Lorsque l’État s’engage assez tardivement dans la planification d’un réseau national de voies ferrées à construire en priorité, le futur tracé de la ligne reliant Paris à Lyon fut le plus ardemment débattu par des départements en concurrence, Aube et Yonne restant les derniers en lice avant le dénouement politique en 1844. Cet article illustre tous les moyens développés par chaque camp pour peser dans le choix final : coûts techniques d’établissement réduits, prévisions avantageuses de trafic, atouts stratégiques militaires, etc. Un article ultérieur développera l’épisode suivant, les batailles engagées entre acteurs financiers pour obtenir la concession de la ligne (1844-1846).
Durant les deux décennies des années 1830 et 1840 de révolution ferroviaire importée en France, l’octroi d’une concession de ligne de chemin de fer tient du parcours du combattant. Nombre d’intérêts économiques privés, industriels et agricoles ont conscience de l’intérêt de disposer sur leur pas-de-porte d’une voie ferrée : mais qui décidera du tracé définitif ? Des financiers voient plutôt dans le chemin de fer un outil d’une très bonne rentabilité, mais ils sont en concurrence… Du jeu et de cette mêlée d’acteurs de tous ordres, l’État sera bien l’ultime arbitre, censé, entre tracés concurrents, privilégier « l’intérêt général » transcendant « les intérêts de clocher ». Locales ou centrales, régionales ou nationales, les logiques s’affronteront ainsi, manoeuvrant dans les coulisses parlementaires, en contribuant à retarder l’issue politique finale : l’octroi de la concession à une compagnie privée, tenue de construire dans un délai fixé un chemin de fer dont le tracé comme les futures conditions techniques et commerciales d’exploitation lui sont imposés par un cahier des charges exigeant. Après les premières concessions de 1823 à 1836, accordées le plus souvent sans concurrence à des acteurs engagés à leurs risques et périls mais