Jacques Tonnaire, connu pour son livre La Vapeur (JC Lattès, 1982), aimait bien dans son style particulier évoquer la suite de sa carrière, converti de Mecru à CRE… En attestent ces extraits d’un témoignage que j’avais sollicité en 1991, « Les souvenirs d’un mécano reconverti wattman », paru dans la Revue d’histoire des chemins de fer n° 4, en 1991. Un autre récit parut en 2004, à titre posthume : « 2D2 9100 : la crainte du coup de patin », Correspondances n° 14.
Mon foutu métier, je l’ai aimé et il me l’a bien rendu ! Après la vapeur, les 2D2, surtout 9100, je les ai pratiquées 20 ans et je les ai bien appréciés, ces gros monstres de 145 t, 5 800 ch paisibles ou déchaînés, suivant ce que l’on voulait en obtenir.
Cabine douillette ? Ah, non ! Nous les ex-Mecru (mécanicien de route en langage barbare administratif), on n’était pas trop dépaysés ! De nos plates-formes aux trépidations sournoises et même sataniques, de nos univers venteux et glacés l’hiver, torrides et desséchants l’été, on passait à une cabine fermée, certes… mais bien rustique (sauf le pupitre). Aux démarrages par exemple, et pendant les manoeuvres, les quatre ventilateurs des moteurs et surtout les deux énormes ventilateurs des « résistances de démarrage » brassaient 1 000 m³ d’air à la minute (ils furent modifiés dans les années 60 et brassaient désormais 500 m3 seulement).
Fallait bien qu’ils entrent ces 1 000 m³ ! et ils entraient gaillardement, croyez-moi, par les lanterneaux prévus à cet effet, bien sûr… mais aussi par les baies de la cabine, les fentes du plancher, les plus minuscules interstices du pupitre… Roi des aulnes first ! Manoeuvrer, nez dehors, jour de pluie ou d’hiver ? Joyeuse opération dans l’infernal blizzard… et pas question d’esquiver. Pour voir… faut regarder, c’est tout ! En pleine route, cela allait mieux, les ventilos des résistances de démarrage s’arrêtaient. Nos rutilantes « bouzines » – elles étaient très belles dans leur livrée verte (deux tons) et leurs « moustaches » chromées à l’avant – se trouvaient munies, dans la cabine de conduite, de deux sièges… mais quels sièges !!! Pervers, sournois : une sorte de grosse selle de moto au bout d’une tige réglable et orientable fixée – mais mobile, dans un trou du plancher.
Cette joyeuseté, concoctée pour les 2D2 500 du PO (devenues ensuite 5500), machines très stables, roulant à l’époque à 120 km/h, dépourvues de mouvement de lacet, ne convenait pas pour nos gros monstres de 5 800 ch et 145 t remorquant 900 t à 140 km/h. On passait de la selle équipant un paisible poney de manège… à la selle arrimée sur la pire bourrique de rodéo texan… éperons et chapeau en moins. Celui qui tenait plus de 15 minutes sur l’appareil… il pouvait partir pour le grand rodéo de l’Arizona… La plus vicelarde ganache à sabots l’aurait pas désarçonné ! Il aurait pas fait mauvaise figure ! Il est vrai que nos grands patrons de l’époque pensaient que « trop de confort amollissait… » Il a fallu la guerre 39-45 et leurs locos douillettes pour qu’ils commencent à envisager de changer d’avis.
Telles se présentaient nos jolies gazelles. […] Quelques pas un peu techniques, hélas nécessaires pour la compréhension du « bidule » : le rhéostat de démarrage que commandait le grand volant (le manipulateur) sur le pupitre comportait 23 « crans » (ou positions si vous préférez) : 15 éliminaient successivement les résistances de démarrage. Le cran 16 était le cran « plein champ », c’est-à-dire que le courant parcourait les moteurs sans autre obstacle que la « force contre-électromotrice ». Les crans 17 à 23 étaient dits de shuntage.
Le développement du 2D2 9100 a commencé immédiatement après la Seconde Guerre mondiale avec le BB 8100. 35 locomotives ont été construites sur les plans des locomotives 2D2 d’avant-guerre avec quelques améliorations. Ils ont été utilisés sur la ligne Paris-Lyon nouvellement électrifiée jusqu’à ce que les CC 7100 soient disponibles. La première locomotive a été mise en service le 2 mars 1950, la dernière le 31 juillet 1951.
Comme les autres locomotives électriques françaises de cette époque, les 2D2 9100 n’étaient pas équipées d’un siège conducteur au départ, simplement d’une simple selle. Celui-ci a été remplacé par un siège debout lorsque la « pédale d’homme mort » VACMA a été introduite en 1963, puis par un strapontin en 1973.