
laires et l’attribution des marchés de
travaux. Le gros des travaux d’instal-
lations fixes (ouvrages d’art, bâtiments
de service, ballastage, pose des
voies…) est confié à l’entreprise
Parent & Schaken. Les rails sont fournis
au prix de 295 francs la tonne par
les usines De Wendel à Hayange
et Schneider au Creusot, ces deux
familles actionnaires de la Compagnie.
Creil – Beauvais (37 km –
septembre 1857)
Première section ouverte au service et
primitivement étudiée par la Compa-
gnie des Ardennes et de l’Oise, cette
naissance des premiers chemins de fer… ]
La construction et les mises en service successives
des lignes du réseau de la Compagnie des Ardennes
Coll. F. Villemaux
Coll. F. Villemaux (Coll. J. Bazot)
En haut, un train
de marchandises
en gare de Tagnon
(en 1905).
Ci-dessus :
jusqu’au début
des années 1880,
la gare de Rethel
possédait
des installations
de traction
(remise à machines,
installations
hydrauliques) qui
vont devenir
sans usage après
l’ouverture du dépôt
d’Amagne en 1883.
Réseau
[ la Compagnie des Ardennes:
ligne est destinée à relier le chef-lieu
du département de l’Oise à la grande
ligne Paris – Lille de la Compagnie du
Nord. C’est la ligne « échangée »
citée précédemment, objet du décret
impérial du 10 juin 1857 (désormais
exploitée par la Compagnie du Nord)
et pour laquelle la jeune compagnie
change son appellation primitive en
Compagnie des chemins de fer des
Ardennes. Un hommage est rendu au
duc de Mouchy, fondateur de la jeune
compagnie, décédé en 1854. Un mo-
nument est inauguré en gare de
Mouy le 20 septembre 1857 en pré-
sence du duc de Noailles. Pour l’oc-
casion les premières locomotives type
120 construites chez Schneider sont
baptisées respectivement: 120 N° 1
Beauvais, n° 2 Hermès, n° 3 Mouchy,
n° 4 Noailles, n° 5 Mouy, n° 6 Mello
(Hermès et Mello étant le site des
demeures de la famille de Noailles).
Laon – Reims (51 km –
septembre 1857)
Cette section est ouverte le même
jour que le tronçon Creil – Beauvais,
objet de l’échange prononcé par le
décret du 10 juin 1857, évoqué pré-
cédemment; les travaux entrepris par
la Compagnie du Nord ne vont pas
rencontrer de difficultés notoires, si ce
n’est que des zones marécageuses
entre Laon et Coucy-lès-Eppes, les
gros ouvrages d’art ne concernent
que le franchissement de la vallée de
l’Aisne et le canal latéral à Guignicourt
puis la rivière Suippe. Sur tout le tracé,
les déclivités ne dépassent pas 3 ‰,
tandis que les sections de courbes ont
des rayons supérieurs à 1000m. Aux
abords de Reims, le choix de l’empla-
cement de « l’embarcadère » (12) est
âprement discuté par les trois com-
pagnies concernées (celle du Nord à
l’origine, et celles de l’Est et des Ar-
dennes). Un compromis laborieux
aboutit à deux sites séparés selon la
nature du service à assurer; le service
des voyageurs se fera à frais communs
dans le BV (bâtiment voyageurs) de la
Compagnie de l’Est mis en service en
1854 à l’arrivée du chemin de fer à
Reims, et installé (à l’emplacement
actuel) alors à l’ouest de la ville sur la
rive droite de la Vesle; quant au ser-
vice des marchandises, la Compagnie
des Ardennes implante sa gare
propre sur un terrain de 7 ha au lieu-
dit Bétheny, terrain acquis précédem-
ment par la Compagnie du Nord à
la jonction des voies Laon – Reims et
Reims – Charleville.
La pose de la voie a été facilitée par
l’accès des carrières de la Fère et
Guignicourt fournissant les pierres à
ballast. À sa mise en service, la sec-
tion est à voie unique, mais le trafic
marchandises devient tel qu’elle est
mise à double voie dès juillet 1858. À
ces échéances les travaux d’extension
du réseau vers Charleville sont en voie
de finition, tandis que sur les autres
sections de lignes concédées, les
études et travaux sont déjà avancés…
Reims – Rethel (38 km –
10 juin 1858):
première section de Reims
à Charleville
La ligne s’embranche sur celle de
Laon dans la zone de la gare mar-
chandises de la Compagnie des
12-
Historail
Juillet 2011
Coll. F. Villemaux (Coll. J. Bazot)
Coll. F. Villemaux
En haut, la gare de
Bazancourt (1905).
Le BV a été remanié
et agrandi lors
de l’ouverture de la
ligne 22 Bazancourt –
Challerange –
Apremont. À la voie
1 bis stationne
un omnibus pour
Apremont.
Ci-dessus, la gare de
Saulces-Monclin
vue au début
du
XX
siècle.
Le cantonnement
des trains est
assuré par le
block manuel avec
électro-sémaphores
Lartigue.
Juillet 2011
Historail
Ardennes du lieu-dit Bétheny. Après
avoir atteint la première station,
Witry-lès-Reims, quelques passages
en tranchée permettent le franchis-
sement des vallées de la Vesle et de
la Suippe, cette dernière franchie à
Bazancourt. À nouveau quelques
passages en tranchée pour vaincre
les molles ondulations de la plaine
champenoise et rejoindre la vallée de
la Retourne franchie peu avant la sta-
tion du Châtelet, première gare dans
le département des Ardennes. Après
avoir passé Tagnon, le relief ren-
contrénécessite la percée d’un tun-
nel de 747 m sur la commune de
Perthes suivi d’un parcours en tran-
chée facilement entrepris dans la
craie, mais sa faible résistance au
temps et aux conditions atmosphé-
riques impose un muraillage en
maçonnerie de la galerie et des parois
de tranchées. Ce seuil franchi, la
ligne plonge en légère pente et passe
successivement la route de Vouziers
par un viaduc, puis le canal des
Ardennes et l’Aisne par un pont de
10 m d’ouverture suivi d’un pont à
trois arches précédant de peu la gare
de Rethel.
La section Reims à Rethel est parcou-
rue par un train d’essai le 30 mars
1858 et ouverte à l’exploitation le
10 juin suivant.
Rethel – Charleville
(49 km – 15septembre
1858): seconde section
de Reims à Charleville
Après Rethel, la ligne atteint
Amagne-Lucquy par le versant droit
de la vallée de l’Aisne et contraire-
ment à la section précédente, les
difficultés vont être tout autres;
pas moins de… 1500000m
de ter-
rassement seront nécessaires à
sa réalisation. Au sortir de la gare
d’Amagne, la ligne va attaquer une
longue rampe de 10 ‰ et les crêtes
pré-ardennaises vont devoir être
contournées ou franchies à ciel ou-
vert en longues tranchées muraillées
dans un terrain argileux notamment
entre Faux et Saulces-Monclin et qui
va donner du souci en permanence
(même encore aujourd’hui) aux tech-
niciens du service de la voie. Après
un petit faux plat à la traversée de la
section de Saulces-Monclin, la rampe
se poursuit jusqu’au faîte des ver-
sants Aisne et Meuse peu avant la
gare de Launois. La gare dépassée,
la ligne en légère pente suit le cours
de la Vence, d’abord sur sa rive droite
jusqu’à Poix-Terron puis la retraverse
par quatre fois par des ponceaux en
maçonnerie jusqu’à sa confluence à
la Meuse après avoir passé la station
de Boulzicourt. Au-delà de Mohon,
sur le dernier kilomètre, la ligne fran-
chit une première fois la Meuse par
un pont à tablier métallique, puis
passe sous la lisière sud des fortifica-
tions de Mézières par un souterrain
de 140 m. Ce tunnel est percé dans
du calcaire sableux et des marnes
sensibles aux agents atmosphériques.
En maçonnerie sur toute sa longueur,
le Génie militaire impose deux corps
de garde à chaque tête ainsi qu’une
galerie longue de 140 m faisant
communiquer le tunnel avec les fos-
sés de la place forte. La ville signale
que le tunnel passe sous le réservoir
naissance des premiers chemins de fer… ]
Photos Coll. F. Villemaux
En haut, la gare de
Launois vers 1910.
Un train voyageurs
entre en gare, tracté
par une 3600.
Ci-dessus, à
La Francheville,
le passage à niveau
de la RN 51, au
début du
XX
siècle.
Le PN était aussi
le siège de la halte
de desserte
de la localité.
Réseau
[ la Compagnie des Ardennes:
de captage des sources alimentant
les fontaines de la ville et dont le
tarissement est à craindre… Le
souterrain débouche une seconde
fois sur un pont de Meuse avant
d’entrer à la gare commune à
Mézières et Charleville.
La section (à voie unique) est livrée à
l’exploitation le 15septembre 1858,
alors même que les bâtiments de ser-
vice (gares, halles à marchandises…)
ne sont pas terminés; d’entrée, le tra-
fic va devenir tel que la ligne sera mise
à double voie depuis Reims et mise
en service en juin 1861. En prévision
de l’extension du réseau vers Givet et
la frontière, et Sedan et au-delà, des
installations fixes de traction (rotondes
à machines, grands ateliers) et de
matériel roulant remorqué (remise à
voitures, atelier d’entretien wagons)
sont implantés dans le quartier de
Mohon, sur l’actuelle friche du « trian-
gle » de Mohon – Villers-Semeuse, site
des grands ateliers wagons de l’Est
fermés en 1980.
(Charleville) Mohon –
Donchery (15km –
14 décembre 1858)
Débutant par un parcours en tranchée
jusqu’à Villers-Semeuse, cette section
va nécessiter sur l’essentiel de son par-
cours jusqu’aux abords de Sedan, une
levée continue de terrain pour établir la
plate-forme hors du niveau des crues
du lit majeur de la Meuse, occasion-
nant ainsi 631000 m
de terrassement,
agrégats prélevés dans le lit majeur du
fleuve occasionnant ainsi le creusement
des premières « ballastières » à
Nouvion et Donchery. Un grand pont
d’ouverture de 60 m franchit la Meuse
avant la halte de Lumes puis la ligne
atteint la station de Nouvion installée
au bord du fleuve puis Vrigne-Meuse
franchissant la rivière, la Vrigne, avant
d’atteindre Donchery, terminus provi-
soire; la section est ouverte à l’exploi-
tation le 14 décembre 1858.
Donchery – Sedan
(4 km – 17 mai 1859)
Ce contretemps pour atteindre Sedan
résidait sur l’incertitude du lieu d’im-
plantation de la future gare suite à
des considérations militaires relatives à
nos places fortes de la frontière nord-
est, prétexte à de longs palabres entre
le ministère de la Guerre et celui des
Travaux publics. La Compagnie des
Ardennes privilégiait l’installation de
la gare hors des enceintes fortifiées et
le conseil municipal exigea son im-
plantation dans le faubourg de Torcy,
le centre-ville, depuis la place Turenne
à la gare, desservi par un service
omnibus hippomobile.
Après Donchery, la ligne franchit la
Meuse à nouveau pour rejoindre la
rive gauche et atteint la gare de Sedan
après avoir contourné les enceintes
fortifiées du faubourg de Torcy.
Charleville – Nouzon
(7 km – 14 septembre
1859): première section
de la ligne Charleville
à Givet et à la frontière
Équipée à double voie dès sa
construction, cette courte section ou-
14-
Historail
Juillet 2011
Photos Coll. F. Villemaux
En haut, aux abords
de Mézières-
Charleville, un train
de marchandises
remorqué par une
030 «zéro»
ex-Compagnie des
Ardennes franchit
le pont d’Arches.
Ci-dessus,
les ateliers wagons
de l’Est, au début
des années 1920.
Le dépôt primitif
des locomotives
a disparu du site,
remplacé par le
dépôt (actuel) mis
en service en 1909.
Juillet 2011
Historail
verte au service en septembre 1859,
est l’amorce de l’itinéraire vers la
Belgique en trois points de contact:
À Vireux, déjà atteint par le chemin
de fer en mai 1854 par la ligne
Mariembourg – Treignes – frontière de
la Compagnie de l’Entre-Sambre-
et-Meuse. À Givet une première fois,
vers l’ouest avec le réseau de l’Est
belge vers Morialmé, et une deuxième
fois avec la Compagnie du Nord
depuis Heer-Agimont vers Liège.
Ces relations donnent accès aux
bassins houillers et industriels de
Liège-Mons-Charleroi et sont fort pro-
metteuses en recettes financières à
attendre, avec les transports massifs
de pondéreux.
Au départ de Charleville, deux tracés
avaient été examinés par une com-
mission mixte (Ponts et Chaussées,
Génie militaire, Compagnie des Ar-
dennes): l’un au sortir de Charleville
par le cours de la vallée de la Meuse
sur sa rive droite (qui sera retenu), l’au-
tre attaquant par une rampe sévère
l’accès aux plateaux de la rive gauche
de la Meuse jusqu’à Revin. L’itinéraire
retenu permettra une desserte
fine des localités industrielles de la
« vallée », mais devra être réalisé au
prix d’impressionnants travaux de génie
civil: six tunnels, six grands ponts fran-
chissant la Meuse, des dizaines de
ponceaux pour écoulement des eaux,
traversées de ruisseaux, franchisse-
ments de chemins vicinaux.
Jusqu’à la mise en service de la ligne
de Givet dans sa totalité en avril 1862,
la gare de Nouzon, terminus pro-
visoire, est équipée d’une voie
d’embranchement desservant un
appontement en Meuse, permettant
le transbordement du fret depuis et
vers la voie fluviale.
Sedan – Carignan (23 km –
23 septembre 1861)
Amorce de l’itinéraire de la rocade
nord-est Lille à Strasbourg et à Bâle,
ce tronçon constitue la première
section de Sedan à Thionville, objet
de la concession du 10 juin 1857 à la
Compagnie des Ardennes. S’y ajou-
tait un embranchement de Longuyon
à Longwy et la frontière constituant
un accès vers le Grand-duché du
Luxembourg ainsi qu’une troisième
relation avec la Belgique désencla-
vait ainsi le bassin métallurgique
émergent de Longwy-Gorcy. La
vision d’avenir de ces pionniers du
chemin de fer allait être confortée
par la découverte, deux décennies
plus tard, du procédé Thomas-
Gilchrist qui allait avoir un retentis-
sement considérable dans le pays
haut lorrain, point de départ de la
grande aventure de la sidérurgie
moderne en France.
Les travaux entamés en juillet 1859,
la ligne au départ de Sedan va sui-
vre le cours de la Meuse jusqu’aux
abords de Bazeilles après franchisse-
ment d’un grand pont biais à trois
arches en fer de 20,70 m d’ouver-
ture, puis quatre arches en pierre de
10 m d’ouverture. Les fortes gelées
de l’hiver 1859-1860, suivies de
crues importantes puis des pluies in-
naissance des premiers chemins de fer… ]
Coll. F. Villemaux
Coll. F. Villemaux (Coll. J. Bazot)
En haut,
établissement
d’une plate-forme
en remblais. C’est
sous cette forme
que fut réalisée
la plate-forme
ferroviaire depuis
Villers-Semeuse
jusqu’aux abords
de Sedan pour être
hors d’atteinte
des crues.
Ci-dessus, un
omnibus pour Givet,
remorqué par une
800, entre en gare
de Nouzon (1905).
Réseau
[ la Compagnie des Ardennes:
16-
Historail
Juillet 2011
cessantes durant le printemps 1860,
vont conduire à reprendre les travaux
de fondations de piles des ouvrages
fortement endommagées, qui ne se-
ront terminées qu’à l’automne sui-
vant. Après Bazeilles et franchie la
station de Douzy, la ligne suit le cours
sinueux de la Chiers; pour éviter de
la franchir par quatre fois sur moins
de 1400 m, son cours doit être mo-
difié aux abords de Brévilly avec né-
cessité d’un travail titanesque occa-
sionnant 120000 m
de terrasse-
ment et mobilisant 450 ouvriers.
Indépendamment du grand pont
sur la Meuse avant Bazeilles, il ne
faudra pas moins de 28 ponceaux et
20 passages à niveau jusqu’à
Carignan pour franchir les petits
ruisseaux et chemins vicinaux de
cette section ouverte au service le
23 septembre 1861.
Reims – Fismes – Soissons
(54 km – 16 avril 1862)
Cette section est l’objet de la conces-
sion du 10 juin 1857, commune à la
ligne principale Reims – Charleville à
Sedan, et Charleville – Givet à la fron-
tière. Son tracé n’est approuvé que le
30 mai 1859, contretemps dû à l’ac-
cord préalable des autorités militaires
concernant l’emprise ferroviaire aux
abords de la place forte de Soissons.
Au départ de Reims, la ligne suit le
cours de la Vesle puis de l’Aisne par
un bon profil (déclivité 5 ‰).
800000m
de terrassement seront
nécessaires mais la nature du sol
calcaire ne fait pas rencontrer de
difficultés particulières malgré la
nécessité du nombre d’ouvrages:
quatre ponts d’ouverture de 10 m et
90 petits ouvrages (ponceaux, aque-
ducs, ponts-rails…).
Mise en exploitation le 16 avril 1862,
elle précède de peu l’ouverture en
service le 2 juin suivant du tronçon
Villers-Cotterêts à Soissons, troisième
section de la ligne de la Compagnie
du Nord de Paris à Soissons, qui sera
prolongée vers la frontière belge par
Laon atteint en 1866, Vervins en 1869
et Hirson en 1870.
Suite aux conventions passées avec le
Coll. F. Villemaux (Coll. J. Bazot)
Coll. F. Villemaux
Venizel est
la première gare
rencontrée sur la
section Soissons –
Reims. Un omnibus
dessert la petite
halte, remorqué par
une 021 du dépôt
de Reims (1905).
La gare de
Carignan, vue
pendant la guerre
de 1914-1918.
Une passerelle
a été construite
par l’occupant
allemand.
Juillet 2011
Historail
Nord, la Compagnie des Ardennes va
désormais pouvoir assurer une rela-
tion de Sedan – Charleville à Paris-
Gare-du-Nord sans changement
de train; cette relation couverte en
6heures sera effective lors de l’ou-
verture de la section la plus orientale
du réseau des Ardennes, Pierrepont
à Thionville, à l’application du service
général au 18 mai 1863.
Cette section Reims – Fismes – Soissons
sera l’explication de l’implantation des
poteaux kilométriques (PK) que nous
observons encore de nos jours sur la
ligne 2 Est Paris – Longwy. Ainsi Char-
leville à 240 kilomètres de Paris-Est au
PK 142, Sedan au PK 158, Carignan
au PK 180. Quand il a fallu réaliser le
piquetage des points kilométriques,
la Compagnie des Ardennes, voyant
s’évanouir toute perspective d’avoir
sa ligne propre depuis Paris, décida
l’origine de son kilométrage (PK zéro)
depuis sa gare la plus proche de la
capitale, Soissons… à défaut de pra-
tiquer comme les grands réseaux
(Compagnie Est, Nord, Ouest, Paris à
Orléans, PLM) qui situent l’origine du
kilométrage de leurs lignes mères au
départ de la gare parisienne de leurs
réseaux respectifs: Gare-de-l’Est,
Gare-du-Nord, Gare-Saint-Lazare,
Gare-Montparnasse, Gare-d’Austerlitz,
Gare-de-Lyon.
En 1894 l’ouverture de la section
Meaux – Trilport – La Ferté-Milon –
Fismes va réaliser la relation la plus
courte de Paris à Charleville et la
frontière et constituer une artère maî-
tresse de la Compagnie de l’Est, ligne
2 Paris à Longwy. La ligne 2 reprend à
la bifurcation de Bazoches, peu avant
Fismes, l’itinéraire originel depuis
Soissons… et le kilométrage implanté
restera en place…
Nouzon – Givet –
Frontière belge
(58 km – 28 avril 1862)
Nouzon est terminus provisoire de la
section de la ligne Charleville –
Givet à la frontière depuis le 14 avril
1859. Cette deuxième section suit la
vallée de la Meuse mais au prix de ter-
rassements considérables, plus de
3 millions de m
dans le schiste résis-
tant, et va nécessiter un nombre
imposant d’ouvrages d’art pour
contourner et franchir les boucles du
fleuve ainsi que de traverser les
contreforts du massif ardennais: cinq
grands ponts de cinq à sept arches à
ouverture de 20 m, 18 petits viaducs
de franchissement de routes et chemins
vicinaux, 60 ponceaux, six tunnels…
Aussitôt Nouzon, la ligne coupe la
Goutelle et suit le cours de la Meuse
jusqu’à la station de Braux-Levrézy
(rebaptisée Bogny-sur-Meuse en
1966) et perce le massif des Quatre-
Fils-Aymon par un tunnel de 517 m
débouchant en gare de Monthermé-
Château-Regnault-Bogny (contractée
en gare de… Monthermé en 1966),
gare enserrée entre le tunnel de
Château-Regnault, un grand pont de
naissance des premiers chemins de fer… ]
Photos Coll. F. Villemaux
Un omnibus Reims –
Soissons remorqué
par une antique 021
du dépôt de Reims
entre en gare de
Jonchery-sur-Vesle
(1905).
Ci-dessous, à la
halte PN de Joigny-
sur-Meuse en 1905.
Un train de
marchandises entre
en gare, mené par
une locomotive 040
dite «Engerth».
Réseau
[ la Compagnie des Ardennes:
Meuse puis un nouveau tunnel de
801 m. La ligne suit maintenant la rive
gauche du fleuve, atteint Deville puis
par le pont de Laifour retrouve la rive
droite. La ligne s’engouffre dans un
tunnel de 486 m et rejoint la rive
gauche par le pont d’Anchamps. Un
tunnel de 396 m la fait déboucher en
gare de Revin. La Meuse à nouveau
franchie, la ligne va couper au-delà
les Manises. Près de l’écluse Saint-
Joseph, un ouvrage imposant de six
piles à tablier métallique coupe une
dernière fois la Meuse pour suivre la
rive gauche jusqu’à Givet. Après la
gare de Fumay: un tunnel de 558 m,
la ligne suit le cours du fleuve et passe
la station de Haybes. À Vireux, la ligne
fait sa jonction avec la première ligne
ayant desservi les Ardennes françaises,
la ligne Mariembourg – Treignes –
Frontière ouverte dès juin 1854,
acheminant les houilles du bassin de
Mons-Charleroi jusqu’à la voie fluviale.
Aussitôt Vireux et coupé le Viroin, la
ligne continue le cours du fleuve,
passe sous la lisière sud de la place
forte de Givet à la « Porte de France »
et s’engouffre dans le souterrain de
Charlemont, 510 m. La jonction avec
le réseau de l’Est belge est assurée par
un prolongement de 2 km à la fron-
tière vers Morialmé.
La section est livrée à l’exploitation le
28 avril 1862, ouverture retardée par
des dégâts occasionnés aux culées et
piles des ponts de Meuse après les
crues importantes de l’année 1860,
retard dû aussi à l’attente de livraison
par les Établissements Schneider des
tabliers métalliques du grand pont de
l’écluse Saint-Joseph.
D’abord à voie unique, la voie est
doublée en octobre suivant pour faire
face à tout le trafic des houilles repris
à la voie fluviale, trafic amplifié par
les nouveaux débouchés donnés par
l’ouverture des lignes vers les bassins
industriels parisien et lorrain (Longwy
et Thionville). Des conventions inter-
nationales autorisent les trains belges
à pénétrer dans les gares françaises
de contact de Givet et Vireux, ces dis-
positions nécessitent l’implantation
d’imposants bâtiments de service pro-
pres à chaque administration pour
faire face aux formalités d’échange et
de douane.
Carignan – Montmédy
(26 km – 28 avril 1862)
Carignan est terminus provisoire de
la première section de la ligne Sedan
à Thionville depuis septembre 1861.
Cette deuxième section continue la
vallée de la Chiers sur sa rive droite
puis s’en écarte à Margut pour la
rejoindre à Lamouilly, première station
dans le département de la Meuse.
Longeant ainsi une zone maréca-
geuse, la ligne repasse la Chiers sur
sa rive gauche. Aussitôt Chauvency,
un viaduc fait franchir la route
de Montmédy et retraverse la Chiers
puis elle va cheminer au pied de
l’adret d’un massif de collines boisées
et atteindre le vallon de La Thonnelle,
franchi par un beau viaduc de
14 arches, surplombant la rivière à
17,50 m de hauteur. La ligne va
18-
Historail
Juillet 2011
Photos Coll. F. Villemaux
En haut, dans
le style purement
«Compagnie des
Ardennes», le BV
de Braux-Levrézy et
son abri de quai.
Ci-dessus, la gare
de Monthermé-
Château-Regnault-
Bogny vue en 1905.
À droite, la voie
d’intérêt local
vers Laval-Dieu
et Phades
où stationnent
une 030 «zéro»
et un fourgon Est.
Juillet 2011
Historail
s’engouffrer dans le tunnel de Mont-
médy (807 m). Cet ouvrage va poser
de gros problèmes par les zones
d’éboulis à ses extrémités et la nature
du terrain percé par le tunnel, des
bancs de marnes fracturés par
endroits avec pour conséquences des
problèmes endémiques du drainage
satisfaisant des eaux souterraines.
Le tunnel débouche en gare de Mont-
médy, localité siège d’une grande
place forte de la frontière nord-est aux
fortifications édifiées sous Vauban.
La section est ouverte à l’exploitation
le 28 avril 1862, alors que les travaux
de la 3
section au-delà vers Lon-
guyon, Pierrepont et Thionville sont
déjà bien entamés depuis mars 1860.
Montmédy – Pierrepont
(30 km – 1
août 1862)
Les difficultés des terrains rencontrés
vont nécessiter nombre d’ouvrages
d’art: 12 ponts, 34 aqueducs et pon-
ceaux, 951000m
de terrassement,
cela est aggravé par les intempéries
des automnes-hivers 1860-1861 et
Après Montmédy, la ligne continue
le cours de la Chiers, la franchissant
par trois fois entre Velosnes et au-
delà de Vezin, puis perce une colline
boisée à Colmey par un souterrain
de 278 m, une boucle de la Chiers
franchie par deux ponts en maçon-
nerie, et s’engouffre dans le tunnel
de Vachemont (343 m). Peu après
la sortie du tunnel, la ligne va dé-
boucher à nouveau sur la Chiers par
un beau viaduc et atteindre Lon-
guyon, localité qui va connaître un
essor prochain avec le chemin de fer.
Peu après la gare de Longuyon la
ligne rejoint la vallée de la Crusnes,
affluent de la Chiers, puis perce
un massif boisé par le tunnel de la
Platinerie (670 m) avant de s’élever
progressivement sur les contreforts
du pays haut lorrain et atteindre
Pierrepont où un viaduc fait franchir
la Crusnes et la route de Briey. Les
travaux de voie sont réceptionnés
le 25 juillet 1862 et la ligne livrée à
l’exploitation le 1
août suivant.
Givet – Frontière belge
(3 km – 5 février 1863)
Depuis le 28 avril 1862, la ligne Reims –
Charleville à Givet est ouverte dans sa
totalité. La Compagnie des Ardennes
a deux points de contact avec les
niveaux belges: à Vireux avec la Com-
pagnie de l’Entre-Sambre-et-Meuse, à
Givet vers Morialmé avec la Compa-
gnie Est belge. Il ne restait qu’à assurer
la continuité de la vallée de la Meuse à
la frontière par un maillon de 3 km en
jonction avec le réseau du Nord belge
vers Dinant et Namur. Cette jonction
est réalisée le 5 février 1863 de Givet à
la frontière et la gare de Heer-Agimont.
Cette dernière relation va apporter des
débouchés considérables à la Compa-
gnie des Ardennes par les courants de
transport induits de et vers le nord de
la Belgique et les Pays-Bas. À l’appli-
cation du service général de mai 1863,
une liaison directe aller-retour de
Namur (Givet) à Paris est assurée en
9 heures 50.
naissance des premiers chemins de fer… ]
Photos Coll. F. Villemaux
En haut, après avoir
dépassé la gare
de Monthermé-
Château-Regnault-
Bogny, un train de
marchandises passe
sur le pont de
Meuse vers Givet,
tracté par
une locomotive
«Engerth» du
dépôt de Mohon.
Ci-dessus, un train
pour Charleville
va marquer l’arrêt
en gare de Deville.
(Suite page22)
Réseau
[ la Compagnie des Ardennes… ]
20-
Historail
Juillet 2011
Le bref destin de la Compagnie des Ardennes ici étudiée par
Francis Villemaux illustre à la fois le « boom » ferroviaire que va
connaître le début du second Empire, mais aussi la vie éphémère
des nombreuses compagnies écloses alors.
Depuis 1846, plus aucune compagnie n’a été créée: contrecoup de la
crise spéculative qui a caractérisé le « boom ferroviaire » de
1844-1845, où sur adjudications, les groupes financiers se disputaient
âprement les lignes dessinées par la fameuse étoile Legrand de 1842,
ce « schéma directeur » avant la lettre du réseau national. En 1848,
les compagnies les mieux installées (Paris-Orléans, Paris-Rouen, Nord,
Paris-Strasbourg) ont failli échapper au sort qui va frapper celle de
Paris-Lyon: en déconfiture, elle a sollicité son rachat!
Lorsque par son coup d’État du 2 décembre 1851, Louis Napoléon
Bonaparte renverse la II
République et institue l’Empire, il entend si-
gnifier aux compagnies en place et aux groupes financiers qui les ani-
ment, son ferme soutien politique: le 28 décembre, la concession di-
recte d’un chemin de Ceinture que devront se partager les quatre
compagnies parisiennes (Rouen, Nord, Strasbourg, Orléans) avec l’État
(exploitant la ligne rachetée de Paris-Lyon), bénéficiant de surcroît
d’une forte contribution financière de l’État, en est le signal fort.
Ainsi s’ouvre ce nouveau régime de concessions directement
octroyées de gré à gré, sans même approbation par les deux chambres,
Corps législatif et Sénat, en vertu d’un simple décret impérial!
Ainsi vont naître successivement plusieurs compagnies de 1852
à 1857:
• en 1852, nouvelle compagnie de Paris à Lyon (capital de 120 mil-
lions de francs), Dijon à Besançon (16,60 millions de francs), Dole à
Salins (concédée aux Salines de l’Est), Blesme et Saint-Dizier à Gray
(16 millions de francs), Graissessac à Béziers (18 millions de francs),
Paris à Caen et à Cherbourg (30 millions de francs), Provins aux
Ormes (1,65 million de francs), Midi (67 millions de francs);
• en 1853, Grand Central de France (90 millions de francs), livré au
demi-frère de l’Empereur, le duc de Morny, Lyon à Genève (45 mil-
lions de francs), Saint-Rambert à Grenoble (25 millions de francs),
Jonction du Rhône à la Loire (30 millions de francs), issue de la
fusion des trois compagnies pionnières implantées entre Rhône et
Loire, Ardennes et Oise (21 millions de francs);
• en 1854, Carmaux à Albi, concédée à la Compagnie des Mines
de Carmaux, Bessèges à Alais (4 millions de francs), Montluçon à
Moulins (22 millions de francs), Ouest (150 millions de francs);
• en 1855, Paris à Lyon par le Bourbonnais, partagée entre les com-
pagnies d’Orléans, de Lyon et le Grand Central;
• en 1856, Chauny à Saint-Gobain, concédée à la Manufacture des
glaces de Saint-Gobain.
Dans cette ferveur ferroviaire retrouvée, encouragée, a pu trouver
place une compagnie telle celle des Ardennes et de l’Oise, pariant
sur une nouvelle artère majeure à créer entre celles de Paris – Lille
et de Paris – Strasbourg, second axe orienté vers la Belgique. Com-
pagnie donc en grande partie « provinciale »: si son siège est à
Paris, 68, rue de Provence, de très nombreux Rémois ont souscrit à
son capital, ainsi que les bourgeoisies ardennaises de Rethel,
Vouziers, Charleville, Sedan. Le maire de Reims, le négociant en
champagne Werlé, sera administrateur de la Compagnie, aux côtés
de représentants locaux, tous résidant en fait à Paris: les deux
sénateurs Siméon et le duc de Mouchy, les deux députés, le baron
de Ladoucette et le baron Seillière…
Certes, la Compagnie des Ardennes et de l’Oise a dû réviser à la
baisse ses prétentions à jouer dans la cour des grands: abandon-
nant au Nord (à Rothschild donc) la ligne de Creil à Beauvais, elle
a ainsi corrigé son appellation: le décret du 3 juillet 1857 l’autorise
à prendre la nouvelle dénomination simplifiée de Compagnie des
chemins de fer des Ardennes.
Mais cette même année, une nouvelle crise économique et finan-
cière met un terme au climat spéculatif précédent: l’heure est bien-
venue maintenant des fusions entre grandes et petites compagnies,
vouées à fusionner au profit des plus importantes… Ainsi, le Grand
Central, attelé à construire des lignes très coûteuses au profil acci-
denté, est le plus touché: condamné à sa liquidation, les dépouilles
issues de son démembrement seront partagées entre les compa-
gnies d’Orléans et de Lyon qui gagnent ainsi en carrure. Fortifiée par
cet apport, ainsi est constituée en 1857 la plus puissante de toutes
les compagnies européennes, la Compagnie de Paris à Lyon et à la
Méditerranée, au capital énorme de 400 millions de francs! Ainsi
fonctionne cette sorte de jungle ferroviaire, qui semble obéir à la
théorie darwinienne de la « loi du plus fort », où les plus petits
finissent par être mangés par les plus gros.
Toutefois, si l’Empire autoritaire encourage ces reclassements, il
exige la poursuite du développement du réseau national, bon
tremplin électoral en province pour y favoriser les élections de ses
« candidats officiels ». C’est là que les compagnies, fragilisées par
l’éclatement de cette nouvelle bulle ferroviaire, rechignent à suivre
ces injonctions politiques: elles ont bien compris qu’une fois
les beaux morceaux du réseau national partagés entre elles et
exploités, chaque ligne nouvelle, de plus en plus secondaire, ne
promet guère de jolis dividendes!
D’où les négociations qui aboutiront aux fameuses conventions de
1859 et à un compromis financier: dans chaque compagnie, on dis-
tingue l’ancien réseau, rentable a priori, et le nouveau réseau au
capital duquel l’État accorde sa garantie d’intérêt, 4,65 % pendant
50 ans: une simple avance annuelle faite à la compagnie pour
rémunérer ses obligataires, remboursable les beaux jours revenus…
Une autre possibilité s’offrait aux petites compagnies: se faire ra-
cheter au meilleur prix par une plus grosse. Telle sera, après quatre
années d’existence, l’option de la Compagnie des Ardennes, dont un
décret du 11 juin 1859 valide son absorption par la Compagnie de
l’Est, titulaire déjà des deux artères Paris – Strasbourg et Paris –
Belfort. Ainsi par l’acquisition de cette troisième artère, celle-ci mar-
quait-elle définitivement son « pré carré ».
Georges RIBEILL
Le destin éphémère d’une compagnie sous le second Empire
La courte vie de la Compagnie des Ardennes est une bonne illustration de la théorie darwinienne de la «loi
du plus fort», qui conduisit les petites compagnies ferroviaires à se faire absorber par les plus grosses.
Réseau
[ la Compagnie des Ardennes:
Longuyon – Longwy-Bas
(16 km – 3septembre 1863)
et Longwy-Bas –
Frontière belge
(5 km – 12 février 1863)
Cet embranchement de 21 km ouvert
en deux étapes était inclus dans la
concession du 10 juin 1857, tandis
qu’une convention internationale du
20 septembre 1860 imposait une re-
lation avec la ligne d’Arlon pour donner
accès aux houilles et cokes belges vers
les usines métallurgiques de Longwy.
Dès la bifurcation de Longuyon, la ligne
s’engage dans la vallée étroite et
sinueuse de la Chiers avec franchisse-
ment en plusieurs endroits de ses bou-
cles et doit vaincre les avancées des
reliefs, cela va nécessiter la construc-
tion de huit ponts, deux tunnels et
18 petits ouvrages (aqueducs, ponts-
rails…). À Rehon la vallée s’ouvre
quelque peu, la ligne atteint la gare de
Longwy-Bas puis se poursuit à Mont-
Saint-Martin, siège des usines Labbé
où sont en activité les hauts-fourneaux
parmi les plus gros de France.
Peu après, la ligne atteint la frontière
aux limites des communes de Mont-
Saint-Martin et Aubange. La section
terminale Longwy-Bas à la frontière
est ouverte au service le 12 février
1863 et exploitée par la CBGDL
(Compagnie belge du Grand-duché
du Luxembourg), tandis que la
première partie de l’embranchement
depuis Longuyon n’est ouverte que
le 3septembre suivant.
Pierrepont – Thionville
(39 km – 25 avril 1863)
Constituant la quatrième section de
Sedan à Thionville, à partir de Pierre-
pont, la ligne suit le cours de la
Crusnes sur sa rive gauche, franchit la
Pienne, son affluent, par un viaduc.
Elle franchit encore par sept fois la
Crusnes par ponceaux avec un par-
cours en remblais dans son lit majeur
marécageux. Elle atteint alors, dans
l’épais massif forestier, la station
isolée à mi-chemin des villages de Jop-
pécourt et Fillières avant d’attaquer
une longue rampe dans un relief acci-
denté nécessitant nombre de tran-
chées muraillées et souterraines; un
dernier souterrain de 196 m toujours
en rampe, et la ligne va atteindre le
faîte du plateau du pays haut lorrain à
Audun-le-Roman (330 m d’altitude),
limite de séparation des eaux des bas-
sins versants Meuse et Moselle. Au
début du
siècle la mise en valeur
du sous-sol ferrifère du pays de Briey
donnera un essor considérable à la
modeste station de l’époque. La ligne
va plonger vers le val de Moselle; après
la localité de Fontoy, elle s’engage dans
la vallée étroite de la Fentsch qu’elle
traverse à son ouverture pour rejoin-
dre sa rive gauche à Knutange par un
imposant et magnifiqueviaduc de huit
arches, au plus haut à 26 m du thal-
weg de la rivière et dessert Hayange.
Hayange, berceau du bassin métal-
lurgique de la famille De Wendel,
actionnaire de la Compagnie des
Ardennes, qui fournira avec Schneider,
maître des forges du Creusot, autre
gros actionnaire, les rails du réseau
Ardennes. Après Hayange, à flanc des
côtes de Moselle, elle rejoint la ligne
de Metz pour atteindre Thionville, la
gare d’origine alors à ses débuts, ins-
tallée sur la rive gauche de la Moselle
en dehors des enceintes fortifiées de la
ville. Cette quatrième section est livrée
à l’exploitation le 25 avril 1863.
22-
Historail
Juillet 2011
En haut, une vue de
la gare «en bois»
de Givet (1907) côté
cour à voyageurs.
Des considérations
stratégiques
militaires avaient
imposé à
la Compagnie
des Ardennes
la construction de
tous les corps de
bâtiments de la gare
en structures légères
démontables.
Ci-dessus, au début
des années 1920 à
Fumay. Un omnibus
pour Givet marque
l’arrêt (il est
composé de voitures
Est et de voitures
prussiennes
«armistice»).
Photos Coll. F. Villemaux
(Suite de la page19)
Juillet 2011
Historail
Évoqué précédemment, l’accès direct
à la capitale du réseau de la Compa-
gnie des Ardennes n’ayant pu être
résolu, cette sujétion constituera une
raison primordiale de la recomman-
dation de fusion avec la Compagnie
de l’Est prononcée par le décret
impérial du 11juin 1857.
Ce décret laissait le soin à la Compa-
gnie des Ardennes de terminer ses
lignes concédées, en cela assorties
de conditions avantageuses à ses
actionnaires et prévoyait cette fusion
à l’échéance du 1
janvier 1866.
Pourtant, dès mars 1863, le ministre
des Travaux publics annonce que
cette fusion peut être anticipée avec
effet au 1
janvier 1864, alors même
que les deux dernières sections orien-
tales, Longuyon à Longwy-Bas et
Pierrepont à Thionville ne sont pas
encore livrées à l’exploitation.
Malgré sa brève existence, en moins
d’une décade, la Compagnie des
Ardennes remet à la Compagnie de
l’Est tout un réseau performant « ver-
tébrant » les Ardennes et la grande
région. La petite compagnie dispa-
raissait honorablement.
La Compagnie de l’Est, « dans la
corbeille de la mariée » ne laissait pas
comme d’autres compagnies primi-
tives absorbées (avant ou après elle)
un passif à l’État et la ruine de ses
actionnaires. Depuis la Picardie et
la Champagne, courant vers et sur
les frontières belges et luxembour-
geoises jusqu’à la Moselle, ce réseau
des Ardennes était-il prémonitoire
de l’extraordinaire essor des décen-
nies suivantes?
Essor qui va générer l’essentiel
des recettes financières du trafic
marchandises de la Compagnie
de l’Est avec la grande aventure de
la sidérurgie moderne qui va
poindre dans le bassin industriel
de Longwy-Briey…
Le réseau primitif de l’éphémère
Compagnie des Ardennes va consti-
tuer le socle de tout le maillage
ferroviaire régional des nouvelles
lignes jusqu’à l’apogée du chemin de
fer à la veille de la guerre de 1914.
De nos jours, la Compagnie des
chemins de fer des Ardennes
pérennise son empreinte par
l’architecture typique avec plusieurs
variantes d’installations fixes des
gares, telles les bâtiments voyageurs
originels préservés des destructions
de la guerre de 1914-1918, ou en-
core par le piquetage des poteaux
kilométriques de la ligne de l’Est
Paris – Charleville – Longwy… avec
pour origine le « kilomètre zéro »
de Soissons.
Francis VILLEMAUX
(L’auteur remercie chaleureusement
son ami André Jacquot, éminent his-
torien du chemin de fer français pour
son apport de documentation issue
des rapports de conseil d’administra-
tion de la Compagnie des Ardennes
ainsi que la relecture des textes.)
naissance des premiers chemins de fer… ]
La fusion avec la Compagnie de l’Est: 1
janvier 1867
La ligne a franchi la
«Porte de France».
Ici, une vue sur
l’entrée du tunnel
de Charlemont
(510m), qui
débouche sur
la gare de Givet.
Vue générale du
quartier de la gare
de Deville, au début
des années 1920.
Un train omnibus
à destination
de Charleville
marque l’arrêt.
Photos Coll. F. Villemaux
Réseau
[ la Compagnie des Ardennes:
(1) Les saint-simoniens: disciples
des pensées philosophiques de Claude
Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon
(1760-1825). Ce gentilhomme picard
après avoir beaucoup voyagé, entrepris
et fréquenté nombre d’hommes
politiques, savants artistes, médecins,
initia une philosophie économique
et sociale. À l’aube de la révolution
industrielle, il pensait allier ce
dynamisme et ses progrès techniques.
Tout par et pour l’industrie, avec une
doctrine sociale avancée, selon ses écrits,
pour régénérer la société. Pour
le plus grand bien de l’Humanité.
Après sa mort, un de ses plus fervents
disciples, Prosper Enfantin, militera pour
ces idéaux et les transformera en
une doctrine fortement empreinte
de mysticisme. D’une génération
romantique nourrie par Jean-Jacques
Rousseau, les saint-simoniens font
connaître leur vision du monde dans les
journaux de l’époque tels,
Le Producteur
ou
Le Globe
, et recrutent nombre
de leurs adeptes dans le corps
des ingénieurs polytechniciens.
(2) Compagnie de Paris à Strasbourg.
Concédée selon la charte de 1842,
la Compagnie de Paris à Strasbourg est
créée en novembre 1845. Sa ligne
maîtresse depuis Paris à la frontière
allemande fut mise en service par
tronçons successifs de 1849 à 1852,
avec l’ouverture de la première section
de Paris à Épernay le 2septembre 1849.
Indépendamment de nouvelles
concessions qu’elle obtiendra, et ce,
ajouté à l’absorption de compagnies
primitives, telles Strasbourg à Bâle,
Montereau à Troyes, Blesne à Gray, elle
sera la genèse de la constitution de la
Compagnie de l’Est le 21 janvier 1854.
(3) Les frères Pereire. Émile (1800-1875),
Isaac (1806-1880). Avec la famille des
Rothschild, ils vont être parmi les grands
financiers pionniers de l’aventure des
premiers chemins de fer en France, et en
général du développement économique
jusqu’à la fin du Second Empire avec
notamment la fondation du Crédit
mobilier. Émile Pereire fut le fondateur
de la Compagnie de Paris à
Saint-Germain en septembre 1832, et
artisan de la construction de cette ligne,
la première en France destinée au service
voyageurs, ouverte au service le 24 août
1837, les travaux encadrés par
les grands ingénieurs saint-simoniens,
tels Flachat, Clapeyron, Lamé.
(4) Famille Rothschild, Meyer Amschel
Rotschild (1743-1812), banquier
allemand, fut le fondateur de cette
dynastie financière internationale.
Sa succession assurée par ses cinq fils
va connaître un essor considérable
accompagnant les avancées
de la révolution industrielle et
le développement économique induit
sur les plus grandes places financières
d’Europe, et qui vont faire de cette
famille, une des plus grandes fortunes
de leur époque. Dans cette fratrie, c’est
le fils cadet, le baron James (1792-1868)
qui aura le rôle le plus déterminant
en France à la défense des intérêts de
la famille, financier et actionnaire dans
nombre de grandes initiatives
économiques, financières et industrielles
depuis la Restauration jusqu’à la fin
du Second Empire. Son fils, Alphonse
(1827-1905) devint régent de la Banque
de France en 1855, dont l’actionnaire
principal est la famille.
(5) Pierre Magne (1806-1879). Avocat
du Périgord, élu député en 1843, il rallie
le prince Louis Napoléon après les
événements de 1848, il devient ministre
des Travaux publics après le coup d’État
du 2 décembre 1851. Toutefois,
24-
Historail
Juillet 2011
Notes
Franchissant la
Chiers à Montmédy,
un train de
marchandises tracté
par une 030 de
construction belge
«Tubize» provenant
de la Compagnie
primitive LS
(Lérouville – Sedan).
Ces petites
machines étaient à
l’effectif des dépôts
de Mohon et
Longuyon au début
du
siècle.
Coll. F. Villemaux
Curiosité
26-
Historail
Juillet 2011
D
até de 1900, dans ce cahier retrouvé d’un écolier de la classe
de cours moyen, 1
division, le Lotois Fernand Decremps,
nous relevons les exercices de géographie: dessins des fleuves
de France, de ses canaux, et, bien sûr, de ses « chemins de fer ».
On peut penser que la carte ici reproduite a été établie de
mémoire; fort imparfaite aux yeux de l’instituteur, qui lui attribue
la mention «assez bien» (voir entre Bordeaux et Châteauroux).
Le découpage du réseau est bien dessiné (traits bleus);
par contre, la localisation des stations laisse un peu à désirer:
l’écolier a retenu tout de même, de Paris à Toulouse, Orléans,
Vierzon, Châteauroux, Limoges, Brive,
Gourdon et Montau-
ban, ou
Figeac.
« Souvenons-nous que dans les années cinquante, les manuels
de géographie des classes primaires présentaient des cartes et
des tableaux des principales lignes ferroviaires et enseignaient
même le nombre des régions SNCF », se souvient le sexagénaire
Hubert Haenel,
Régionalisation ferroviaire: les clés d’un
succès,
Éditions La Vie du Rail, p.15)
. En réalité, un écolier de
même niveau, serait-il en mesure aujourd’hui de dessiner une
aussi bonne carte ferroviaire de la France?
Georges RIBEILL
École communale:
la «France ferroviaire» était
encore au programme…
Collection G. Ribeill
L’écolier a obtenu la mention «assez bien»:
si le découpage du réseau est bien dessiné, en revanche,
la localisation des stations laisse un peu à désirer…
Presse
28-
Historail
Juillet 2011
Deux Unes de «L’Écho de la STCRP»: la mise en page
soignée et la thématique historique dénotent un
positionnement culturel de la revue fortement affirmé.
«L’Écho de la STCRP»,
journal d’entreprise du transporteur
public parisien
Bien avant
Entre les lignes
ou même
Quinzo,
la revue d’entreprise de
la RATP,
L’Échode la STCRP
s’était donné pour mission d’instruire
et de distraire les employés du transporteur parisien, mais également
de conforter la «culture d’entreprise» d’une société hétérogène, issue du
regroupement de plusieurs réseaux. Une publication éclectique au contenu
étonnant, à plusieurs niveaux de lecture, et à l’existence éphémère.
Coll. Ph.-E. Attal
Juillet 2011
Historail
L
janvier 1921, une nouvelle
entreprise apparaît dans la région
parisienne. Elle est désormais en
charge de façon exclusive de tous les
transports de surface, remplaçant ainsi
les nombreuses compagnies qui se fai-
saient concurrence jusqu’alors. Seule
compétente, la Société des transports
en commun de la région parisienne
(STCRP) va s’employer à moderniser
le réseau, constitué de matériels et de
cultures disparates. S’appuyant en
grande partie sur l’ancienne CGO, la
Compagnie générale des omnibus,
elle reprend également les activités de
compagnies aussi diverses que l’Est
parisien ou les TPDS, les Tramways de
Paris et du département de la Seine. Si
la CGO était la seule à exploiter des
autobus, les autres entreprises avaient
constitué des réseaux de tramways
généralement concentrés sur un
secteur de la région et utilisant des
modes de traction, des matériels et
un type d’exploitation spécifiques.
Quelques petites lignes restées en
marge, comme les Chemins de fer du
bois de Boulogne, seront intégrées
plus tard au cours de la décennie.
La mission de la STCRP est immense,
donner une homogénéité au nouvel
ensemble, créer une synergie au sein
d’un réseau constitué bien souvent
dans une logique de concurrence.
Cette harmonisation va prendre plu-
sieurs aspects, avec notamment la
mise en place d’une complémentarité
entre les lignes, la modernisation de
l’exploitation et des infrastructures,
ou encore la mise en service de ma-
tériels modernes aptes à circuler sur
tout le réseau. Une nouvelle numéro-
tation est instaurée et la totalité du
matériel est repeint dans une livrée
vert et crème, les couleurs de l’an-
cienne CGO. Peu à peu, l’entreprise
va apparaître aux yeux du public
comme un ensemble unifié.
Cette apparence ne reflète qu’une
partie de la réalité. L’une des tâches
les plus difficiles des dirigeants sera
de créer une véritable culture d’en-
treprise, un lien là où la concurrence a
été de mise pendant plusieurs décen-
nies. Logiquement, les employés rat-
tachés au dépôt d’une compagnie
durant une grande partie de leur car-
rière ne se sont pas forcément immé-
diatement sentis la fibre pour le nouvel
exploitant. Le même problème se po-
sera plus tard à la CMP, Compagnie
du métro de Paris, puis à la RATP, qui
lui a succédé, entre les réseaux sou-
terrains et de surface après la fusion
imposée en 1942 par les pouvoirs
publics. Longtemps après cette date,
les deux entités vont continuer à fonc-
tionner de façon autonome.
En parallèle à l’unification des réseaux,
la STCRP va également mettre en
place un certain nombre d’organismes
destinés notamment à créer un lien
indispensable à la bonne marche de
l’entreprise. Il s’agira, entre autres,
d’œuvres sociales, de colonies de
vacances, de centres de formation ou
d’apprentissage. À partir de 1929 est
également créé un outil de communi-
cation moderne, une revue d’entreprise
à l’époque où ce type d’instrument
n’était pas encore aussi répandu
qu’aujourd’hui. Ainsi paraît, en octo-
Autobus et
tramways dans le
trafic parisien place
du Havre en 1930
(photo du haut) et
motrice C de 1913
vers 1924 (photo
du bas): afin d’offrir
l’image d’un
ensemble unifié, la
totalité du matériel
de la STCRP,
d’origines diverses,
a été repeint
en vert et crème,
les couleurs
de l’ancienne CGO,
la plus importante
des sociétés
regroupées dans
la nouvelle entité.
RATP/LVDR
RATP/LVDR
Presse
[ « l’Écho de la STCRP»,
bre 1929, le premier numéro de
L’Échode la STCRP.
On trouve à cette période le même
type de revue parmi les compagnies
de chemin de fer qui ont précédé la
création de la SNCF, en 1938. Ainsi,
des titres comme
Le Bulletin PLM, Le
P.O. illustré
ou encore
L’État notre ré-
donnent aux employés un senti-
ment fort d’appartenance à leur com-
pagnie. Ces publications seront par la
suite remplacées par
Notre Métier,
dont le premier numéro paraît le
15 mai 1938, quelques mois à peine
après la création de la SNCF. Ce ma-
gazine deviendra progressivement,
entre 1950 et 1952,
La Vie du Rail,
dont l’ancien nom
Notre Métier
per-
sistera en complément jusqu’en 1957.
Créer une revue d’entreprise, même si
l’idée n’est pas nouvelle, constitue un
pari risqué. En 1929, c’est le choix que
font les dirigeants de la STCRP, près
de huit ans après la formation de la
société. Il s’agit, en effet, de s’adresser
à une population dont les journées
de travail sont encore très longues et
dont le niveau scolaire pour devenir
receveur ou conducteur d’autobus
n’est pas forcément très élevé. Privi-
légier l’information écrite nous semble
aujourd’hui étonnant. Entendre parler
du travail durant ses rares heures de
loisir pouvait effectivement rebuter les
plus motivés. Logiquement, on pour-
rait penser que l’équipe en charge de
L’Écho
aurait édité un magazine sim-
ple de lecture, largement illustré et ne
faisant que de très loin référence à la
vie de la société. En feuilletant la
revue, on est à l’inverse surpris par le
niveau culturel, qui semble très éloi-
gné de l’image du petit employé des
années 1930. On peut dès lors s’in-
terroger sur les objectifs recherchés
par la nouvelle publication.
Dans le n° 1, paru en octobre 1929,
on trouve, dès la page 3, un éditorial
sur trois quarts de page intitulé « Ce
que veut être notre revue ». Dans une
langue très littéraire, l’accent est mis
d’emblée sur l’esprit de solidarité:
œuvrer ensemble pour le bien com-
mun. On retrouve ici logiquement la
notion de lien indispensable dans une
entreprise issue de cultures différentes.
«[…] Le facteur le plus susceptible de
réaliser, chez nous, l’union amicale et
durable entre tous les membres sans
exception de cette belle et grande
famille qu’est la STCRP où nous
sommes tous étroitement voisins par
la communauté de professions, de
traditions, de règlement et d’intérêt…
C’est le journal. » Et très vite l’accent
est mis sur le côté distrayant, « facile
à lire, agréable à parcourir, reposante,
instructive sans être pédante » et sans
« imposer des heures supplémentaires
lorsqu’elle parle service, mais se bor-
nant à vous donner, en toute cordia-
lité et toute simplicité, de bons avis et
d’utiles indications ». En clair, il s’agit
donc d’une revue plaisante à lire où
l’employé va s’instruire y compris dans
le domaine de son travail, et qui le
rendra fier en toute camaraderie d’ap-
partenir à cette belle famille qu’est la
STCRP. La réalité est quelque peu dif-
férente du propos. Le contenu de ce
premier numéro nous donne, à ce
titre, d’intéressantes indications. On
y trouve, sur deux pages, l’histoire de
l’entreprise à travers celle de son siège
quai des Grands-Augustins. Plus loin,
c’est l’histoire des omnibus, depuis
« les carrosses à 5 sols » de Pascal
jusqu’aux voitures modernes, dans
un texte également sur deux pages
intitulé « Voyage autour de mon
réseau ». Ailleurs, c’est « La petite his-
toire de nos tramways » sur une
pleine page. Visiblement, il s’agit de
mettre l’accent sur l’Histoire, de la-
quelle ressortent logiquement des
racines communes.
Dans une autre partie, on aborde,
plus classiquement, la communica-
tion interne en présentant, cette fois,
une entreprise tournée vers l’avenir,
avec un article consacré à l’École d’ap-
prentissage de la STCRP, ou un autre
sujet sur les « Nouveaux omnibus pa-
risiens », caractéristiques générales,
moteur, transmission, le tout dans un
texte assez technique. La même ap-
proche est développée dans un article
sur l’appareil oblitérateur, dans lequel
est expliqué tout le bien fondé de la
nouvelle machine. Reste que la revue,
si elle a des messages à faire passer,
doit rester attrayante, familiale et
30-
Historail
Juillet 2011
Illustration parue
dans le n°20,
d’octobre 1931.
Coll. Ph.-E. Attal
Juillet 2011
Historail
abordable. On retrouve donc un peu
plus loin une rubrique « d’économie
domestique » sur une demi-page, sui-
vie d’un communiqué de l’Associa-
tion sportive des transports. Ailleurs,
c’est un long poème datant de 1865
intitulé « L’Omnibus », suivi d’une cri-
tique littéraire d’environ une page et
des promotions au tableau d’honneur
(pour des employés ayant en
moyenne 30 ans de service et qui ont
commencé leur carrière dans une au-
tre entreprise que la STCRP). En der-
nière page (quatrième de couverture),
la rubrique « Au fil du trolley » se veut
distrayante, avec jeux, rébus et devi-
nettes.
Ce mélange des genres entre com-
munication interne, mise en avant de
valeurs communes et articles à carac-
tère culturel se retrouvera tout au long
de la courte existence de la revue. On
peut s’interroger devant ce premier
numéro sur la cible réelle de la publi-
cation et sur le lectorat concerné. La
langue y est trop belle, bien que dans
le ton des publications de l’époque,
et les sujets un peu trop « élitistes »
par rapport au niveau culturel et aux
centres d’intérêt de nombre des pe-
tits employés de l’entreprise. Cette
tendance va se confirmer au fil des
mois et on retrouvera des articles
consacrés à la musique de Rimski-Kor-
sakov ou encore à l’exposition de
peinture du Salon d’automne.
Dès le n° 2, paru en novembre 1929,
on trouve, sous l’intitulé « Quelques
lignes à nos lecteurs », un commen-
taire sur les premières réactions
suscitées par la revue: « L’accueil cha-
leureux que vous avez réservé à
L’Écho
de la STCRP
constitue pour nous un
précieux encouragement et nous paie
largement des efforts que nous avons
faits pour vous documenter et vous
distraire. N’hésitez pas à nous adresser
vos observations; peut-être que som-
meille en vous la verve d’un conteur
ou d’un humoriste; notre journal met-
tra toujours largement ses colonnes
à la disposition de tous ceux qui, sa-
chant tenir la plume, veulent faire
profiter leurs camarades de leurs
connaissances ou de leur expé-
rience. » Si l’invitation à collaborer est
ouverte, seuls les plus instruits, ceux
« sachant tenir la plume », peuvent
effectivement prêter leur aide. Incon-
testablement, la revue va conserver
un aspect fourre-tout un peu difficile
à comprendre pour notre vision ac-
tuelle. Dans le numéro de novembre
1929, on trouve à la fois un texte sur
la protection des machinistes face aux
intempéries, un autre sur le labora-
toire de psychotechnique expliquant
les tests de sélection du personnel, et,
plus loin, un article d’une pleine page
sur la syphilis tendant à revenir sur les
préjugés et commençant par cet aver-
tissement: « Il n’y a pas de maladies
honteuses… Mais il y a la peur enra-
cinée d’un mot, et cette stupidité
suffit pour que des milliers d’êtres
meurent! » À plusieurs reprises dans
L’Écho
, des textes seront consacrés à
la santé et aux règles d’hygiène à res-
pecter. Replacé dans le contexte de la
rareté des moyens de communication
de l’époque, on comprend mieux ce
fatras, même si le mélange des genres
nous paraît nuisible à la bonne circu-
lation de l’information.
journal d’entreprise du transporteur public parisien ]
Fac-similés
d’articles:
divertissement,
communication
interne et culture
cohabitent dans
la revue.
La rédaction de la revue est ouverte à tous
les collaborateurs «sachant tenir la plume».
Coll. Ph.-E. Attal
Au fil des numéros, la revue va peu à
peu s’éloigner du quotidien des em-
ployés, limitant le nombre de sujets
consacrés directement à la vie de l’en-
treprise pour aborder des thèmes de
plus en plus généraux. On retrouve,
une fois de plus, le désir de distraire et
d’informer au-delà de la communica-
tion d’entreprise directe.
On peut pourtant s’interroger de fa-
çon légitime sur l’aspect purement phi-
lanthropique de l’aventure. La STCRP,
si elle est dépendante des pouvoirs
publics, a également des comptes à
rendre et des actionnaires à satisfaire.
La mise en place d’un outil comme
L’Écho
a tout de même un coût qui n’est pas
négligeable à une époque où la mis-
sion essentielle de la nouvelle société
consiste à rationaliser son exploitation
pour constituer un ensemble cohérent.
La question reste donc de savoir
quelles sont les raisons véritables de la
création de la revue et les buts qu’elle
s’est assignés? Ces informations, en
dehors de tout document précis
retrouvé aux archives de la RATP, peu-
vent ressortir dans les pages mêmes
de
L’Écho
. Tout d’abord, quelle est la
cible réelle? Le choix des articles de
culture générale, la qualité d’écriture,
la densité très importante du texte par
rapport l’illustration en font
a priori
instrument destiné à l’encadrement.
Certains sujets médicaux d’informa-
tion ou d’économie ménagère peu-
vent laisser entendre qu’ils s’adressent
aux petits employés, mais le choix de
certains des thèmes abordés et la qua-
lité du langage en excluent d’emblée
les moins instruits.
Dans le n° 4, de janvier 1930, on trou-
ve quelques lignes, après les vœux de
nouvel an, indiquant que la rédaction
« est heureuse, en outre, de leur faire
connaître que pour répondre au désir
exprimé par de nombreux agents, elle
augmentera le tirage du prochain nu-
méro. En conséquence, les agents dé-
sireux de recevoir régulièrement notre
revue voudront bien donner leur nom
à leur chef de service, afin d’être
assurés d’une distribution régulière ».
Ainsi donc, la diffusion n’est pas
générale et il faut souvent en faire la
demande pour recevoir son exem-
plaire. Une démarche qui confirme là
encore que l’encadrement est plus à
même de se manifester en ce sens.
On peut tout de même imaginer que
bon nombre d’employés se retrou-
vaient avec la revue entre les mains et
que l’intérêt qu’ils y portaient était
dicté parfois par le niveau scolaire. L’as-
pect fourre-tout pouvait logiquement
permettre plusieurs niveaux de lecture,
de la rubrique des jeux jusqu’aux
exposés les plus pointus.
Après s’être interrogé sur la cible, on
peut le faire sur le propos. Il est indé-
niable que l’un des buts est de forger
une culture d’entreprise au sein d’une
société, qui malgré ses huit ans d’âge
à la création de
L’Écho
, en reste dé-
pourvue. Cette mission pouvait tout
à fait être relayée par l’encadrement
auprès des petits employés. On va
donc logiquement trouver des textes
destinés à gagner ce lectorat, et d’au-
tres plus « institutionnels », relayant la
position de l’entreprise sur certaines
questions cruciales.
Presse
[ « l’Écho de la STCRP»,
32-
Historail
Juillet 2011
Ci-contre et page
suivante (en bas):
marquées par une
esthétique et un
graphisme typiques
des années de
l’entre-deux-guerres,
différentes têtières
de rubriques
témoignant de
l’éclectisme
du sommaire
de la revue.
Coll. Ph.-E. Attal
Juillet 2011
Historail
Au chapitre des loisirs et de la dis-
traction sont publiés des textes
comme « L’autobus évanoui », long
feuilleton n’étant, malgré son intitulé,
que moyennement en rapport avec
l’entreprise.
Dans le n° 13, de décem-
bre 1930, quatre pages forcément un
peu austères sont consacrées aux vi-
traux. On parlera ici ou là du Salon de
l’automobile, comme dans le n° 4 ou
encore de « Thomas Edison, le génial
inventeur » dans le n° 23, de janvier
1932. De longues études sont consa-
crées à l’Histoire, abordée par le biais
de l’ancien couvent des Grands Au-
gustins, sur l’emplacement duquel a
été construit le siège de la CGO, puis
de la STCRP (resté longtemps par la
suite celui de la RATP). Ailleurs c’est la
ville de Beauvais qui est consacrée, au
prétexte qu’elle est desservie par les
autocars des excursions de la STCRP.
Dans le même registre mais avec peut-
être plus d’ambition, on trouve de
l’information scientifique voire de la
formation. Une série d’articles relati-
vement techniques abordent des
questions diverses telles que « La lu-
mière et l’éclairage artificiel », ou en-
core « Le moteur à explosion ». Là se
confondent sans doute le désir d’in-
former et celui, un peu paternaliste,
des grandes entreprises de l’époque
de prendre en main une part de l’ins-
truction de ses employés.
Mais, comme toute revue d’entreprise
qui se respecte,
L’Écho
est aussi l’outil pour
faire passer le point de
vue de la direction et
ses grandes orienta-
tions. On retrouve là
une approche plus
conventionnelle et cer-
tains sujets directement
liés à l’entreprise en sont l’illustration.
Il s’agira notamment de textes abor-
dant les aspects techniques du travail
au travers des différents métiers et
établissements, comme cet article in-
titulé « Nos apprentis à l’atelier »
(n° 20, octobre 1931), suivi de « Pour
devenir bon apprenti et bon ouvrier »,
ou encore, « La vie dans un dépôt de
tramway en 1931 ».
Dans le n° 19, de juillet 1931, on
trouve une pleine page avec portrait
intitulée « En l’honneur de M. André
Mariage, Président du Conseil d’Ad-
ministration, Administrateur-Délégué
de la STCRP ». Un texte sans nuance
célébrant le 30
anniversaire de
M.Mariage dans les transports parisiens.
De façon plus insidieuse, on trouvera
également des textes sans doute des-
tinés à préparer les esprits sur telle ou
telle orientation choisie. Ainsi cette
très longue série d’articles publiée sur
« Les problèmes de la circulation » et
rédigée par un ingénieur attaché à la
direction générale de l’Exploitation.
Un sujet abordé dans le contexte du
développement de l’automobile et de
la remise en cause du tramway peu à
peu remplacé, à Paris puis en ban-
lieue, par l’autobus. De cette étude
technique approfondie, abordant tous
les aspects du transport en commun,
journal d’entreprise du transporteur public parisien ]
Un exemple d’article
de vulgarisation
scientifique comme
les affectionnait
« L’Écho».
Coll. Ph.-E. Attal
Coll. Ph.-E. Attal
A
lors que la ligne de la Maurienne,
de Chambéry à Modane, avait
été électrifiée par le PLM avec ali-
mentation en 1500 V continu par
troisième rail, son prolongement vers
le nord de Chambéry à Culoz s’est
effectué avec une alimentation
aérienne, marquant ainsi une impor-
tante rupture qui allait, pour cette
compagnie, représenter le chant du
cygne du troisième rail.
Cette évocation convie inévitablement
à un retour en arrière afin d’examiner
brièvement les quelques aléas qu’a
connus l’adoption de la traction élec-
trique dans notre pays.
Quelques considérations
sur l’électrification
en France
Avant la Première Guerre mondiale,
des recherches dispersées et variées
avaient eu lieu au sein des compa-
gnies dans la perspective d’une mise
en œuvre de la traction électrique,
mais elles restèrent, pour la plupart,
marginales et éphémères. Parmi
celles-ci, on ne saurait toutefois omet-
tre deux réalisations qui ont abouti; la
première en 1901, avec l’électrifica-
tion de la section Saint-Gervais – Cha-
monix en 550 V fourni par troisième
rail (poursuivie ensuite jusqu’à la
frontière suisse); la seconde en 1910,
avec Villefranche – Montlouis en 850 V
et troisième rail (poursuivie ensuite
jusqu’à Latour-de-Carol). Pour ces
lignes à voie métrique, la problé-
matique était de s’affranchir des
locomotives à vapeur à crémaillère,
l’alimentation électrique étant jugée
moins coûteuse car permettant de
gravir de fortes rampes en simple
adhérence. On remarquera, au pas-
sage, la longévité de ces deux lignes
puisqu’elles assurent aujourd’hui
encore leur double rôle au service du
public local et des touristes.
À l’issue de la Première Guerre mon-
diale, la traction vapeur, forte consom-
matrice de charbon, fut jugée moins
fiable, compte tenu des difficultés
d’approvisionnement qui avaient été
éprouvées durant le conflit, les houil-
lères du Nord étant dans la zone des
combats alors que celles de Lorraine
se trouvaient en territoire annexé par la
Prusse dès 1870. C’est alors que fut
réunie une commission interréseaux,
composée du PLM, du PO, du Midi et
de l’Ouest-État, afin de définir le mode
d’alimentation le plus approprié pour
électrifier les lignes de chemin de fer.
Sous l’influence du PLM, c’est le 1500
V continu avec alimentation par troi-
sième rail qui a été préconisé, une dé-
cision ministérielle du 29août 1920
entérinant ce choix, tout au moins
celui du 1500 V; quant au troisième
rail, il ne s’avérera pas comme le
mode exclusif de captage du courant,
bien qu’il ait été largement mis en
œuvre pour la desserte de la banlieue
parisienne de Saint-Lazare, qui, d’ail-
leurs, sera convertie ultérieurement à
l’alimentation par caténaire.
Sous la définition du 1500 V continu,
les Compagnies du Midi et du PO ont
largement mis en œuvre les ressources
hydrauliques des Pyrénées et du
Massif central pour électrifier leurs
réseaux, le PLM ayant suivi mais dans
une moindre mesure. À la veille de la
Seconde Guerre mondiale, la France
apparaissait avec un tiers nord non
électrifié (à l’exception de Paris –
LeMans, mis en service le 8mai 1937
et de certaines lignes de la banlieue
parisienne gérées par l’État et le PO) et
deux tiers sud électrifiés en 1500 V
continu. Les réseaux Nord et Est
étaient vierges de toute électrification,
ce mode étant jugé comme trop
vulnérable par les autorités militaires
en cas de conflit.
Cependant, en 1943, en pleine guerre
et sous l’impulsion de Louis Armand,
des études furent lancées dans la pers-
pective du retour à la paix; elles por-
tèrent sur le courant monophasé dit
«à fréquence industrielle» de 50 Hz,
qui, en définitive, sera retenu pour les
futures électrifications. Le choix trouva
sa première application (outre la phase
d’expérimentation sur Aix les Bains –
La Roche-sur-Foron – Annecy) sur
l’artère dite « Nord-Est » Valenciennes-
Thionville, et le courant alternatif
monophasé de 25 kV 50 Hz devien-
dra désormais la référence pour toutes
Juillet 2011
Historail
La 2CC2 3402 quitte
Chambéry en tête
du train 639 Paris –
Venise, via Culoz
et Modane (1960).
Le PLM, qui avait dans ses projets d’électrification la ligne de la Maurienne en site monta-
gnard, donnait alors la préférence au troisième rail pour deux raisons avancées: d’abord celle
d’une moindre vulnérabilité aux avalanches et chutes de rochers, ensuite celle de l’absence
d’engagement du gabarit en hauteur dans les tunnels. Dans la pratique, on a pallié les incidents
dus aux dénivelés par des galeries couvertes, des murs ou des filets de protection; quant à
l’engagement du gabarit dans les tunnels, il se pose encore aujourd’hui, mais en d’autres
termes, compte tenu du développement en cours des « autoroutes roulantes », qui consistent
à mettre sur wagons des camions et leurs remorques ou des remorques seules. Mais, par
ailleurs, le troisième rail constitue un danger reconnu pour les voyageurs dans les gares et
pour les équipes d’intervention en ligne, d’où sa non-généralisation.
J. C.
Troisième rail ou aérien?
Brûlé/Doc.
Mouche mais détachées à Chambéry,
avaient été munies de frotteurs et
arboraient une livrée bleu-vert et
blanc; parmi elles, la 6558 a été pré-
servée par l’APMFS.
Pour les marchandises, on peut évo-
quer les 10 161 BE (de type 1AB +
BA1, devenues 3601 à 10 à la SNCF),
à deux caisses, les dix 161 CE (de type
1CC1 devenues 3701 à 10 à la
SNCF), monocaisses, et les 10 161 DE
(type 1CC1, devenues 3801 à 10 à
la SNCF), à deux caisses. Mis à part
ces dernières, toutes ces machines
étaient munies d’une passerelle à
chaque extrémité avec une porte cen-
trale. Enfin, il n’est pas inintéressant
de mentionner ce que l’on a appelé
les « unités Maurienne », qui prove-
naient de l’assemblage dans les
années 1960 de deux anciennes BB 1
à 80 du PO – concernant leur accou-
plement, on avait supprimé la cabine
de conduite. Ces ensembles ont vail-
lamment remorqué de lourds trains
du RO; et entre Saint-Jean-de-
Maurienne et Modane, où les rampes
sont de 28 à 30 ‰, on pouvait met-
tre en œuvre une unité Maurienne
en tête avec deux en pousse, soit six
caisses au total!
Au-delà de l’aspect historique relatif
à son électrification, on peut constater
aujourd’hui que la ligne de la Mau-
rienne a conservé, et même déve-
loppé, son caractère de grand axe
d’échange transalpin entre la France
et l’Italie. L’autoroute ferroviaire
alpine, qui l’emprunte d’Aiton (France)
à Orbassano (Italie), a servi de test
pour la mise en œuvre du système
Modalohr, qui, après un démarrage
lent, a maintenant conquis les trans-
porteurs routiers, justifiant la création,
depuis le 13décembre 2010, d’un
cinquième AR journalier. Pour l’heure,
ce sont les très évoluées BB 36300 qui
assurent la traction et témoignent des
énormes avancées technologiques qui
ont été accomplies par rapport aux
locomotives électriques engagées à
l’époque du PLM.
Jean COLLIN
Laforgerie/Doc.
Juillet 2011
Historail
Culoz – Chambéry ]
Y. Broncard/Doc.
De haut en bas:
une CC 7100 en tête
du train 650
Chambéry – Paris,
près de Vions-Chanaz
(1969);
le même type
d’engin passe avec
le train 1718 Saint-
Gervais – Lyon près
d’Aix-les-Bains;
échantillon de locs
électriques à
Chambéry: 1CC1
3606, 1CC1 3608 et
une CC 6500 (1973).
Y. Broncard/Doc.
Juillet2010
Historail
était relié à Marseille en 10 heures 03
à ses débuts, il le sera en 6 heures 39
au service d’été 1975…
Il y eut une montée progressive de
la puissance, de la vitesse, de la
charge des rames, du nombre de
places proposées et des convois mis
en service (grâce aux circulations
périodiques supplémentaires et aux
dédoublements sous forme de
rapides de 1
classe créés à l’imita-
tion du
Mistral
dans les années
1970). Comme lui, le
Lyonnais
et le
Rhodanien
furent distingués par le
label Trans Europ Express.
Les rames évoluèrent dans leur
aspect et dans leur confort, digne
d’un paquebot de croisière.
Toutes ces évolutions, toute cette
réussite, loin d’engourdir, d’estom-
per ou de banaliser l’image de
modernité du
Mistral
, l’ont encore
renforcée dans l’esprit et le cœur
du grand public, qui en fit le train le
plus populaire de ce temps. Un
train emblématique d’un certain art
de vivre et de travailler, de penser et
de se comporter, dans ce pays si
particulier qu’est la France…
Il y a trente ans déjà, le
Mistral
per-
dait le label TEE, au changement de
service de septembre 1981, pour
devenir le train 180/181, de 1
classes, mélangeant voitures
Mistral
1969 et voitures Corail…
Un train éphémère, qui lui-même
disparaîtra l’année suivante.
Trente après, nous ne l’avons pas
oublié.
Jacques ANDREU
Cadre
emblématique
pour train mythique :
le «Mistral» sur
le viaduc d’Anthéor
en 1970. Avec ses
nouvelles voitures
«Mistral 69», mises
en circulation
depuis février 1969.
M. Imbert/coll. S. Coccoz
Juillet 2011
Historail
les, des nombreux cheminots va-
quant à leurs multiples activités,
sous l’immense marquise et le
regard des fenêtres du buffet du
Train-Bleu,
il avance d’un pas
rapide et dépasse les butoirs suc-
cessifs des voies « lettrées ».
Voici la voie A. Il commence à la
longer… Le
Mistral
se trouve déjà à
quai, et les gens de la Compagnie
internationale des wagons-lits
(CIWL) sont en plein travail dans la
voiture-restaurant, en queue du
rapide. Il remonte la rame du train
prestigieux qu’il va assurer au-
jourd’hui, renseignant en passant
une étourdie, qui demande si c’est
bien le
Mistral
. « Oui, madame,
c’est marqué dessus! », dit-il en lui
montrant en même temps de la
main les belles lettres dorées qui,
sur les flancs des voitures aux
reflets argentés, dessinent le nom
du train.
Pour rejoindre le dépôt de Paris-
Sud-Est, il faut traverser toutes les
voies « chiffrées », puis le vaste
domaine du tri postal, en prenant
garde aux manœuvres, et, pour
accéder aux trois rotondes de l’éta-
blissement, descendre quelques
marches défoncées. Il se présente
au sous-chef à la feuille (2):
Mistral
. » Et ça suffit. Il aurait pu
dire « 13
du 10-12, train 1… », du
nom du roulement des « pieds
fins », qui comprend le
Mistral
, le
Train-Bleu,
etc. Mais on a gardé, du
temps de la vapeur, un sens de
l’économie qui se retrouve dans la
brièveté des échanges, mais aussi
dans l’abondance des codes et des
expressions propres au milieu des
tractionnaires. (Et de la SNCF et de
l’Administration en général!)
Le sous-chef lui indique le numéro
et l’emplacement de la machine
devant assurer le train, ainsi que
l’heure de sortie. Puis
notre jeune conducteur
se tourne vers la salle
des pas perdus pour y
consulter les divers pan-
neaux concernant les
points remarquables de
la ligne. Il porte une
attention particulière à
l’affichage ayant trait à
la sécurité – travaux en
cours, ralentissements
périodiques et perma-
nents, TIV (tableau indi-
cateur de vitesse limite)
d’annonce et d’exécu-
tion. Il prend note de
tout cela sur le petit car-
net fourni par la maison.
(L’affichage sécurité
consiste en de grands
tableaux verticaux repré-
sentant les lignes parcou-
rues par les gens du
dépôt. Des affichettes,
reliées aux barres repré-
sentant les voies par un
élastique, indiquent les
points précis où se trouvent des
signaux temporaires: « chantier de
voie », « limitation de vitesse »,
« VUT » [voie unique temporaire],
signaux électriques « baissez les
pantos » et « coupez courant »,
« signalisation modifiée »… Il faut
relever tout cela sur le petit carnet et
ne pas se tromper sur les PK!)
Un regard machinal à l’horloge du
dépôt puis à sa montre. Il est
12 h 20. C’est l’heure normale de
la prise de service, en général cal-
culée 25 min avant la sortie en
plaque. Soit 25 min de préparation
consistant à se présenter (le sous-
chef a les conducteurs à l’œil et en
particulier celui du
Mistral
, qui est
un « train très étroitement sur-
veillé »), à relever les informations
nécessaires à la conduite, à visiter la
machine, puis à la mettre en route
(cela s’appelle « la préparation »).
Tour de la BB 9200, coups d’œil par-
tout, en bas, en haut… État des
sabots? Toute anomalie, même
En haut:
la plaque
«Le Mistral» qui
était apposée
sur les flancs des
caisses du matériel
«Mistral 56».
Ci-dessus: plaque
de la locomotive
du «Mistral». En
général, c’était le
service intérieur du
dépôt qui procédait
à son accrochage.
J.-P. Sudre/Photorail
(1) Grade de conducteur.
(2) Il s’agit du bureau qui gère la mise en place des conducteurs
sur les machines et les trains.
Photorail
Dossier
[ le «Mistral» ]
bénigne, doit être consignée sur le
carnet de bord – en 1965, les
manuels de conduite n’ont pas
encore été instaurés, et l’on pro-
cède à l’inventaire systématique des
organes essentiels dans un ordre
logique, appris peu à peu sur le tas,
pour ne rien oublier, et pour ne pas
faire « dix fois le tour de l’engin en
montant et en descendant à
chaque instant »! Ensuite viennent
le lever des pantos et les essais des
différentes fonctions de la loco.
Quant à la plaque MISTRAL dispo-
sée sous la moustache en métal
poli et le sigle rond SNCF, c’est le
service intérieur du dépôt qui pro-
cède à son accrochage. Et en géné-
ral c’est déjà fait quand le CRE
arrive vers la rotonde, à la
recherche de la machine, ce qui lui
permet de la repérer de loin.
Il est 12 h 45, le surveillant amorce
la rotation de la plaque tournante,
qui vient s’arrêter délicatement
devant notre voie. Verrouillage,
signal sonore, la 9200 s’avance,
panto arrière levé, choc brutal des
bogies au passage de la voie à
la plaque, baisse du panto et un
petit tour de manège, avant-goût
modeste de ce qui les attend en
ligne…
Après un changement de cabine
dans le tiroir en tranchée descen-
dant à la limite du carrefour entre
le boulevard de Bercy et la rue du
Charolais, nous émergeons au pied
de l’impressionnant poste I, qui
nous a préparé l’itinéraire habituel,
jusqu’en voie A, où attend la rame
Mistral
. De l’autre côté du quai
voisine « le P’tit lapin », entendez le
Cisalpin,
un TEE assuré par une
automotrice quadricourant suisse
qui suit le
Mistral
à 5 min sur le
parcours Paris – Dijon, d’où son
surnom, qui n’est pas dû seulement
à la silhouette originale de sa « fri-
mousse »!
« C’est la voie la plus longue, me
dit notre conducteur, et en compo
maximum, on est juste au pied du
carré! »
Signes convenus avec l’agent de
l’exploitation: on procède à l’opé-
ration d’attelage; le mécano des-
cend de sa cabine et, penché entre
la machine et le fourgon-générateur
qui ronronne tranquillement, vérifie
que le lien avec le train est bien
effectué dans les règles. (Il appar-
tient au CRE de vérifier l’attelage.)
Il jette ensuite un coup d’œil au bul-
letin de composition: véhicules: 17,
soit 750 t avec le fourgon-généra-
teur, la voiture Pullman et la voiture-
restaurant (ou « ragoût »), suivis de
13 voitures DEV inox types
Mistral
1956 et d’un autre « ragoût » de la
CIWL, qui sera coupé avec les trois
dernières DEV inox à Lyon-Perrache.
Puis c’est l’essai de freins avec les
gens de la gare. Comme c’est le
premier
Mistral
de Georges et qu’il
ne s’est jamais encore servi du frein
électropneumatique, son chef de
conduite est venu spécialement
pour lui montrer comment faire
l’essai.
Ronflement des compresseurs, les
deux pantos levés, la dernière
annonce des haut-parleurs… Le
sous-chef de gare s’approche.
Bientôt il va donner le signal du
départ. « Voie A, attention au
départ! » Un avertissement venu
du ciel, dont les échos se diffractent
dans l’air tout autour de la rame
encore immobile… « Mesdames,
mesdemoiselles, messieurs, les
voyageurs du
Mistral
, fermez les
portières s’il vous plaît, attention au
départ! » Puis, laissant passer une
ou deux secondes: « La SNCF vous
souhaite un bon voyage… »
46-
Historail
Juillet 2011
Dans le cadre
de l’affichage
sécurité, quelques
exemples des avis
apposés sur le
« tableau sécurité
mouvement »
pour indiquer au
conducteur,
à sa prise de
service,
les consignes
à respecter.
Remorqué
par la 2D2 9103,
le «Mistral»
première version
est sur le point
de quitter Paris
janvier 1952).
Viguier/Photorail
Coll. J. Andreu
Dossier
[ le «Mistral» ]
voies se multiplier sur notre droite,
les faisceaux se gonfler et se couvrir
d’innombrables wagons. Un grand
panneau destiné aux automobiles
faisant la course avec nous sur la
RN 5 indique avec fierté: « Vous
longez le triage de Villeneuve-Saint-
Georges: ici sont triés 5000
wagons par jour. » En comparaison,
la longue ligne droite des pavés de
la RN 5 paraît bien déserte!
Nous atteignons effectivement les
150 km/h à Lieusaint, maintenus
jusqu’à l’approche de Melun, où
nous reviendrons à 140, allure que
nous ne quitterons qu’à Villeneuve-
la-Guyard, après les sauts-de-
mouton, pour reprendre le trait à
150 km/h, sur « le grand boule-
vard » à quatre voies qui s’ouvrira
alors devant nous. Laroche-Migen-
nes est passée à l’heure, mais à 140
seulement. Coup de chapeau aux
générations de tractionnaires qui se
sont illustrées ici sur leurs « pur-sang
à vapeur »! Puis nous remontons la
vallée de l’Armançon, à 140 aussi
dans la traversée de Saint-Florentin.
À Saint-Florentin, finies les quatre
voies, et à Tonnerre, fini le 150! On
revient à 140 et à une double voie
qui semble soudain bien « étroite »
et bien plus serrée encore quand
les tunnels de Lézinnes puis de Pacy
nous avalent vivants et nous recra-
chent dans la lumière.
Plus loin, nous plongeons dans la
tranchée de Nuits-sous-Ravières au
milieu d’une volée de corneilles
nichant depuis toujours dans les
anfractuosités des remblais (dans
les alvéoles laissées dans les mu-
railles en moellons et destinées à
permettre l’évacuation des eaux
d’infiltration), tandis que la grande
courbe d’Aisy fait couiner les roues
de la BB 9200. Après Les Laumes,
nous remontons la vallée de l’Oze,
la vitesse oscillant entre 130 et
140 km/h sur la fameuse rampe. Et
c’est à l’heure que nous nous
engouffrons dans la bouche noire
du tunnel de Blaisy-Bas, le point le
plus haut de la ligne, qui s’ap-
proche, et s’approche, de plus en
plus vite, et brutalement absorbe le
Mistral
dans les ténèbres… (seule-
ment à 120 km/h, depuis le dérail-
lement du 53 en 1962).
48-
Historail
Juillet 2011
Le 26 avril 1964, la
télévision française
présenta l’émission
«Télé dimanche»
en direct du
«Mistral», sur
le parcours
Paris – Marseille.
Souvenirs,
souvenirs…
De haut en bas:
Alexandre Tarta
et Pierre Sabbagh
observent, dans
la voiture qui sert
de studio, un écran
récepteur; malgré
les difficultés
techniques,
Léon Zitrone et
Pierre Sabbagh
restent optimistes.
Photo du bas :
Jean Renoir et
Catherine Rouvel
devant une voiture
inox « Mistral 56 »
à l’occasion du
tournage du film
« Le Déjeuner sur
l’herbe » (1959),
dont les extérieurs
eurent lieu sur
la Côte d’Azur.
Photorail
G. Petit/Photorail
G. Petit/Photorail
Dossier
[ le «Mistral» ]
50-
Historail
Juillet 2011
Le
Mistral
fut créé en 1950, au service d’été, sur la base de deux
fondamentaux qui ne changèrent pas durant les 32 ans que dura
sa carrière: ce fut un rapide de jour, précisément d’après-midi, et
assuré par une rame tractée. Mais hormis ces deux constantes, il
ne cessa pas d’évoluer, selon une dynamique continue de progrès
qui ne laissa de côté aucune opportunité.
La date de son lancement fut fixée pour que le nouveau venu
puisse bénéficier à la fois de la première section électrifiée de la
ligne impériale, mise en service définitif le 15 mars 1950 entre
Dijon et Laroche-Migennes, et des premières 2D2 9100 qui com-
mençaient tout juste à être livrées au dépôt de Laroche. Le main-
tien des nouvelles voitures DEV vertes, qui figuraient déjà dans la
composition du rapide 33/34, auquel le
Mistral
succéda, beaucoup
moins lourdes que les Ocem d’avant-guerre, allait dans le même
sens, allégeant la charge remorquée, ce qui devait permettre aux
Pacific 6000 ex-PLM, qui se relayaient sur la plus grande partie du
trajet, des performances honorables.
Quelque six mois plus tard seulement, le temps de parcours
Mistral
de Paris à Marseille va tomber de 10 heures 03 à
8 heures 43, soit un gain spectaculaire de 1 heure 20, ce qui auto-
rise de retarder l’heure de départ de Paris de midi à 12 h 45! Ce
gain de temps fut rendu possible grâce à l’électrification de la sec-
tion Laroche – Paris, permettant de tenir des vitesses de 130 km/h
sur le tronçon Paris – Dijon de l’itinéraire du
Mistral,
tout cela « en
se payant le luxe » de revenir à des voitures Ocem modernisées,
qui, bien que plus lourdes, étaient jugées plus confortables.
Deux ans plus tard, à l’occasion de la mise sous tension de Dijon –
Lyon pour le service d’hiver 1952-1953, c’est une marche Paris –
Marseille encore accélérée de 36 min, soit 8 heures 07, avec
passage de la vitesse limite sur Paris – Lyon à 140 km/h et l’arrivée
progressive en tête du
Mistral
des CC 7100 et des 241 P. Désormais,
le parcours est prolongé jusqu’à Nice. Le départ de Paris est, une
fois encore, retardé, à 13 heures.
En 1957, alors que les nouvelles rames «
Mistral
1956 » viennent
d’être mises en service depuis quelques mois, la vitesse limite
autorisée passe à 150 km/h sur Paris – Lyon: en résulte un nouveau
raccourcissement du temps de parcours de 20 min pour Marseille
et de 18 min pour Nice. À compter du service d’été 1956, le départ
de Paris se fait à 13 h 10.
En juin 1962, l’intégralité de l’artère impériale est désormais électri-
fiée, ce qui fait gagner 37 min pour relier Marseille et 23 min pour
relier Nice. Dès lors, sous réserve que la traction vapeur s’efface
devant la traction thermique sur la Côte d’Azur, ce qui pourra être
réalisé grâce à l’arrivée des toutes récentes diesels BB 67000, plus
rien ne s’oppose à ce que le
Mistral
devienne un TEE « national » en
1965, avec une marche encore plus tendue, en le faisant accéder à la
vitesse autorisée de 160 km/h sur certaines sections de Paris – Lyon!
L’année 1969 est l’une des années clés du
Mistral
. Il est doté d’une
nouvelle rame homogène de prestige, suite à l’électrification de
Cannes – Nice, la traction est assurée sur tout le trajet Paris – Nice
par une machine électrique, avec un seul changement (à
Marseille-Saint-Charles), la BB 9300 puis la CC 6500 laissant la
place, à l’autre bout du train, à une BB 25200 (ce qui est sans
conséquence, car la gare est en impasse), avec autorisation de cir-
culation à la vitesse limite de 160 km/h sur de nouvelles zones de
Paris – Marseille et 140 km/h sur certaines parties de Marseille –
Nice… Aussi, le trajet Paris – Marseille ne demande plus que
6 heures 42 et Paris – Nice 9 heures 08, soit des vitesses commer-
ciales respectivement de 129 km/h et 119 km/h. Au service d’hiver
1968, le départ de Paris-Lyon est encore retardé de 10 min, soit à
13 h 20. Le succès commercial est tel qu’il entraîne la création du
TEE 5/6 le
Lyonnais
par autonomisation de la tranche Paris – Lyon
Mistral
(soit le dédoublement permanent de ce dernier entre
Paris et Lyon sous la forme du TEE 5/6).
En 1976, le
Rhodanien
– ce rapide TEE a été constitué en 1971 sur
le modèle du
Mistral
pour répondre à la forte demande et parta-
ger la charge avec le
Mistral
sur Paris – Marseille – atteint des
temps de parcours records: Paris est à 3 heures 43 de Lyon et à
6 heures 33 de Marseille.
Le « système
Mistral
» est alors à son sommet: il représente trois
rapides TEE – le
Lyonnais
sur Paris – Lyon, le
Rhodanien
sur Paris –
Marseille, le
Mistral
sur Paris – Nice –, et des dédoublements tous
les vendredis et en périodes de pointes!
Les deux dernières mutations significatives concernent d’une part la
traction: dès leur livraison, les premières machines à thyristors,
1500 V (BB 7200), et les bicourant (BB 22200) participent à la
remorque du
Mistral
; d’autre part, la composition de la rame: pen-
dant les derniers mois de sa vie, alors qu’il n’était plus un rapide TEE,
mais le train 181/180 partant de Paris à 13 h 11, le
Mistral
a comporté
de nouvelles voitures Corail de 2
classe.
Jacques ANDREU
Les métamorphoses du « Mistral »
Y. Brioncard/Photorail
Le «Mistral»,
assuré en voitures
inox DEV
« Mistral56 »
et mené ici par
une CC7100,
passe devant
la sous-station
de Gissey-sous-
Flavigny, près de
Darcey (vers 1960).
Dossier
[ le «Mistral» ]
nom « beaujolais », mais si c’est
bien Beaujeu qui est à l’origine de
ce terme, la capitale du Beaujolais
est Villefranche-sur-Saône, dont les
habitants s’appellent les Caladois (à
cause des pierres plates dallant les
vieilles rues, d’origine romaine et
appelées « calades »).
Et voici Saint-Germain-au-Mont-
d’Or: à gauche arrive la ligne de
l’Azergues. Ici, les voies se divisent
en deux itinéraires, traversant Lyon,
celui qui conduit à la gare des
Brotteaux, et le nôtre, conduisant à
Perrache. « De Saint-Germain à
Collonges, il y a quatre voies, on
peut circuler sur 1 ou 1
bis,
sachant
que sur 1
bis,
si on n’est pas redi-
rigé sur voie 1 à Collonges, on ne
va pas à Perrache, mais aux
Brotteaux.
On pourra, bien sûr, revenir à
Perrache, mais la rame se trouvera
« retournée », et si ces itinéraires
sont « équivalents » pour de nom-
breuses circulations, certains trains
comme le
Mistral
ou le
Train-Bleu
doivent se considérer comme
« détournés », la rame retournée
entraînant trop de problèmes pour
la suite du voyage! Si c’était le cas,
il nous faudrait donc nous arrêter
avant d’engager l’aiguille ou,
mieux, le signal de protection, pour
que l’aiguilleur puisse refaire le bon
itinéraire, si c’est une erreur, ou dire
pourquoi il y a détournement. »
À partir des Grands-Violets, les deux
itinéraires s’éloignent et se perdent
de vue. Nous nous laissons glisser
jusqu’à Perrache, car la marche est
détendue. À Lyon-Vaise, nous lais-
sons à gauche l’embranchement
vers la gare en impasse de Saint-
Paul, et nous approchons du portail
nord du tunnel de Saint-Irénée,
sous la colline de Fourvière.
« Fourvière, c’est la colline qui prie
pour la colline qui travaille. La col-
line qui travaille pour la colline qui
prie étant celle de la Croix-Rousse. »
Le TIV à 30, dans le souterrain,
annonce la sortie, mais comme de
nombreux autorails du dépôt de
Vaise sont passés, venant ou allant
à Perrache, on a du mal à le voir, les
lieux étant très enfumés, comme
au temps de la vapeur. À la sortie
du tunnel, on traverse la Saône, un
des trois cours d’eau qui arrosent
Lyon. « Si, si, trois cours d’eau: le
Rhône, la Saône et… le beaujolais!
Et nous voici en gare de Perrache
au Km 510,9, qui est compté 512
pour les voyageurs… »
Longtemps, l’échange machine
électrique-loco à vapeur s’est fait
ici. Une pensée pour les Pacific PLM
et les « grosses P » qui les ont rem-
placées.
Correspondance RGP, voie 5, c’est
le Lyon – Bordeaux…
Manœuvre de retrait de la tranche
Paris – Lyon du
Mistral
… « Et main-
tenant, se dit Georges Nagel, tout
content d’avoir amené son premier
Mistral
jusqu’ici, je laisse le colis aux
« Mokos »! » (En leur souhaitant
un cordial « tout va bien, salut et
bon rail! ».)
Mais où sont-ils passés, les
Marseillais?
Lyon – Marseille
L’équipe marseillaise qui doit pren-
dre la relève est déjà sur le quai:
Roger Rieubon, qui vient juste
d’être autorisé aux rapides, alors
qu’il est encore élève, et un étu-
diant recruté comme aide. Ils sont
âgés respectivement de 25 et
18 ans… Et discutent joyeusement
dans l’animation familière de la
gare, quand le chef de service
52-
Historail
Juillet 2011
Le «Mistral» dans
les environs
d’Aubagne (1966).
On notera, comme
sur la page
précédente,
le fourgon-
générateur pour
la climatisation,
peint en bleu,
une voiture Pullman,
une voiture-
restaurant CIWL
et une rame DEV
inox de type
«Mistral 56 ».
Y. Broncard/Photorail
Dossier
[ le «Mistral» ]
Comme la vallée du Rhin, celle du
Rhône dispose d’une voie ferrée sur
chaque rive, et nous passons, entre
Salaise et Saint-Rambert-d’Albon,
sur les aiguilles de l’une des jonc-
tions qui relient par-dessus le fleuve
les deux itinéraires, tandis que
s’amorce, sur la gauche, la voie uni-
que vers Beaurepaire.
Nous passons rapidement Tain-
l’Hermitage, avec, en face, de l’au-
tre côté du fleuve, s’embranchant
sur les voies de la rive droite du
Rhône, le petit train à vapeur et à
voie métrique descendant de
Lamastre à la gare de Tournon. Et
c’est déjà Valence, annoncé par un
tunnel préalable. Bref arrêt du
Mistral
, correspondances, et, au
temps de la vapeur, prise d’eau…
On est déjà reparti, vitesse de
140 km/h atteinte au passage de
Portes-lès-Valence, dont le dépôt et
les faisceaux défilent sur notre
droite…
Puis viennent Livron, autre « échan-
geur » rive gauche-rive droite du
Rhône vers La Voulte-sur-Rhône, et,
sur le côté opposé, la ligne de
Veynes, qui se détache de l’artère
impériale, avec Loriol dans la fou-
lée, où s’interrompit un temps la
caténaire de l’électrification Lyon –
Valence. Après la gare (toute sim-
ple) de Montélimar, traversée à
pleine vitesse, sans respect pour la
célébrité des lieux auxquels la gas-
tronomie française est pourtant
redevable, c’est la rencontre tita-
nesque, sur l’artère impériale, qui
passe ici en force, des eaux tumul-
tueuses du « roi des fleuves » avec
le fracas du passage du « roi des
trains », dont le vacarme se réper-
cute dans le défilé de Donzère, son
souffle puissant arrachant un ins-
tant quelques pierres aux falaises
calcaires… C’est alors une succes-
sion de « cartes postales », de lieux
inoubliables qui s’envolent dans le
sillage de notre rapide, sous les
fenêtres du pittoresque petit village
de Mornas, accroché à la paroi
abrupte…
54-
Historail
Juillet 2011
Si le décor de la
gare de Nice reste
inchangé, la traction
va évoluer:
à partir de 1964, les
BB 66000 et 67000
vont assurer
la transition entre
la vapeur et
l’électricité. Ici,
en octobre 1965,
une 67000 en tête
du «Mistral»
est sur le départ.
Remarquons sur le
quai B la présence
insolite d’un PK.
Dossier
[ le «Mistral» ]
56-
Historail
Juillet 2011
Mai 1950
Création du train 1/ 2 le
Mistral
le 14 mai
1950, à l’occasion de la mise en place du
service d’été.
Paris – Laroche – Dijon – Lyon – Valence –
Avignon – Marseille en 10 heures 03, cor-
respondance pour Nice en autorail Bugatti.
Parcours électrifié entre Laroche-Migennes
et Dijon (sous tension depuis décem-
bre 1949, inauguré le 15 mars 1950).
Août 1950
Électrification de Paris – Laroche.
Service d’hiver 1950-1951
Vitesse maximale sur Paris – Dijon: 130 km/h.
Paris – Marseille en 8 heures 43.
Juin 1951
Vitesse maximale de 135 km/h autorisée
sur certaines sections de la ligne Paris –
Dijon.
Paris – Lyon en 4 heures 49 et Paris –
Marseille en 8 heures 36.
1952
Électrification de Dijon – Lyon (inaugura-
tion le 24 juin 1952).
Introduction des CC 7100 dans le roulement.
Service d’hiver 1952-1953
Relèvement de la vitesse limite à 140 km/h
sur le parcours Paris – Lyon.
Paris – Lyon assuré en 4 heures 15, soit à la
vitesse moyenne de 120 km/h.
Remplacement des Pacific ex-PLM par les
Mountain 241 P au sud de Lyon.
Paris – Marseille en 8 heures 07.
Terminus reporté de Marseille à Nice, avec
arrêts à Toulon, Saint-Raphaël, Cannes et
Antibes. Total du parcours: 11 heures.
1953
Introduction des BB 9003 et 9004 dans le
roulement du
Mistral
Affectation au dépôt de Nice de 141 R
chauffées au fioul (autorisées à 120 km/h,
boîtes à rouleaux), mais elles ne dépassent
pas les 100 km/h sur la ligne du littoral de
la Côte d’Azur.
1954
Apparition des plaques «MISTRAL» à
l’avant des machines CC 7100, Mountain
241 P, Mikado 141 R.
Introduction dans la rame des deux pre-
mières voitures DEV inox, 1
classe, dispo-
sant d’un compartiment bar.
1955
Fin des voitures vertes Ocem (encore utili-
sées pour des forcements dans les périodes
les plus chargées), remplacées par de nou-
velles voitures inox DEV 53.
Fin du service
Mistral
pour les locomotives
Pacific sur la ligne du littoral, entièrement
repris par les 141 R fioul.
1956
Mise en service de nouvelles rames inox à
air conditionné, avec fourgon-générateur
« rames
Mistral
Paris – Lyon en 4 heures 05, Paris –
Marseille en 7 heures 52, Paris – Nice en
10 heures 47.
Suppression de la 3
classe, et classement
Mistral
parmi les trains pourvus uni-
quement de la 1
classe.
Pendant la crise du canal de Suez (hiver
Mistral
s’interrompt à
Marseille, où il est relayé par une RGP 2
jusqu’à Nice.
1957
Les CC 7100 sont autorisées à la vitesse de
150 km/h pour la traction du
Mistral
sur
Paris – Lyon.
Paris – Lyon en 4 heures (soit une moyenne
de 128 km/h), Paris – Marseille en 7 heures 47
et Paris – Nice en 10 heures 42.
Premières livraisons des nouvelles BB 9200
au dépôt de Lyon-Mouche; elles commen-
cent à assurer le
Mistral
avec la plaque
«MISTRAL» habituelle.
1958
Électrification de Lyon – Oriol.
Introduction des BB 9200 dans le roule-
ment du
Mistral
entre Lyon et Valence.
1959
Électrification d’Oriol – Avignon.
Report de l’échange traction électrique/
traction vapeur (BB 9200/241 P) à Avignon.
1960
Électrification d’Avignon – Tarascon.
Fin de l’utilisation des CC 7100 (entre Paris
et Lyon) au profit des BB 9200, qui assu-
rent désormais l’ensemble du parcours
Paris – Avignon.
1961
Électrification de Tarascon – Miramas.
Juin 1962
Électrification de Tarascon – Marseille.
Fin des 241 P en tête du
Mistral
Paris – Lyon en 4 heures, Paris – Marseille en
7 heures 10 et Paris – Nice en 10 heures 19.
Juillet 1962
Suite à l’accident de Velars-sur-Ouche, le
23 juillet, le
Mistral
est détourné de son
itinéraire normal du fait de l’interruption
(du 23 au 25 juillet) de la ligne entre
Blaisy-Bas et Dijon. Il doit emprunter la
ligne du Bourbonnais.
1964
L’émission de la télévision française
dimanche
du 26 avril 1964 est présentée à
bord du
Mistral
sur le parcours Paris –
Marseille, entre le journal télévisé de
13 heures (avec en direct le départ du
Mistral
de Paris) et celui de 20 heures (avec
l’arrivée à Marseille).
Mai 1965
Le
Mistral
reçoit la dénomination Trans
Europ Express. Il est le premier TEE ne cir-
culant qu’à l’intérieur de l’Hexagone.
Fin de la traction vapeur pour le
Mistral
les BB 67000 diesels se substituent aux
141 R sur la ligne du littoral. Elles héritent
de la plaque frontale «MISTRAL».
Décembre 1965
Nouvelle vitesse limite entre Paris et Lyon:
160 km/h.
Électrification de Marseille – Les Arcs.
Le
Mistral
est assuré entre Marseille et
Toulon par des BB 25500.
Les grandes dates du «Mistral»
Seules les 141 R pouvaient parader en couverture
de «La Vie du Rail» pour célébrer le centenaire
du rattachement de Nice à la France.
Iskender/Photorail
Dossier
[ le «Mistral» ]
ment du brouillard teinté de som-
nolence qui régnait dans la cabine
jusque-là, et de l’atmosphère
engourdie des fins de nuit! Un
soleil aveuglant nous fait face, et
on est tout à la fois éblouis et
réveillés ! Spectacle inoubliable du
lever du soleil sur la plaine immense
et sans limite, c’est magique! À
chaque fois, comme un premier
matin du monde! »
Continuant sur les particularités de
cette section de ligne, le voilà qui
évoque la sagesse des anciens et
l’enseignement qu’ils en font aux
débutants, ces anciens qui lui
disent: « Tu vois, petit, dans la
Crau, tu les vois bien les signaux, tu
les vois de loin, et tu n’en vois pas
qu’un, tu peux même deviner le
suivant: alors, il faut en profiter
pour ce qui est de la prime des
temps gagnés! Oui, si tu te dé-
brouilles bien pour prendre les aver-
tissements du train précédent, à
condition que la puissance de ta
machine et la composition de ton
train le permettent, après avoir
ralenti, tu vas accélérer pour rattra-
per le collègue de devant, et à toi
les bons temps gagnés et le bon
temps avec les bas de la mariée… »
Et voici que nous traversons l’inter-
minable déploiement des installa-
tions de Miramas, faisceau après
faisceau, un triage étendu « à ne
savoir qu’en faire, tellement il est
grand », et, sur la gauche, avant de
traverser la gare, des machines
noires en attente, qui fument…
Abordant la courbe de Berre, notre
conducteur, qui évoquait la facilité
de « faire le
Mistral
» par rapport à
d’autres trains moins privilégiés, qui
ne bénéficient pas toujours, com-
me lui, de signaux à voie libre sur la
plus grande partie du parcours, se
reprend:
« Voilà l’exception qui confirme la
règle: parfois le régulateur se prend
les pieds dans le graphique. Ici
même, l’autre jour, dans le sens
pair: avertissement, carré, je dois
arrêter le
Mistral
un peu rudement,
200 m avant la gare. L’aiguille était
ouverte sur la voie de sortie de l’em-
branchement citerne! Et voilà
qu’un convoi de wagons d’hydro-
carbure en sort tranquillement, sans
se presser, et se positionne devant
nous sur la voie principale: on vient
de lui donner la priorité sur le
Mistral
, sans autre forme de pro-
cès! Et ce qui devait arriver arriva:
il n’y a pas de possibilité de dépas-
sement dans ce secteur! Nous
avons donc dû lambiner à 60 km/h
derrière ce patachon, de la gare de
Berre au triage de Miramas. Vous
imaginez le spectacle, le super-
Mistral
suivant le convoi de citernes,
on devait avoir belle mine sur le via-
duc de Saint-Chamas ce jour-là! »
Traversée de Rognac, avec ses anti-
quités encore en service: signaux
mécaniques, sémaphore et carrés
commandant l’itinéraire, à voie
unique, de contournement de
Marseille et de Toulon, par Aix-en-
Provence, Gardanne, Brignoles et
Carnoules. Puis c’est la chaîne de
L’Estaque et la plongée dans le long
tunnel de la Nerthe, débouchant sur
l’anse de L’Estaque et la somptueuse
rade de Marseille, où la ligne de la
Côte bleue, que nous avions laissée
partir à Miramas, nous rejoint sur la
lancée de son viaduc. Suit une série
de petites gares, réduites au mini-
mum, dans l’étroit espace occupé
58-
Historail
Juillet 2011
Arrêt à
Cagnes-sur-Mer
pour le «Mistral»
formé de matériel
TEE «Mistral69»
emmené par
la BB25243
(9 février 1969).
Imbert/Photorail
Dossier
[ le «Mistral» ]
62-
Historail
Juillet 2011
Traction vapeur
•Pacific ex-PLM 6000 (231 E, 231 G, 231 H, 231 K) sur Paris –
Laroche et sur le parcours Dijon – Marseille – Nice.
•241 P sur le parcours Lyon – Marseille, puis sur Valence –
Marseille, puis sur Avignon – Marseille.
•141 R fioul Marseille – Nice.
(Sporadiquement, 240 P et Mikado 141 R charbon.)
Traction thermique
•BB 67000 Marseille – Nice, puis Toulon – Nice, puis Saint-
Raphaël – Nice, puis Cannes – Nice.
Traction électrique – 1500 V
•2D2 9100 Dijon – Laroche puis Paris – Dijon, puis Paris – Lyon.
•CC 7100 Paris – Lyon.
•BB 9003/4 Paris – Lyon.
•BB 9200 Lyon – Valence, puis Lyon – Avignon, puis Lyon –
Marseille, puis Paris – Marseille.
•BB 9300 Paris – Marseille.
•CC 6500 Paris – Marseille.
•BB 7200 Paris – Marseille.
Traction électrique – bicourant 1500/25000 V
•BB 25500 Marseille – Toulon.
•BB 25200 Marseille – Toulon, puis Marseille – Saint-Raphaël, puis
Marseille – Cannes, puis Marseille – Nice.
•BB 22200 Marseille – Nice et Marseille – Paris.
J. Andreu
Les machines du « Mistral »
R. Long/Photorail
Y. Broncard/Photorail
Borgé/Photorail
D. Durandal/Photorail
De gauche à droite et de haut en bas: la 241 P 6 en tête du «Mistral» stationne à Avignon (1960); un «Mistral» Nice – Paris mené par une 67500 passe à Puget-sur-
Argens. On note le fourgon-générateur bleu, la voiture Pullman, la voiture-restaurant CIWL et les rames DEV inox «Mistral 56» ; idem pour ce «Mistral» vu à Lyon-
Guillotière (1963); cliché insolite où se côtoient deux époques distinctes: une rame TGV de présérie voisine avec le «Mistral» à Marseille-Saint-Charles (28 mai 1979).
Juillet 2011
Historail
tant à gauche encore, puis sur la
droite pour trouver la gare
d’Ollioules-Sanary-sur-Mer.
« Ici, me dit Roger Rieubon, quand
nous assurons la desserte venant
d’Hyères, nous chargeons un ou
deux wagons de fleurs directement
sur les principales. »
Vient ensuite La Seyne-Tamaris-sur-
Mer, un peu plus de 4 km plus loin:
un grand établissement, avec des
faisceaux des deux côtés des princi-
pales, dépôt, demi-rotonde et pont
tournant, chef de réserve et cou-
chage en gare. « Mais pour man-
ger, il faut quitter l’emprise de la
SNCF et se rendre au restaurant
voisin, qui « fait cantine » pour les
cheminots. »
De La Seyne se détache la ligne des-
servant les Chantiers de la Médi-
terranée et la vaste zone industrielle
de La Seyne. Cette ligne constitue
un véritable réseau de desserte
urbaine, coupant les rues à angle
droit, passant dans les cours des
maisons, s’étendant, parfois en
double voie, sur plusieurs kilomè-
tres, pour finir dans la très vaste
enceinte des Chantiers de la Médi-
terranée, auxquels elle accède,
comme dans un château fort, par
un impressionnant « pont-levis »,
constitué d’une passerelle métal-
lique, descendue pour le passage
du train remorqué par l’une des
locos-tenders du dépôt de La Seyne.
Ce faisant, notre tractionnaire
repasse les crans; il reste un dos-
d’âne d’un peu plus de 5 km avant
l’arrêt de Toulon, dont la moitié en
rampe. Celle-ci franchie, manipula-
teur ramené à zéro, nous avançons
sur notre lancée et, après le vieil
octroi du pont de l’Escaillon, com-
mençons à freiner. Les voies se mul-
tiplient, se gonflent en faisceau, un
petit dépôt, les quais, et c’est l’arrêt
sur la voie 2, séparée de la voie 1
par une troisième voie intermédiaire
sans quai, configuration que l’on
retrouve dans de nombreuses gares
sur cette ligne. Sur la gauche, d’au-
tres quais pour les correspondances.
Au départ de Toulon, la voie recom-
mence à monter: « La ligne est en
dents de scie, on ne s’arrête de
monter que pour descendre, de
tractionner que pour freiner. Pour
ça, on ne s’ennuie pas! »
À La Pauline-Hyères se détache la
voie vers Hyères qui permettait
jusqu’à il y a peu de déposer à l’ar-
rêt « Plage-des-Salins » les familles
se rendant au bord de la mer. Mais
si ce trajet vient d’être abandonné,
le trafic marchandises bat son plein,
trains de légumes, de fleurs, ca-
mionnettes arrivant jusqu’au
départ du train, le conducteur
s’écriant: « Ho, là-bas! attendez,
ne partez pas… » Et ça décharge et
recharge, dans les wagons, avec
hâte et énergie, des cageots et des
cageots… Notre conducteur, dans
sa cabine, savoure avec un sourire
ému tout ce ballet, « cette preuve
que la Provence vit, nourrit, embel-
lit et fait vivre ».
À partir de la bifurcation de La
Pauline, le
Mistral
tourne le dos à la
Méditerranée et amorce une mon-
tée tortueuse jusqu’à Carnoules, le
point haut de la ligne de la Côte
d’Azur. Les courbes et les contre-
courbes sur la section La Farlède –
Solliès-Pont sont redoutées par les
mécanos… Particulièrement quand
on les gare sur l’évitement qui dou-
ble la voie 1 dans la rampe, avec un
train lourd, dont on sait d’avance
qu’il sera difficile à décoller de là!
À Puget-Ville, Roger Rieubon se
souvient d’un « malentendu » lors
de son stage de chauffeur, quand
ils se retrouvèrent arrêtés au pied
d’un carré fermé, son mécanicien
lui disant: « On est arrivés! » Ne
comprenant pas que la gueule
noire a parlé au sens figuré, le voilà
qui ferme le robinet de l’alimenta-
tion mazout de la locomotive pour
baisser la pression et ne pas brûler
du carburant pour rien. Mais voilà,
au moment où la voie libre est don-
née, il voit le mécano qui tire géné-
reusement le régulateur… Ce n’est
pas vraiment la façon de faire pour
simplement manœuvrer en gare!
On est en fait en train de démarrer
en ligne…, et en rampe! Le méca-
nicien qui tire… Et la machine qui
ne répond pas! Le mécano le
regarde fixement: « Et alors? La
pression? » Bien entendu, l’ali-
mentation est rouverte. Mais une R
n’a pas les réactions immédiates
d’une automobile, et rétablir le bon
niveau de pression allait « prendre
un certain temps », et la pénible
Passage près
de Mâcon du
«Mistral» dans
sa composition
de l’ «âge d’or» :
voitures
«Mistral69» et
CC6500 (1971).
Y. Broncard/Photorail
Juillet 2011
Historail
1959
Paris – Lyon – Avignon – Marseille – Nice
CC 7100/BB 9200/241 P/141 R fioul
1960
Paris – Lyon – Marseille – Nice
CC 7100 ou BB 9200/241 P/141 R fioul
1962
BB 9200/141 R fioul
1965
Paris – Marseille – Toulon – Nice
Les BB 67000 diesels se substituent aux 141 R fioul sur le
littoral.
Le bandeau rouge grenat avec lettres d’or TEE est
apposé sur les voitures de la rame
Mistral
1966
Paris – Marseille – Toulon – Nice
1967
Paris – Marseille – Saint-Raphaël – Nice
1968
Paris – Marseille – Cannes – Nice
1969
Paris – Marseille – Nice
Nouvelle rame homogène «
Mistral
1969 » composée
uniquement de nouvelles voitures inox.
Tranche Paris – Nice: un fourgon-générateur, une voi-
ture A8tuj (couloir central), une voiture-restaurant, une
voiture A8tuj, quatre voitures A8uj (couloir latéral et
compartiments séparés), la voiture-bar-boutique-secré-
tariat-salon de coiffure.
Tranche Paris – Marseille: une voiture A8uj, une voiture
A8tuj, une voiture-restaurant, une voiture A8tuj, un
fourgon-générateur.
1970
Paris – Marseille – Nice
1977
Paris – Marseille – Nice
1979
Paris – Marseille – Nice
1980
Paris – Marseille – Nice
Rame «
Mistral
1969 »/rame Corail 2
classe.
Partie 1
classe: fourgon-générateur, une A8tuj, trois
A8uj, une A8tuj, une voiture-restaurant.
Partie 2
classe: sept voitures Corail.
On notera que la voiture-bar-boutique-secrétariat-
salon de coiffure ne figure plus dans la composition.
(*) Les villes indiquées ainsi sont les relais traction.
J. Andreu
De gauche à droite:
une restauration à la
place était proposée
aux voyageurs.
De même, ceux-ci
pouvaient profiter
de leur voyage pour
utiliser les services
d’une dactylo.
En bas:
la voiture-bar
(avril 1969).
Pilloux/Photorail
Verbrook/Photorail
Photorail
Juillet 2011
Historail
ajoute: « Nice aussi, d’ailleurs,
comme vous le verrez tout à
l’heure. »
À Boulouris, le bout du quai, voie
paire, offre au voyageur un magni-
fique bouquet de mimosas, en
février, comme pour saluer l’entrée
Mistral
dans l’étroit passage
entre le massif de l’Estérel et la mer,
sur laquelle nous avons une vue
plongeante: courbes et contre-
courbes se succèdent, s’adaptant
au mieux à la muraille tourmentée,
qui ne cesse de nous repousser vers
le bas, vers les rochers, où se bri-
sent les vagues. Voici Le Dramont:
nous glissons au-dessus de la
plage, où les Alliés ont débarqué
durant la Seconde Guerre mondiale
pour reprendre pied en Europe
continentale… Mais, loin de ces
heures sombres, le
Mistral
comme un dépaysement: on a
l’impression qu’il prend des va-
cances.
Ses caractéristiques propres, tech-
niques, économiques, sociales,
l’ensemble des performances et
des réussites dont il peut être le
porte-drapeau, disons sa moder-
nité, tout cela est oublié, est
dépassé. Car ce qui prend le dessus
est bien autre chose: nous sommes
soudain enveloppés dans un air de
vacances, de détente, d’abandon…
Et la puissance du
Mistral
s’efface
peu à peu pour disparaître dans la
puissance de la beauté de la
nature. Le
Mistral
, arrivé au pays du
soleil et de la mer, oublie gloire et
vitesse et n’a plus qu’une envie: de
mettre son maillot de bain et…
d’aller se tremper les pieds dans la
mythique Méditerranée! Et cette
impression n’est pas seulement l’ef-
fet de la belle saison, le charme
opère aussi en février, ici au Trayas,
à Théoule ou à Cannes: l’arrivée
Mistral
à vitesse réduite, les
virages limitant son allure, se fait au
milieu d’un feu d’artifice de massifs
jaune d’or, rayonnant un étrange
bonheur d’être, silencieux, mais
très présent, dont le parfum suave
se répand alentour. Sur quelques
kilomètres se succèdent les cartes
postales lumineuses d’un pays de
paradis: le
Mistral
sortant d’un
tunnel au-dessus des roches déchi-
quetées couvertes d’arbustes et de
fleurs, les criques bien cachées, que
l’on devine à peine le temps d’une
courbe serrée, entre deux tran-
chées, les villas et leurs pelouses
escarpées, et les voiles qui se dessi-
nent sur le bleu marine impeccable
dans lequel se fondent le ciel et la
mer… Et la majestueuse parade du
rapide dans ce paysage de rêve,
quittant les pins et les aloès pour la
courbe harmonieuse du viaduc
d’Anthéor…
Décidément, le cinéma a bien
choisi son endroit pour faire la fête,
à Cannes tous les ans… il y a, ici,
plus que la fiction: une séduction
qui n’est pas qu’une projection. La
séduction d’un réel dont le règne
souverain semble remettre tous et
chacun à sa place, de créature pri-
vilégiée par la vie, dans un environ-
nement exceptionnel, de ce qu’on
attend quand on va au cinéma…
Sauf que ce n’est pas un film!
C’est ici, maintenant, permanent et
vibrant à chaque instant, c’est le
monde et la vie dans leur vérité!
À Cannes-la-Bocca, après les voies
de garage et les trains de marchan-
dises, s’échappe sur la gauche la
voie unique vers Grasse, capitale du
parfum et des essences les plus
diverses, et c’est l’arrêt à Cannes.
Désormais, le
Mistral
va se transfor-
mer doucement en omnibus.
Certes, il ne s’arrête pas à toutes les
stations pour laisser descendre et
monter tous ces baigneurs qui ne
cessent de traverser la voie pour
rejoindre les plages ou en revenir,
mais tout de même, ces trois arrêts
à Cannes, à Antibes et à Nice n’ont
plus rien de commun avec l’impres-
sion de grandeur laissée par le pas-
sage du « roi des trains » à Dijon, à
Lyon ou à Avignon…
Et tandis que notre rapide se vide
de plus en plus de ses passagers, le
temps de stationnement a ten-
dance à augmenter, du fait du
nombre de ces gens qui, arrivés à
destination, décontractés, pren-
nent leur temps… Comme s’ils se
trouvaient déjà au terminus… Mais
Nice ne tarde pas à se présenter. Le
Mistral
vient accoster la voie de
droite donnant immédiatement
accès au bâtiment voyageurs, au
plus près de la sortie et de la ville,
où les voyageurs vont s’éparpiller…
Oubliant bien vite cette « inoublia-
ble journée » qui les a transportés
de la sévérité du Nord à la chaleur
du Sud, dont ils vont profiter…
Avant de reprendre, un jour ou
l’autre, le
Mistral
, dans l’autre sens,
pour rejoindre la capitale.
Jacques ANDREU
Remerciements
Cet article n’aurait pu voir le jour sans l’aide, le soutien
et l’encouragement des cheminots qui ont informé l’auteur
sur les différents aspects d’un sujet qui tient une place
particulière dans la mémoire collective. Je tiens ici à les
remercier: Georges Nagel et Jean-Paul Bauchet, qui m’ont
ouvert leurs archives et fait preuve d’une grande patience
devant mes demandes répétées; Roger Rieubon, qui a su
me faire revivre un temps que j’avais quasiment oublié
sur les voies du
Mistral
du sud de Lyon jusqu’à Nice; Henri
Desroches, André Calon, Louis Géraud, témoignant avec
une fidélité admirable du temps disparu de la vapeur. Que
soient aussi remerciés A. Gomar, J.-J. Gateau, J.-L. Goelau,
A. Turmolle, G. Druhet, J.-J. Gouin, J.-P. Alberganti,
C. Fernand, R. Girardot, M. Jallet, G. Georges, G. Letang,
F. Ilcinkas, B. Parent, C. Bouhanna, L. Bonnin. Enfin, pour
son accueil et son indispensable documentation, le fonds
cheminot du comité central d’entreprise de la SNCF.
Dossier
[ le «Mistral» ]
68-
Historail
Juillet 2011
Entretien avec André Victor:
le «Mistral» au prisme
de l’enfance
Dans cet entretien mené par Jacques Andreu, André Victor
revient sur les souvenirs qu’il a gardés du
Mistral.
Enfant,
il habitait, en effet, près de Toulon, à proximité de la voie
où passait quotidiennement le fameux train. Il y a sans doute
un peu de nostalgie sur cette époque révolue, mais
c’est surtout le regard que porte un enfant sur le
Mistral
qui donne toute sa saveur à ces propos.
Le «Mistral» du
temps de la vapeur,
après la gare
de La Ciotat.
Martinez/Photorail
Juillet 2011
Historail
Oui? Alors, reconnaissez que le jeu
des bielles évoque l’articulation de
ces quatre pattes qui se lancent et
se déploient en avant, comme
volant dans l’espace traversé.
Quant à la vapeur qui s’échappe,
elle dessine une crinière blanche
« échevelée » tout à fait inoubliable
pour celui qui a eu la chance d’as-
sister à ce spectacle!
Et c’est vraiment en suivant le train,
à bord d’un autre train ou, à
défaut, d’une voiture que l’on
perçoit le mieux ces impressions.
H.:
Vous me faites penser à ces
attaques de diligences dans les
westerns où l’on voit différents
plans en « champs » et « contre-
champs » de la diligence et des
poursuivants avançant en parallèle.
A. V.:
C’est tout à fait la même
impression, dynamique et rapide:
ce qui domine, c’est l’urgence, dans
une course héroïque où les chevaux
donnent toutes leurs forces.
H.:
Et au cinéma, souvent ce
n’est pas la diligence, mais le
train lui-même qui est attaqué
par des bandits à cheval…
A. V.:
Mais ma Provence n’avait pas
les dimensions du
Far West,
et la
route ne manquait pas de s’éloigner
assez vite de la voie ferrée, à mon
grand regret… Qui disparaissait
dans une courbe ou une tranchée.
Un jour, nous n’avons pas suivi la
nationale, et, à mon grand étonne-
ment, j’ai soudain compris que
nous longions tout simplement les
murs du dépôt de Carnoules! Je ne
pouvais voir que la partie haute des
locomotives, et les fumées qui vole-
taient d’un peu partout. C’était
grand, et il y avait beaucoup de
fumée et beaucoup de machines.
Et c’était presque surréaliste, parce
que toute cette « machinerie »
était entourée d’une nature luxu-
riante débordant sur nous: c’était
la pleine nature, une cité ferro-
viaire, organisée, industrieuse, mais
complètement isolée, présence
incongrue au cœur de la chloro-
phylle, dans la sérénité provençale
chantée par d’infatigables cigales.
Au bout du mur se trouvaient un
petit carrefour et l’entrée de l’éta-
blissement, avec une cour, des bâti-
ments et, tout autour, au fond et sur
les côtés, des troupeaux de masses
noires, plus ou moins au repos, dont
certaines semblaient ruminer tran-
quillement… en regardant passer les
trains! Sur la ligne Marseille – Nice,
voisinant les faisceaux de garage
encombrés de locomotives.
La gare de Carnoules était éloignée
de la petite ville, une route étroite
remontait à travers champs vers les
collines et rejoignait la nationale au
niveau des premières maisons de
l’agglomération.
H.:
Vous me faites penser à cer-
tains tableaux de Paul Delvaux.
A. V.:
C’est bien cette ambiance,
en effet.
H.:
Un monde des années 1930
qui perdurait tranquillement au
fil des années 1950?
A. V.:
Tout à fait. Et cette coexis-
tence de deux époques qui, sem-
blait-il, n’étaient pas si pressées de
se séparer, englobait non seule-
ment le rail, mais tout le monde des
transports collectifs, des vieilles bar-
casses qui naviguaient dans la rade
de Toulon, reliant le port à La Seyne
en face, et aussià la presqu’île
de Saint-Mandrier, aux tramways
archaïques, en passant par plu-
sieurs générations successives d’au-
tocars parcourant l’arrière-pays.
Des trolleybus « modernes » pre-
Le nouveau
«Mistral» avec
la BB 9309 et
une composition
de voitures TEE inox
«Mistral69»,
arborant leur
liseré rouge
caractéristique,
à Paris;
dernières
«BBJacquemin»,
les 9300, alors
toutes récentes,
seront évincées
rapidement par les
CC6500, nettement
plus prestigieuses
(9 février 1969)
Defrance/Photorail
74 –
Historail
Juillet 2011
Année 2010
Sommaire général
n°12
janvier
n°13
avril
Secondaire
• Les Chemins de fer de l’Hérault: un réseau d’intérêt local.
HILIPPE
NRICO
TTAL
Guerre
• Une ligne mystérieuse, une ligne éphémère… La ligne «stratégique»
Marcq-Saint-Juvin – Dun-Doulcon – Baroncourt.
RANCIS
ILLEMAUX
Une machine, une histoire
La 141 TB 407.
RÉDÉRIC
OENECLAEY
AVECLECONCOURSDE
YLVAIN
UCAS
Curiosité
• «Le Rail» de Pierre Hamp: la « peine des hommes du rail »
illustrée?
EORGES
IBEILL
Architecture
• Juste Lisch, architecte de la Compagnie des chemins de fer
de l’Ouest.
OANNE
DOSSIER
• LES EMBRANCHEMENTS PARTICULIERS EN FRANCE: DE LA RÉVOLUTION
INDUSTRIELLE À LA MONDIALISATION.
OMINIQUE
ARIS
AVECLACOLLABORATIONDE
EORGES
IBEILL
Bonnes feuilles
La ligne 4 Paris – Mulhouse… de la vapeur
au diesel
(Didier Leroy et Guillaume Pourageaux).
Livres
• Deux plongées dans l’intimité des cités cheminotes du Nord,
la Délivrance et Saint-Pol-sur-Mer.
EORGES
IBEILL
Alstom à Belfort. 130 ans d’aventure industrielle
(Robert Belot et Pierre
Lamard).
EORGES
IBEILL
Industrie
• Le réseau ferré des usines Renault à Billancourt.
OPHIE
OPPIN
Anniversaire
• Il y a 100 ans, le métro parisien découvrait la concurrence
avec l’arrivée du Nord-Sud.
HILIPPE
NRICO
TTAL
Tramway
• 1938, fin de parcours pour les trams parisiens.
HILIPPE
NRICO
TTAL
Une machine, une histoire
• La 241 P 9.
ERNARD
OLLARDEY
YLVAIN
UCAS
DOSSIER
• 1930-2010: 80 ANS DE FERMETURES DE LIGNES AU TRAFIC VOYAGEURS
EN FRANCE.
ERNARD
OLLARDEY
TÉPHANE
TAIX
OMINIQUE
ARIS
EORGES
IBEILL
Guerre 39-45
• 1943, trafics de tabac en gare de Souillac.
G. R
IBEILL
Bonnes feuilles
Valenciennes – Thionville: la route du fer
et du charbon
(G. Marlier).
Livres
SNCF, la mutation impossible?
: un exercice réussi d’histoire
immédiate.
Historail
Historail
Toutcequevousvoulezsavoirsurl’histoiredurail
N°15-Octobre2010–Trimestriel-9,90

130ans
delanternes
ferroviaires
•LesEnguerthdel’Est
•Lareconstruction
desdépôtsduNord
•Lestrainsmarchandises-
voyageurs(2
de
partie)
130ans
delanternes
ferroviaires
n°14
juillet
n°15
octobre
Historail
Historail
Tout ce que vous voulez savoir sur l’histoire du rail
(N° 14)
juillet
2010
9,90

trimestriel
1950-1970
les grands
départs
vacances
Les trains marchandises-voyageurs
re
partie)
Les transports parisiens en 39-45
1950-1970
les grands
départs
en
vacances
Social
• Il y a 100 ans, la grande grève des cheminots et ses enjeux
médiatiques.
EORGES
IBEILL
Social
• Sur le réseau Ouest-État : un témoignage.
UGÈNE
OITEVIN
Matériel
• Les Engerth de l’Est: des vapeurs ardennaises au service
de l’industrie.
RANCIS
ILLEMAUX
Dépôts
• Dans les coulisses de la reconstruction des dépôts du Nord.
LIVIER
ONSTANT
Ouvrage d’art
• Latrape: un tunnel au lourd passé.
ERNARD
HUBILLEAU
Exploitation
• Les trains marchandises-voyageurs: la France à petite vitesse
partie).
ERNARD
OLLARDEY
DOSSIER
• LES BELLES LANTERNES DE CHEMIN DE FER. QUAND L’ÉCLAIRAGE
FERROVIAIRE N’ÉTAIT PAS ENCORE ÉLECTRIQUE.
OMINIQUE
ARIS
Courrier
Livres
Les Trains blindés français
(P. Malmassari).
EORGES
IBEILL
Guerre
• Les transports parisiens durant la Seconde Guerre mondiale.
HILIPPE
NRICO
TTAL
AVECLACONTRIBUTIONDE
ULIEN
EPINSTER
Une machine, une histoire
• La 2CC2 3402, une rescapée
de la Maurienne.
ERNARD
OLLARDEYET
YLVAIN
UCAS
Utopie
• Louis-Léger Vauthier: dès 1872, un projet de métropolitain pour
Paris.
EORGES
IBEILL
Curiosité
• Visseaux: une publicité paradoxale.
EORGES
IBEILL
• Quand les assiettes de Gien célébraient le chemin de fer.
OSEPH
EAN
AQUES
Exploitation
• Les trains marchandises-voyageurs: la France à petite vitesse
partie).
ERNARD
OLLARDEY
DOSSIER
• VACANCES: LA BELLE AVENTURE DES GRANDS DÉPARTS
ERNARD
OLLARDEYET
OMINIQUE
ARIS
Bonnes feuilles
Les Années vapeur
(Jean Bazot).
IDIER
EROY
Musée
• HistoRail®: bilan et projets.
Courrier
Guerre
• SNCF et déportation: un passé ferroviaire qui ne passe toujours
pas…
EORGES
IBEILL
Feuilleton
76-
Historail
Juillet 2011
La station Parc-de-
Montsouris au
début des années
1980 avant qu’elle
ne soit rasée pour
laisser place à
des immeubles
bâtis partiellement
au-dessus des
voies. Ces derniers
travaux ont entraîné
la couverture de la
portion de voie d’où
est prise la photo.
Sur les rails du souvenir (1):
Gamins de Ceinture
« Peut-être eussions-nous baptisé l’ensemble de souvenirs dont nous
commençons la publication aujourd’hui
“ Mémoires d’un enfant du rail “,
si ce titre n’avait déjà été pris par l’ami Vincenot! Car notre auteur, même
s’il n’est ni cheminot ni enfant de cheminot, s’est pris encore tout enfant
de passion pour le chemin de fer, passion qui ne l’a plus quitté depuis et
a profondément marqué sa vie, au point qu’un jour, lorsque celles-ci ont quitté
la scène ferroviaire, il a éprouvé le besoin de raconter sa rencontre avec
les 2D2 PO… De fil en aiguille, de ce propos initial est né ce récit
en sept épisodes consacré à une enfance et une adolescence de mordu
du rail… » C’est en ces termes que
La Vie du Rail,
dans son n°1919,
du 24 novembre 1983, annonçait la parution du premier épisode du
« feuilleton » d’André Victor. 28 ans plus tard, nous vous proposons de
redécouvrir, accompagné d’une iconographie totalement renouvelée, ce texte,
déjà entré dans la légende, qui reste un grand moment de littérature ferroviaire.
J. Andreu
Feuilleton
[ sur les rails du souvenir (1):
de banlieue: la chambre d’Alain donne
sur un petit parc gardé par des arbres
vénérables. Il diminue la puissance de
la musique qui tourne sur la chaîne,
et, une aiguille à tricoter à la main, il
dirige un opéra de Wagner tout en
m’écoutant: « On pourrait essayer,
après la composition de maths, mais
où ressortir? » Appuyé les deux
coudes sur la table, je suis le manège
du chef, la baguette impérieuse; lui-
même s’observe dans la grande glace
posée sur la cheminée. « Ça, ce n’est
pas grave, c’est plein d’embranche-
ments dans tous les coins, au pire on
rebroussera chemin… » Laissant l’or-
chestre se débrouiller tout seul, Alain
sort une carte Michelin du tiroir de sa
table, là où il cache ses trésors, photos
de trains, lettres, dessins pornos ou
livres interdits, et plus tard, bien plus
tard, fiches méticuleuses de ce droit
pénal dont il a fait son métier.
Il fait sombre, la carte étalée sous la
lampe découvre Paris, nos doigts sui-
vent le trait noir de la Petite Ceinture.
« À l’est de Paris, elle disparaît
complètement, c’est pas très intéres-
sant pour nous.
–Non, d’autant plus qu’elle est très
fréquentée entre Bercy et le Nord,
qu’elle est à deux voies et que les
tunnels sont très étroits, ce serait
dangereux.
–On est un peu trop jeunes pour
se suicider!
–Il faut prendre vers l’ouest, il n’y
a qu’une voie, et peu de trains, on
sera à l’aise.
–Et tu dis qu’à Masséna la porte
est ouverte? »
Alors, j’expliquai à Alain qu’au cours
de mes pérégrinations sur les voies du
Sud-Ouest, j’avais abouti plusieurs fois
sur les quais de la gare du boulevard
Masséna et emprunté ses passerelles
survolant chantiers et voies principales
jusqu’à la sortie aménagée dans les
bâtiments de la vieille station bordant
la Petite Ceinture. Non loin des gui-
chets, plusieurs portes donnaient sur
le hall; l’une d’elles ouvrait sur
une échelle de fer descendant vers
l’Entretien voyageurs; je l’avais explo-
rée depuis longtemps; mais j’étais
passé jusqu’ici tout à fait indifférent
devant deux portes-fenêtres discrètes,
oubliées, communiquant vraisem-
blablement avec le quai de ceinture.
Un jour pourtant, plus désœuvré sans
doute que de coutume, je me risquai,
une main dans le dos, les yeux rivés
sur l’employé caché derrière son
guichet, à forcer l’un de ces accès et
oh, surprise! la poignée se mit à tour-
ner et la porte à frémir sous la pous-
sée! Le monde de la Petite Ceinture
nous était ouvert!
Le passage de Masséna
Nous voici donc, un jeudi, dans le hall
de la gare du boulevard Masséna.
Quelques personnes occupent l’at-
tention de l’homme au guichet. La
main tremblante, je pousse la porte,
elle s’écarte sans bruit. Déjà Alain
vient de la refermer, nous sommes sur
le quai de la voie intérieure: personne,
tout va bien. En face de nous un abri
et des grilles et, au-delà, le trafic du
boulevard Masséna, à quelques
mètres, mais si loin de nous. Désor-
mais, nous ne t’appartenons plus,
vilain monde du présent et des
réalités, non c’est fini, nous avons pris
pied sur l’anneau magique, le cercle
infini de nos rêves, et que nos pas
sont légers sur le fin gravier du quai,
j’ai l’impression de respirer un air pur,
pur, pur… !
Des panneaux publicitaires dirigés vers
le boulevard nous cachent jusqu’au
pont sur la rue de Patay, ce pont qui
me fascinait autrefois quand nous
passions en voiture; eh bien oui! c’est
fait, je suis dessus, loin des parents et
des professeurs, des contraintes et des
mascarades ridicules par lesquelles il
nous fallait passer: un rire pétillant
nous prend et nous avançons sur un
78-
Historail
Juillet 2011
Lapeyre/Photorail
C. Recoura/Photorail
La Petite Ceinture
sud du côté
de Glacière
(mars 1991).
La Petite Ceinture
sud vers la porte
de Vanves
(12 avril 1994).
rythme musette, tout fringants de la
liberté acquise, le sourire aux lèvres,
la blague facile, l’œil vif.
La rue Regnault remonte péniblement
jusqu’à nous, une porte est ménagée
dans la grille qui sépare les deux
mondes, mais elle est fermée. Un
signal d’avertissement: de quoi
cherche-t-il à nous prévenir? Un
vague pressentiment passe et
disparaît devant la perspective d’un
aiguillage dédoublant la voie unique
vers l’entrée de deux tunnels gardés
par un régiment de pigeons. Celui de
droite fut construit en 1901, d’après
son fronton qui porte cette date.
Hésitation. D’après Alain, il conduit
vers lagare marchandises des Gobe-
lins; nous le laissons donc et nous
nous engageons dans l’ouvrage de
gauche, non sans observer qu’en cas
de besoin un escalier de pierre
remonte à pic au droit de la bouche
mystérieuse, vers larue du Château-
des-Rentiers,où se trouve sans doute
une porte d’accès.
Ce tunnel n’a rien d’inquiétant: prévu
pour deux voies, il n’en abrite plus
qu’une, nous avons de la place, et
marchons d’ailleurs côte à côte; la lu-
mière nous arrive par la sortie proche.
Nous coupons en tranchée l’avenue
de Choisyet longeons le passage des
Malmaisons duquel descendent en
grappes des brassées de plantes
accrochées aux meulières des parois
qui nous entourent; on discerne là-
haut des appentis, des baraques, des
jardins potagers.
Mais voici des quais. En effet, passée
la voûte de la rue Gamdon, nous ar-
rivons à la station Maison-Blanche. Le
bâtiment de la gare nous est caché
par les fondations d’un immeuble en
construction, autour duquel s’affai-
rent des maçons. « Un peu de cou-
rage, gonflons-nous, redressons la
tête, et les ouvriers nous prendront
pour des cheminots. » C’est un peu
présomptueux, vu notre âge, mais ce-
pendant tout va bien, notre passage
sous les pilotis est à peine remarqué et
nous laissons derrière nous les écha-
faudages, les grues et les bétonnières,
pour, longeant le boulevard Keller-
mann, arriver à la gare de marchan-
dises de la Glacière-Gentilly.
Quelques voies, des wagons couverts,
des cabanes, mais personne n’en sort
pour nous inquiéter. Nous passons
néanmoins sur la pointe des pieds.
Après la dernière aiguille donnant sur
les garages de la place de Rungis, nous
arrivons dans un paysage de contes
de fées. Laissant les parcs à charbons,
les entrepôts, les camions et les ter-
rains vagues, sur la droite, nous en-
trons dans le domaine étrange de la
gare du parc Montsouris.
Juillet 2011
Historail
Gamins de Ceinture ]
R. Henrard/Photorail
Vue aérienne de la
gare marchandises
de La Glacière-
Gentilly, donnant sur
la place de Rungis
(1960). Réduite de
moitié au profit
d’immeubles au
début des années
1980, puis à
l’abandon depuis
1991 (date de
la cessation de la
desserte) la partie
est du site est
aujourd’hui à
son tour livrée
à la construction
d’habitations et de
bureaux («Écozac»
de la place de
Rungis). Le chantier,
débuté en 2010,
doit s’achever
en 2011-2012.
Feuilleton
[ sur les rails du souvenir (1):
Je nous revois encore avancer gaie-
ment sur le pont surplombant les im-
meubles en pierres de taille du XV
arrondissement, et les passants mina-
bles, là-bas, dans la rue, affairés dans
leurs petites vies étroites!
Alain parlait des « Musigrains », sa voix
semblait voler au milieu de la musique
des violons dont les accords nous arri-
vaient par vagues, directement en pro-
venance des après-midi de concert qu’il
racontait. Levant le bras comme pour
lancer une série d’instruments dans la
bataille symphonique, il évoquait la
pâle silhouette d’un idéal féminin, tout
jeune, fragile, dansant au loin, très loin,
dans le ciel au-dessus des toitures de
zinc, apparition capricieuse qui sans
cesse lui échappait et qu’il craignait ne
jamais pouvoir rejoindre.
L’embranchement du métro vers les
ateliers de la Croix-Nivertvenait inter-
rompre ce discours lyrique. Nous étions
tentés de suivre les rails et de nous
enfoncer dans les sous-sols, mais ce
n’était pas notre but, il fallait rejoin-
dre lagare de Grenellepour pouvoir
dire que nous avions entièrement ex-
ploré la partie sud de la Petite Cein-
ture. Laissant sur la droite la liaison
avec le métro, et sur la gauche les
voies grimpant vers le viaduc d’Au-
teuil,nous arrivâmes au terme de
l’expédition. Des signaux, une guérite,
une locomotive diesel manœuvrant
des wagons à bestiaux: il était temps!
La Ceinture vivait donc encore! Pas-
sant discrètement, nous traversâmes
cette gare bizarre aux halles étendues,
aux voies nombreuses, bordée d’un
hangar où se déplaçait bruyamment
une grue impressionnante happant les
tôles déchirées d’une casse en pleine
activité. Un peu plus loin, des chau-
dières de locomotives s’entassaient au
droit de la place Balard. Paysage de
frontière, décors de fin du monde.
Devant nous, deux jonctions: avec les
usines Renault par Issy-Plaine, avec Ci-
troëndont les bâtiments se trouvaient
82-
Historail
Juillet 2011
Photos Photorail
Ci-contre,
le bâtiment de la
station Vaugirard-
Ceinture, vu dans
les années 1980, est
blotti derrière un
immeuble moderne
à façade de verre
et d’aluminium.
À droite,
l’embranchement
des ateliers RATP
de Vaugirard,
descendant vers
la rue Desnouettes
qu’il coupera
par une traversée
à niveau.
Ce raccordement,
aujourd’hui disparu,
entre le métro et
la Petite Ceinture
a servi jusqu’aux
années 1980 pour
réceptionner
du matériel neuf,
en dernier lieu
les rames MF 77.
La gare de
Vaugirard-Ceinture
au début
du
XX
siècle, avec
l’escalier d’accès
aux voies situées
en haut du remblai.
douceur dans le froissement de soie
de l’échappement des 131 TB, d’au-
tres filaient à toute vapeur, on les ap-
pelait les directs. Parfois, un coup de
sifflet me déchirait les oreilles quand ils
s’annonçaient à l’entrée de la gare. Je
les revois, ces trains, dans la courbe
conduisant à la Bastille, tender ou
chancière en avant, suivant la direc-
tion, car on ignorait la réversibilité sur
la ligne! Sur la droite, trois voies en
épi se séparaient d’une aiguille
unique.Des rames de voitures alle-
mandes y étaient garées en perma-
nence, sans doute pour les heures
d’affluence. Un peu plus loin, sur le
chantier des marchandises dominé par
lesparcs à charbon, des camions
allaient et venaient sans arrêt dans
une activité fébrile. À mes pieds, sur la
gauche, une courte voie venait s’en-
fermer dans le quai qui l’enserrait de
toute part jusqu’à un butoir en piteux
état. Souvent, un wagon couvert traî-
nait là, que des hommes en bleu
déchargeaient de ses colis et paquets:
« Peut-être le train du Père Noël? »
J’aurais donné beaucoup pour être
admis dans le monde des quelques
voyageurs évoluant sur le quai, dans
l’attente de l’omnibus. Quel privilège
que de prendre le train à la gare de
Paris-Reuilly, sur les quais bas du
chemin de fer de la Bastille! Mais
qu’aurais-je donc fait là-bas, dans la
vieille gare aux fenêtres Grand Siècle,
une fois passé le pont-transbordeur
de locomotives, qu’aurais-je donc fait
dans les stations lointaines de Bel-Air
ou de Vincennes?
De Bel-Air à la rue
Vitruve
Bel-Air,je l’ai maintenant devant moi:
autrefois, la ceinture y assurait la cor-
respondance des trains deBoissy-
Saint-Léger,quelques pauvres vestiges
en témoignent. En bas, par contre, la
double file de rails brille, comme asti-
quée par quelque ménagère ma-
niaque. La petite gare plantée au bord
de la rue du Sahel a un air de santé
rangée, avec ses peintures propres,
ses parterres de fleurs soignés, ses bar-
rières de bois. On se dirait très loin de
Paris, dans quelque gentil village sans
histoire. Je n’ai pas la patience d’at-
tendre le passage d’un train: celui-ci
aurait été mon dernier train Bastille –
Feuilleton
[ sur les rails du souvenir (1):
86-
Historail
Juillet 2011
Photorail
J. Andreu
Un BB 63000 haut-
le-pied passe sur la
Ceinture rive droite
dans le nord-est de
Paris (années 1980).
Ci-contre, un train
spécial avec
la 230 G 353, venant
de Ménilmontant,
aborde la
bifurcation de Bel-
Air (années 1980).
Il est commandé
par le vieux poste
en bois typiquement
«Ceinture».
Les voies de gauche
descendent vers la
section subsistante
de la ligne de
Vincennes et
servent encore,
pour peu de temps,
à la desserte de la
gare marchandises
de Reuilly.
Boissy, ma dernière 141 TB, car de-
puis, je n’insiste pas, vous savez ce
qui est arrivé…
Mais, voici que s’ouvrent devant moi
les voies royales des viaducs sur les
avenues de Saint-Mandé et du cours
de Vincennes. Seul dans mes rails,
j’avance comme un prince de haut
rang qui découvre Paris à partir de
points de vue strictement réservés aux
altesses royales, et que ses sujets
ne soupçonnent même pas. « Sire,
regardez à droite, la porte de Vin-
cennes, qui conduit à votre château
du même nom; Sire, regardez à
gauche l’avenue du Trône et ses
colonnes… » Je plane au-dessus des
pavés, des arbres et des toits, je plane
au-dessus des gens, au-dessus des
petits, au-dessus des grands.
Je laisse l’empreinte de mes pas sur
la poussière des quais déserts de la
gare de l’avenue de Vincenneset
glisse prudemment au pied duposte
d’aiguillages, habité, et le long des
entrepôts de Charonne où les wagons
de marchandises s’amoncellent. Il fait
chaud, le soleil tape, les dalles et le
ballast me renvoient une lumière
aveuglante, la fatigue et les émotions
me donnent le vertige. Longeant la
voie de gauche, je me tiens à la ram-
barde branlante et j’avance, à moitié
assommé. Mais d’un coup, j’oublie
mes peines: un bruit familier vient de
se faire entendre; je ne l’interprète
qu’après avoir baissé les yeux sur l’ate-
lier du métro, en contrebas, que je
longeais sans le voir. Un compresseur
s’est déclenché dans le silence brûlant
du soleil de midi. Une rame, à demi
sortie de l’antique verrière ouvragée,
ronronne doucement puis s’arrête;
d’autres sont rangées un peu plus
loin, les lampes de cuivre reflétant les
rayons de lumière qui tombent de la
toiture. « Si je m’attendais à trouver ici
un dépôt de la RATP! » Charonne res-
tera toujours, pour moi, un lieu de
calme et de tranquillité, un espace
désuet, un refuge… et bien sûr, au-
jourd’hui, ce Charonne-là n’est plus
et les rames « Sprague » ont disparu!
Contre lepont de la rue du Volga, un
clochard fait réchauffer quelque vieille
bouilloire. C’est vrai, il est une heure
de l’après-midi, le moment de passer
à table. Des vieilles masures entassées
en contrebas de la Ceinture, émanent
des bruits de vaisselle, des bribes de
conversation. La plupart des fenêtres
sont ouvertes et les paroles se répon-
dent de part et d’autre du talus. Des
voix de femmes criant sur le dos d’en-
fants silencieux et invisibles, des éclats
de rire, des scènes de ménage… Un
peu plus loin, les hurlements d’un
bébé en colère, agrémentés par les
notes de piano d’un élève maladroit.
Juillet 2011
Historail
Gamins de Ceinture ]
Je laisse l’empreinte de mes pas sur la poussière des
quais déserts de la gare de l’avenue de Vincennes […]
J. Andreu
Un train spécial sur
les voies longeant
le boulevard
Poniatowski
se dirige vers
Ménilmontant et
s’apprête à passer
sous le pont de
la rue de Charenton.
Juillet 2011
Historail
Bagnolet, au-dessus des rails qui, res-
sortant quelques instants en tranchée,
disparaissent dans la bouche noire
d’un tunnel.
Je m’arrête sous la marquise du quai
de droite, assis sur les premières
marches de l’escalier grimpant vers la
gare. Qu’il fait bon se mettre un peu
à l’ombre!
Je suis fatigué, mais l’idée de quitter la
Ceinture pour rejoindre le bon vieux
macadam me coupe tout à fait les
jambes. « Non, je préfère continuer,
continuer mon inventaire. » Cepen-
dant, un panneau annonce deux tun-
nelset je sais, pour avoir vu la carte,
qu’ils sont longs. « Mieux vaut sortir
et rejoindre l’autre bout des souter-
rains du côté de la Villette, je trouve-
rai bien là-bas un nouveau passage. »
Le retour
Décidant de rebrousser chemin
jusqu’à un mur suffisamment bas
pour que je puisse me recevoir sans
peine dans la rue Vitruve, je me lève
et dirige mes pas… vers le nord, vers
l’ombre hermétique de la bouche
noire qui absorbe la file régulière des
rails… « Rien que pour jeter un coup
d’œil, avant de retourner. » Une lé-
gère brise en émane, avec une odeur
de cave; il fait frais, cet air me répare
de la brûlure du soleil. « C’est vrai qu’il
n’y a pas lerche (2) entre les rails et la
paroi! » Mais, je perçois en même
temps une succession de trous
d’hommes creusés à espaces réguliers
dans les flancs de l’ouvrage. Des
plaques de peinture fluorescente mar-
quent chacun de ces abris. Tout cela
m’inspire confiance: « Après tout, ça
n’a pas l’air si terrible: si, par le plus
grand des hasards, un tram arrive,
j’aurais le temps de me garer dans
l’une de ces niches. »
Il n’en faut pas plus, je m’engage avec
un frisson de peur…, et de plaisir.
« C’est quand même autre chose que
de se bousculer dans un autobus
bondé qui n’en finit pas de s’arrêter à
toutes les stations. » Moi, j’ai choisi
la voie directe, le chemin sans détour,
qui efface les montagnes et les
vallées: le chemin de fer de Ceinture,
je l’oubliais cependant, tournait tout
de même en rond!
Imperceptiblement, les bordures
blanches des dégagements s’effacent,
la lumière de l’extérieur n’arrive plus
jusqu’ici, en raison d’une courbe. Et
je réalise que le souterrain n’est pas
éclairé, pas la moindre petite am-
Gamins de Ceinture ]
J. Andreu
Lapeyre/Photorail
C. Recoura/Photorail
(2) Il n’y a pas lerche: il n’y a pas
beaucoup, en argot.
Juillet 2011
Historail
Soudain, un bruit lointain, insolite, ré-
sonne, étouffé, sous la voûte. Je sur-
saute. Puis, je comprends. Un second
coup de sirène, très bref, le confirme:
un train arrive.
Mais de quel côté? Je suis incapable
de l’apprécier. Faut-il traverser? Faut-
il rester là?
Un léger grondement s’enfle lente-
ment, comme l’eau qui monte le long
d’un tuyau encore vide, perceptible
par un sifflement infime, et qui va
tout noyer.
La nuit s’anime de la folle sarabande
de têtes décapitées tombant, à la
chaîne, cisaillées par le tunnel. L’an-
goisse me glace alors à l’idée que je
vis peut-être mes derniers instants.
Le train s’approche, je l’entends net-
tement à présent, mais je ne peux
toujours pas le situer et savoir de quel
côté il va surgir sur moi.
Enfin, une lumière indistincte: il vient
de droite, il vient du nord, il faut tra-
verser les deux voies et se mettre à
l’abri en face, vite! vite! avant qu’il
ne soit trop tard.
Je vais bondir, mais je réalise que
n’ayant croisé aucune circulation,
j’ignore sur quelle voie le monstre
peut rouler. Et s’il s’avançait en contre-
sens? En traversant, je me jetterais
dans ses roues!
De toute façon, c’est fini, il n’est plus
temps de faire quoi que ce soit, le
train est là!
Les pulsations lourdes des moteurs
diesel envahissent le tunnel dans le
grondement caverneux de l’échappe-
ment; les deux grosses lampes s’ap-
prochent, deviennent de plus en plus
nettes; j’entends les cliquetis des
injecteurs, le choc des roues sur le rail,
jusqu’aux vibrations des tôles de
la machine.
Je n’ai même plus le temps de me je-
ter au sol, couché au bord du ballast,
pour échapper à l’emprise du convoi.
Un geste instinctif me colle contre la
paroi, paralysé de terreur devant la
masse formidable, et… je m’enfonce
dans une niche de protection! Le ha-
sard m’avait placé juste en face d’un
abri, quelle chance inespérée!
Blotti dans l’angle de cet étroit asile,
je reçois de plein fouet la charge
du train de marchandises: un trem-
blement de terre.
Les ondes, parcourant l’étroit boyau,
se répercutent à l’infini et déchirent
mes oreilles pendant que les vapeurs
de fuel, la poussière et le vent me
frappent le visage. Une folle pensée
me traverse: « Je vais être asphyxié
par les gaz! » Je bloque ma respira-
tion, tandis que, l’espace d’un éclair,
je perçois trois silhouettes en ombres
chinoises dessinées sur la lueur
jaunâtre du poste de conduite et
que, dans la lignée de la locomotive,
suivent les wagons, dont les essieux
sonnent creux contre les joints de
la voie.
Et puis le bruit décroît; hébété, je
quitte mon abri providentiel pour voir
les reflets rougeâtres du fourgon de
queue et je tremble sur mes jambes,
pris d’une peur rétrospective à l’idée
de ce qui serait survenu si…
Le tunnel reprend peu à peu son état
de repos. Un son de corne me par-
vient, de très loin, qui annonce la
sortie du train, rue de Bagnolet. Je
retourne dans ma niche, par pru-
dence, au cas où ce serait un autre
convoi qui s’annonce, et bloquant
Gamins de Ceinture ]
Photorail
Photorail
En haut, à proximité
de l’ancienne
station de
Ménilmontant,
la Ceinture revient
à la lumière du jour
entre les deux
grands tunnels
de Belleville et
de Charonne.
Ci-dessus,
l’emplacement de
la station Belleville-
Villette, dont le
bâtiment voyageurs
a déjà été démoli.
Seuls les anciens
quais subsistent.
ma respiration, j’écoute le silence
des ténèbres: rien ne vient, il faut
reprendre la route.
Le bout du souterrain
Après une marche hâtive, faisant
voler cailloux et poussière à chaque
pas, sans ménagement, tout en puis-
sance, j’arrive au bout du souterrain,
à Ménilmontant: rue Sorbier, rue
Henri-Chevreau,la passerelle, les
quais, la petite gare qui ressemble à la
demeure d’un garde-barrière, pendue
dans la verdure. « C’est donc ça le
pays de Maurice Chevalier! » La voix
gouailleuse du vieux cabotin, qui
vivait encore à l’époque, m’accueille
en chantant Ménilmontant, accom-
pagnée par Charles Trenet avec son
« coin de rue aujourd’hui disparu ».
Le craquement déchirant d’un chan-
gement de vitesse, derrière moi, me
parvient! Là-haut, un autobus gronde
en montant péniblement la dure
pente de la rue de Ménilmontant.
Ses plaques bleues et blanches bril-
lent au soleil; sur la plate-forme
arrière, solitaire, un receveur semble
rêver en regardant la chaîne de sécu-
rité se balancer…
Il va falloir sortir de là, mais les grilles
sont infranchissables. Sur la droite,
une porte est ménagée, avec une ser-
rure digne d’un coffre-fort… bouclée!
La passerelle de la rue de la Mareest
inaccessible, la gare est murée. Des
consignes sont accrochées, elles me
sont de peu de secours. Des chats
tigrés, sortis d’un tas de planches, re-
gardent fixement ce gamin qui
reprend son calvaire vers l’inévitable
second tunnel. Et ce n’est pas la toute
proche église Notre-Dame-de-la-Croix
qui y changera quoi que ce soit, il n’y
a pas de passage dans l’oasis de
Ménilmontant. « Qui a bu un premier
tunnel, boira le suivant! »
Espérons qu’il sera plus favorable.
C’est le cas; la lumière me parvient
longtemps car l’ouvrage reste en ligne
droite; pas de train, tout va bien.
Feuilleton
[ sur les rails du souvenir (1):
92-
Historail
Juillet 2011
Lapeyre/Photorail
Andreu
C. Recoura/Photorail
Ci-dessus et
ci-dessous, le
viaduc situé entre
Est-Ceinture et
Pont-de-Flandres
avec des circulations
spéciales :
la 230 G 353 (1992)
et, en 1984, un
autorail.
Sur la droite,
en haut et en bas:
deux vues de
la station Pont-de-
Flandres (1934 et
1991), une des rares
gares qui subsistent
aujourd’hui.
Mais, à mi-chemin, une nouvelle
frayeur arrête brusquement mon
élan: deux hommes, là-bas, au nord,
sont en train de venir à ma rencon-
tre. Sans doute une équipe de visite;
je l’ai repérée à cause des deux
lampes qui s’avancent vers moi en
cadence, au rythme des pas des
cheminots. « Comment justifier ma
présence ici? » Pour le moins, ce sera
une amende, voire la police. Une fois
encore, je m’apprête à fuir, mais je ne
m’en sens pas la force: je reste là, per-
plexe, quand je réalise qu’ils se sont
arrêtés eux aussi! M’ont-ils vu, pré-
parent-ils un mauvais coup? Puis-je
me cacher? Vont-ils me surprendre?
J’essaie d’entendre leurs voix, la nuit
reste muette. Je vais avancer un peu
et me cacher dans le prochain trou
d’hommes. À peine ai-je repris la
marche, que les deux hommes se
remettent en mouvement, avec un
synchronisme déconcertant; les deux
lampes se balancent parallèlement,
mais elles demeurent toujours aussi
lointaines. Je traverse les voies, elles
disparaissent Que se passe-t-il? Je
reviens de l’autre côté du tunnel, les
voici de nouveau; suis-je victime d’un
mirage, suis-je devenu fou?
Enfin, mes yeux, sans que je ne leur
aie rien demandé dessinent dans la
ligne de fuite de la nuit une pâle
sortie de tunnel, faible lumière venue
du nord; « C’était donc ça! » J’avais
pris les reflets lointains de l’issue du
souterrain sur les rails pour des
lampes, et les hommes qui s’appro-
chaient n’étaient que des fantômes,
le délire d’un pauvre gamin dépassé
par les événements, perdu dans les
draperies brûlantes d’un cauchemar
trop grand pour lui.
Rassuré, j’arrivai enfin à la bouche des
Buttes-Chaumont, accueilli par des
cris d’enfants jouant sur les pentes du
parc, descendant sur la tranchée des
voies. Des aiguillages, des signaux,
une voie de manœuvre, un poste en
bois d’allumettes: je découvrais l’im-
Juillet 2011
Historail
Gamins de Ceinture ]
J. Andreu
C. Recoura/Photorail
Lapeyre/Photorail
Ci-dessus à gauche,
le site d’Est-
Ceinture en 1991,
avec le poste en
béton et son logo
fait de deux
«C»entrelacés pour
symboliser les deux
Ceintures.
À droite, l’ancien
accès sous les
quais desservis par
les voies de l’Est
situées au niveau
supérieur par
rapport à la Petite
Ceinture.
Un train vapeur
de l’Ajecta sortant
de la tranchée
couverte
des Épinettes
arrive non loin
des Batignolles.
Feuilleton
[ sur les rails du souvenir (1):
cédente escapade sur la Ceinture,
entre le Sud-Ouest et l’Est. Cette fois,
nous avions le loisir d’admirer l’élé-
gance de ce poste de pierres et de
ciment, éclairé de fenêtres sur toutes
ses faces soulignées par trois lignes
de céramiques en damier.
Ce poste important abritait bon nom-
bre de leviers, et l’ambiance y était
chaude. Enfin, nous pouvions voir
vivre un tronçon de la Ceinture! Ils
étaient plusieurs là-dedans, télépho-
nant, tournant des clés, déclenchant
des sonneries… glissant avec des pa-
tins sur un sol ciré, tenu impeccable…
Dehors, une réserve de diesels en at-
tente, dont certains vrombissaient, en
crachant des traînées de suies noires.
Des équipes discutaient au pied des
engins avant de se séparer pour pren-
dre leur service ou partir en repos.
Devant nous, le poste de l’Évangile
portait encore l’insigne propre au
Chemin de fer de Ceinture: CFC,
cette société anonyme à laquelle le
syndicat des grandes compagnies
avait confié l’exploitation de cette
ligne parisienne reliant leurs réseaux.
Nous finîmes en beauté, cet après-
midi-là. Après avoir longtemps humé
l’air du passé à l’Évangile, nous re-
vînmes jusqu’au dépôt de La Chapelle
où nous fut offerte l’occasion de re-
96-
Historail
Juillet 2011
Ph.-E. Attal
J. Andreu
La 230 G 353
en train de gravir
le raccordement
en rampe menant
du faisceau de
l’Évangile, sur la PC,
jusqu’aux voies
de l’Est (1983).
Un court tronçon
de Petite Ceinture
à la lumière du jour
à la station
d’Ouest-Ceinture
juillet 1991).
monter à Paris-Nord sur une machine.
Et pas n’importe laquelle: une 30000
qui venait se mettre en tête de l’Île-
de-France ou autre Étoile-du-Nord, je
ne sais plus, en tout cas d’un TEE
composé de matériel classique vert,
voisinant avec une rame allemande
rouge et beige qui embarquait aussi
des passagers « passe-frontières ». Ce
fut ma première mise en tête…
Boucler le cercle
Depuis ce temps lointain, je n’étais
pas retourné sur la Ceinture. Les
chemins de la vie ont séparé les deux
gamins et, seul, je n’ai jamais osé re-
tourner sur les traces de ce dimanche
de feux et de ténèbres, qui faillit être
mon dernier jour.
Aussi, notre inventaire devait-il rester
incomplet, notre itinéraire interrompu
avant son terme. Nous n’avions pas
reconnu la partie ouest de la Petite
Ceinture, celle qui, d’ailleurs, avait un
statut différent des autres sections,
puisque dépendant des chemins
de fer de l’Ouest. Ces voies, de nous
ignorées, demeuraient nimbées
de mystère, comme une impardon-
nable lacune…
Pour me permettre de conclure, pour
ne pas vous décevoir, ami lecteur, j’ai
repris la route des gamins, et hier, un
dimanche aussi, j’ai essayé de com-
pléter l’aventure, de boucler le cercle.
Il faisait beau, mais je n’avais plus
cette inconscience qui fait l’un des
charmes – comme l’un des dangers! –
de l’adolescence et, ému, j’ai suivi len-
tement la Ceinture, de la rue de
l’Évangile à l’ancienne station de
Courcelles-Ceinture, dans le
XVII
ar-
rondissement. Regardant mon rêve
de l’extérieur, avec Ney, Bessières,
Berthier, Pereire,il me restait donc à
terminer ma « révolution », et à
revenir sur mes pas.
Arrivantrue d’Aubervilliers et rue de
l’Évangile, je ne reconnais rien: la zone
des gazomètres est devenue un vaste
terrain vague caché derrière des palis-
sades, et des immeubles neufs ont
poussé tout autour. Un immense
garage de transporteurs routiers che-
vauche la Ceinture, après le poste
d’aiguillage de l’Évangile, minuscule
et désuet dans ce milieu de béton
armé. Puis, c’est le boulevard Neyet
la porte de La Chapelle,avec les dou-
bles voies se séparant de la Ceinture
pour rejoindre, en souterrain, la gare
du Nord. Les rails semblent ternes,
comme si les trains dédaignaient cette
liaison, autrefois parcourue par la
Flèche-d’Or, le Riviera-Flandres ou le
Nice – Londres. Les circulations inter-
gares, en effet, si elles subsistent encore
très partiellement, se font de plus en
plus rares et peut-être assistera-t-on
un jour à une seconde mort de la
Ceinture, à l’issue de laquelle plus
aucun voyageur n’en connaîtra les
séductions…
La gare de la porte Clignancourt,elle
aussi, est méconnaissable. Et je doute
que les nombreux clients de la banque
qui s’y est installée sachent que les gui-
chets qu’ils fréquentent ouvraient,
dans le temps, sur les escaliers de la
station Boulevard-Ornano. D’escaliers,
il n’est même plus question, une
échelle de fer remplace les volées de
marches qui descendaient sur les
quais. Seules, quelques vieilles pein-
tures effacées, sur les murs des im-
Juillet 2011
Historail
Gamins de Ceinture ]
Photorail
La gare de la porte de Clignancourt, elle aussi,
est méconnaissable.
La bifurcation de
Batignolles en 1934,
avec les voies
de gauche menant
à la gare du même
nom, près de Pont-
Cardinet, et celles
de droite qui
constituent le
«raccordement
de Courcelles».
La gare de Porte-
de-Clichy est visible
au fond.
car elle desservait la gare du Bois de
Boulogne, fréquentée par des princes
de tous les pays!
Il ne me reste plus alors qu’à m’em-
barquer, mélancolique, dans le petit
train d’Auteuil, et, là, à prendre l’au-
tobus PC puisque le rail s’arrête au
boulevard Exelmans.
Dans l’autobus, exceptionnellement
direct de Balard à la Porte d’Orléans,
toléré par le chauffeur qui, en prin-
cipe, ne doit pas prendre de voya-
geurs sur ce type de parcours, je revois
passer les portes de Paris, et avec elles
les souvenirs de la Ceinture.
L’anneau magique de mon adoles-
cence gît toujours, par là-bas, sous
une dalle, entre deux HLM ou derrière
un centre commercial. Je le considère
de l’extérieur. Je regarde mes rêves
d’hier et d’avant-hier: aujourd’hui,
l’oncle Charles a disparu depuis long-
temps; leviaduc d’Auteuiln’est plus
qu’un souvenir; dans les gares pari-
siennes, les trains sont modernes.
Paris a oublié son passé, ces ombres
familières qui lui donnèrent son vi-
sage, ces gavroches de partout qui
s’unissaient, en badauds, sur les bou-
levards, provinciaux reconvertis en
titis, ces petits métiers qui grouillaient
dans les rues. Et il pleut, il pleut…
comme si la ville ne pouvait se conso-
ler de tous ceux qu’elle a perdus: paix
à leurs cendres, conservées pieuse-
ment sur le papier glacé des photo-
graphies de musées, dans les vitrines
des expositions et exploitées par la
mode et la publicité « rétro ».
Voilà, j’ai fait mon tour, et je vous laisse,
en amis, ces deux garçons qui s’avan-
cent sur les rails de la Ceinture, hors
du temps, hors d’eux-mêmes, sans
comprendre, entre ciel et terre, entre
Paris et banlieue, entre deux âges…
Regardez-les, ces deux gosses, grandis
trop vite, fragiles sur leurs pattes
maladroites: gamins de Ceinture,
parmi les derniers mômes de Paris, en
sursis, dans un monde qui se rétrécit,
lui-même englouti dans les caves et les
parkings, enfermé dans une marée de
béton, dont ne subsistent que de rares
vestiges effacés par la pluie. Cette pluie
qui, goutte à goutte, amollit les
derniers quais encore en place, érode
les derniers murs écroulés, dissout les
lettres majuscules des ultimes plaques
indicatrices de multiples directions,
vaines désormais…
Regardez-les, ces deux gamins qui
s’avancent gaiement, l’un qui se
prend pour Karajan, l’autre pour
Aznavour: ils sont l’enfance, ils sont
l’espoir, les rires et les pleurs, ils vous
ressemblent…
André VICTOR
J. Andreu
Juillet 2011
Historail
Gamins de Ceinture ]
La station d’Ouest-
Ceinture, côté voies,
avec une rame
Budd assurant un
omnibus sur la ligne
Paris – Versailles.
L’arrivée du TGV
Atlantique sera
fatale à cette
station, l’espace
de ses quais étant
récupéré pour
ajouter des voies
de circulation (1972).
L’anneau magique de mon enfance gît toujours,
par là-bas, sous une dalle, entre deux HLM […].
Livres
[ gares d’hier ]
102-
Historail
Juillet 2011
Pillaux/Photorail
Carenco/Photorail
Juillet 2011
Historail
Page précédente, de haut en bas:
sous l’immense halle lumineuse de la gare de Biarritz-Ville, un étrange monde
suranné, rescapé d’un passé oublié… Figés pour l’éternité, le désespoir d’un quai,
étendue apathique qui attend l’animation et les fastes d’antan, et deux
automotrices Z 4300, exténuées, pantographes déjà baissés,
venues mourir ici, ensablées au pied des Pyrénées… Un groupe de touristes
fatigués vient de quitter l’antique rame, et, une fois rassemblé, va se diriger vers
la ville pour le déjeuner. Autrefois, il y avait un buffet. Autrefois… Demain,
ou après-demain peut-être, on ira jusqu’à la plage… La plage, ou bien le casino,
en empruntant le tramway qu’on entend ferrailler à côté…;
cette photo montre un moment idyllique où le rail et la route avaient chacun
leur place et leur rôle, dans un équilibre subtil et fragile. Il fut brutalement rompu
quand on pensa en termes de gestion de flux et de dynamique des fluides. Alors,
ce fut le tout-autoroute et la densification de la circulation jusqu’au cœur de la ville
de Nice. L’image pacifiée des Solex et des ID ou DS 19 croisant des Simca 1000
dans le calme d’un après-midi ensoleillé n’est plus de mise.
Ci-dessus et ci-contre:
les institutions comme les êtres vivants connaissent tous des hauts et des bas:
c’est bien le cas de la gare d’Orsay. Pourtant, elle était née avec bien
des avantages: exceptionnelle localisation au bord de la Seine, statut unique
de grande gare nationale tête du réseau du PO (Paris-Orléans), très tôt électrifié…
Cette gare monumentale représentait l’excellence, l’élégance, l’autorité et
la compétence d’un chemin de fer considéré comme une puissance, à la légitimité
incontestée. Mais après le report du départ des trains de grandes lignes à la gare
de Paris-Austerlitz, son prestige ne cessa de décliner. Les locaux de surface furent
peu à peu abandonnés, et la gare ne connut plus qu’une activité souterraine…
Photos Perrelle/Photorail
Livres
[ gares d’hier ]
104-
Historail
Juillet 2011
Ci-dessus et ci-contre :
La gare de l’Est se signale par le vaste volume du hall de départ,
ses nombreux guichets avec leurs dispositifs permettant de poser
les bagages, parfois utilisés comme sièges par des voyageurs fatigués,
et leurs voûtes en arc portées par des colonnes, identiques à celles des
accès aux voies, gardés en ce temps-là par des contrôleurs vérifiant les
tickets, installés, comme dans le métro, dans des guérites. L’une des portes
donnant sur le quai transversal de la gare est malheureusement condamnée
et sa voisine malencontreusement obstruée par le nouveau kiosque
commercial dont la «modernité» jure avec la solennité des lieux.
Entre les voies 6 et 7 du côté départ (photo de droite), on peut observer
la diversité des destinations au «menu» de la gare de l’Est, 11 voies étant
déjà occupées au départ, il en reste 19 disponibles pour les arrivées grandes
lignes et pour le trafic banlieue;
s’ajoutant à son esthétique élégante et mesurée, la fonctionnalité de la gare
de l’Est est remarquable, tant par ses accès sur la ville avec ses
correspondancesaisées avec les autobus et le métro que par ses facilités
de stationnement des automobiles, encore rares à l’époque.
Page de droite, en haut:
cette élégante RGP (rame grand parcours), Trans Europ Express
«Mont-Cenis», assurant la liaison de 1
classe Lyon – Milan, via
la rude vallée de la Maurienne, où le puissant moteur MGO de l’autorail
donne toute sa mesure, peut être encore admirée sous «le ciel de la verrière
de la gare», dans toute sa splendeur… Depuis, l’espace intérieur
de Lyon-Perrache a été «cassé» par un nouveau dispositif d’accès,
rudimentaire et grossier, passerelle et escaliers mécaniques desservant
les quais. La solennité du rail est niée, les voies sont comme «canalisées»,
étroitement «encadrées», et les autorails sont devenus des sortes
de métros, réduits à la part de l’ombre, dans un monde qui craint
la lumière naturelle et les horizons ouverts de la vie.
Page de droite, en bas:
dupliquée en toutes sortes de versions, l’une des cartes postales les plus
populaires de Paris: l’esplanade dégagée de la monumentale gare
de Paris-Lyon, desservie par les autobus à plate-forme de la RATP
(des TN 4 H) utilisant un carburant «ternaire» à l’odeur caractéristique,
longtemps l’un des éléments de l’identité olfactive de la capitale.
Autre particularité du hasard de la prise de vue, entre les deux Citroën
qui vont se croiser, une Dyna Panhard dont le moteur fonctionnait avec
un refroidissement à air, comme les Solex et les mobylettes.
On peut remarquer à droite de la tour de l’horloge le début de la grande
halle des messageries, où était assuré le service des bagages,
sur l’emplacement occupé aujourd’hui par un grand hôtel.
Broncard/Photorail
Bernier/Photorail
Dubruille/Photorail
ressant catalogue historique d’un demi-siècle
d’introduction et d’exploitation de l’autorail
sur le rail français (1930-1980). Ce furent
50ans de conceptions techniques d’abord
marquées par la contribution de l’industrie
automobile appuyant l’industrie ferroviaire,
toutes deux marquées par la crise écono-
mique, puis par la prédominance des idées
des ingénieurs de la SNCF.
Durant les années 1930, quelques hauts
dirigeants fonctionnaires des réseaux, tels
Javary et Dumas au Nord, Dautry et Nicolet à
l’État, Tourneur au PLM, tous porteurs de
recommandations et des obligatoires règles
de sécurité, encouragent l’imagination et
l’initiative des bureaux d’études de l’indus-
trie privée et la mise en œuvre de leurs pro-
positions retenues; Louis Renault, Dominique
De Dietrich, les frères Michelin et leur neveu
Marcel, Ettore Bugatti, Marius Berliet et
d’autres furent les partenaires des réseaux
et constituèrent les plus remarquables séries
des automotrices (des autorails, disait-on au
PLM) de l’avant-guerre.
En 1938, la direction du Matériel de la SNCF
crée une division chargée de ces matériels,
et Charles Tourneur, ingénieur ECP et ESE qui
avait suivi la formation du parc PLM des
engins à moteurs thermiques, constitue une
équipe choisie d’ingénieurs ou de techniciens
experts, dont Despouy et Raymond Brun, sans
omettre Barry, en charge de l’homologation
des matériels neufs. De 1938 à 1940, la DEA
(Division des études des automotrices puis
des autorails seulement) s’emploie à assainir
le parc hérité des réseaux en éliminant les
prototypes ou les petites séries coûteuses en
entretien. L’opération est facilitée par l’appli-
cation de la coordination et la suppression
du service voyageurs sur nombre de petites
lignes. Et l’on engage le regroupement par
régions des différentes séries préservées,
représentant quelque 700 engins. L’Est
hérite des De Dietrich, le Nord des Standard,
et le Sud-Est des michelines en conservant
ses Berliet et ses Decauville. Mais on disper-
sera les importantes séries de Renault, VH,
ABJ, ABV, ADP, ADX, AEK sur toutes les
régions. Pour les services rapides, les TAR
demeurent au Nord alors que les Bugatti sont
détachés sur l’Est, l’Ouest et le Sud-Est.
L’autorail s’individualise, désormais repéré par
le symbole X, distinct des Z ou ZZ attribués
aux automotrices à propulsion électrique.
Le conflit arrête les transferts dès septem-
bre1939, la quasi-totalité des autorails étant
immobilisés faute de carburant, pour quatre
années, à l’exception de quelques rares ser-
vices maintenus, des autorails à gazogène
et des autorails sanitaires réservés aux
armées (en théorie, 84 unités). Plus de deux
années seront nécessaires aux ateliers de la
SNCF et à l’industrie privée pour réparer les
dommages des faits de guerre et des sta-
tionnements prolongés.
Mais l’avant-guerre et le temps des hostilités
voient aussi la DEA, alors installée au 163
bis
avenue de Clichy à Paris (Les Batignolles),
étudier une première génération de futurs
autorails SNCF, telle que la conçoivent ses
ingénieurs partisans des solutions éprouvées
par les réseaux. Les trois versions d’autorails
unifiés projetées sont adaptées aux besoins de
base de l’Exploitation des années 1940-1950 et
fondées sur leur motorisation de 150, 300 ou
600 ch: une fête pour les moteurs Renault et
Saurer et les transmissions mécaniques Renault
à commande pneumatique.
Juillet 2011
Historail
Au volant, c’est Perrine, ma sœur, juste avant de passer son permis. Elle venait
de démarrer l’Aronde quand l’autorail est sorti du tunnel. Du coup, elle a calé…
Les voyageurs peuvent respirer après la traversée du tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines.
Le jumelage de De Dietrich 320 ch rejoindra à Lesseux-Frapelle la ligne 18
vers Saint-Dié. Juillet1956.
Y. Broncard
L. Pilloux/Photorail
Vingt ans séparent les deux autorails Renault en gare du Mont-Dore en juillet 1959.
L’X 4205, dernière production de la Régie, à l’esthétique recherchée, mais doté
d’une motorisation fragile, s’oppose à l’aspect massif et « rustique » de l’ADX 2,
compensé par une robustesse exceptionnelle.
Livres
[ une vie en autorail ]
L’histoire du l’U 150 ch est courte: étudiés
durant la guerre, deux prototypes sont mis à
l’épreuve dès 1947. La production en série
des X5500/5800 ne débutera qu’en 1950.
Simultanément, la direction de la SNCF
concède aux syndicats de cheminots une
version Billard d’autorail léger, le FNC X 5600
de 80 ch (sous contrôle de la DEA).
Les premiers plans de l’U 300 ch datent de
1938, mais un prototype ne roule qu’en
août1950. La fabrication démarre l’année
suivante et s’étend durant la décennie 1950
pour les 251 unités X 3800. L’U 600 ch,
dérivé de l’ADX Renault et reprenant les sug-
gestions de modernisation des techniciens
utilisateurs, apparaît aussi en 1951, mais la
série des 79 X 2400 ne sera complète qu’en
La parcimonie des crédits accordés a retardé
le plan de rajeunissement du parc d’autorails,
même si deux petites séries de dépannage,
35 ABJ Renault X 3600 et 20 De Dietrich
320 ch, apparaissent en 1949. C’est le
retour à une situation normale des moyens
de production, jusqu’alors freinés par la
reconstruction et par le contingentement de
l’énergie et des matériaux, toujours rares.
La DEA, qui a pris en charge le développe-
ment des locomotives diesels, est maintenant
dénommée DETMT (Division des études de
traction par engins à moteurs thermiques).
On demeure attaché à la robustesse des
transmissions mécaniques à engrenages,
laissant les transmissions électriques des TAR,
des Decauville et des Berliet mener une vie
laborieuse, pour certaines au-delà de 1970.
Cette décennie voit plus de 200 autorails
antérieurs à 1939 encore en service.
Cependant, la guerre a changé quelques don-
nées. Deux anciens inventeurs des moteurs
ferroviaires Renault qui ont dû quitter l’entre-
prise se retrouvent dans un bureau d’études
personnel (Budi) et mettent au point des
moteurs cousins des Renault, rivaux car beau-
coup plus performants. D’abord destinés aux
groupes de forage pétrolifères sahariens, avec
l’aide d’une société de matériel d’exploitation,
la Marep, les moteurs MGO (Marep-Gross-
hans-Ollier) obtiennent l’appui des pouvoirs
publics et celui de la DEA-SNCF. Le 300ch
Renault va être détrôné par le MGO, qui, en
version suralimentée, peut développer 825 ch
à 1 500 tr/min, de puissance doublée. La
SACM (Société alsacienne de constructions
mécaniques) de Mulhouse, en mal de com-
mandes de locomotives à vapeur, s’adapte
pour industrialiser ce nouveau produit avec la
collaboration du bureau d’études Budi.
L’autorail français va profiter de ce progrès.
Pour les dessertes rapides de quelques lignes
radiales non électrifiées au départ de Paris
(LeHavre, Clermont-Ferrand…) ou celles de
transversales provinciales, les Bugatti cèdent
la place à des rames à composition multi-
caisse comportant un élément bimoteur
dérivé des U 600 ch. Les 20 premières RGP
sont suivies d’une nouvelle série dont les
motrices sont équipées d’un seul puissant
moteur MGO (750 ou 825 ch). Au milieu
des années 1950, la SNCF dispose d’une
flotte d’autorails rapides de 1
(de 1
classes jusqu’en 1956) forte de
49 motrices X 2700 et de 47 remorques
XR 7700. En 1957, huit RGP sont affectées
aux liaisons internationales TEE.
Apparaît en 1958 un nouveau type avec les
119 autorails X 2800 dits « tous services ».
Aménagés en 1
classe ou en 1
et 2
se, avec leur moteur MGO 825 ch, ils font
merveille sur tous les profils de lignes de
plaine ou de montagne, souvent en tractant
de une à trois remorques unifiées. Certains
deviendront cinquantenaires. Leurs moteurs
MGO sont encore associés à une transmis-
sion mécanique mais à commande hydrau-
lique et allemande. Le dernier sort d’usine en
1963, au moment où apparaissent les pre-
miers exemplaires d’une seconde génération
d’autorails conçus par la DEA.
Les responsables de la Division disposent à
l’intérieur de la direction du Matériel d’une
autonomie reconnue. Ils ont refusé de suivre
les idées de leurs collègues de la DETE (Divi-
sion d’études de traction électrique) ou de la
DEV (Division des études de voitures et
wagons de la SNCF) qui, depuis 1950, ont
opté pour la construction des caisses d’auto-
motrices ou de voitures voyageurs en acier
inox. Ignorant les réalisations à l’étranger, ils
demeurent attachés au principe des moteurs
montés sur le châssis de l’autorail, alors
qu’Anglais, Italiens, Allemands, Américains
les placent sous celui-ci pour gagner des
places clients. La SNCF vit alors à l’heure de la
technicité, portée par Louis Armand et ses
successeurs à la direction du Matériel, plus
qu’à celle de l’action commerciale et de l’éco-
nomie. Charles Tourneur est un chef respecté,
conservateur et indépendant. Cependant,
par deux fois, il engage l’expérimentation de
solutions moins traditionnelles.
En 1951, on décide d’essayer un révolution-
naire RDC américain; des difficultés d’ordre
relationnel entre la Budd Company et son
licencié français, les Établissements Carel Fou-
ché et Cie, retardent à 1957 sa mise en
service. Le prototype X 2051, au gabarit UIC,
est à caisse en acier inox, à moteurs et trans-
108-
Historail
Juillet 2011
Y. Broncard
Gare de Lille: pendant l’hiver 1957, les travaux préparatoires à l’électrification ont débuté avec l’édification du PRS
qui remplacera bientôt le poste B, que fait trembler le TAR à destination de Tourcoing.
Livres
110-
Historail
Juillet 2011
Vue du dépôt
vapeur de Longuyon
utilisée pour
illustrer un conte
pour enfant
d’Étienne Cattin
(15 septembre 1953).
N
é dans l’Ain à Villereversure en 1912,
fils d’un charpentier-maçon, Étienne
Cattin termine ses études après avoir empo-
ché, en 1936, le diplôme d’ingénieur de
l’École centrale des arts et manufactures,
grande pourvoyeuse alors d’ingénieurs MT
(matériel) dans les dépôts des Compagnies,
puis de la SNCF. Entré à la SNCF le 1
février
1939, mobilisé quelques mois après, démo-
bilisé en juillet 1940, il accomplit alors les
traditionnels stages d’attaché, chauffeur puis
mécanicien aux dépôts de Paris-La Villette et
de Noisy-le-Sec. Sous-chef de dépôt à Lumes,
Belfort, Blainville, il est promu, en février
1944, chef de dépôt à Vaires-Banlieue-Est.
Il a donc connu un réseau confronté plus
que tout autre à l’occupation allemande, aux
circulations intensives de trains de part et
d’autre du Rhin: trains militaires allemands,
trains de marchandises accaparées. C’est tou-
jours sur la région de l’Est qu’il poursuit sa
L’œuvre d’Étienne Cattin:
un long parcours sensible aux
côtés des « gueules noires »
Ingénieur, ayant fait sa carrière à la région Est de la SNCF, Étienne
Cattin va tirer de son expérience professionnelle une œuvre littéraire
importante dont les principaux héros sont des mécaniciens de
la grande époque de la traction vapeur. Les Éditions de
La Vie du Rail
republient aujourd’hui son premier roman,
Trains en détresse,
évoquant
la condition des roulants sous l’Occupation, une initiative bienvenue
à une époque où la Société nationale semble faire preuve d’un intérêt
renouvelé pour sa propre histoire au cours de la Seconde Guerre
mondiale…
Dubruille/Doc.
Livres
[ l’œuvre d’Étienne Cattin :
«S
i la décision des Allemands apporta
pareillement un grand soulagement
dans l’état-major du dépôt, ce répit fut de
courte durée, Car les sabotages commencè-
rent à l’intérieur de l’établissement. La pre-
mière explosion eut lieu un soir d’automne,
une heure après la sortie des ouvriers. La
secousse ébranla les bâtiments et la salle de
service se trouva plongée dans l’obscurité.
Fanny, la téléphoniste, et Emma, la petite
employée des graphiques, poussèrent des
cris perçants. On avait à peine réussi à trou-
ver et à allumer les lampes à pétrole de
secours que Savarin arriva avec sa lanterne.
Savarin n’était plus de service, mais il habitait
un pavillon voisin de celui du patron, en bor-
dure du dépôt. Le patron survint à son tour,
quelques secondes plus tard, serré dans sa
canadienne, emmitouflé jusqu’au nez et les
poches pleines de victuailles.
— Comme je vais certainement passer la nuit
au violon, expliqua-t-il, j’aurai moins froid et
de quoi manger jusqu’à demain.
Quelques manœuvres arrivèrent encore à tâ-
tons des voies de classement où l’explosion
les avait surpris en plein travail après les ma-
chines. Instinctivement, les hommes occu-
pés dans les parages s’étaient rassemblés
près du poste de commandement. Tous res-
sortirent à la suite du patron, de Savarin et du
chef de service et se dirigèrent vers l’atelier.
Seules, les deux jeunes filles restèrent dans la
salle en se serrant l’une contre l’autre comme
si elles avaient senti l’approche de leur der-
nière heure. Dehors, on ne chercha pas long-
temps. La toiture légère, qui recouvrait la
fosse de descente des essieux, en bordure
de l’atelier, avait volé en éclats et des mor-
ceaux de tuiles jonchaient le sol sur un rayon
de vingt mètres. Les deux
bahnhofs
de ser-
vice se trouvaient déjà dans la fosse, inspec-
tant le vérin avec leurs lampes électriques de
poche. La colonne était ouverte, l’appareil
inutilisable pour de longues semaines.
Chaque fois qu’une locomotive aurait un
chauffage de roue, il faudrait désormais l’en-
voyer en réparation dans un autre dépôt.
L’auteur du sabotage avait bien étudié son
affaire. À n’en pas douter, c’était soit un
agent du dépôt, soit, à la rigueur, un étran-
ger au chemin de fer conseillé et guidé par
quelqu’un de la maison. Quand l’un des
deux
bahnhofs,
Mu�ller, le mauvais rouquin,
sortit son nez de dessus les blessures de la
colonne, il aperçut le patron en face de lui et
se mit à hurler.
— Terroristes! Cheminots terroristes!
Il y eut aussitôt un chœur de protestations.
— En prison! Tous en prison! Vous, chef de
dépôt, premier en prison!
Le patron ne répondit pas. C’était un homme
qui ne discutait jamais sur des propos en l’air.
Pour lui, seuls comptaient les faits. Savarin
et le chef de service, appuyés par les moins
timorés de leurs suivants, ne se cantonnè-
rent pas dans le même mutisme. Pour eux, ce
n’étaient pas des cheminots qui avaient fait
le coup, mais des inconnus qui se moquaient
bien des cheminots qu’on pouvait arrêter à
leur place. Les gens du dépôt savaient bien
qu’eux seuls auraient à souffrir des attentats
qui pouvaient être commis sur les lieux de
leur travail et ils n’étaient pas idiots au point
d’agir contre leur propre intérêt. Allemands
et Français rentrèrent ensemble dans la salle
de service. La lumière reparut. L’explosion
avait provoqué un court-circuit en mettant
en contact deux fils de la toiture volatilisée.
Quelques minutes plus tard, Becker, le chef
de dépôt de la Reichsbahn, arriva en auto
avec deux de ses compatriotes: un officier
et un civil. Les
bahnhofs
pâlirent. Quelques
phrases rapides furent échangées à voix
basse entre les cinq Allemands. Le Rouquin
avait perdu sa belle assurance.
On le sentait réticent dans ses réponses. Les
Français attendaient, les bras ballants. Le
patron, imperturbable, appuyé contre une
table, semblait rêver, le regard perdu, tandis
que ses doigts pianotaient sur le rebord du
meuble. Sur une demande du civil, Becker
désigna le patron de la tête.
— C’est vous, le chef de dépôt?
112-
Historail
Juillet 2011
À lire.
La vie d’un dépôt
sous l’Occupation
On l’oublie souvent, mais les trains sabotés par la Résistance
étaient conduits par des hommes qui, à chaque déraillement,
risquaient eux aussi leur vie. On l’oublie, mais dans les gares,
les dépôts, les bureaux… les cheminots, qui devaient des
comptes à l’ennemi, étaient face à des choix terribles. Dans son livre
Trains en
détresse,
dontla réédition était attendue de longue date, Étienne Cattin évite
toute simplification. C’est la vie quotidienne d’un dépôt de l’Est, telle que,
jeune cheminot, il l’a vécue au plus près des hommes pris dans l’engrenage des
événements, qu’il nous fait partager ici. Un témoignage irremplaçable. Extrait.
Juillet 2011
Historail
— C’est moi.
— Ce sont vos gens, n’est-ce pas, qui ont
commis le sabotage?
— Certainement pas.
— Pourquoi, certainement pas?
— Parce que mes gens auraient assurément
mieux choisi l’emplacement de leurs explosifs.
Posément, avec la logique d’une démons-
tration mathématique, le patron expliqua
que l’appareil détruit n’avait qu’une impor-
tance secondaire. On s’en servait pour retirer
une paire de roues d’une locomotive lorsque
les coussinets de l’essieu avaient chauffé,
mais cette avarie se produisait rarement dans
la vie d’une machine. D’ailleurs, quand elle
aurait lieu de nouveau, on ne serait pas pris.
Puisqu’on ne pourrait pas descendre la roue,
on lèverait la machine. On disposait, à l’ate-
lier, du matériel nécessaire et le résultat serait
le même. Tous ces détails étaient connus des
cheminots, et un cheminot animé de mau-
vaises intentions n’aurait pas porté son choix
sur une bagatelle comme le vérin de des-
cente d’essieux. Il existait dans l’enceinte du
dépôt vingt organes
infiniment plus inté-
ressants, sans comp-
ter les machines elles-
mêmes: par exemple,
les deux transforma-
teurs de la sous-station électrique, les grues
à combustible, les pompes d’alimentation
hydraulique, les postes de soudure à l’arc, et
le patron aligna encore une liste impression-
nante de points stratégiques qui se termina
par des machines-outils comme le tour à seg-
ments et le tour à pistons, chacun unique
en son genre dans l’établissement, l’un par sa
hauteur de pointes et l’autre par sa longueur
entre pointes. Pendant cet exposé technique,
on constata que les
bahnhofs
gardaient un
silence absolu. Ils paraissaient visiblement
torturés par l’impudence du patron.
C’étaient, eux aussi, des cheminots qui
connaissaient leur métier. Vingt fois, ils au-
raient eu la possibilité d’intervenir pour
détruire toute l’argumentation du Français. Ils
auraient pu dire que, si un chauffage d’essieu
n’intervient pas couramment dans la vie
d’une locomotive, il se trouvait constamment
une machine en cours de traitement par suite
du nombre des engins comptant à l’effectif
du dépôt. Quant à lever la machine au lieu
de descendre la roue, la plaisanterie paraissait
un peu forte. Théoriquement, c’était possible,
mais avec quatre fois plus de temps et dix
fois plus de travail. Becker, le nazi, et le Rou-
quin se tenaient derrière l’homme de la Ges-
tapo et l’officier. Heince, le troisième des
bahnhofs
, figurait en dernière position et
baissait la tête. Tous trois pensaient à la façon
dont les choses allaient tourner pour eux. Ils
restaient responsables de la marche du dépôt
aux yeux du Grand
Reich
personnifié en cette
minute par son représentant politique que
le Français était en train d’endormir. Leur
cauchemar de tous les instants était la me-
nace du départ en Russie si leur service se
montrait imparfait. La responsabilité des faits
et gestes des cheminots leur incombait. Au
contraire, les terroristes de l’extérieur faisaient
partie des chasses privées de la Gestapo.
Mieux valait pour eux que fût admise la thèse
du sabotage commis par des gens de l’ex-
térieur et non par des cheminots. La suprême
astuce du patron consista à profiter de leur
trouble pour en faire ses complices.
— Nous allons, dit-il, demander leur avis aux
techniciens allemands. Monsieur Becker, mes
conclusions sont-elles logiques? Ai-je raconté
des histoires fantastiques?
— Non, répondit Becker en rougissant
imperceptiblement. La bombe pouvait être
beaucoup mieux placée. Je pense que les
terroristes qui ont opéré ici ne sont pas des
cheminots.
Le Rouquin partagea l’avis de son chef.
Heince ne dit rien, car il était depuis long-
temps soupçonné par les siens de complai-
sance à l’égard des Français. Point n’était be-
soin pour lui de se compromettre davantage
lorsque suffisaient les avis des deux autres,
d’un poids infiniment supérieur à ce qu’il eût
pu ajouter. L’officier paraissait assez neutre
dans ces démêlés où, plutôt que d’acteur, il
faisait figure d’observateur, de représentant
de la force armée, prêt à mettre ses militaires
à la disposition de la police, mais peu enclin
à participer lui-même à une discussion qui
opposait entre eux des civils. En revanche,
l’homme de la Gestapo continua de lutter.
— Qui a travaillé aujourd’hui après l’appa-
reil qui a été saboté?
— Deux ouvriers, comme tous les jours. Ils
ont remonté les bielles de la machine que
vous avez pu voir sur la fosse voisine de celle
où se trouve le vérin.
— Je vais les faire arrêter.
— Ce serait ridicule, affirma le patron.
— Ridicule! Pourquoi, ridicule?
— Parce que, si l’on admet que le sabotage
a été commis par des cheminots – ce qui est
faux –, ceux que vous voulez emprisonner
sont certainement les deux hommes les
moins suspects du dépôt. Ils ne se seraient
pas amusés à laisser des explosifs sur le lieu
de leur travail. Ils les auraient placés ailleurs.
L’orgueil a toujours été un des facteurs
déterminants de la conduite des hommes.
L’Allemand n’y échappa point et chancela,
quand il fut question du ridicule dont le me-
naçait le Français. Le patron en profita pour
passer à la contre-attaque. Il accusa les auto-
rités d’occupation de faire naître les sabo-
teurs. On arrêtait les gens sans discernement.
Les ouvriers qui faisaient consciencieusement
leur travail étaient
considérés comme des
criminels par le seul fait
qu’ils se trouvaient pré-
sents là où leur tâche
les appelait, tandis que
les véritables auteurs restaient toujours im-
punis. Dans ces conditions, mieux valait, pour
les hommes, devenir véritablement des sabo-
teurs. C’était pour eux le plus sûr moyen de ti-
rer leur épingle du jeu. Les
bahnhofs
ho-
chaient ostensiblement la tête en signe
d’approbation. La Russie s’éloignait d’eux.
L’officier restait toujours impassible. Il était là
pour exécuter et non pour apprécier.
Quelqu’un frappa du doigt contre la vitre du
guichet, à l’autre extrémité de la salle. Une
équipe venait prendre son service et deman-
dait la marche de son train. Chaumont. Le
mécanicien manifesta sa mauvaise humeur:
encore une belle étape et rien à se mettre
sous la dent. Savarin passa sa tête par le gui-
chet.
— Le vérin a sauté il y a vingt minutes. La
Gestapo est ici en train de cuisiner le patron.
— Monsieur le chef de dépôt, je m’en tiens
là, mais vous vous mettrez à notre disposition
lorsqu’on vous demandera. Nous aurons
certainement l’occasion de reparler ensemble
de cette affaire.»
un long parcours sensible aux côtés des « gueules noires » ]
Becker, le nazi, et le Rouquin se tenaient derrière l’homme de
la Gestapo. Heince, le troisième
bahnhof
baissait la tête. Tous
pensaient à la façon dont les choses allaient tourner pour eux.
Livres
PIERRE SIMONET
La ligne Bonson –
Sembadel
et le Chemin de fer
du haut Forez
Éditions ARF, 96p.,
15cm x 21cm,
nombreuses illustrations,
Le cinquième ouvrage paru
dans la collection des
Cahiers
de l’histoire ferroviaire
ligérienne
confirme la qualité
de ces monographies vouées
aux lignes du Forez. Véritable
cas d’école pour l’histoire des
lignes d’intérêt local régies par
la loi de 1865, la ligne Bonson –
Saint-Bonnet-le-Château
(Loire), concédée en 1869,
va subir de multiples avatars
juridiques, une saga relatée
de manière précise et vivante
où alternent adjudications,
compagnies concessionnaires
et séquestres! Mise en service
en 1873, c’est finalement
l’État qui reprend la ligne et
l’inscrit dans le plan Freycinet:
d’où sa promotion en ligne
d’intérêt général, refilée donc
au PLM qui la prolongera en
Haute-Loire jusqu’à Sembadel,
atteint en 1902. La suite est
plus classique: fermeture au
trafic voyageurs en 1969, par
étapes au trafic marchandises,
achevée en 1990. Constituée
en 1986, l’Association de
sauvegarde et d’animation du
Chemin de fer du haut Forez
(ASACFHF) obtient que tout
ne soit pas déferré; 1997 voit
le retour d’un train à vapeur
et 2004 les débuts d’une
exploitation touristique.
Le livre de Jean-Pierre Nennig
est, lui, consacré au chaînon
manquant d’un précédent livre
qui a traité des lignes reliant
Saint-Nazaire à Nantes et à
Châteaubriant. Concédée
en 1873 au PO, la ligne est
exploitée en 1877 en trains-
légers, sans fourgon-tampon
entre machine et première
voiture. Exploitation achevée
en 1980 (voyageurs) et 1994
(marchandises). On regrette
que ne soit pas plus
développée la convention
Ouest-PO qui régissait
l’exploitation commune de la
gare-frontière de Châteaubriant,
son dépôt et sa plaque
tournante
(p. 114)
. La ligne va
renaître, électrifiée même,
dans l’attente d’un tram-train
atteignant Nort-sur-Erdre en
2011, Châteaubriant en 2013.
Complément de sa
Revue
d’histoire des chemins de fer
l’AHICF propose à ses
adhérents un outil
pédagogique, publiant
notamment « des références
historiques fiables pour
des thèmes d’actualité ».
À ce titre, elle édite une série
de cartes évoquant les gains
de vitesse obtenus depuis
deux siècles entre Paris et
les grandes villes françaises,
une suite traitant de l’après-
1981… Bruno Carrière signe
aussi l’histoire des débuts du
groupe SNCF, bâti en 1942
autour de cette « bonne à
tout faire » que fut la Sceta,
héritière des filiales routières
des réseaux d’avant-guerre.
Un autre dossier est consacré
à l’inventaire des journaux
internes de la SNCF, héritiers
des bulletins des réseaux
d’avant-guerre (PLM, PO, État
et AL).
Notre Métier
(ancêtre
de
La Vie du Rail
), créé
en 1938 par la SNCF, sera
l’héritier du
Bulletin du PLM
Les cadres bénéficieront
longtemps de bulletins
d’information spécifiques.
Il faudrait souligner comment
l’on est passé de l’ère des
« bulletins d’information »
froids, objectifs et didactiques,
à la floraison de gazettes
et magazines d’actualités
émanant de la « Com’ ».
L’inventaire des autres
journaux techniques
ou commerciaux de la SNCF
est annoncé.
Lorsque les futurs historiens
s’intéresseront aux chemins
de fer de la fin du
siècle,
à la « révolution » des TGV
comme des TER, ils ne
pourront oublier Hubert
Haenel, autoproclamé
« fil rouge de cette
régionalisation »
(p. 8)
sénateur du Haut-Rhin de
1986 à 2010, administrateur
de la SNCF de 1996 à 2008.
De la commission d’enquête
initiée en 1992, où il découvre
le double langage des
dirigeants de la SNCF, naîtra
l’idée de faire des régions
les « autorités organisatrices
du transport », une « triple
révolution », institutionnelle,
culturelle et technique…,
bien popularisée, aidée
par cet insolite mais fécond
« attelage » politique
(p. 55)
noué avec un dirigeant
de la SNCF réputé de gauche,
Jacques Chauvineau.
Procédant toujours par
« expérimentation », sa région
Alsace étant un banc d’essai
privilégié, on comprend
comment « l’opposition
des cheminots ne s’est jamais
manifestée » contre
sa réforme
(p. 37)
. Hélas,
sa nomination en 2010
au Conseil constitutionnel ne
l’autorise plus (provisoirement)
à donner des leçons
de politique…
Georges RIBEILL
JEAN-PIERRE NENNIG
Le chemin de fer de
Nantes à Châteaubriant
depuis 1877. Le tram-train
en Pays de la Loire,
de Nantes à Clisson et
de Nantes à Châteaubriant
JPN Éditions, 216p.,
16cm x 24cm, 22
Les Rails de l’histoire
le journal de l’Association
pour l’histoire des chemins
de fer,
mars 2011 – n° 1
AHICF, 54 p.
(réservé aux adhérents
de l’association).
HUBERT HAENEL
Régionalisation ferroviaire:
les clés d’un succès
Entretiens avec Ève-Marie
Zizza-Lalu (suivis d’une revue
de presse 1995-2010)
Éditions La Vie du Rail,
224p., 20
114-
Historail
Juillet 2011

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