Confrontée dès la fin du XIXe siècle à une pénétration ferroviaire offensive des puissances étrangères, la Mandchourie constitue un enjeu des relations internationales jusqu’aux années 50. Avant l’achèvement du Transsibérien en 1916, la connexion de ses deux tronçons dépend du raccourci tracé à travers la Mandchourie. La Russie considère son absorption comme la phase ultime de son expansion multiséculaire vers l’Extrême-Orient, aux dépens de la Chine. Mais elle provoque l’intervention du Japon qui à partir de 1905 développe son propre impérialisme ferroviaire continental, jusqu’à proclamer en 1932 l’État du Mandchoukouo. La rivalité des réseaux ferrés russes, chinois et japonais mêle modernisme et violence, marquant profondément le nord-est de la Chine, sa population et ses villes.
Pour les puissances, la Mandchourie est de ces périphéries dont le lien à la Chine apparaît contestable, tels le Tibet, la Mongolie-Extérieure ou le Sinkiang. Vu de Chine, l’espace mandchou n’aurait été délimité que par les convoitises étrangères, hors de toute réalité géographique, historique, culturelle ou ethnique. De fait, la notion de Mandchourie est récente et se définit par rapport à la dynastie Tsing qui y a pris naissance au XVIIe siècle, avant de régner sur la Chine de 1640 à 1911. Cette aire a l’originalité d’être bornée pour l’essentiel par des frontières internationales, imposées dans leur plus grande longueur par la Russie, du XVIIe au XXe siècle. Par ailleurs, la dynastie mandchoue a maintenu une frontière interne à l’Empire appuyée sur la Grande Muraille, entourant de mystère la terre de ses ancêtres, interdite pour l’essentiel aux émigrants chinois et réservées aux nomades mongols et mandchous. Pour la Chine républicaine, à partir de 1911, la Mandchourie n’existe pas et Pékin puis Nankin font référence aux trois provinces du Nord-Est, Liaoning, Jilin et Heilongjiang.
Le Japon, à la fin du XIXe siècle, cherche à créer un glacis continental en prenant sa part des dépouilles d’une Chine affaiblie. Dès la fin des années 1880, Yamagata Aritomo (1838- 1922), l’organisateur de forces armées modernisées, adresse à ses collègues un mémoire où il expose que l’archipel va se trouver au centre d’un affrontement entre les impérialismes russe et britannique qui s’avancent vers lui, l’un par le Transsibérien, l’autre par le Transcanadien.