Le 8 mai, la fin de la guerre avec l’Allemagne ouvre un nouveau contexte. Le ministre des Transports René Mayer et le président de la SNCF Pierre Fournier rendent visite aux cheminots rapatriés, mobilisent les autres pour la reconstruction ; le dimanche 20 et le lundi 21 mai, organisées par le Comité National de Solidarité des Cheminots, les Journées nationales des Cheminots sont conçues pour manifester la reconnaissance des Français envers la corporation du Rail, au plan tant moral que matériel. À la veille de ces journées, le samedi, en soirée, Mayer prononce à la radio un discours, annonçant au public ces manifestations et sollicitant leur don, occasion de clamer un hymne à la « grande famille » : « Les Journées, organisées par le Comité National de Solidarité des Cheminots sous le patronage du Général de Gaulle, s’ouvrent demain sur tout le territoire de la France et de l’Empire.
En donnant son appui aux manifestations projetées, le Gouvernement provisoire de la République a entendu marquer la reconnaissance de la Nation envers une corporation qui a servi dans la guerre, comme elle avait accoutumé de le faire dans la paix, avec conscience, courage et abnégation, et qui a été, sur tous les plans, à la pointe du combat pour la défense de notre peuple et de ses libertés. J’ai, depuis de longues années, le privilège de connaître les Cheminots, et donc de les estimer et de les aimer. Depuis cent ans, ils ont formé dans la Communauté française une grande famille dont tous les membres sont unis par l’amour de leur métier, presque toujours difficile et souvent dangereux, une famille où chacun a pleine conscience de ses responsabilités professionnelles qu’il assume jusqu’au bout, au prix souvent des plus grands sacrifices, et quelquefois du sacrifice suprême.
Pour se battre, faut avoir accepté de mourir. Ils l’avaient accepté, avec tant d’autres, les 102 000 cheminots – un sur quatre – qui, le 2 septembre 1939, échangèrent leur casquette contre un casque, leur veste d’uniforme contre une vareuse kaki, et se battirent vaillamment comme l’attestent leurs 1 700 tués, leurs 1 200 blessés et leurs 17 000 prisonniers, dont la plupart vont seulement rentrer des camps et des kommandos allemands. Ceux qui restèrent pour assurer le service du pays en guerre, dans les gares, sur les machines ou le long des voies, ont accompli leur devoir dans des conditions souvent non moins dangereuses. À partir de 1940, ils ont connu les bombardements en piqué, les attaques aériennes à la mitrailleuse et n’ont jamais quitté leur poste qu’après avoir reçu l’ordre de l’évacuer. N’oublions pas, n’est-il pas vrai, les exploits qu’ils accomplirent, en ces sombres heures, pour assurer les derniers trains de troupes et de réfugiés dans les régions déjà atteintes par les blindés ennemis.
Puis vinrent les quatre années noires, les quatre mortelles, interminables années au cours desquelles la France se raidit contre l’ennemi et contre ceux qui prétendaient, avec lui, trafiquer de son âme et de ses richesses. Chacun sait l’importance que notre réseau ferré présentait pour l’occupant. Les Cheminots, qui le comprenaient mieux que qui- conque, se sont ingéniés par tous les moyens à entraver les transports de l’ennemi. Silencieusement, avec courage, résolution et persévérance, les meilleurs d’entre eux les ont sabotés. Ni la menace, ni les prises d’otages, ni les condamnations et les déportations n’ont eu raison de cet effort patriotique animé par le groupement « Résistance-Fer ». Son action s’est combinée, au moment de la bataille de France, avec les bombardements stratégiques de nos Alliés, indispensables pour assurer la rapide libération de notre pays et dont l’efficacité militaire demeure indiscutable. En prenant pour eux-mêmes, dans les gares, dans les dépôts, à tous les grands centres vitaux du Réseau, et pour leurs familles dans les cités qui les enserrent, un risque accru, les Cheminots ont hâté la victoire, facilité la progression rapide des armées, et réduit, sur notre sol, la durée de la bataille : ils ont droit à la gratitude de tous les Français. 3 500 Cheminots tués en service, 15 000 blessés dans l’exercice de leur périlleux métier, 309 fusillés, 2 840 déportés en Allemagne, sans parler de plus de 8 000 déportés du travail : tel est l’émouvant martyrologe du Chemin de fer. Plus de 10 000 veuves et orphelins ne reverront pas le chef de famille. Enfin, il n’y a pas moins de 45 000 cheminots sinistrés, plus du dixième de notre effectif total. Comment venir en aide à tant de souffrances, de deuils et de ravages ?
C’est pour de tels hommes, Françaises et Français, que demain et après-demain, vous accueillerez généreusement les équipes de jeunes, qui, sur les voies publiques, vendront des insignes au profit du Comité National de Solidarité des Cheminots [CNSC]. (…) Que la France reconnaissante, qui peut être fière des hommes du rail, leur démontre largement la haute estime où elle les tient et la chaude affection dont les entoure, dans sa gratitude active, la Nation tout entière. »
Ces Journées s’achèvent à l’Opéra le mardi sui- vant avec un copieux programme de ballets, chants, par un « Hommage aux cheminots » de Vercors, alias Jean Bruller, l’auteur du Silence de la mer, lu par Mademoiselle Marie Bell, actrice de la Comédie française et résistante, conclu par un concert donné par l’Harmonie des cheminots de Strasbourg ; après un tel spectacle digne et émouvant, la détente est prévue : au Grand foyer, un bal sera animé par l’orchestre de tango Columbo et l’orchestre de jazz Renard… Le mercredi 10 novembre 1948, a lieu l’inauguration du monument « aux Cheminots morts pour la France », dans la cour du siège, 88, rue Saint-Lazare, en présence du ministre des Travaux publics Christian Pineau, du ministre des Anciens combattants Robert Bétolaud, du président Marcel Flouret et du directeur général Maurice Lemaire. Le monument est constitué d’un bas-relief de bronze (4 m x 2 m) commandé en 1946 au sculpteur classique, Georges Saupique (1889-1961).
La fin de « la bataille du rail » héroïque et exemplaire!