L’histoire du Chemin de fer franco-éthiopien (CFE) se situe au carrefour des ambitions de trois puissances coloniales présentes dans la Corne de l’Afrique, l’Angleterre, l’Italie et la France. Le temps des pionniers de l’une des grandes aventures ferroviaires françaises outre-mer est bien documenté1. Mais deux comptes-rendus de voyage sur le CFE d’Inspecteurs du ministère des Colonies, en 1930 et 1938, découverts aux Archives Nationales d’Outre-Mer, apportent un éclairage supplémentaire sur les enjeux internationaux de cette entreprise ferroviaire face aux ambitions mussoliniennes.
Au centre de rivalités coloniales à la fin du XIXe siècle, l’Éthiopie parvient à maintenir son indépendance, aidée par son isolement mais aussi par les mythes attachés à cet empire biblique, royaume chrétien trois fois millénaire. La colonisation rogne ses marches rebelles. À l’est, sur l’océan Indien, l’Angleterre découpe le Somaliland et à l’ouest, à travers le Soudan anglo-égyptien, maîtrise l’axe nord-sud Le Caire-Le Cap. La France contrôle la Côte Française des Somalis (CFS), sa seule possession d’Afrique orientale ; après Fachoda (1898), elle renonce à établir un axe ouest-est, Brazzaville- Djibouti, mais s’assure une zone d’influence en Éthiopie le long du chemin de fer Djibouti – Addis-Abeba. L’Italie, qui n’a pu soumettre l’Éthiopie après sa défaite d’Adoua (1896), s’établit à ses marges, en Érythrée sur la mer Rouge et en Somalie ; mais Djibouti et le CFE obèrent la constitution d’un axe Massaoua-Mogadiscio, et l’Empire britannique interdit toute liaison avec la Libye italienne.