Description
Historail
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Tout ce que vous voulez savoir sur l’histoire du rail
N° 32 – Janvier 2015 – Trimestriel – 9,90
www.laviedurail.com/historail
www.laviedurail.com/historail
trimestriel
n° 32
Janvier 2015
Le signal, la machine et le mécano
3’:HIKRTE=WU^^U]:?a@k@d@m@a »;
M 07942
– 32 –
F:
9,90
– RD
• 1966, Montréal inaugure
le métro le plus moderne
du monde
• Musée des Arts et Métiers:
panorama des collections
ferroviaires
La boutique
de
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Les premiers diesels de forte puissance
A1A-A1A 68000/500 BB 69000 et CC 70000
G. POURAGEAUX, B. COLLARDEY & J.-G. AMPEAU
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La Vie du Rail
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Format : 240 mm x 320 mm.
160 pages.
En 1958, alors que le programme d’électrification
des lignes à forte densité de trafic touche à sa fin,
la SNCF aborde la modernisation du réseau pour
lequel la traction diesel doit remplacer la traction
vapeur. L’électrification est alors perçue comme
réservée aux lignes à très forts trafics. Cet ouvrage
retrace la carrière des premiers diesels de puissance
de la SNCF, parmi lesquels le lecteur pourra retrouver
les A1A-A1A 68000/500, qui connurent des débuts
difficiles. Pourtant, ces locomotives diesels, malgré
leurs insuffisances resteront celles qui ont ouvert
la voie à la modernisation des radiales non électrifiées
au départ de Paris. Les trois auteurs de cet ouvrage
nous livrent, à travers cette série sans ascendance
ni descendance, le témoignage d’une époque
où la traction diesel se cherchait encore.
49
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Une équation visuelle longtemps négligée
Le signal, la machine
et le mécano
Un fil rouge relie les articles qui suivent: juché à l’origine sur une simple
plate-forme, le mécanicien sera-t-il toujours en mesure de voir les signaux
fixes, disposés à gauche de la voie sur laquelle circulent les trains français?
Alors que, « cloué » à droite pour manœuvrer le levier de changement
de sens, les trains vont plus vite, que la signalisation devient plus
complexe et plus dense…
Alors qu’évolue la visibilité des signaux par le mécanicien depuis
sa plate-forme à découvert, puis son écran, son abri, voire sa cabine…
Pour gagner toujours en puissance, prisonnier d’un écartement initial des
rails qui eût pu être plus élevé selon certains experts (1,60m!), il faudra
étirer la chaudière de la locomotive en longueur et en hauteur, la surélever
aussi au-dessus des essieux moteurs.
De l’écartement de la voie figé au poste de conduite évolutif
du mécanicien, voici une histoire à rebonds qui illustre l’interdépendance
des composants du système ferroviaire: gabarit borné de la voie, hauteur
limitée des signaux, champ étroit de vision du mécanicien depuis
son habitacle…
Cet « angle mort » amplifié avec l’arrivée des Atlantic, enfin révélé,
poussera les ingénieurs concepteurs à faire basculer le poste de conduite
du mécanicien de droite à gauche: après le Nord pionnier, les autres
compagnies suivront; après les Atlantic, les Ten-Wheel puis Pacific.
Non surtout sans quelques catastrophes imputables à ce défaut
de visibilité mal anticipé. De Villepreux (18juin 1910) à Courville (14février
1911), la question des signaux devient criante, débattue à la Chambre
des députés après chaque catastrophe.
Mais le problème ne sera pas pour autant résolu, plutôt déplacé: sur
les Pacific du PLM, la fumée se rabat en panaches aveuglant la cabine!
La catastrophe de Melun (4novembre 1913) en est le révélateur… Mais
survenue à la veille de la guerre, il faudra attendre encore longtemps pour
s’attaquer sérieusement à la résolution du problème… Enquête à suivre…
Un fil rouge relie les articles qui suivent: juché à l’origine sur une simple
plate-forme, le mécanicien sera-t-il toujours en mesure de voir les signaux
fixes, disposés à gauche de la voie sur laquelle circulent les trains français?
Alors que, « cloué » à droite pour manœuvrer le levier de changement
de sens, les trains vont plus vite, que la signalisation devient plus
complexe et plus dense…
Alors qu’évolue la visibilité des signaux par le mécanicien depuis
sa plate-forme à découvert, puis son écran, son abri, voire sa cabine…
Pour gagner toujours en puissance, prisonnier d’un écartement initial des
rails qui eût pu être plus élevé selon certains experts (1,60m!), il faudra
étirer la chaudière de la locomotive en longueur et en hauteur, la surélever
aussi au-dessus des essieux moteurs.
De l’écartement de la voie figé au poste de conduite évolutif
du mécanicien, voici une histoire à rebonds qui illustre l’interdépendance
des composants du système ferroviaire: gabarit borné de la voie, hauteur
limitée des signaux, champ étroit de vision du mécanicien depuis
son habitacle…
Cet « angle mort » amplifié avec l’arrivée des Atlantic, enfin révélé,
poussera les ingénieurs concepteurs à faire basculer le poste de conduite
du mécanicien de droite à gauche: après le Nord pionnier, les autres
compagnies suivront; après les Atlantic, les Ten-Wheel puis Pacific.
Non surtout sans quelques catastrophes imputables à ce défaut
de visibilité mal anticipé. De Villepreux (18juin 1910) à Courville (14février
1911), la question des signaux devient criante, débattue à la Chambre
des députés après chaque catastrophe.
Mais le problème ne sera pas pour autant résolu, plutôt déplacé: sur
les Pacific du PLM, la fumée se rabat en panaches aveuglant la cabine!
La catastrophe de Melun (4novembre 1913) en est le révélateur… Mais
survenue à la veille de la guerre, il faudra attendre encore longtemps pour
s’attaquer sérieusement à la résolution du problème… Enquête à suivre…
Le signal, la machine
et le mécano
Une équation visuelle longtemps négligée
8-
Historail
Janvier 2015
Vue panoramique
et entrée du tunnel
de la Compagnie
de l’Ouest
à Conches (Eure).
L’écartement de la voie:
un choix primordial débattu
Si l’écartement de la voie de 1,435m adopté par George Stephenson sur
la ligne de Liverpool à Manchester résulte d’un choix pragmatique, on
anticipe vite que les progrès à venir dans la conception des locomotives
pour en faire des machines toujours plus puissantes en tête de trains de
plus en plus lourds pourront être entravés par la largeur des rails comme
celle de l’entrevoie qui sépare les deux voies. Le diamètre du corps
cylindrique qui abrite la chaudière sera durablement limité, et son volume
utile ne pourra être accru qu’en longueur ou hauteur; avec cette autre
limite d’un foyer étroit et d’une profondeur limitée. C’est pourquoi
en France, en dépit du choix adopté de l’écartement de 1,435m par
les ingénieurs concessionnaires, les ingénieurs fonctionnaires des Mines
ont manifesté durablement des doutes quant à cette option, louchant
sur la voie large de 1,60m, adoptée en Irlande…
DR/Photorail – SNCF ©
ration inverse. Elle proposait d’imposer
la voie normale à tous les chemins de
fer en construction ou à construire
sauf dérogation autorisée par une loi
et préconisait le retour à la voie uni-
forme de 1,435m. Ces propositions
ne furent pas complètement approu-
vées par le
Board of Trade,
et le Great
Western fut autorisé à établir des
embranchements à voie large selon
Gauge Regulation Act.
Avec cette
solution de compromis qui lui impo-
sait des prolongements comportant
trois files de rails, c’est-à-dire pouvant
admettre la circulation des véhicules
des deux systèmes.
Entre les deux « systèmes » personni-
fiés par Brunel junior et Stephenson,
plusieurs ingénieurs allaient opter pour
une voie intermédiaire, censée cumuler
leurs avantages respectifs: ainsi allait
être adoptée pour tous les chemins de
fer d’Irlande une voie de 1,60m…
En France, un doute
longtemps persistant
entre 1,435m et 1,60m
Cette solution « moyenne » a séduit
les ingénieurs d’État français envoyés
en mission outre-Manche. L’ingénieur
des Mines Bineau, en 1840
, rappelle
l’origine de l’écartement adopté par
les chemins de fer anglais: largeur de
quatre pieds huit pouces et demi, soit
1,44m, entre les faces intérieures des
rails,
« largeur adoptée par analogie
avec la voie des voitures qui circulent
sur les routes ordinaires, et sans pré-
vision de ce que pourraient plus tard
réclamer les besoins des locomotives à
grande vitesse. »
Empiriquement
adopté par les premiers ingénieurs,
cet écartement fut ensuite prescrit par
tous les actes de concession jusqu’en
1836; cette prescription étant levée, il
s’ensuivit l’adoption d’un écartement
de la voie différent, plus large, sur
quelques réseaux: Eastern Counties
Railway, de Londres à Yarmouth: 5
pieds, soit 1,52m; chemins écossais
de Dundee à Arbroath et d’Arbroath
à Forfar: 5 pieds ½, soit 1,68m;
Great Western Railway et chemin de
Bristol à Exeter: 7 pieds, soit 2,13m.
Bineau reprend les diverses raisons
invoquées par les promoteurs des
voies larges:le mécanicien peut visiter
et réparer plus aisément les diverses
parties de sa machine élargie; le dia-
mètre des rouespeut être accru tout
en assurant une bonne stabilité laté-
rale de la locomotive; enfin, on peut
abaisser la caisse des wagons, facteur
de confort certain pour les voyageurs.
Il note ainsi que
« depuis l’invention
10-
Historail
Janvier 2015
DOSSIER SÉCURITÉ
Écartement de la voie, entraxe, ouverture des tunnels:
un ensemble de paramètres décisif
Voici la première formulation de l’article traitant des paramètres de la voie, apparu
avec la concession de la ligne de Saint-Germain:
« Article 5. La distance entre les bords intérieurs des rails ne pourra être moindre d’un
mètre quarante-quatre centimètres (1,44m) et celle comprise entre les faces extérieures
des rails ne pourra être de plus d’un mètre cinquante-six centimètres (1,56m).
L’écartement inférieur compris entre les rails de chaque voie ne sera pas moins d’un mètre
quatre-vingts centimètres (1,80m), excepté au passage des souterrains et des ponts, où
cette dimension pourra être réduite à un mètre quarante-quatre centimètres (1,44m). »
Cet article 5 se retrouve à l’identique dans l’article 5 du cahier des charges du chemin
de fer d’Alais à la Grand-Combe concédé le 12mai 1836, mais sans la seconde phrase,
car
« prévu à une voie dans tout son développement, sauf dans les parties
où des gares devront être établies. »
Par contre, du fait de l’existence certaine
de souterrains, un article 18 fait son apparition que l’on retrouvera dans la plupart
des cahiers des charges suivants:
« Les souterrains destinés au passage du chemin
de fer, auront 4m de largeur entre les piédroits, au niveau des rails, et 5m au moins
de hauteur sous clé, à partir de la surface du chemin. La distance verticale entre
l’intrados et le dessus des rails sera au moins de 4,30m. »
En ce qui concerne les lignes à double voie avec tunnels, telle les deux lignes de Paris
à Versailles, une largeur de 7m entre les piédroits et une hauteur de 6m sous clef
sont imposées, elles aussi « normes » sujettes à variations futures… Soucieux
dans leur pays de construire le moins cher possible les lignes pour en améliorer
la rentabilité immédiate, les concessionnaires anglais en charge des lignes normandes
(Paris – Rouen, Rouen – Le Havre) obtiendront des clauses plus avantageuses en qui
concerne la hauteur sous clef de leurs fameux tunnels bien exigus de Rolleboise,
du Roule et de Venables: 5,50m. Un handicap durable qui hypothéquera
les modernisations impératives à très long terme que seront l’électrification
de ces lignes puis leur mise au gabarit B+.
En matière de largeur de l’entrevoie, qui doit être suffisamment libre pour laisser
un espace libre entre les caisses des voitures, assez grand à hauteur des marchepieds
et tels que les voyageurs ne puissent se blesser en sortant la tête par la portière, c’est
encore à un large éventail d’options que l’on assiste: alors que le chemin de Liverpool
à Manchester adopte une entrevoie de 1,55m, sur le chemin de Saint-Étienne à Lyon
établi à la même époque, le souci de l’économie des travaux a poussé les frères
Seguin à adopter une entrevoie de 1m: gêne pour la conception des futures voitures
à voyageurs, qu’il faudra étirer en longueur. Sur la plupart des chemins de fer français
et belges, ce sera 1,80m; mais avec une tendance à l’élargissement: 1,86m
sur les voies du Midi, 2m sur le chemin de Paris à Mulhouse et les dernières lignes
du Nord, 2,20m sur le chemin de Lyon. Des écartements généreux sont aussi adoptés
sur les chemins de Bristol (1,87m), de Londres à Birmingham (1,92m), ou de Bruxelles
à Mons (2,50m).
Prescrits aussi dans les cahiers des charges mais hors de notre sujet, sont aussi les
paramètres relatifs à la largeur des accotements de la voie, les rayons de courbure
minimum
comme la pente
maximum
de la ligne. Plus tard, les gabarits de chargement
viendront corseter encore les paramètres des voies et matériels roulants.
Janvier 2015
Historail
des locomotives, leurs dimensions et
leur puissance ont toujours été crois-
sant, de sorte que leur mécanisme se
trouve maintenant à l’étroit dans l’es-
pace où il est resserré. Ce défaut
d’espace est une gêne pour la
construction, et surtout pour la sur-
veillance et les menues réparations,
qui sont d’une grande importance; et
de plus, il ne permet pas de donner
aux locomotives les grandes dimen-
sions à l’aide desquelles la circulation
habituelle pourrait atteindre des
vitesses bien supérieures à celles
qu’elle réalise généralement
aujourd’hui. »
Renonçant à l’espoir de
cette grande augmentation de vitesse,
« une voie de 1,60m suffirait pour
mettre à l’aise le mécanisme des plus
fortes locomotives qui soient généra-
lement usitées à présent, et permet-
trait même d’augmenter un peu leur
puissance. »
Et du retard dans le développement
du réseau français, Bineau fait un atout
en permettant encore cette conver-
sion:
« Toutes les lignes qui existent
maintenant en France ont adopté la
voie de 1,44m; mais comme elles ne
dominent aucune des portions d’un
système général, la question est encore
entière, et on peut choisir la voie à
volonté. »
Si l’écartement du Great
Western ne peut convenir à la France
en raison de coûts de construction bien
trop élevés par rapport aux ressources
financières,
« reste le choix entre la
voie habituelle de 1,44m et celle de
1,60m: comme cette dernière, sans
augmenter sensiblement les frais d’éta-
blissement, améliorerait les conditions
du mécanisme et permettrait d’aug-
menter un peu la vitesse, il semble
qu’elle devrait être préférée. »
Ainsi, l’ingénieur des Mines Le Châ-
telier, à l’issue d’une mission d’études
en Angleterre en 1851, se prononce
encore en 1852 en faveur de cet écar-
tement irlandais
« On doit regretter qu’à l’origine de
nos grandes lignes de chemins de fer,
on n’ait pas discuté sérieusement la
question de la largeur de la voie, en
établissant, par exemple, une enquête
dans le genre des enquêtes parlemen-
taires en Angleterre; il me paraît incon-
testable qu’en 1840, à l’époque où
nous n’avions encore qu’une très petite
longueur de chemins de fer en exploi-
tation, chemins de fer qui pouvaient,
pour la plupart et jusqu’à l’époque où
le renouvellement de la voie serait
devenu nécessaire, rester isolés, on
serait arrivé à adopter une largeur de
voie intermédiaire entre la voie anglaise
proprement dite et celle du Great Wes-
tern; l’Allemagne qui n’a pas pu être
entraînée par l’exemple isolé du duché
de Bade, aurait pu l’être par le nôtre;
l’interposition des chemins de fer
belges dans le réseau continental aurait
pu seule apporter un obstacle sérieux
à l’adoption générale d’une largeur
mixte, si toutefois une rupture de
charge à la frontière d’un grand État
comme la France peut être considérée
comme un inconvénient très grave.
Dans les pays où la question n’est pas
encore engagée d’une manière
sérieuse, on ne devra pas hésiter à imi-
ter l’exemple de l’Irlande où l’on a
adopté la voie de 1,60m »
, pouvait-il
conclure. Cette tentation de la voie de
1,60m pouvait être encore de mise en
1851, après une longue période d’ar-
rêt de construction des lignes depuis
la crise de 1847. Mais le coup d’État
du 2décembre 1851 déclenche la
reprise confiante et accélérée des
concessions, et jusqu’en 1857, le
temps des fusions est advenu, encou-
ragées par l’État dans un souci de pres-
tige et de grandeur nationale.
Quinze ans plus tard, Charles Couche,
l’éminent ingénieur des Mines qui
professe le cours de chemins de fer à
l’École des Mines, ne peut que se pro-
noncer pour consacrer enfin l’héritage
existant d’un réseau à voies de
1,44m. Certes il y aurait quelques
avantages et fort peu d’inconvénients
à augmenter cet écartement
« du
moins aucune objection vraiment
grave ne s’élève contre lui. La France
qui pendant longtemps ne s’est guère
pressée de mettre la main à l’œuvre,
et qui justifiait son attitude expectante
par le désir de profiter des progrès
de ses voisins, comme de leurs fautes,
a fini par faire ce qu’elle eût fait
quelques années plus tôt, c’est-à-dire
par suivre simplement l’exemple des
premiers chemins de fer construits en
Angleterre. Elle a ensuite regagné
vivement le temps perdu, et quand
même des faits nouveaux seraient
venus lui prouver ensuite qu’elle avait
eu tort, il eût été trop tard pour répa-
rer sa faute; mais elle n’en est pas à
regretter le parti qu’elle a pris. »
Georges Ribeill
[ l’écartement de la voie: un choix primordial]
1. Par la suite, l’écartement
de la voie
désignera couramment
cette longueur entre les bords intérieurs des rails.
2. L.-J. Gras,
Histoire des premiers chemins de fer français,
Saint-Étienne, 1924, p.327. La largeur de la route devait rester
au minimum de 6,80m après pose de la voie.
3. Perdonnet,
Traité élémentaire des chemins de fer,
Langlois
et Leclercq, 1855 (première édition), tomeI, p.119.
4. Couche,
Voie, matériel roulant et exploitation technique
des chemins de fer,
Dunod, 1867-1868. TomeI
er
, pp.1-2.
5. Bineau,
Chemins de fer d’Angleterre,
Carilian-Goeury
et Veuve Dalmont, 1840, pp. 191-196.
6. Le Châtelier,
Chemins de fer d’Angleterre en 1851,
Carilian-
Goeury, 1852, p.20. Il s’agit d’un regroupement d’articles
parus en 1852 dans les
Annales des Mines,
à l’issue de son
voyage en 1851.
7. Couche,
Voie, matériel roulant et exploitation technique
des chemins de fer,
Dunod, 1867-1868. TomeI
er
, pp.1-6.
Isambard Brunel,
promoteur
de la voie large.
Janvier 2015
Historail
De rares considérations
sur l’équipe de conduite
Le comte de Pambour, polytechnicien
de la promotion 1813, ancien officier
d’artillerie, le premier auteur français
consacrant un ouvrage en 1835 aux
« machines à vapeur locomotives »,
n’évoque nulle part les opérations qui
reviennent au mécanicien et au chauf-
feur, pas plus dans la seconde édition
augmentée parue en 1840. Il est vrai
qu’il cherche à faire « une théorie des
locomotives » (résistance de l’air,
vaporisation des machines, frottement
des wagons), conclue par un calcul
économique de rentabilité et appuyée
sur ses expériences, associé à Earle,
l’un des directeurs du chemin de fer
de Liverpool à Manchester, et Pease, le
président du chemin de fer de Dar-
lington à Stockton, pour réaliser des
expériences sur ces réseaux.
Du moins ses dessins pédagogiques
suggèrent-ils des emplacements spé-
cifiques. De l’examen des gravures
consacrées à cette locomotive « stan-
dard » 110 anglaise
cf.
p.14)
, il res-
sort bien la dissymétrie de certains
composants de la plate-forme: à
gauche, la poignée du régulateur (T)
et les deux
« leviers à main pour
mouvoir les tiroirs quand ils ont cessé
d’embrayer avec les excentriques »
(P, P) sont à disposition du mécani-
cien, alors qu’à droite, le niveau d’eau
(G) est sous les yeux du chauffeur. À
noter, placé au centre, le sifflet (i),
équidistant et donc à portée de main
autant du mécanicien que de son
chauffeur.
Les premières considérations sur le
métier de mécanicien apparaissent en
1840, dans le
Guide du mécanicien
conducteur de machines locomotives,
que signent non plus des mécaniciens
en chambre mais des ingénieurs pra-
ticiens, enrichies dans la nouvelle édi-
tion parue en 1859
. Les profils requis
pour recruter de bons mécaniciens et
chauffeurs sont très bien évoqués, qui
mettent en avant l’importance des
aptitudes et facultés intellectuelles
du mécanicien comme ses qualités
morales
« La profession de mécanicien, au point
où l’exploitation des chemins de fer est
arrivée maintenant, n’est pas plus dan-
gereuse que beaucoup d’autres profes-
sions industrielles; elle l’est d’autant
moins que les hommes qui l’embrassent
sont plus prudents, car, le plus souvent,
ils ne sont que les premières victimes
de leur négligence ou de leur impré-
voyance; elle n’a rien de pénible et de
fatigant pour des hommes d’une bonne
constitution; elle est largement rétribuée
et n’exige qu’un court apprentissage,
elle est par suite très recherchée; on
peut donc choisir dans les ateliers les
ouvriers les plus distingués et composer
ainsi un très bon personnel.
«Il est indispensable de choisir pour
mécaniciens des hommes froids, coura-
geux, ayant de la présence d’esprit et
Page de gauche:
PO n°345 avec
plate-forme à
découvert, à noter
le volant de frein
du tender derrière
le mécanicien.
Un progrès
significatif est tenté
avec l’écran doté
d’étranges hublots
sur la machine
A-211 de l’Est.
DR/Photorail-SNCF ©
la machine, pour protéger de la pluie
le mécanicien immobile à son poste.
Ce toit serait en bois, et non en zinc ou
en tôle, pour éviter le bruit assourdis-
sant de la pluie et de la grêle. »
Quant à la protection de la pluie,
Duchesne évoque un essai de guérite
tenté sur la ligne d’Orléans
« on
avait essayé sur la machine Mam-
mouth, une guérite complètement fer-
mée en avant et sur les côtés par des
glaces, elle n’était ouverte que par der-
rière pour laisser libre le service du
chauffeur; mais cet appareil, qui les
préservait bien de la pluie, n’est resté
en place que six mois. S’il préservait
de la pluie, il avait l’inconvénient grave
d’empêcher la transmission des sons
extérieurs. Les mécaniciens, n’étant
plus d’ailleurs sollicités par le vent et
la pluie, s’endormaient. »
La « cage »
qu’il propose n’aurait pas les inconvé-
nients de cette guérite, suggère-t-il…
Évidemment c’est la bonne vue des
mécaniciens plutôt que la visibilité des
dispositifs de sécurité qu’il souligne
en abordant le thème
« du brouillard
et des signaux. »
Aucune référence
n’est faite au daltonisme, encore
ignoré dans les milieux ferroviaires
français! Par contre, Duchesne insiste
sur l’intérêt qu’il y a à protéger les
yeuxde celui qui conduit la locomo-
tive. Quelques mécaniciens se servent
de lunettes – verres enchâssés dans de
petites cuvettes en treillis très fin –,
défendues sur certaines lignes mais
tolérées sur d’autres… D’où aussi
l’apparition d’écrans
qui, formés de
toiles métalliques et placés sur la loco-
motive,
« interceptaient trop la vue »
Les réalisations les plus abouties sont
des
écrans métalliques
« Les constructeurs de locomotives et
les compagnies ont bien compris
combien il serait utile pour les méca-
niciens, et même pour la sécurité des
voyageurs, de protéger la vue de celui
qui conduit la locomotive. Sur cer-
taines lignes, et notamment sur les
lignes de Lyon, d’Orléans, de la Médi-
terranée, on a adapté, derrière la loco-
motive, et devant la place où se tient
le mécanicien, un écrancomposé
d’une tôle ou d’une planche percée
de deux trous d’environ 20 à 25 cen-
timètres. Ces deux trous sont remplis
par deux verres à surfaces planes ou
légèrement convexes, qui permettent
ainsi de voir et protègent les yeux. Cet
écran, qui est grand et large, protège
encore contre la grêle, la poussière,
la pluie, et surtout contre le vent frais
qui vient de face.
«Ces écrans ont été placés principa-
lement sur les machines Crampton,
qui font le service des express-trains.
Sur le chemin de Lyon, l’écran est
placé sur la partie postérieure de la
chaudière. La vue du mécanicien est
bien protégée en avant, mais il se
trouve un peu gêné dans la manœuvre
du levier de marche qui se trouve der-
rière et qu’il ne peut atteindre qu’en
contournant l’écran avec son bras. On
a cherché, sur lechemin d’Orléans,à
remédier à cet inconvénient en pla-
çant l’écran plus avant, c’est-à-dire à
70cm environ de la partie postérieure
de la chaudière: la manœuvre est alors
facile, parce que le levier de marche
se trouve à la main du mécanicien;
mais les verres sont trop petits, sur-
tout à cette distance, pour protéger
suffisamment les yeux du mécanicien;
ensuite ils se salissent très prompte-
ment par le crachement de la
machine, par la pluie, par la poussière,
et le mécanicien ne peut pas les net-
toyer assez souvent à cause de leur
éloignement. Il faut alors qu’il se place
entre la chaudière et la rampe, et il n’a
plus sous la main les différents leviers
qu’il manœuvre incessamment. »
Mais Duchesne reprochait à ces
écrans de produire des remous d’air
auxquels, avec le froid excessif res-
senti dans leur dos,
« les mécaniciens
attribuent les affections catarrhales
16-
Historail
Janvier 2015
DOSSIER SÉCURITÉ
De haut en bas:
la locomotive
Outrance du Nord,
élévation de
la cabine (
Couche
atlas,
tomeII);
la 120 Nord n°632,
type Outrance,
en état d’origine,
avant sa
transformation en
1891 en type 220.
DR/Photorail – SNCF ©
Janvier 2015
Historail
beaucoup plus fréquentes et quelques
péripneumonies plus nombreuses »
depuis l’usage de ces écrans. Et ainsi
de suggérer d’attendre de nouveaux
dispositifs:
« Ces remarques utiles, et
que je consigne le premier, feront sans
doute hésiter les compagnies à per-
sévérer dans la pose des écrans sur
les machines qui en sont dépourvues,
jusqu’à ce que l’on soit parvenu, par
de nouvelles dispositions, à éviter
les inconvénients graves de ceux
employés aujourd’hui. »
Couche, un fonctionnaire
attentionné
C’est ainsi que l’on peut qualifier le
docte ingénieur des Mines Couche,
polytechnicien de la promotion 1833,
coupé il est vrai des préoccupations
plus techniciennes que sanitaires des
exploitants lorsqu’il traite dans son
grand ouvrage de
« l’abri pour le
mécanicien et le chauffeur »
, à la fois
défenseur du port d’un « masque »
de protection de la vue, mais hostile
aux cabines trop confortables
« Il n’y a rien de forcé à compren-
dre parmi les appareils de sûreté
l’abri destiné à protéger le mécani-
cien et le chauffeur contre les intem-
péries. Si l’humanité le réclame dans
l’intérêt de ces agents, la sûreté des
voyageurs le conseille également. La
vigilance du mécanicien exposé au
vent, au froid, à l’ardeur du soleil,
aveuglé par la pluie ou par la grêle,
peut être en défaut. Les progrès de
la vitesse ont d’ailleurs rendu de plus
en plus nécessaire la mesure dont il
s’agit.
«Sans contester son utilité dans cer-
tains cas, on a objecté que même un
simple masque, garni de deux regards
en verre, serait nuisible et dangereux
en temps ordinaire; qu’il gênerait la
vue du mécanicien, et pourrait lui
dérober les signaux. C’est une ques-
tion d’entretien. Il faut que les verres
soient toujours tenus parfaitement
nets, ce qui est facile, et dès qu’ils le
sont, l’objection tombe.
«La disposition des abris doit d’ail-
leurs varier avec le climat. Chez nous,
le simple écran recourbé à l’arrière
suffit.Il n’y a pas d’inconvénient à y
[ de la plate-forme à découvert à la cabine de locomotive…]
Locomotives à
vapeur Nord
Engerth de 1856-57.
Cette machine est
équipée d’un écran.
Le dispositif
présentait
l’inconvénient, selon
les observations du
docteur Duchesne,
de faire ressentir
aux mécaniciens
un froid excessif
dans le dos
et d’ainsi être la
cause d’affections
pulmonaires.
Une antique 111
n°23 du PO
de 1845 a reçu
«une légère toiture
soutenue par
des colonnettes».
DR/Photorail
DR/Photorail – SNCF ©
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 320171
ajouter, comme dans les machines à
grande vitesse d’Orléans, une légère
toiture soutenue par des colonnettes,
et utile surtout, pendant le stationne-
ment, contre le soleil et la pluie.
«Une disposition simple et solide,
appliquée à la plupart des machines
du réseau de la Méditerranée, consiste
à prolonger l’écran vers l’arrière en
l’évasant, de sorte qu’il vient s’appuyer
sur le prolongement des balustres de
tablier de la machine.
«La fermeture latérale de la cabine
du chemin badois est peu justifiée.
On la retrouve cependant, mais avec
des dimensions réduites, en Angle-
terre [locomotive du Great Eastern
construite au Creusot] et en Prusse
[locomotive 120 des ateliers Borsig].
«Il est naturel de faire plus sous les
climats extrêmes, dans un sens ou
dans l’autre: des cabines plus spa-
cieuses protègent les agents contre le
froid.
«Quant aux vastes et luxueuses
cabines appliquées aux machines des
États-Unis, et qui font de la plate-
forme du mécanicien une sorte de
boudoir, c’est l’exagération d’un bon
principe. Tout y invite au sommeil,
auquel les mécaniciens ne résistent
pas toujours, même quand ils n’ont
ni siège ni abri; c’est une faute de les
y provoquer par une installation trop
confortable. »
La consécration tardive
de la cabine
Auteur d’un traité sur la machine
locomotive « à l’usage des mécani-
ciens et des chauffeurs », Édouard
Sauvage, polytechnicien de la pro-
motion 1869, ingénieur des Mines
recruté par la Compagnie de l’Est,
accorde peu d’attention à leurs condi-
tions de travail, gestes et confort.
Dans la première édition parue en
1894 de ce livre qui en connaîtra dix,
il souligne le progrès qu’apporte la
substitution de la vis au levier de chan-
gement de marche
: la manœuvre
du levier est non seulement pénible
sur les grandes locomotives mais dan-
gereuse; mal enclenché, le levier
peut venir frapper violemment le
mécanicien. La vis est plus sûre et plus
commode, et le levier ne peut être
conservé que sur les locomotives de
gare, où il doit être sans cesse
manœuvré.
Dans son premier livre consacré aux
locomotives et matériel roulant des
compagnies de son temps, le centra-
lien Maurice Demoulin (promotion
1881) évoque rapidement les progrès
que constitue le passage de l’écran à
la cabine, cet abri qui ne se trouve
guère que sur les machines récem-
ment construites
« Il y a quelques
années, on se contentait de simples
écrans, recourbés parfois vers l’arrière,
pour former un commencement de
toiture »
, et grâce à leurs lunettes, le
mécanicien pouvait voir vers l’avant
sans se pencher au dehors. Considé-
rés autrefois « comme un luxe », ces
écrans sont aujourd’hui remplacés par
de véritables cabines en tôle proté-
geant convenablement les agents
contre les intempéries. Mais c’est
dans son grand
Traité pratique de la
machine locomotive
paru peu après,
en 1898, que Demoulin traite beau-
coup plus abondamment des abris du
personnel, rappelant les préventions
dont ils furent l’objet, gêne de la vue,
position assise poussant à la somno-
lence, risques de sommeil, aujourd’hui
en partie levées
La plate-forme arrière, sur laquelle se
tient le personnel, peut offrir des dis-
positions différentes suivant le type
de machine et l’arrangement des
essieux accouplés. Dans les locomo-
tives qui ont la boîte à feu en porte-à-
faux ou dont le foyer passe au-des-
sus des roues arrière, la plate-forme
peut être très courte, mais elle com-
prend toute la largeur comprise entre
les rampes de droite et de gauche.
Dans les machines ayant une paire de
roues accouplées de grand diamètre
18-
Historail
Janvier 2015
DOSSIER SÉCURITÉ
Ci-dessus:
cabine de la 220
(440 aux États-Unis)
«Governor
Stanford» construite
en 1862 pour
le Central Pacific.
Entrée en service
le 9novembre 1863,
elle a été utilisée
pour la construction
du premier
chemin de fer
transcontinental
nord-américain.
À noter: la vaste
cabine fermée
grand confort,
les sièges pour
le chauffeur
et le mécanicien,
les instruments
de conduite tous
à portée de main et
le magnifique levier
du changement
de marche…
manœuvré de la
main gauche!
À droite:
locomotive 600
du PLM, construite
de 1853 à 1855
et destinée à tracter
des trains légers.
Son poste
de conduite est
équipé d’un écran
légèrement
recourbé faisant
office d’abri.
G. Delbos/California Railroad Museum de Sacramento
DR/Photorail – SNCF ©
Janvier 2015
Historail
[ de la plate-forme à découvert à la cabine de locomotive…]
placée à l’arrière du foyer, la plate-
forme a nécessairement une longueur
suffisante pour que la traverse d’at-
telage avec le tender se trouve en
arrière des roues, mais elle est resser-
rée entre les couvre-roues, qui la limi-
tent des deux côtés. C’est le cas de
toutes les locomotives anglaises et des
nouvelles machines des Compagnies
de l’Ouest, du Nord, de l’Est et du
Midi. Cette disposition est loin d’être
incommode, comme on peut le croire
au premier abord; au contraire, le per-
sonnel est mieux protégé et ne reçoit
plus, dans les jambes, en vitesse, de
violents courants d’air comme avec
les plates-formes larges mais courtes.
Les couvre-roues servent de siège sans
présenter, vu leur disposition, assez
de confort pour que l’on puisse crain-
dre que les agents en abusent pour
se reposer et s’y endormir. Les
machines-tenders dans lesquelles les
caisses à eau sont prolongées de la
même manière offrent une disposi-
tion analogue, bien que les roues
soient de diamètre plus faible. (…)
Le personnel se tient pendant la
marche sur la plate-forme arrière que
l’on protège contre les intempéries
d’une manière plus ou moins com-
plète. À l’origine, les machines ne
comportaient aucun abri, mais les
vitessesétaient peu considérables et
on pouvait considérer comme un luxe
ce qui est devenu dans la suite une
nécessité. Plus tard, on équipa les
locomotives d’un écran transversal
muni de lunettes en verre qui abritait
le personnel contre la pluie chassée
par le vent quand la machine était en
mouvement, mais dont l’utilité était
nulle pendant les arrêts ou la marche
à petite vitesse. Dans les pays froids
et brumeux, dans ceux surtout où les
tourmentes de neige sont, l’hiver, fré-
quentes et terribles, comme en Russie
et aux États-Unispar exemple, on
adopta presque aussitôt des abris
completsqui donnaient une protec-
tion très efficace. Cette pratique se
répandit rapidement à l’étranger, sur-
tout en Allemagne et en Angleterre,
où les abris, sans être à beaucoup près
aussi complets et bien clos que les
cabines des machines américaines, se
prolongeaient sur le côté par des
joues latérales et possédaient une toi-
ture couvrant la plus grande partie de
la plate-forme. En France, les services
de l’exploitation soulevèrent d’abord
des objections à l’emploi des abris
pensant qu’ils gêneraient la vision des
agents, les porteraient à la négligence
et les inviteraient, la nuit, au sommeil.
La pratique a ramené les choses au
point et les locomotives françaises
comportent aujourd’hui des abris
aussi complets que la plupart des
machines étrangères. Non seulement
les machines construites récemment
en sont munies, mais on a aussi placé
des cabines plus ou moins complètes
sur un grand nombre d’anciennes
locomotives au fur et à mesure de leur
rentrée aux ateliers pour grandes
réparations.
Georges Ribeill
1. Pambour,
Traité des machines locomotives,
Bachelier, 1840,
2
e
éd., 1840, plancheII.
2. Le Châtelier, Flachat, Petiet et Polonceau,
Guide du
mécanicien constructeur et conducteur de machines
locomotives,
Dupont, Lacroix et Baudry, 1859.
3.
Ibid.,
pp. 417-418.
4.
Ibid.,
p. 432.
5. E.-A. Duchesne,
Des chemins de fer et de leur influence sur
la santé des mécaniciens et chauffeurs,
Paris, Mallet-Bachelier,
1857.
6. G. Ribeill, « Controverse sur une prétendue “maladie spéciale
des mécaniciens et chauffeurs” (1857-1861) »,
Les Cahiers des
Caisses de prévoyance et de retraite,
SNCF, n°10, juin2006,
pp. 5-21.
7.
Ibid.,
pp. 28-33.
8.
Ibid.,
p.91.
9.
Ibid.,
pp. 96-98.
10.
Ibid.,
pp. 134-135.
11.
Ibid.,
pp. 162-164.
12. Couche,
Voie, matériel roulant et exploitation technique des
chemins de fer,
Dunod, tomeIII, 1874, pp. 167-168.
13. Sauvage,
La machine locomotive. Manuel pratique,
Librairie
polytechnique Baudry, 1894, p.163.
14. Demoulin,
Locomotive et matériel roulant,
Dunod et Vicq,
1896, pp. 168-170.
15. Demoulin,
Traité pratique de la machine locomotive,
Baudry, 1898, tomeIV, pp. 165-168.
À gauche:
la 030-577 de l’État,
construite
entre1867 et1882,
pour les trains
de marchandises.
Cette machine est
simplement pourvue
d’un écran.
Cabine de la
locomotive badoise
(Couche atlas,
tomeII,
plancheXIX).
DR/Photorail – SNCF ©
E
n vertu de l’ordonnance de police
du 15novembre 1846, la sécurité
des circulations doit être assurée par
des agents disposés le long du che-
min pour assurer trois fonctions essen-
tielles, la surveillance de la voie, la libre
circulation des trains et la transmis-
sion des signaux. Ces gardes-voies,
signaux vivants animés en quelque
sorte, seront vite complétés par des
signaux fixes. Côté machine,
mécanicien devra porter constam-
ment son attention sur l’état de la
voie, arrêter ou ralentir la marche en
cas d’obstacles, suivant les circons-
tances, et se conformer aux signaux
qui lui seront transmis; il surveillera
toutes les parties de la machine, la
tension de la vapeur et le niveau d’eau
de la chaudière. Il veillera à ce que
rien n’embarrasse la manœuvre du
frein du tender » (article36)
. En réa-
lité, c’est au chauffeur que sera délé-
guée cette dernière mission, la loco-
motive ne disposant pas de système
de freinage propre. En vertu de l’ar-
ticle 39, –
« Aucune personne autre
que le mécanicien et chauffeur pourra
monter sur la locomotive ou sur les
tenders, à moins d’une permission
20-
Historail
Janvier 2015
231 C 15 et batterie
de signaux Nord
à Saint-Denis.
Des signaux fixes peu visibles?
Alors que les trains roulant plus
vite croisent des signaux de plus
en plus nombreux, leur bonne
visibilité devient essentielle:
outre leur emplacement ou leur
annonce même par d’autres
signaux, leur hauteur est bien
un paramètre essentiel
de leur conception. Pourtant,
ces considérations quant à leur
visibilité semblent bien absentes
chez les spécialistes de la
signalisation au
XIX
22-
Historail
Janvier 2015
DOSSIER SÉCURITÉ
spéciale et écrite du directeur de l’ex-
ploitation du chemin de fer »
–, c’est
à cette équipe de deux agents d’as-
surer toutes les tâches de sécurité,
dont l’observation des signaux fixes.
L’état rudimentaire de la signalisation
permet de comprendre pourquoi la
grande enquête sur la régularité et
la sûreté de l’exploitation des chemins
de fer commandée en 1853 ne consa-
cre qu’une seule des 170 questions
adressées aux compagnies aux
signaux fixes et mobiles, la question
n°140
: la synthèse des réponses
reçues à cette question étant très suc-
cincte
. Il est simplement noté que
« leur installation aux abords des sta-
tions, leurs hauteurs au-dessus des
rails, leurs dimensions ne sont point
indifférentes à la sécurité, tant à cause
du profil même de la voie en raison
de la configuration générale du sol,
des remblais, des déblais, des courbes
qui peuvent se présenter, des planta-
tions, des constructions mêmes, dont
l’effet est de gêner la vue du méca-
nicien et de retarder le moment où il
prend ses mesures pour arrêter le
train. Toutes ces considérations ont
été pesées par les compagnies, et tous
les disques paraissent installés de
manière à prévenir toute chance d’ac-
cident. »
Pourtant, il n’y a pas que les signaux à
observer comme le rappelle le fameux
Guide du mécanicien constructeur et
conducteur de machines locomotives
publié en 1859 par des ingénieurs
praticiens
. Après avoir rappelé le
devoir d’obéissance passive aux
signaux qui figure en tête de tous les
règlements intérieurs des compagnies,
de cette nécessité d’obéir donc d’une
manière absolue aux signaux,
« il ne
résulte pas que le mécanicien ne doive
apporter lui-même aucune attention à
l’état de la voie. Il doit constamment
avoir les yeux fixés sur les rails, pour
reconnaître autant que possible,
et indépendamment des signaux
d’alarme, si l’espace est libre devant
lui, s’il n’y a pas d’obstacles; il doit
porter également son attention sur la
seconde voie que parcourent les trains
DR/Photorail
Sémaphore de type PLM
sur les Chemin de fer
de l’Hérault.
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 320221
Janvier 2015
Historail
qui viennent à sa rencontre, afin de
les avertir en route ou de le faire aver-
tir à la station la plus voisine s’il existe
quelque obstacle à la circulation. »
Voilà donc le mécanicien chargé de
surveiller à sa gauche les signaux, à
sa droite la seconde voie qu’il longe
sur beaucoup de lignes!
Couche, rapporteur sur le matériel de
la voie à l’Exposition universelle de
1855, évoque les progrès de la signa-
lisation dont la complexité croissante
doit s’accompagner d’une visibilité
suffisante à plus ou moins grande dis-
tance
« Les signaux doivent être vus
distinctement par le mécanicien, assez
tôt pour qu’il ait largement le temps
d’arrêter avant d’avoir atteint l’obsta-
cle; ceux qui peuvent surgir acciden-
tellement, en un point quelconque de
la voie, sont couverts par les signaux
portatifs; mais certains points doivent
être très fréquemment couverts. Telles
sont les stations, par suite des arrêts
des trains et des manœuvres, et les
courbes parce que, le mécanicien ne
pouvant pas, avant de s’y engager,
juger par lui-même si la voie est libre,
un signal doit y suppléer; de là, les
signaux fixes, qui, une fois placés
l’arrêt,
dispensent d’y placer en per-
manence un homme porteur du
signal à main. On peut les établir à
proximité du point à couvrir; mais il
faut pour cela que l’appareil indica-
teur ait des dimensions assez grandes
et soit placé assez haut pour être visi-
ble à 800, 1000, 1200 mètres même.
Si au contraire, le signal lui-même pré-
cède de cette distance le point à cou-
vrir, il suffit que le mécanicien le voie
à l’instant où il l’atteint, et ses dimen-
sions peuvent alors être restreintes
de beaucoup. Tel est le principe des
signaux
à transmission,
très usités en
Angleterre, et presque exclusivement
en usage en France. »
Et d’évoquer
ainsi ce qu’il appelle de manière
pertinente
l’horizon de sécurité
« Chaque point dangereux [tel un
croisement] doit évidemment être
couvert par deux signaux, l’un pour
la voie montante, l’autre pour la voie
descendante; la distance des deux
signaux fixes à transmission est donc
égale au double de l’
horizon de sécu-
rité.
Et quand on emploie de grands
signaux, placés à
pied d’œuvre,
c’est-
à-dire dessémaphores, les deux indi-
cateurs, affectés respectivement à
chacune des deux voies, peuvent être
installés sur un support commun. »
Il est surprenant de constater, douze
ans après, que le polytechnicien
Édouard Brame(promotion 1837), le
premier ingénieur des Ponts et
Chaussées à s’intéresser à la signali-
sation, n’accorde nulle attention à
cet enjeu de la visibilité, soucieux plu-
tôt d’évaluer la fiabilité des systèmes
de signaux en vigueur, fort variés
d’un réseau à l’autre. Ainsi rares sont
les données rappelant la hauteur
dont les variations observées auraient
pu susciter un commentaire
. Les
disques manœuvrés à la main, iné-
galement répandus sur les réseaux,
sont supportés par des tiges de 4m
[ des signaux fixes peu visibles?]
H. Fohanno/Photorail-SNCF ©
Vu de la cabine
du mécanicien,
le franchissement
du sémaphore
de Bréval (ligne de
Paris à Cherbourg).
Des mécanos
dans l’angle
mort
Tirage disponible
cf.
p. 4
Réf. 320281
Janvier 2015
Historail
enjeu de sécurité, au début des che-
mins de fer. C’est ce que nous rap-
pelle le premier best-seller ferroviaire,
« Locomotive Engine Driving »,
publié à Londres par Michael Reynolds
en 1877. Sur les lignes anglaises des
origines, à la signalisation quasi inexis-
tante, les mécaniciens devaient en
effet scruter les deux voies, afin de
pouvoir avertir les trains croiseurs en
cas de danger les menaçant. Reynolds
le rappelle en citant un vieux règle-
ment britannique du milieu du
XIX
siè-
cle:
« Quand ils vont croiser une autre
machine, les mécaniciens doivent se
tenir du côté droit de leur locomotive
dans le sens de sa marche, afin d’être
proches l’un de l’autre lors du croise-
ment, prêts à donner ou à recevoir l’in-
dication – soit que la voie qu’ils vien-
nent de parcourir est libre, – soit qu’un
train est au-devant d’eux ou qu’il existe
toute autre forme de danger. »
Tant que les machines sont courtes,
que les chaudières sont basses, coin-
cées entre les roues motrices, la vue
est largement dégagée vers l’avant.
D’autant qu’il n’existe encore aucun
abri, aucune
« lunette »
pour gêner
l’observation des signaux. C’est d’ail-
leurs cette absence qui inquiète le plus
G.Bisson, quand il publie son livre
Accidents de chemins de fer
en 1865.
Un drôle de livre, à vous dégoûter de
voyager, qui recense et illustre par
autant d’accidents réels, les mille et
une causes possibles de catastrophes
ferroviaires. Que les conducteurs ne
soient pas du meilleur côté pour
observer les signaux n’inquiète pas cet
ancien élève-mécanicien du Nord.
Pourtant, la question de la mauvaise
visibilité le taraude tout au long de
son ouvrage. Mais c’est plutôt l’ab-
sence d’abri que condamne cet
auteur décidément très angoissé.
« Ce petit appareil
(il s’agit de la tôle
de protection percée de fenêtres, ou
“lunette”,
NDLR),
sans être embarras-
sant, garantit suffisamment les
hommes, et je m’étonne que nos
compagnies n’en fassent pas l’appli-
cation; à moins que ce ne soit pour
suivre les conseils d’un ingénieur qui
disait un jour
“qu’une machine munie
de lunette garantirait trop les hommes
et ferait que, ne souffrant plus, ils
seraient susceptibles de s’endormir.”
Cet ingénieur modèle ignorait que,
lorsqu’il tombe de l’eau ou de la grêle,
ou lorsqu’il fait un grand vent, le
mécanicien et le chauffeur, pour éviter
d’être aveuglés, se cachent derrière la
chaudière. Ainsi cachés, ils ne voient
plus devant eux, et la machine peut
quelquefois aller rendre une visite
assez désagréable à un autre train
resté en détresse. »
La question de la sécurité des chemins
de fer passionne le
XIX
siècle. Mais
étonnamment, pendant des décen-
nies, personne ne va s’émouvoir de
l’emplacement aberrant des mécani-
ciens sur leurs locomotives. La littéra-
ture ferroviaire française, qu’elle soit
technique ou grand public, permet de
retracer l’histoire de cette bizarrerie
hexagonale.
Silence réglementaire
Aucune circulaire, aucune ordonnance
ou décret du ministère des Travaux
publics n’a jamais officiellement dis-
tribué les places derrière la chaudière.
Dans le
Règlement général des méca-
niciens et des chauffeurs des chemins
de fer de l’État,
tel qu’il est retranscrit
en 1883 par Emile With dans son
ouvrage
Le Mécanicien des chemins
[ des mécanos dans l’angle mort]
Dessin représentant
la locomotive 2794
qui remorquait
le rapide du soir
Paris – Granville
impliqué
dans l’accident de
Villepreux le 18juin
1910, selon
«L’illustration».
Le mécanicien
et le chauffeur, trop
occupés sur leur
machine, ne voient
pas le signal.
DR/L’Illustration
Janvier 2015
Historail
tiques aussi ont évolué à la même
période… Mais en sens inverse! En
effet, pendant les années 1860, les
chemins de fer britanniques ont vu
apparaître de plus en plus de
machines équipées de la conduite à
gauche. Une position, qui, bien évi-
demment, favorise la visibilité des
signaux quand l’épais
« fog »
envahit
les voies. La principale compagnie
écossaise, le Caledonian Railway (qui,
on l’imagine, s’y connaît en brouillard
le long du Loch Ness!), a même défi-
nitivement abandonné la conduite à
droite dès 1848, lors de la livraison
par les Fonderies Vulcan de ses puis-
santes 111 aux immenses roues qui
bouchaient la vue des mécaniciens.
L.F.E. Coombs explique que, pro-
gressivement dans la décennie 1860,
suivant l’exemple du Caledonian, le
L&NW, le Lancashire & Yorkshire, la
compagnie North British and London
et le Brighton and South Coast vont
tous basculer leurs mécaniciens du
côté gauche.
Alors qu’en France la conduite à
droite est devenue la règle, Marc de
Meulen souligne en 1889 dans son
ouvrage
La Locomotive,
les choix
inverses de plus en plus de réseaux
anglo-saxons. Après avoir présenté
une gravure illustrant l’abri d’une
machine anglaise avec conduite à
gauche, il ajoute:
« À noter
qu’en Angleterre, le poste du
mécanicien est souvent à gauche
de la plate-forme, alors qu’en
France, il est toujours à droite ».
Un peu plus loin, il confirme que
la pratique française est désor-
mais commune à tous les
réseaux… Et qu’elle n’est pas
sans demander un supplément
de concentration aux mécani-
ciens:
« Une fois en route, le
mécanicien doit se tenir à droite
de la machine, à portée des
organes de manœuvre princi-
paux: le régulateur, le volant de
changement de marche, la
manette du frein à air
(fig.38)
. Il
doit constamment inspecter la
voie devant lui, pour voir si celle-
ci n’est pas encombrée par un obsta-
cle, et veiller de très près aux signaux,
auxquels il doit obéissance passive.
(…) Il ne doit pas se contenter de
connaître les règlements et usages
de la Compagnie relativement aux
signaux, il doit encore savoir où se
trouvent ces derniers, afin de les aper-
cevoir toujours, et avant d’être immé-
diatement près d’eux. C’est le seul
moyen d’éviter les accidents graves,
surtout sur les troncs communs très
fréquentés, où les signaux des diffé-
rentes voies sont fort rapprochés et
se confondent pour un œil moins
exercé »
. En cette fin de
XIX
la question de la sécurité reste donc
au cœur de tous les ouvrages ferro-
viaires. Pourtant, à la fin des années
1870, la position des mécaniciens
s’est paradoxalement officialisée du
côté droit de leur machine. C’est
même désormais un élément carac-
téristique des chemins de fer français,
[ des mécanos dans l’angle mort]
Ci-contre:
PLM C 30
(série C 21 à C 60).
Ci-dessous: dessin
de la cabine extrait
du «Traité pratique
de la machine
locomotive…» de
Maurice Demoulin,
H. Fohanno/Photorail-SNCF ©
locomotives… presque parfaites. Car
à pleine vitesse, derrière leur foyer
débordant et leur énorme chaudière
de 9 mètres de long pour 1,35m de
diamètre, derrière la fumée crachée
par leur longue cheminée culminant à
plus de 4,20m de hauteur… le méca-
nicien n’y voit rien du tout! Si bien
qu’à peine l’Exposition universelle
close, les 32 machines suivantes de
la série (n
2643 à2675, sorties en
1902) vont être livrées avec la
conduite à gauche. Une première
dans l’histoire des chemins de fer fran-
çais,
« dans le but de faciliter aux
mécaniciens la vue des signaux »
expliquera sobrement un article paru
à l’occasion du congrès de l’Associa-
tion pour l’avancement des Sciences
tenu à Lille en 1909
En ce début de siècle, le compound
se généralise. Rapidement, toutes
les compagnies vont s’équiper de
machines construites suivant les pré-
ceptes du tandem de Glehn-du Bous-
quet. En même temps, les nouvelles
machines de tous les réseaux vont
aussi voir leur poste de conduite pas-
ser de droite à gauche. Un glissement
qui s’opère d’abord sur les locomo-
tives pour trains rapides, avant de se
généraliser à tous les engins neufs.
Ainsi, fin 1902, quelques semaines
après la mise en service des Atlantic
Nord, la SACM livre au Midi une nou-
velle fournée de 221, les machines
1901 à 1916. Seize locomotives
qui reproduisent les 2.600 du Nord à
quelques détails près, et qui permet-
tent aux mécaniciens méridionaux de
goûter à leur tour aux joies de la
conduite à gauche
. Un essai visible-
ment concluant, car ce basculement à
gauche est définitif pour le Midi. En
effet, la compagnie avait reçu de la
SACM en 1901 deux modèles de
machines pour trains de marchan-
dises, les locomotives type 140 numé-
36-
Historail
Janvier 2015
DOSSIER SÉCURITÉ
Atlantic n°908
(future 1908
PO-Midi) de la
Compagnie du Midi
au dépôt de
Bordeaux. En 1902,
le Midi passe à
gauche à son tour,
avec les Atlantic
SACM 1901 à 1916,
copiées sur
les Atlantic Nord,
et là encore,
la barre de relevage
s’efface
du flanc droit.
La 2602 Est
au dépôt
de Longueville
(série 8
).
DR/Photorail
H. Fohanno/Photorail-SNCF ©
[ des mécanos dans l’angle mort]
Janvier 2015
Historail
rotées 4001 et 4002. Ces deux loco-
motives, commandées en 1900,
avaient la conduite à droite. En 1904,
après la réception des Atlantic SACM,
la suite de cette série (n
4012), est livrée au Midi équipée de la
conduite à gauche
. On remarquera
que ces engins, comme les Atlantic
Nord, sortaient des chaînes de mon-
tage de la SACM, qui semble avoir
été véritablement à l’origine de ce
bouleversement.
En 1903, un an après les Atlantic
Midi,la Compagnie de l’Est reçoit à
son tour deux exemplaires de 221
SACM (les 2601 et 2062) et deux
machines 230 n
3101 et3102. Ces
locomotives
«s’apparentent aux com-
pound de Glehn classiques»
, rap-
pelle Lucien Maurice Vilain, et comme
elles, ces engins se conduisent à
gauche.
Le PO suit le mouvement au second
semestre 1903, avec les Atlantic 3001
à 3014qui, elles aussi, procèdent des
Atlantic Nord (en 1905, le réseau de
l’État reproduira à l’identique ces
machines). Il est intéressant de noter
qu’à l’époque la modification du
poste de conduite ne semble guère
émouvoir les ingénieurs du Matériel
et Traction. Dans la très détaillée et
très longue étude que Paul Conte,
alors
« sous-chef du matériel du che-
min de fer d’Orléans »,
consacre à ces
machines dans la
Revue générale des
chemins de fer
de juillet 1904
ne trouve pas un mot quant au pas-
sage de droite à gauche du poste de
conduite.
« Les nouvelles locomotives
compound à 4 cylindres de la Com-
pagnie d’Orléans »
sont pourtant
étudiées, décrites, mesurées, com-
mentées, sous toutes les coutures
pendant 15 pages… Mais rien sur
cette modification majeure en termes
d’ergonomie et de sécurité. La ques-
tion n’intéresse visiblement ni l’ingé-
nieur ni la revue qui publie son étude.
À l’Ouest, il faut attendre 1904 pour
que la compagnie – qui n’a pas voulu
s’équiper de machines type du Bous-
quet-de Glehn – fasse modifier les
plans de ses 230 série 2700,alors en
construction.À partir de la machine
n°2721, toutes seront montées d’ori-
gine avec la conduite à gauche
En1906, enfin, le PLMest le dernier
à abandonner la conduite à droite.
Les Atlantic n
2971 à 2990, puis
les Ten-Wheel n
2621 à 2760 sont
les premières machines du Sud-Est
à se conduire à gauche. Il est à noter
que les 20 premières 230 de même
cette série avaient reçu la conduite à
droite en 1905; elles seront modi-
fiées pour la conduite à gauche en
Fin d’une « disposition
fâcheuse »
Dès lors, plus aucune locomotive ne
sera construite en France avec la
conduite à droite.
« On s’est dit que
[le conducteur]
serait plus rapproché
des signaux en se trouvant normale-
ment sur la gauche de sa machine,
qu’il pourrait aussi plus aisément com-
muniquer avec les agents placés sur
les quais des gares ou le long des
voies: donc le mécanicien a fait, vers
la gauche, une enjambée qui paraît
logique et pourrait bien devenir défi-
nitive »
, confirme en 1904 le vulga-
risateur Max de Nansouty dans ses
Actualités Scientifiques.
Les locomo-
tives qui ont la conduite à droite sem-
blent aussitôt démodées, voire dépas-
sées et dangereuses.
« La question de
la visibilité devient de plus en plus
importante sur les types récents, et il
n’est pas impossible qu’il faille cher-
cher dans cet ordre d’idées la vraie
cause de la catastrophe de Courville
(14février 1911). La chaudière des
machines modernes est en effet tel-
lement longue qu’elle peut cacher au
mécanicien la vue de la voie dans les
courbes»,
explique en 1911 l’ingé-
nieur civil des Mines Jean Tribot-Las-
pière dans
La Locomotive moderne
Puis il ajoute que désormais, le méca-
PO Atlantic 3010
(série 3001 à 3014)
avec poste
de conduite
à gauche
(Tours, 1933).
Hermann/Photorail-SNCF ©
Janvier 2015
Historail
voyance des ingénieurs? Du conservatisme
technologique? Ou une non prise en compte
du facteur humain?
L. F. E. Coombs:
Tout d’abord, il faut bien
comprendre que sur les locomotives, tant
que le changement de marche est resté un
long levier qui exigeait une forte traction ou
une forte poussée pour être manœuvré, la
majorité des mécaniciens –qui pour la plu-
part étaient droitiers– préférait se tenir à
gauche de ce manche afin de manœuvrer le
changement de marche de leur bras droit,
qui était leur bras le plus fort. Ils se tenaient
donc naturellement à droite de la plate-
forme, le levier de changement de marche
sur leur droite. Pour autant, le conservatisme
technologique n’est pas non plus à minorer.
Il peut avoir été un facteur important en
matière d’évolution –ou de non-évolution–
des locomotives à vapeur, comme il l’a été
dans toutes les interfaces homme-machine,
y compris les automobiles. Savez-vous pour-
quoi le métro parisien roule à droite et non à
gauche, comme d’ailleurs tous les véhicules
en France (avec pour le métro, c’est à noter,
le poste de conduite à droite, et non à
gauche, comme on aurait pu s’y attendre)?
Sachez que si vous roulez aujourd’hui encore
du côté droit, c’est à la suite d’un décret de
Robespierre, repris par Napoléon 1
, et tou-
jours en vigueur! (Une bonne illustration du
conservatisme technologique). Cette déci-
sion « révolutionnaire » s’est ensuite répan-
due pendant l’Empire dans toute l’Europe
sous domination Française, et elle y perdure
encore…
G.D.:
Pourquoi la locomotive à vapeur est-
elle restée si longtemps à l’écart des progrès
ergonomiques qui ont pourtant amélioré les
autres véhicules au fil du temps? Doit-on
considérer la plate-forme des machines à
vapeur comme une illustration du manque
total d’intérêt des ingénieurs pour l’ergono-
mie?
L. F. E. Coombs:
Les ingénieurs qui conce-
vaient les plates-formes des machines et les
instruments de conduite des locomotives au
XIX
et au
siècle avaient tendance à consi-
dérer que ce qui avait été bon dans le passé
était, après tout, bien suffisant pour le pré-
sent. De plus, cette attitude était renforcée
par le besoin d’utiliser, autant que possible,
des instruments de contrôle existant déjà,
afin d’éviter d’avoir à mettre au point de
nouvelles commandes…
Pour autant, dire que les ingénieurs en
charge des études et de la conception des
locomotives faisaient montre d’un manque
total d’intérêt pour les questions ergono-
miques serait trop simplificateur. D’abord, et
ce jusqu’à la fin de la traction vapeur, il faut
bien comprendre que les ingénieurs de ces
temps-là n’avaient guère de préceptes ergo-
nomiques auxquels se référer. Mon article
de 1973
« L’ergonomie de la locomotive à
vapeur »
dans la revue
Applied Ergonomics
est l’un des tout premiers sur le sujet! Tout
au long des 150 années qu’a duré le règne
de la traction vapeur, c’était aux équipes de
conduite de s’adapter aux instruments de
contrôle et non l’inverse. Les commandes
n’étaient pas conçues en pensant aux
hommes qui allaient les utiliser. En effet, il
est important de savoir que les commandes
étaient alors installées, avant tout, en fonc-
tion de considérations mécaniques. Par
exemple, différents leviers auraient pu être
placés dans l’abri de manière plus ergono-
mique, afin qu’ils soient plus aisément acces-
sibles à la main du mécanicien. Mais si cette
modification entraînait la moindre compli-
cation mécanique pour relier la commande à
l’organe qu’elle contrôle, elle n’avait aucune
chance d’être adoptée. Une observation vala-
ble pour toutes les machines conçues pen-
dant l’ère victorienne. Le poste de conduite
de la locomotive à vapeur n’a reçu ni plus, ni
moins d’attention que les autres engins
conçus à la même époque.
N’oubliez pas que l’ergonomie a commencé
à ne devenir un sujet de préoccupation que
pendant les années 1940. Avant cette
période, vous aurez bien du mal à trouver ne
serait-ce que quelques mots sur le sujet, et
encore moins sur « l’ergonomie » en tant
que telle! Personnellement, c’est pendant la
Seconde Guerre mondiale que la RAF m’a
demandé de travailler à l’amélioration de la
position des instruments et des commandes
dans les cockpits des avions de guerre. C’était
très pionnier, et à cette époque, je n’ai trouvé
aucun livre, aucun article auquel me référer…
G.D.:
Justement, que peut-on apprendre
de la comparaison entre l’évolution des
postes de conduite des locomotives à vapeur
et celle des cockpits d’avion, sur lesquels
vous avez beaucoup travaillé?
L. F. E. Coombs:
C’est très simple. En l’air, la
moindre erreur ergonomique peut avoir des
conséquences catastrophiques… C’est beau-
coup moins le cas sur une machine à vapeur!
Avec les locomotives, la technologie était
relativement simple et ne présentait guère
de risques d’erreurs de conception aux
conséquences gravissimes. Le principal enjeu
ergonomique était simplement de s’assurer
que l’équipe de conduite voyait correctement
vers l’avant, afin d’interpréter et d’agir en
fonction des indications données par les
signaux le long des voies.
G.D.:
Revenons aux locomotives. Pouvez-
vous nous donner quelques exemples d’er-
reurs de conception qui ont eu la vie dure
sur les machines à vapeur et qui, pour vous,
relèvent de véritables « horreurs ergono-
miques »?
L. F. E. Coombs:
Des monstruosités ergo-
nomiques, il y en a eu beaucoup sur les
machines à vapeur! Par exemple, la combi-
naison admission variable/changement de
marche, un appareil qui sur beaucoup de
machines britanniques prenait une place
considérable et qui exigeait du mécanicien
une position vraiment inconfortable, ainsi
que je l’ai souligné dans mon article de 1973.
[Pour vous rendre compte, essayez de vous
tenir en équilibre avec le buste plié en deux
sur le côté et un bras tendu vers le régula-
teur! (NDLR)]
Il y avait aussi les portes de
foyer installées parfois trop haut, parfois trop
bas, ce qui ajoutait encore à la fatigue du
chauffeur… Je pourrais aussi évoquer les
robinets, les valves d’urgence inaccessibles
ou encore le régulateur, qui était parfois bien
difficile à atteindre sur les machines britan-
niques, et qui demandait beaucoup d’efforts
pour être ouvert ou fermé… À ce sujet, je
n’ai toutefois pas trouvé trace d’aussi mau-
vaise conception dans la littérature technique
française. Mais ça ne signifie pas qu’il n’y en
a pas eu! Toutefois, même si le régulateur
pouvait être difficile à atteindre et à manœu-
vrer, ce n’était pas un appareil qui deman-
dait des ajustements très fréquents. Comme
vous le savez, habituellement, la manière la
plus efficace pour régler la marche d’une
locomotive était de rouler régulateur grand
ouvert, tout en jouant sur l’admission varia-
ble, afin d’ajuster vitesse ou puissance selon
le profil et la nature du train à tirer. D’ailleurs,
les lecteurs de
La Bête humaine,
le roman
de Zola, ont sans doute noté que Lantier, le
mécanicien de
La Lison
, tenait la plupart du
temps sa main sur le changement de marche
et rarement sur le régulateur.
G.D.:
En France, à partir de 1902, après la
livraison des Atlantic Nord et Midi, le poste
de conduite des locomotives à vapeur est
systématiquement déplacé du côté gauche
de l’abri. Bien sûr, aujourd’hui, on peut jus-
tifier cette évolution
a posteriori
par l’allon-
gement des chaudières, par la prise de
conscience que la vapeur et la fumée
gênaient la vue vers l’avant… Mais à
l’époque, qu’est ce qui a emporté la déci-
sion ?
L. F. E. Coombs:
Je ne peux pas vous donner
de réponse certaine quant à la décision fran-
çaise de standardiser la conduite à gauche
(LHD).
Ce qui est sûr, c’est que ça n’a pas pu
venir de l’influence britannique! Car à
l’époque, on trouvait au Royaume-Uni des
chemins de fer aussi bien avec la conduite à
droite
(RHD),
qu’avec la conduite à gauche
(par exemple le LNWR).
En Grande-Bretagne,
des locomotives nouvelles ont été construites
avec la conduite à droite jusque dans les
années 1950.
G.D.:
Dans votre ouvrage
Footplate and
Signals,
il est très intéressant de découvrir
aussi qu’au
XIX
siècle, les chauffeurs et les
mécaniciens britanniques n’ont pas du tout
apprécié l’installation d’abris sur leurs
machines. Comment expliquer qu’ils préfé-
raient leurs abris précaires et mal conçus
aux cabines bien fermées? Y a-t-il eu de
semblables plaintes en France à la même
époque ?
L. F. E. Coombs:
Dans mes lectures, je n’ai
trouvé aucune trace de plaintes des équipes
de conduite françaises contre l’installation
d’abris sur leurs machines. Mais pour bien
comprendre ces préventions, n’oubliez pas
qu’au
XIX
siècle les premières locomotives
ne brûlaient pas du charbon, mais du coke.
Et le coke, lui, dégage des gaz mortels en
brûlant. En conséquence, tant que les
machines ont brûlé du coke, un abri trop
fermé n’était pas souhaitable. Il faut aussi,
sans doute, prendre en compte une fois
encore l’influence de l’exemple routier. À
cette époque, les cochers ne menaient-ils
pas leurs chevaux depuis des postes de
conduite où ils étaient exposés aux caprices
du temps? Pourquoi en aurait-il été diffé-
remment des mécaniciens?
G.D.:
Vous soulignez encore dans votre
ouvrage qu’avec les travaux de Sauvage, puis
surtout de Chapelon, s’est développée en
France une conduite des locomotives à
vapeur plus scientifique que celle qui avait
cours en Grande-Bretagne. Cette approche
française a-t-elle eu des conséquences sur la
44-
Historail
Janvier 2015
À droite avec Zola?
Ou à gauche avec Renoir?
C’est une scène devenue mythique. La séquence d’ouverture de
La Bête
humaine
, le film de Jean Renoir. En gros plan d’abord, il y a le foyer, la pelle
qui charge. Puis Gabin, à gauche de l’écran, aux commandes de sa machine.
À l’écart, derrière lui, courbé en deux pour mieux enfourner le charbon,
Carette joue le chauffeur. La Pacific Ouest file dans la campagne normande.
Le mécanicien est son poste, à gauche de la plate-forme, bien sûr. Le buste
passé au travers de la fenêtre pour mieux voir les signaux implantés le long
des voies. Passe un tunnel, puis une gare… Un peu avant l’entrée d’une courbe,
Gabin se tourne vers son compagnon. D’un geste, montrant ses yeux,
il ordonne à Carette de chausser les lunettes pour, à son tour, surveiller les mâts
d’avertissements, devenus invisibles le temps d’une courbe. Le compagnon
s’exécute. Un coup d’œil hors de l’abri, la voie est libre. Une scène essentielle
pour sceller l’indispensable complicité entre Lantier et son chauffeur Pecqueux.
Une scène qui n’avait pourtant pas été écrite par Zola. Car dans le roman
ferroviaire des Rougon-Macquart, Lantier est à droite de sa machine,
et Pecqueux à gauche. Renoir tournait au
siècle, Zola écrivait au
XIX
« Sur
La Lison
, Jacques, monté à droite, chaudement vêtu d’un pantalon
et d’un bourgeron de laine, portant des lunettes à œillères de drap, attachées
derrière la tête, sous sa casquette, ne quittait plus la voie des yeux, se penchait
à toute seconde, en dehors de la vitre de l’abri, pour mieux voir »
, écrit Zola
au chapitreV de
La Bête humaine. « Rudement secoué par la trépidation,
n’en ayant même pas conscience, il avait la main droite sur le volant
de changement de marche, comme un pilote sur la roue du gouvernail;
il le manœuvrait d’un mouvement insensible et continu, modérant, accélérant
la vitesse; et, de la main gauche, il ne cessait de tirer la tringle du sifflet,
car la sortie de Paris est difficile, pleine d’embûches »
Entre 1890 et 1938, le mécanicien a changé de place dans les abris. Mais qu’il
soit du mauvais côté sur sa 120 Ouest, ou rendu aveugle par la haute cheminée
et la longue chaudière de sa Pacific, la question de la visibilité des signaux reste
une des principales difficultés du métier de Lantier.
Gilles Delbos
1. Émile Zola,
La Bête humaine
, Fasquelle, 1890, p.167.
DOSSIER SÉCURITÉ
Janvier 2015
Historail
manière dont les instruments de conduite
étaient installés à bord des machines?
L. F. E. Coombs:
D’abord, il faut bien noter
que Chapelon ne fait aucune référence par-
ticulière aux inconvénients de la fumée, de la
vapeur et des longues chaudières sur le tra-
vail du mécanicien. Les méthodes de
conduite françaises, plus scientifiques que
l’approche britannique, exigeaient quelques
appareils de contrôle supplémentaires.
[Selon
L. F. E. Coombs, les techniques de conduite
anglaises étaient essentiellement basées sur
les « essais et les erreurs », sur le savoir-faire
de chaque équipe. Pour lui, l’art de la
conduite a beaucoup moins été théorisé par
les ingénieurs au Royaume-Uni qu’en France.
(NDLR)].
Ces instruments plus « scienti-
fiques » d’usage courant en France étaient
par exemple les régulateurs compound et les
changements de marche BP et HP, des mano-
mètres supplémentaires indiquant la pres-
sion dans la chaudière mais aussi dans les
tiroirs de distribution, autant d’appareils qui
n’étaient généralement pas installés sur les
machines anglaises. En dehors de ces
quelques exceptions, les principaux instru-
ments de contrôle étaient généralement ins-
tallés sur les machines aux mêmes endroits
dans les deux pays.
En revanche, question confort, il faut bien
constater que les plates-formes de conduite
françaises étaient beaucoup moins profondes
que celles des machines britanniques. Les
cabines anglaises étaient en général bien plus
spacieuses que les vôtres, notamment en
longueur, de l’avant vers l’arrière. C’est pour-
quoi, je pense, sur tant de vos locomotives,
le mécanicien devait se tenir debout, tout
simplement parce qu’il n’y avait pas assez
de place pour l’asseoir.
G.D.:
En tant qu’ergonomiste, vous avez
fait carrière dans l’aéronautique et particu-
lièrement travaillé dans l’aménagement des
cockpits d’avion. Pourquoi, en 1973, avez-
vous choisi de publier un article sur l’ergo-
nomie des locomotives à vapeur, alors que
l’ère de ces machines était en train de se
clore définitivement ?
L. F. E. Coombs:
J’ai en effet surtout œuvré
dans la sécurité aérienne. Mais en tant que
psychologue et ergonome, je me suis parti-
culièrement intéressé à l’utilisation et à l’em-
placement des commandes de tout type de
véhicule, qu’il soit contemporain ou venant
du passé. En ergonomie, mon domaine de
recherche particulier était précisément l’étude
de l’influence de la latéralisation humaine
sur la conception et la conduite des véhi-
cules.
Cet article de 1973 dans la revue
Applied Ergonomics
était en fait un extrait
de ma thèse de doctorat, qui portait sur ce
que j’ai appelé
« l’ergonomie rétrospective ».
Dans les années 1970, j’ai tenté d’imposer
ce nouveau domaine de recherche à l’uni-
versité… Malheureusement, la crise écono-
mique mondiale qui a frappé à cette époque
en a décidé autrement! Cet article était en
fait une branche de mon thème principal de
recherche. Je voulais établir les origines des
instruments de contrôle des véhicules d’au-
jourd’hui, et la locomotive à vapeur était pour
moi un cas d’école intéressant… Mais j’ai dû
attendre 2009 pour enfin trouver un éditeur
qui accepte de publier ce livre!
Pour terminer, il me faut dire ici combien
j’admire, non seulement la haute technologie
qui était installée sur les vapeurs françaises,
mais aussi la formation, l’entraînement, de
leurs équipes de conduite. En effet, comme
nulle part ailleurs, les mécaniciens et les
chauffeurs français ont su tirer de leurs
engins des performances exceptionnelles
tout en consommant peu d’eau et de char-
bon, en faisant l’heure, et en maintenant
une exploitation fluide. Je tenais vraiment à
le souligner.
Propos recueillis et traduits
par Gilles Delbos
La cabine d’une 230
«Star» du GWR.
Sur ces machines
anglaises,
la disposition
particulièrement
malheureuse
des instruments
de conduite imposait
au mécanicien
une position très
désagréable.
(Extrait de
Footplate
and Signals
/dessin
de L. F .E. Coombs)
Janvier 2015
Historail
politain de Paris sont en partie dérivées
du tramway dont elles reprennent les
courtes caisses en bois montées sur
essieux. À la manœuvre, le conducteur
dispose d’une «loge de conduite»
(terminologie métro) où toutes sortes
d’équipements électriques doivent éga-
lement trouver place. Ses commandes
sont assez basiques et se rapprochent
là aussi en partie du tramway urbain,
roulant comme lui à droite. Si les pre-
mières motrices disposent d’une dou-
ble-fenêtre, le conducteur pour sa part
est soigneusement rangé à droite du
côté de la signalisation. Sur sa gauche,
l’appareillage électrique occupe une
bonne part de l’espace de la loge.
Cette disposition est directement ins-
pirée du sens de circulation des trains.
À Paris, le métro roule à droite, sans
doute pour s’éloigner encore un peu
plus du «grand chemin de fer» dont
il entend se protéger. L’arrivée des séries
plus modernes comme les Sprague va
confirmer cette disposition.
En 1910, le concurrent du métro,
le Nord-Sud, va adopter lui aussi la
circulation à droite avec une position
à droite du conducteur. La vitre sur
le côté gauche de la motrice n’aura
au final qu’un rôle secondaire.
Si dans les premiers matériels, le métro
va se doter de grandes loges, pour
laisser comme on l’a vu la place à des
équipements électriques, l’apparition
dans les séries suivantes de courtes
loges ne va pas modifier la place du
conducteur de train. Cette position
excentrée va même se confirmer avec
l’apparition des rames Z sur la ligne
de Sceaux exploitée par la CMP à par-
tir de 1937. Sur ce nouveau matériel
à grand gabarit où la circulation se
fera toujours à gauche, la position du
conducteur est reportée sur ce même
côté gauche, dans une étroite cabine
de conduite. Là encore, il faut être du
même côté que la signalisation et
du quai lors des arrivées en stations
pour faire face à tout imprévu.
Cette règle bien établie va changer
après la Seconde Guerre mondiale
quand un nouveau matériel roulant
va arriver en 1952 sur le métro. Les
rames articulées destinées à la ligne
13 se veulent résolument modernes.
Leurs lignes arrondies, le principe de
l’articulation ou encore l’attelage
permettant d’adapter la longueur des
rames selon l’affluence sont autant
de signes d’une nouvelle approche du
matériel roulant. Le conducteur quant
à lui va trouver à cette occasion une
place centrale dans la cabine dotée
pour l’occasion d’un pare-brise offrant
une vision élargie sur la voie. Cette
disposition sera par la suite déclinée
sur l’ensemble des matériels roulants
mis en service sur le métro, en parti-
culier les nouvelles rames MP55 qui
arrivent sur le réseau en 1956.
Une parenthèse tout de même avec
la motrice MP51. Ce matériel expéri-
mental qui a servi à mettre au point le
nouveau matériel sur pneus est quant
à lui doté d’une cabine excentrée.
Comme sur les Sprague, le conduc-
teur se place à droite de la motrice,
le côté gauche faisant partie de l’es-
pace voyageurs. Cette disposition est
sans doute liée au caractère expéri-
mental du MP51 puisque sa mise en
circulation va coïncider avec celle du
matériel articulé qui adopte des
dimensions de cabine bien plus géné-
reuses. À l’exception de ce matériel,
toutes les rames de métro conserve-
ront par la suite une large cabine à
commande centrale.
Côté RER, la circulation à gauche s’ap-
pliquera à toutes les lignes qui voient le
jour à partir de décembre1969, avec
un conducteur placé au centre de la
cabine, reprenant la norme désormais
en vigueur sur le métro et les matériels
modernes de chemin de fer.
Philippe-Enrico Attal
La place du conducteur va évoluer à mesure que
de nouvelles séries plus modernes apparaissent.
Ci-dessus,
de gauche à droite:
le matériel articulé,
ici à la réserve de la
RATP, est le premier
à disposer d’une
cabine de conduite
à position centrale,
le 10février 2014;
sur le tramway
parisien vu à la
réserve de la RATP,
on devine
les commandes
à gauche (dans le
sens de circulation),
le 25juin 2013.
(Photos:
Ph.-E. Attal)
48-
Historail
Janvier 2015
DOSSIER SÉCURITÉ
Villepreux, Courville, Melun, autant de noms
qui évoquent en ce début de XX
siècle une série
d’accidents ferroviaires impliquant des locomotives
de vitesse. (Photos DR/Photorail-SNCF ©)
Une série noire d’accidents:
des catastrophes révélatrices?
En 1910, une série noire d’accidents survient sur le réseau de l’Ouest-État: Villepreux,
Saujon, Bernay, Sablé, Villepreux à nouveau, les Maures, Courville, totalisant plus
de cent victimes. Évidemment, cette série exceptionnelle soulève un débat politique: la
Compagnie de l’Ouest ayant été rachetée par l’État en 1908, ces accidents ne seraient-ils
imputables à l’héritage catastrophique légué par cette compagnie, qui aurait négligé
tout investissement de modernisation, consciente de son destin fixé? On n’hésite pas
à qualifier cet héritage de « réseau rouge » ou « sanglant »! Plus concrètement, c’est
le défaut d’adéquation des anciens systèmes de signaux avec les nouvelles locomotives
de vitesse de l’Ouest-État qui va être révélé. Intéressons-nous précisément à ceux de ces
accidents qui ont mis en cause ce défaut. Tout comme les débats parlementaires qu’ils
suscitent, la presse constitue bien une source privilégiée d’informations. Extraits choisis…
Janvier 2015
Historail
Villepreux: des signaux
peu visibles depuis
les nouvelles machines
de l’Ouest-État?
Le samedi 18juin 1910, vers 18h, en
gare de Villepreux (Seine-et-Oise), sur
la ligne de Saint-Cyr à Dreux, l’express
de Granville dont le mécanicien n’a
pas vu les signaux à l’arrêt, vient rat-
traper un train immobilisé en gare
pour avarie. On comptera 28 morts.
Le mécanicien Leduc, 36 ans, en tête
de l’une des Ten-Wheel récemment
mises en service s’exprime ainsi:
« J’ai
été prévenu au départ de Paris que le
train omnibus me précédait avec 45
minutes de retard. Mais j’étais loin de
me douter qu’il était en panne à la
gare de Villepreux. Je croyais avoir
encore 20 à 25 minutes devant moi.
J’étais occupé à arranger ma machine.
Je n’ai aperçu aucun des signaux pro-
tégeant le train omnibus. Ce n’est
qu’en arrivant sur la gare que j’ai vu
les feux rouges du fourgon de queue.
J’ai aussitôt serré tous les freins et ren-
versé la vapeur, mais il était trop tard.
Une collision terrible se produisit. La
locomotive tomba sur le côté, nous
entraînant mon chauffeur et moi sous
elle. »
Ouest-Éclair,
21juin 1910).
Le président de l’ancienne Compa-
gnie de l’Ouest Gay et son directeur
de Larminat remettent aux enquêteurs
une note exonérant leur compagnie:
« La machine du train tamponneur
avait été livrée à la fin de 1908.
L’Ouest racheté le 1
janvier 1909 ne
peut donc être rendu responsable ni
de sa mise au point, ni d’un défaut
d’entretien »
; quant à la machine très
ancienne du train tamponné, datant
en effet de 1867,
« elle se trouvait en
parfait état au moment du rachat,
attendu que, pendant les 18 mois de
services qui ont précédé l’accident,
elle n’a pas eu une seule détresse. »
Ouest-Éclair,
25juin 1910).
Leduc se voit inculpé de blessures par
imprudence et pour inobservation des
règlements. Diverses dépositions sont
faites auprès du procureur de Ver-
sailles que rapporte la presse (
Ouest-
Éclair,
20, 22janvier 1911). Ainsi son
interrogatoire sur la visibilité du disque
rouge:
« – Le disque était à 1880 m de la
gare, on pouvait le voir à 500m.
– On ne pouvait le voir qu’à 350m
et à petite vitesse. Le signal de Ville-
preux est d’ailleurs mal placé; il se
confond avec le tablier du pont.
– On ne s’est jamais plaint qu’il eût été
mal placé. Vous-même n’avez jamais
dit à vos chefs qu’il y avait danger.
– En tout cas, on ne connaît jamais
assez bien une ligne de chemin de fer.
– C’est une bonne parole. Vous pré-
tendez encore avoir été gêné par la
fumée. Mais un autre mécanicien
vous donne un démenti à ce sujet.
Elle ne venait que de l’arrière.
– La fumée venait non de la chemi-
née mais du foyer.
– En tout cas le disque était fermé.
– Je ne l’ai pas aperçu à cause de la
vapeur de mon injecteur, de la fumée
du foyer et du soleil, qui était dans la
tranchée. »
« Le président reproche assez sévè-
rement à l’inculpé ce système de
défense au sujet de la réparation de
l’injecteur: cette réparation n’était pas
urgente, puisqu’il y avait un autre
injecteur qui aurait pu servir. Leduc
répond que cette opération était
absolument nécessaire. Jamais un
mécanicien ne doit être exposé à
manquer d’eau. Enfin il fait grief à
Leduc de ne s’être pas arrêté au
drapeau rouge porté par le chef
d’équipe. Leduc répond que l’arrêt
instantané à cet endroit n’était pas
possible… »
Convoqué, Beaugey, le directeur des
chemins de fer de l’État
« n’a pas
Villepreux-
les-Clayes –
18juin 1910.
L’express 477
en direction
de Granville est
arrivé à toute
vapeur sur un train
omnibus arrêté
en gare. Les deux
convois ont presque
entièrement
été détruits par
la collision
ou les flammes.
Le bilan
de la catastrophe
est de 16 morts
et de nombreux
blessés.
DR/Photorail-SNCF ©
ce pilote aurait suppléé le chauffeur
et le mécanicien qui n’ont pas pu voir
les signaux. Placé en avant, n’ayant
qu’à veiller, il eût averti.
«Il n’y a pas de règlement qui m’em-
pêchera de dire au ministre: n’em-
ployez pas de machines inutilisables
dans les conditions où vous entendez
vous maintenir.»
Puis, à la Chambre des députés, le
10mars, de longs débats s’engagent
à nouveau. Le député de droite du
Calvados, Fernand Engerand, va
croiser le fer avec le ministre radical-
socialiste Charles Dumont, pointant
«terrible Pacific »
qui avait obligé le
mécanicien à un
« va-et-vient dange-
reux »
sur sa plate-forme.
Fernand Engerand –
«Prenons
Courville. Qu’y voyons-nous! Nous
trouvons deux trains de marchandises,
dont l’un avait quatre heures de retard
et l’autre une heure de retard. Nous
trouvons un train de voyageurs, le
513, dont l’horaire avait été relevé par
la direction de l’État de 25%; nous
trouvons également une machine
redoutable, la Pacific, une machine
dont la disposition même empêche la
visibilité des signaux, cela est prouvé,
une machine sur laquelle le mécani-
cien est à la hauteur de la cheminée,
de façon que le vent lui rabat la
fumée dans les yeux, une machine où
les organes de commande sont pla-
cés à gauche, au lieu de l’être à droite,
alors que les signaux sont à droite
(sic),
ce qui oblige le mécanicien à un
va-et-vient dangereux pour la surveil-
lance de la voie. Voilà en ce qui
concerne la machine.
«En ce qui concerne le signal, j’avais
dit dans une lettre rendue publique,
qu’on avait reconnu que le signal de
Janvier 2015
Historail
[ une série noire d’accidents: des catastrophes révélatrices?]
Courville –
14février 1911.
La Pacific
de l’express Paris –
LeMans couchée
sur la voie après
avoir heurté un train
de marchandises
manœuvrant
en gare (en haut).
La fumée de la 231-
035 de l’État avait
empêché la visibilité
des signaux.
DR/Photorail-SNCF ©
Courville se déplaçait sous l’action des
grands vents de la Beauce, qu’il était
arrivé que de lui-même, il se mit à la
voie libre. Le fait s’était en effet pro-
duit et on avait appelé l’attention sur
le danger d’un tel signal. Des répara-
tions y ont été faites; une réparation
insuffisante, il y a quatre ans je crois,
et une réparation nouvelle en 1909;
on a essayé de stabiliser le signal par le
moyen de cocardes à volets. Il n’en
est pas moins vrai que la hauteur du
signal était insuffisante et la disposi-
tion même ne rendait que très fugace
le degré de visibilité pour le mécani-
cien. Voilà pour le signal.
«Que voyons-nous à la gare? Un
malheureux chef de gare que l’on a
accablé de paperasseries, un chef de
gare qui est peut-être obligé de four-
nir par jour 15heures de travail et qui
dans le même temps doit garer deux
trains de marchandises, assurer le pas-
sage d’un rapide, couvrir sa voie, rece-
voir un train de voyageurs et distri-
buer les billets.
«Et bien! Je vous le
demande, qui va-t-on
rendre responsable
d’une catastrophe
pareille? Est-ce ce
malheureux qui, dans un moment de
défaillance, a déclenché la catas-
trophe, ou est-ce l’administration
imprudente qui, par son incurie, a
rendu la catastrophe inévitable?»
(Applaudissements.)
(…)
Le ministre des Travaux publics
Charles Dumont –
« En ce qui
concerne Courville, considé-
rant que la question des
signaux est de premier
ordre, j’ai depuis quelques
jours, avec mes collabora-
teurs techniques, avec le
directeur de l’administration
des chemins de fer de l’État,
étudié de très près les circons-
tances de cet accident. Nous
avons cru que des réformes immé-
diates pouvaient être apportées (…).
«Le récit de l’accident a été fait. Il
est fort simple. (…) Le chef de gare,
très occupé, laissa au facteur-chef le
soin d’assurer les manœuvres. L’ins-
truction générale interdit aux agents
de laisser engager les voies principales
cinq minutes avant l’arrivée d’un train
attendu sur ces voies,
“à moins,
dit
l’instruction,
qu’il y ait urgence abso-
lue”
. Dès que j’ai pris connaissance
de cette instruction, j’ai immédiate-
ment demandé autour de moi ce que
signifiaient ces mots:
“en cas d’ur-
gence absolue”
. (…) Il m’a paru indis-
pensable d’apporter une modifica-
tion importante à l’instruction
générale. J’ai demandé immédiate-
ment s’il n’apparaissait pas que les
mots
“en cas de péril imminent pour
les convois en gare“
constituaient une
expression plus juste et délimitant
plus exactement le cas extrême dans
lesquels il était permis d’ouvrir à une
manœuvre les voies principales.
« En conséquence, une première déci-
sion a été prise. Seront rayées des ins-
tructions générales ces expressions
équivoques qui, s’adressant à des
agents, peuvent laisser place à l’inter-
prétation. Il sera entendu dorénavant,
sur le réseau de l’État, comme sur les
autres réseaux, que les voies princi-
pales ne pourront jamais être enga-
gées au moment de l’arrivée des
trains attendus, que dans les seuls cas
d’un danger imminent, incendie,
rames de wagons en dérive menaçant
les convois en gare, c’est-à-dire dans
des cas excessivement rares.»
(…)
« Dans la question des signaux en
gare de Courville, il y a une chose qui
est infiniment plus grave, c’est la
caractéristique, la physionomie même
du block-system sur cette partie du
réseau. Alors que tous les réseaux, y
compris celui de l’État, ont, pour per-
mettre de les voir de loin, des séma-
phores élevés, atteignant jusqu’à 9
mètres, sur cette partie de l’ancien
réseau de l’Ouest, les mâts carrés de
block atteignent à peine 3,25m de
hauteur, de telle façon que lorsque le
signal est baissé, les deux feux blancs
du signal sont sensiblement à la hau-
teur des feux de certaines machines.
Nous avons donc prescrit immédiate-
ment que partout où nous aurons à
transformer le système du block – et
cela le plus tôt possible –, nos séma-
phores devront présenter la même
hauteur que ceux des autres réseaux.
Il y a là un lourd arriéré que nous a
laissé l’ancienne compagnie de
l’Ouest; il y a tout un matériel que
nous devons rapidement transfor-
mer.» (…)
« Les blocks de l’ancien Ouest placés
à 3 mètres de hauteur pouvaient suf-
fire lorsque les machines marchaient
à une vitesse de 40, 50km à l’heure,
lorsque la chaudière étant courte, la
cheminée haute, et le mécanicien
placé plus près de la cheminée, celui-
ci n’avait pas à redouter l’enveloppe-
ment de son abri par
des panaches de
fumée et de vapeur.
[Tout diffère] avec les
locomotives du type
Pacific, type qui ne
comprend pas seulement des
machines récentes commandées par
la nouvelle administration mais aussi
des machines de type antérieur com-
mandées par le réseau de l’Ouest…
L’ancien réseau de l’Ouest n’avait que
deux de ces machines aux caractéris-
tiques suivantes: la chaudière est très
longue et très haute, la cheminée,
dès lors, est très courte et placée loin
du mécanicien dont la cabine se
trouve ainsi plus exposée aux rabat-
tements de vapeur et de fumée: les
conditions de visibilité deviennent
donc plus précaires. Ce n’est pas là
une constatation spéciale au seul
réseau de l’État, elle s’applique éga-
lement aux autres. Aussi, n’est-ce pas
sans raison que les mécaniciens
demandent depuis des années aux
compagnies de faire placer sur la
machine un signal répétiteur des
signaux libres de la voie. »
52-
Historail
Janvier 2015
DOSSIER SÉCURITÉ
«Il y a là un lourd arriéré que nous
a laissé l’ancienne compagnie de l’Ouest»
Charles Dumont,
ministre des Travaux
publics en 1911.
(DR)
Janvier 2015
Historail
Enfin le ministre intervint sur la ques-
tion de l’ambiguïté des feux vus:
« Sur la locomotive Pacific, le méca-
nicien est à son poste à gauche de
la machine; il est enveloppé d’un
nuage de fumée. Que fait-il? Il me
l’a déclaré de la façon la plus nette:
“Je me suis,
dit-il,
porté à droite, j’ai
vu un feu blanc; je n’avais pas
encore vu de signal; j’ai cherché à le
voir. J’ai cru que c’était le signal,
c’était malheureusement le feu d’un
train passant de la voie de Paris sur la
voie de garage contiguë à l’autre
voie. Tout feu blanc de ce côté m’a
paru être un feu de signal libre
puisqu’il était sur la voie où je mar-
chais.“
(…) Voici dix ans que cela
dure. On ne s’est pas assez rendu
compte qu’un block-system de
3 mètres de hauteur, au niveau des
réverbères des gares, au niveau
des machines qui passent, créait la
confusion des signaux par l’égalité
des hauteurs, et que dans ces condi-
tions, il était étonnant que des inci-
dents plus nombreux ne se soient
pas produits. »
À chaud, le ministre Dumont
allait signer une série d’oppor-
tunes circulaires au printemps
1911:
suite à l’accident de Courville,
comme dit ci-dessus, une
fameuse première circulaire
du 15mars allait régir les
manœuvres dans les gares;
le 21mars, une seconde circulaire
vient rappeler que
« le moment
paraît venu de commencer à appli-
quer la répétition des signaux sur
les locomotives des trains rapides
qui circulent sur les lignes à forte
fréquentation. »
À chaque compa-
gnie, il est demandé de
« choisir
définitivement »
les appareils qui lui
paraîtront devoir être adoptés sur
son réseau et de proposer un pro-
gramme d’installation sur certaines
lignes
« pour l’hiver prochain »
le 5mai, suite à l’accident de Ber-
nay, le ministre rappelle aux com-
pagnies l’ancienne circulaire du
18mars 1901 soulignant
« les dan-
gers qu’il peut y avoir à faire entrer,
dans la composition des trains de
voyageurs à marche rapide, des
véhicules hétérogènes, c’est-à-dire
présentant entre eux des différences
notables au point de vue du poids,
du nombre, de l’écartement des
essieux, de la résistance du châssis,
etc. »
Démarche que devrait faciliter
« l’augmentation progressive de
votre parc de matériel de vitesse »
insiste le ministre…
L’accident tragique de
Melun: les Pacific du PLM
à leur tour incriminées
Mardi 4novembre 1913, 21h25: le
rapide numéro2, parti de Marseille à
11h32 du matin et qui devait arriver
à Paris à 22h15 du soir, est pris en
écharpe par le train postal 11 qui avait
[ une série noire d’accidents: des catastrophes révélatrices?]
Melun –
4novembre 1913.
Le rapide
en provenance
de Marseille a été
heurté de front par
le train postal n°11.
C’est le mécanicien
de ce dernier train
qui aurait brûlé
des signaux, gêné
dans sa conduite
par le rabattement
de la fumée.
Ci-dessus, la Pacific
PLM 6102 impliquée
dans l’accident.
DR/Photorail-SNCF ©
[ une série noire d’accidents: des catastrophes révélatrices?]
Janvier 2015
Historail
pement et la Compagnie fait
construire dans ses ateliers un dispo-
sitif d’échappement appelé à réaliser
une sensible amélioration. »
Du coup, 22 mois après, alors que
Compagnie PLM reconnaissait elle-
même que des modifications impor-
tantes devraient être apportées à
ses machines »
« sur la Pacific que
conduisait [à Melun] le mécanicien
Dumaine, la cheminée n’avait toujours
pas été transformée »
, pouvait accu-
ser
L’Humanité!
L’ingénieur du
ntrôle dut s’expliquer à nouveau
auprès de Colly:
« Il m’a été signalé récemment que
les panaches de fumée sortant des
cheminées de ces nouvelles machines
(Pacific) faisaient parfois obstacle à la
bonne observation des signaux fixes
de la voie. Je viens en outre d’être
avisé que la Fédération des méca-
niciens et chauffeurs, section de
Laroche, était sur le point de tenter
une démarche auprès de la Compa-
gnie PLM en vue d’obtenir l’exhaus-
sement des cocardes et feux des
signaux qui seraient d’une observa-
tion moins commode sur ces
machines que sur celles précédem-
ment construites, en raison de l’al-
longement et de l’accroissement du
diamètre donné au corps cylindrique,
de l’élévation du foyer à l’arrière et
de la petitesse relative de la lunette
d’observation de l’abri. Mais ce défaut
de commodité dû aux nouvelles
conditions de construction, ne paraît
devoir compromettre en rien la sécu-
rité sur la circulation des trains, car les
signaux n’en demeurent pas moins
visibles et les mécaniciens ont, par ail-
leurs, coutume de les observer en se
penchant en dehors de l’abri.
«D’après les observations recueillies
par mon service, il semblerait que les
fumées émises par les nouvelles
machines soient susceptibles de
gêner plus sérieusement l’observa-
tion des signaux, du fait de leur rabat-
tement sur l’abri du mécanicien. Ce
rabattement paraît devoir être attri-
bué, pour partie, à la faible différence
de hauteur existant entre l’abri et le
sommet de la cheminée et, en outre,
à ce que les nouvelles machines n’ont
pas encore été utilisées à pleine
charge…
«En tout état de cause, les imperfec-
tions réelles peuvent rendre l’obser-
vation des signaux plus pénible; mais
elles ne paraissent pas devoir com-
promettre sérieusement la sécurité de
la circulation des trains. La fumée peut
masquer momentanément la vision à
distance d’un signal; elle ne saurait
empêcher le mécanicien de l’aperce-
voir, au moment où il arrive à sa hau-
teur. Comme le règlement d’exploita-
tion de la Cie PLM ne fait pas état de
la visibilité à distance, il suffit que le
mécanicien se conforme aux indica-
tions des signaux, à l’instant où il les
aborde, pour que la sécurité soit entiè-
rement sauvegardée… »
Avant d’interpeller le ministre sur le
sujet, Colly aura la bonne idée d’ef-
fectuer un aller-retour Paris à Laroche
sur une Pacific, pour se rendre compte
de la visibilité des signaux incriminée.
Voyage ainsi rapporté par
L’Humanité
du 21novembre
(voir page suivante)
Jean-Michel Pichot et Georges Ribeill
Melun –
4novembre 1913.
L’accident
impliquant
la Compagnie PLM
relance vivement
le débat sur la
conception devenue
obsolète, voire
dangereuse,
des locomotives
Pacific.
DR/Photorail-SNCF ©
62-
Historail
Janvier 2015
INTERNATIONAL
Avant le métro,
les tramways
La métropole de Montréal disposait jusqu’en 1959
d’un très important réseau de tramways. Apparu
en 1861, le tram est exploité par différentes
compagnies qui vont peu à peu se regrouper pour
constituer à partir de 1911 la Montreal Tramway
Company. À leur apogée, les tramways s’étendent
sur un réseau moderne et performant de près
de 514km. C’est dans cette ville qu’a été inventé
le Pay As You Enter (Paye), le principe du paiement
dès l’entrée, avec un petit guichet pour le receveur
qui n’a plus à parcourir la rame sans très bien savoir
qui a déjà un billet. Le principe sera repris par la
suite dans le monde entier. Montréal va tout
de même tarder à moderniser son réseau et
seules 19 motrices PCC sont affectées au parc
en 1944. La CTM regarde déjà vers le métro
et quand, la Commission de Transport
reprend l’exploitation, elle n’aura comme
priorité que la disparition des tramways
et des trolleybus et leur remplacement par
des autobus.
De haut en bas:
une des 19 motrices PCC est exposée «dans son jus»
à Exporail, le musée des chemins de fer de Saint-Constant
dans les environs de Montréal;
les anciens trams de Montréal sont désormais au musée,
comme ici à Exporail;
à Exporail, les visiteurs peuvent monter à bord de cette
étonnante motrice des années 1920 qui évolue sur un circuit
à l’intérieur du site.
(Photos du 28août 2014, Ph.-E. Attal)
Janvier 2015
Historail
les ménages s’équipent de voitures et
qu’un vaste programme routier est en
chantier? Dernier épisode d’un (très)
long feuilleton, une société privée, la
Société d’expansion métropolitaine
qui, face à l’immobilisme, propose en
novembre1959 de construire et livrer
le métro clefs en main se chargeant
même de trouver un financement, à
charge pour la ville d’en régler la fac-
ture. Cette proposition semble à cer-
tains inacceptable, à l’image de Jean
Drapeau à la tête de la Ligue d’action
civique. Déjà maire de 1954 à 1957, il
propose en cas de réélection en 1960,
de s’engager dans la construction d’un
métro municipal. À ses côtés, Lucien
Saulnier, véritable artisan du métro a
réussi à le convaincre de l’opportunité
d’un tel choix.
À l’issue du scrutin, Drapeau est à
nouveau maire de Montréal et Saul-
nier devient son bras droit. À eux
deux, ils vont s’engager résolument
dans l’aventure du métro, en faisant
des choix risqués qui vont au final se
révéler payants.
Un métro audacieux
Mais de quel métro parle-t-on? Une
question qui pourrait se résumer à:
«qu’est-ce qu’un métro?» À Mont-
réal, comme on l’a vu, il existe plu-
sieurs lignes de trains sous-utilisées et
de nombreuses infrastructures ferro-
viaires qui pourraient être converties
pour en faire un métro. Parmi elles,
la ligne de banlieue qui emprunte un
long tunnel souterrain pour passer
sous le mont Royal a déjà en quelque
sorte des allures de métro. De son
côté, Jean Drapeau semble assez
tenté par un monorail.
Pour autant, sans idées préconçues,
Drapeau et Saulnier vont parcourir le
monde pour découvrir les réseaux
existants avant de choisir la meilleure
solution pour leur ville. New York, Phi-
ladelphie, Londres, Rome, Milan,
Stockholm mais aussi Toronto et Paris
font l’objet de leur visite. Cette der-
nière ville va fortement les impres-
sionner. En 1960, le réseau parisien
est pourtant vieillissant, victime d’un
manque d’investissement chronique
au sortir de la guerre. Le matériel
Sprague dont les voitures les plus
modernes datent de 1937 est encore
bien présent sur les lignes. Mais la
révolution pourtant est en marche.
Depuis 1952, circulent sur la ligne 13
les rames articulées qui annoncent un
renouveau du matériel roulant. Mais
c’est surtout du côté du pneu que
Paris a pris un coup d’avance. De
1952 à 1956, la RATP a fait circuler la
motrice expérimentale MP51à roule-
ment sur pneus sur la voie de Navette
entre Pré-Saint-Gervais et Porte-des-
Lilas. La ligne fermée depuis 1939 aux
voyageurs va provisoirement repren-
dre du service pour mettre au point
ce matériel d’un tout nouveau genre.
Le contact roue-rail va céder la place
au roulement d’un pneu sur une piste
de béton complétée d’un rail classique
pour le roulement des matériels fer.
L’ensemble du boggie comporte ainsi
quatre roues pneus de roulement
(auxquelles sont accolées des roues
fer) et quatre petites roues de guidage
qui permettent d’assurer la direction
du train. Les roues fer prennent le
relais en cas de dégonflement d’un
pneu. Ce nouveau type de roulement
va permettre d’accroître l’adhérence
de façon considérable tout en aug-
mentant le confort des voyageurs. La
motrice MP51 va également servir de
laboratoire pour tester toutes les inno-
vations possibles qui seront par la suite
déclinées sur le réseau. Son aména-
gement intérieurest ainsi spacieux et
lumineux, éclairé de tubes fluores-
cents. Sesbanquettes confortables
font oublier les siègesà lattes de bois
du Sprague. Mais le plus étonnant ne
se voit pas forcément. Durant les qua-
tre années de l’expérimentation, les
ingénieurs de la RATP ont également
travaillé sur les automatismes, une
approche tout à fait révolutionnaire
en ce début des années 1950. La
motrice va ainsi circuler toute seule
les après-midi sur la voie de Navette,
effectuant ses allers-retours sans l’in-
tervention humaine, prouvant que ce
type d’exploitation pourrait bientôt se
généraliser à l’ensemble du réseau.
À la suite de cette expérimentation,
la RATP décide de convertir une ligne
entière au roulement sur pneus. C’est
la 11 qui est choisie, pour sa faible
[ 1966, Montréal inaugure le métro le plus moderne du monde]
Ouverture de
la station Crémazie
où l’on aperçoit
une passerelle
desservant les deux
directions, 1966.
Doc Archives STM
Janvier 2015
Historail
au contraire voulait apporter des
touches canadiennes à son métro,
tout en prenant le meilleur de Paris.
Ainsi le matériel roulant, s’il reprend
les caractéristiques essentielles du
MP59, va adopter un design imaginé
à Montréal avec des formes très
arrondies éloignées des lignes carrées
proposées par la RATP.Néanmoins, le
savoir-faire reconnu de la régie va
permettre d’élaborer un système de
métro cohérent. Les Français vont ainsi
proposer un réseau à tarif unique à
correspondance gratuite avec les
autobus redéployés autour du métro.
On prévoit aussi un accès facile aux
quais grâce à des passerelles desser-
vant les deux directionsou encore un
fonctionnement autonome des lignes
qui facilite le contrôle du débit. Le
billet de métro adopte la piste magné-
tique qui sera progressivement géné-
ralisée sur les tickets parisiens à partir
de 1968. L’apport français en four-
nitures restera en revanche assez fai-
ble, de l’ordre de 12% se limitant
généralement à des têtes de série,
la construction se faisant ensuite au
niveau local sous licence.
On élabore un plan du réseau qui
comporte trois lignes, deux lignes
articulées sur un axe nord-sud et est-
ouest tandis qu’une troisième est la
reprise de la ligne ferroviaire du Cana-
dien National qui emprunte le tunnel
sous le mont Royal. Cette ligne 3 qui
doit pousser jusqu’à Cartierville pré-
sente néanmoins l’inconvénient d’être
au gabarit chemin de fer avec son
matériel propre et bien sûr un roule-
ment fer. Cette intégration implique
donc une diversité des modes d’ex-
ploitation qui pourrait au final se révé-
ler compliquée à gérer.
Un métro pas si parisien
Peu à peu se dégagent les grands
principes de ce nouveau métro. La
tentation du côté de la RATP va être
de transposer en l’état le réseau pari-
sien à Montréal sans forcément bien
tenir compte des particularités locales.
Une approche remise en cause par la
réalité du terrain.
Ainsi le métro sera entièrement sou-
terrain y compris dans les longues tra-
versées sous-fluviales. Un choix rendu
nécessaire par la volonté du maire
d’un métro capable de circuler en
toutes circonstances, en particulier en
cas de tempête de neige paralysant
l’agglomération. Cette solution
va bien sûr engendrer des coûts
supplémentaires de construction et
compromettra sans doute certains
prolongements, mais elle va assurer
l’efficacité du système de transport.
Un choix qui va montrer sa pertinence
en mars1971 lors d’une terrible
tempête de neige de trois jours où
le métro pour la première fois de
son histoire va circuler toute la nuit
du 4 au 5 restant le seul moyen de
communication d’une agglomération
paralysée.
Le choix du gabarit étroit de 2,51m
qui pourrait sembler un handicap va
s’avérer au final très rentable. Les gale-
ries à construire vont coûter beaucoup
moins cher que prévu. Le tunnel sera
ainsi établi sur le mode parisien en
voûte de 7,10m de largeur bien loin
du standard nord-américain. La diffé-
rence va davantage porter sur les sta-
tions. Conséquence du gabarit étroit,
on va allonger considérablement
la longueur des quais. Le métro de
Montréal va donc comporter de très
longues stations de 500 pieds soit
152m, une longueur qu’on retrouve
plus fréquemment sur les lignes à
grand gabarit. Ce choix va permettre
[ 1966, Montréal inaugure le métro le plus moderne du monde]
Doc Archives STM
Ouverture de
la station Crémazie,
Page de gauche,
de gauche à droite
et de haut en bas:
construction
en tranchée
de la station McGill,
1964;
le tunnel du métro
est par ses
dimensions et ses
installations assez
proche de celui
de Paris, le 22août
2014;
le grand volume
de la station
Berri-de-Montigny
(aujourd’hui
Berri-Uqam) durant
sa construction,
vention des pompiers qui n’ont pu
qu’arroser le sinistre à partir du puits
de ventilation. Au final, 24 des 36 voi-
tures stationnées là sont totalement
détruites, l’incendie causant des
dégâts aux installations pour un total
de 6millions de dollars. Le 23janvier
1974, un autre incident va cette fois
mettre en cause la technique du
métro sur pneus. C’est en effet un
pneu dégonflé qui va provoquer un
incendie entre les stations Rosemont
et Laurier. Le feu qui se propage à la
cabine va conduire à évacuer rapide-
ment les voyageurs en catastrophe.
Neuf voitures vont être détruites et la
ligne 2 va rester fermée durant une
semaine. À la suite de cet incendie
qui aurait pu tourner au drame, une
commission d’enquête est constituée,
qui va rédiger un sévère rapport sur
la sécurité dans le métro. Pas moins
de 74 recommandations vont être
prises parmi lesquelles une plus
grande surveillance des pneus, l’éva-
cuation rapide des trains en cas de
danger avéré, ou encore l’installation
d’interphones entre les voitures et le
conducteur. Dans les tunnels, on ins-
talle des points d’eau tous les 150m
tandis que la formation des pompiers
est améliorée sur les lieux mêmes de
l’incendie de 1971.
Où et comment
prolonger le métro?
Le premier réseau mis en service en
1966 va ouvrir par étapes. Le jour de
l’inauguration, comme on l’a vu,
toutes les stations ne sont pas encore
ouvertes. L’essentiel va être livré pro-
gressivement au public entre octobre
1966 et avril 1967avec la mise en ser-
vice de la ligne 4 dite «jaune» pour
l’ouverture d’Expo 67. Passée cette
première vague, il va falloir attendre
quelques années pour que le métro
étende à nouveau son réseau. En juin
1976, c’est la ligne 2 dite «verte»
qui va pousser à l’est jusqu’à Honoré-
Beaugrand avec neuf nouvelles
stations. En ligne de mire, il y a la des-
serte du nouveau stade olympique,
Montréal ayant obtenu l’organisation
des Jeux de 1976. Deux ans plus tard,
en septembre 1978, cette même ligne
sera prolongée à l’autre extrémité
vers Angrignon. Cette extension va
permettre de mettre en place une
seconde correspondance entre les
lignes 1 et 2 à la station Lionel-Groulx.
L’ouvrage a été dès l’origine construit
pour intégrer cette correspondance
qui s’effectue quai à quai, facilitant
les échanges. De son côté, la ligne 2
«orange» va pousser progressive-
ment vers l’ouest à partir de 1980,
reportant le terminus de Bonaventure
jusqu’à Place-Saint-Henri, amorçant
une remontée vers le nord de l’île de
Montréal. En septembre1981, elle
atteint la station Snowdon, avant
d’être prolongée par étapes en 1982,
1984 et 1986 jusqu’à Côte-Vertu.
Un nouveau matériel
roulant pour un nouveau
constructeur
Pour accompagner ce développe-
ment, une nouvelle série de rames va
être commandée. L’appel d’offres
pour 423 voitures va cette fois recaler
Vickers pourtant moins disant (pour
une question d’attelage) au profit
d’un nouveau venu dans le domaine
ferroviaire, une entreprise plus connue
72-
Historail
Janvier 2015
INTERNATIONAL
74-
Historail
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INTERNATIONAL
sable, elle est mise en chantier et une
première section va ouvrir en juin1986
entre De Castelneau et Saint-Michel.
L’année suivante, en juin1987, elle est
prolongée d’une station jusqu’à Parc et
c’est seulement en mars1988 qu’elle
prend sa configuration actuelle de
Snowdon à Saint-Michel. La ligne
bleue est en correspondance à Snow-
don et à Jean-Talon avec la ligne
orange. Un raccordement est égale-
ment ouvert vers les ateliers du métro
d’Youville, avec une voie d’essais.
Avec cette ouverture, l’extension du
métro marque un arrêt. Il faudra
attendre 2007 pour qu’une nouvelle
section soit ouverte vers l’île de Laval
entre le terminus d’Henri-Bourassa et
Montmorency, livrant trois nouvelles
stations. Ce prolongement a néces-
sité la construction d’un ouvrage par-
ticulier à Henri-Bourassa pour per-
mettre aux rames de pousser vers
Laval. Une nouvelle demi-station est
édifiée vers Montmorency, le retour
s’effectuant par l’ancien terminus. Ce
prolongement prévu de longue date a
connu de nombreuses péripéties qui
ont bien failli conduire à son aban-
don. Le problème du financement du
métro et des indispensables prolon-
gements est bien désormais au cœur
du débat. La situation géographique
de l’île de Laval, traversée chaque jour
par un flux important de véhicules
concentrés sur un nombre limité de
ponts, justifiait pleinement le déve-
loppement de transports alternatifs.
À ce titre, le métro a largement mon-
tré son efficacité. Ce prolongement
un temps contesté est aujourd’hui lar-
gement justifié, 4,727millions de
voyageurs ayant transité en 2013 par
le terminus de Montmorency. D’une
manière générale, le développement
économique et urbain sur l’île même
de Montréal incite à y prolonger les
lignes existantes de métro. Dans les
cartons, il y a ainsi toujours une exten-
sion de la ligne bleue à l’est vers
Anjou. Prévu de longue date, ce pro-
longement pourrait bien être le pro-
chain réalisé sur le réseau. En projet,
on parle également d’une extension
vers Laval de l’autre branche de la
ligne orange depuis Côte-Vertu vers
Montmorency pour former une ligne
circulaire. Vieux serpent de mer, le
prolongement de la très courte ligne
jaune dans Longueuil et pourquoi pas
vers le centre-ville.
Un nouveau métro
pour Montréal
Mais ce n’est pas dans ces directions
que portent les priorités de l’exploi-
tant, la STM. Le gros dossier en passe
d’être bientôt résolu concerne le
matériel roulant. Les rames MR63
construites par Vickers pour la mise en
service de 1966 ont largement fait leur
temps. Leur remplacement va faire
l’objet d’un incroyable feuilleton dans
lequel se sont opposés les grands
Les ateliers d’Youville
À l’heure de la construction du métro s’est posée la question de l’implantation des ateliers d’entretien. Depuis 1911,
la maintenance des tramways de Montréal était assurée aux ateliers d’Youville. Après leur disparition en 1959, le site
va servir à l’édification des ateliers du métro de grande et petite révision. Une voie de raccordement en surface reliant
les ateliers aux chemins de fer du CN va permettre la livraison du matériel roulant et de l’équipement lourd. En 1973,
on inaugure également à Youville
un nouveau garage pour les autobus.
Avec l’ouverture de la ligne bleue,
on aménage une voie de liaison qui va
également servir aux essais du matériel
roulant. L’atelier de la voie est agrandi
tandis que l’atelier de petite révision
est entièrement réaménagé en 2013.
C’est à Youville qu’est arrivée
la première rame MPM10 Azur
en phase d’essais préliminaires avant
son entrée en service commercial.
En complément, d’autres ateliers
de moindre importance sont également
installés aux terminus de Montmorency
et Honoré-Beaugrand ou encore
à Duvernay.
Les ateliers d’Youville sont en charge de l’entretien
des petites et grandes révisions du matériel roulant
(26août 2014, Ph.-E. Attal).
Janvier 2015
Historail
constructeurs mondiaux de matériel
ferroviaire. Bombardier, entreprise
canadienne qui a déjà remporté la
commande du MR73,se voyait légiti-
mement fabriquer la nouvelle série du
métro de Montréal. L’avis d’intention
international va d’ailleurs lui attribuer
le marché. C’était sans compter sur
Alstom qui va contester la légalité de
cette attribution. Bombardier qui pro-
pose de construire une usine dédiée
à cette commande met en avant l’em-
ploi local. Alstom également implanté
au Québec réfute cet argument. L’an-
nulation de ce marché va au final per-
mettre à des challengers de montrer
leur appétit. Ainsi l’espagnol CAF, qui
ne cesse de grignoter des parts de
marché, répond à l’appel d’offres.
Même chose pour le constructeur chi-
nois Zhuzhou Electric Locomotive qui
va même jusqu’à contester le choix du
roulement sur pneus en proposant un
matériel fer. Une fois encore, la ques-
tion du type de roulement va se poser
quand il apparaît que le pneu ne peut
être développé que par certains
constructeurs et pas forcément au
moindre coût. On entend même des
voix proposer d’utiliser le rail de ser-
vice posé à côté de la piste de roule-
ment pour faire rouler des trains fer,
une circulation en réalité impossible
sur une voie à l’armature insuffisante
pour un tel trafic.
Devant le danger de perdre le mar-
ché, Bombardier et Alstom vont fina-
lement s’unir dans un consortium qui
va se voir attribuer la construction des
nouvelles voitures sans appel d’of-
fres après le vote d’une loi. Les rames
MPM10bientôt dénommées Azur,
vont être produites en nombre,
52 rames de neuf voitures étant
commandées pour un montant de
1,235milliard de dollars. La première
rame livrée est désormais en phase de
tests aux ateliers d’Youville. Longue
de 152m d’un seul tenant à intercir-
culation totale, elle est la première à
roulement pneus d’une telle longueur.
Une fois encore, le métro de Mont-
réal est à la pointe de l’innovation.
Philippe-Enrico Attal
[ 1966, Montréal inaugure le métro le plus moderne du monde]
De haut en bas:
un train d’essais
entre les stations
Crémazie et Sauvé
à proximité des
ateliers d’Youville,
le 22août 2014;
chaque station est
dotée d’un édicule
spécifique aux
formes parfois très
originales, comme
ici à la station
LaSalle, durant
sa construction
en 1976 (à gauche)
et en exploitation,
le 20août 2014
(ci-dessous).
Ph.-E. Attal
Ph.-E. Attal
Doc. Archives STM
Janvier 2015
Historail
I
nstallé à Paris dans les murs du
Conservatoire national des arts et
métiers (Cnam), le musée des Arts et
Métiers est considéré comme l’une
des plus anciennes et des plus riches
collections techniques au monde. Sa
visite permet de (re)découvrir de
remarquables témoins de l’évolution
des savoirs scientifiques, des tech-
niques et de l’industrie, principale-
ment depuis la Renaissance jusqu’à
nos jours. On peut en effet y contem-
pler des pièces majeures comme la
machine à calculer de Blaise Pascal
(1623-1662), le métier à tisser de
Jacques Vaucanson (1709-1782),
d’admirables maquettes de ponts et
charpentes, le télégraphe Chappe ou
encore un très bel ensemble d’auto-
mates et horloges anciennes
Après une importante rénovation
conduite dans les années 1990, dans le
cadre des grands travaux de l’État, le
parcours de visite du musée a été orga-
nisé en sept grands domaines thé-
matiques, partant des instruments
scientifiques puis des matériaux, et
s’intéressant à diverses applications
touchant la construction, la commu-
nication, l’énergie, la mécanique et,
pour finir, les transports. Cette dernière
section renferme des pièces excep-
tionnelles, comme le fardier à vapeur
de Joseph Cugnot (1725-1804), de
1770, ou les aéroplanes de Clément
Ader (1841-1925) et de Louis Blériot
(1872-1936). Offrant une approche
généraliste des sciences appliquées,
notamment à la locomotion et aux
transports, les collections du musée
des Arts et Métiers comportent un
ensemble très intéressant relatif aux
chemins de fer. Contrairement à ce
que l’on pourrait trouver dans un
musée spécialisé, les collections ferro-
viaires ne visent pas l’exhaustivité mais
insistent sur les principaux jalons tech-
nologiques qui ont marqué l’histoire
des chemins de fer, privilégiant la plu-
part du temps des représentations de
matériel ou d’infrastructures éprouvés
par l’expérience ou des innovations
ayant occupé une place majeure au
cours du temps.
Nous tenterons d’en brosser un rapide
tour d’horizon en nous focalisant sur
les grandes étapes de la constitution
de cette collection et sur les utilisa-
tions de ces objets, documents et des-
sins pour la plupart relativement peu
connus. Les informations que nous
recensons ici n’ont pas de caractère
exhaustif et sont volontairement expo-
sées de manière synthétique; elles
ne visent pas à écrire une histoire des
chemins de fer, mais proposent une
histoire des collections ferroviaires du
musée des Arts et Métiers, lesquelles
éclairent de manière partielle – et par-
fois partiale – l’histoire des chemins
de fer.
Un « Conservatoire pour
les arts et métiers »
La fondation du Conservatoire des
arts et métiers par la Convention
nationale, en octobre 1794, s’inscrit
dans la tendance visant à réorganiser
le système d’instruction publique et à
ouvrir les collections d’art et de
science jusqu’alors propriétés royales,
aristocratiques ou ecclésiastiques. La
naissance de l’institution est à rappro-
cher de la création de l’École poly-
technique, de l’École normale de l’an III,
de la Bibliothèque nationale, du
Muséum central des arts au Louvre,
du Muséum d’histoire naturelle ou du
musée des Monuments français.
À l’origine, le Conservatoire est des-
tiné à rassembler les machines, outils,
livres et dessins utiles au perfection-
nement de l’industrie nationale:
création d’un conservatoire pour les
arts et métiers, où se réuniront tous
les outils et machines nouvelles inven-
tés et perfectionnés, va éveiller la
curiosité et l’intérêt, et vous verrez
dans tous les genres des progrès
rapides. […] L’expérience, en parlant
aux yeux, aura droit d’obtenir l’as-
sentiment. Il faut éclairer l’ignorance
qui ne connaît pas, et la pauvreté qui
n’a pas les moyens de connaître. […]
On y réunira les instruments et les
modèles de tous les arts, dont l’objet
est de nourrir, vêtir et loger
On parle de « conservatoire » car l’ins-
titution est avant tout destinée à for-
mer par l’imitation du geste et de la
pratique, à l’image des conservatoires
de musique ou de danse. On procède
Ci-contre:
«Henry Grégoire.
Ancien évêque de
Blois et sénateur et
membre de l’Institut
de France»
Lithographie de
Ducarme, début du
XIX
siècle. Député
de la Convention,
l’abbé Grégoire
est à l’origine
de la fondation
du Conservatoire
des arts et métiers.
Page de gauche:
moteurs,
automobiles
et aéroplanes
des collections
« transports » dans
l’ancienne église
de Saint-Martin-
des-Champs, à
la fin du parcours
de visite du musée
des Arts et Métiers.
Ci-dessous:
vélocipèdes,
automobiles
et modèles
d’aéroplanes dans
la galerie des
transports du musée
des Arts et Métiers.
© Musée des arts et métiers-Cnam, Paris/M. Favareille
© Musée des arts et métiers-Cnam, Paris/Photo studio Cnam
alors à des « démonstrations » pour
expliquer aux visiteurs, dans les gale-
ries, le fonctionnement d’une machine
ou le procédé qu’elle renferme.
Devenu rapidement obsolète, ce mode
de transmission des savoirs laisse la
place au début des années 1820 à un
« haut enseignement de sciences
appliquées à l’industrie », organisé en
chaires confiées à d’éminents savants
et industriels. Les leçons se veulent
généralistes et les professeurs font
œuvre de vulgarisation. Les trois pre-
miers cours (mécanique et chimie
appliquées, économie industrielle) sont
bientôt complétés par de nouveaux
enseignements, tandis que les galeries
abritant les collections se développent
en suivant les progrès de l’industrie
dans le contexte de la révolution indus-
trielle. Ouvert à tous, sans condition
de diplôme et de nationalité, cet ensei-
gnement permet à des ouvriers, arti-
sans, inventeurs autodidactes ou sim-
ples curieux de se former aux questions
techniques. Les multiples galeries du
Conservatoire reçoivent objets et docu-
ments pouvant être étudiés par les visi-
teurs ordinaires mais servant égale-
ment de support dans certains cours
Les multiples visages
d’une collection
patrimoniale
Riches d’environ deux cent cinquante
objets et de plus de deux mille dessins
techniques, les collections ferroviaires
du musée des Arts et Métiers forment
un ensemble considérable, dont la der-
nière étude exhaustive a été faite au
lendemain de la Seconde Guerre mon-
diale, avec la publication d’un cata-
logue sommaire
. Nous avons entre-
pris la reprise intégrale de l’inventaire
de ces éléments dans le cadre du réco-
lement des collections, obligation
légale imposée à tous les « musées de
France » par le ministère de la Culture,
et nous l’avons complétée par la réa-
lisation d’un catalogue raisonné (en
cours de rédaction) touchant, dans un
premier temps, les pièces acquises au
XIX
78-
Historail
Janvier 2015
MUSÉE
© Docs musée des Arts et Métiers-Cnam, Paris/Photo studio Cnam
Expérience de chimie lors
d’un cours du professeur
Eugène Péligot dans le grand
amphithéâtre du Conservatoire
des arts et métiers. Gravure
publiée dans «L’Univers
illustré», vers 1830.
L’ancienne église transformée
en salle des machines
en mouvement. Pendant près
de trente ans, de 1853 à 1884,
l’église a abrité un laboratoire
expérimental de mécanique
animé par des machines
hydrauliques et à vapeur.
Le public pouvait venir
en étudier le fonctionnement
et s’émerveiller devant
le progrès de l’industrie.
Gravure publiée dans
«La Nature», 1880.
Bibliothèque du Cnam.
Un premier constat s’impose d’em-
blée: point de matériel réel préservé
dans les collections du musée des
Arts et Métiers. Alors que la Cité du
train de Mulhouse ou le National Rail-
way Museum d’York conservent d’ex-
ceptionnelles locomotives, le musée
des Arts et Métiers ne possède
« que » des modèles réduits et des
dessins de locomotives et de maté-
riel roulant. En revanche, au détour
d’une travée des réserves du musée,
on découvre une collection complète
de spécimens de rails. Cela nous
conduit à distinguer différents types
de représentations de l’invention ou
de l’objet technique, présents dans
les collections des Arts et Métiers et,
pour certains d’entre eux, caractéris-
tiques de l’établissement.
Les modèles réduits
C’est l’un des aspects les plus connus
des collections du musée des Arts et
Métiers que ces modèles, souvent de
très belle facture, réalisés à échelle
réduite
. Ils sont, dans de nombreux
cas, privilégiés aux machines « de
grandeur réelle » pour des raisons
très pratiques, touchant à l’encom-
brement, au poids ou au prix. Musée
généraliste dont les galeries sont
densément garnies, le Conservatoire
ne peut, au
XIX
siècle, satisfaire la
demande de tous ses professeurs qui
souhaiteraient y voir figurer des pièces
de provenance industrielle, réellement
utilisées sur le terrain. D’autant plus
que le modèle réduit a d’autres avan-
tages: souvent construit à la demande
de l’établissement, il présente des dis-
positions spécialement adaptées pour
l’enseignement, avec des coupes ou
des écorchés pour laisser voir l’inté-
rieur d’une machine, ou bien des
commandes servant à l’animer
Machines « grandeur réelle »,
spécimens et échantillons
Certains outils et machines de dimen-
sions raisonnables ont pu, d’une
manière générale, intégrer les collec-
tions. Dans le domaine ferroviaire,
cela peut concerner des appareils
employés dans la télégraphie, comme
des manipulateurs, récepteurs ou
signaux. On peut également y trou-
ver des spécimens relatifs aux infra-
[ panorama des collections ferroviaires du musée des Arts et Métiers]
© Musée des Arts et Métiers-Cnam, Paris/JC Wetzel
© Musée des Arts et Métiers-Cnam, Paris/M. Favareille
Locomotive
à vapeur à détente
variable
Stephenson, 1848.
Modèle au 1/5
de Pierre Clair,
en coupe, acquis
lors de l’Exposition
universelle de
Londres en 1851.
Manipulateur
d’un télégraphe à
cadran, système
Wheatstone, 1841.
Construit par Louis
Clément Breguet,
ce télégraphe était
utilisé sur la ligne
de Paris à Saint-
Germain-en-Laye.
Janvier 2015
Historail
MUSÉE
Échantillons de
rails: rail Barlow
type bridge-rail
de la Compagnie
du Midi, modèle
au 1/5, vers 1857;
rail Vignole des
compagnies de l’Est
et du Nord, vers
1884; rail à double
champignon
de la Compagnie de
l’Ouest, vers 1884.
(© Docs Musée
des Arts et Métiers-
Cnam, Paris/
S. Pelly)
structures, tels des profils de rails,
éclisses, boulons, traverses ou des
gabarits d’entaillage. Quelques élé-
ments constitutifs du matériel et de
la traction sont aussi présents dans les
collections, comme des pistons,
bielles, roues ou fenêtres de wagons.
Tableaux documentaires
et pédagogiques
À partir des années 1830, les galeries
sont ornées de tableaux à dimension
pédagogique et documentaire illus-
trant quelques innovations remar-
quables ou des principes techniques
particuliers. Moins onéreux que les
modèles réduits, ils permettent de
montrer aux visiteurs des galeries et
aux auditeurs des cours des points
spécifiques, parfois à échelle 1/1. Ils
combinent des vues et des coupes qui
rendent leur lecture des plus aisées.
On a compté jusqu’à trente-huit
tableaux ferroviaires dans les galeries,
mais leur relative fragilité consécutive
à une exposition prolongée à la
lumière n’a pas permis, au fil du
temps, de conserver cet ensemble
dans son intégralité.
Dessins techniques
Le musée des Arts et Métiers conserve
une magnifique collection de dessins
techniques, connue sous le nom de
« Portefeuille industriel »
. Comptant
près de quinze mille planches, c’est
aujourd’hui un témoin extrêmement
intéressant de l’évolution du dessin
technique et de sa pratique, de la fin
du règne de Louis XIV jusqu’à la Belle
Époque. Contrairement aux objets et
aux tableaux, le Portefeuille industriel
n’avait pas vocation à être exposé dans
les galeries. Il constituait une sorte de
bibliothèque de dessins, consultables à
la demande, exécutés chaque année à
la demande des professeurs de l’éta-
blissement. Bien moins onéreux que
les modèles, et rapidement réalisés,
ces dessins offraient la possibilité d’en-
richir les fonds du Conservatoire avec
des représentations détaillées d’inno-
vations récentes, touchant de multi-
ples domaines, et notamment les che-
mins de fer.
Constitution et usages
Les collections du musée des Arts et
Métiers nous offrent aujourd’hui un
visage déroutant de prime abord. Le
connaisseur de l’histoire des chemins
de fer ou des techniques ferroviaires
sera surpris de ne pas y voir un
ensemble proposant une vue com-
plète, voire totale, de l’évolution du
matériel de traction ou des infra-
structures. Jusqu’au milieu du
siè-
cle, les collections répondent en fait
à d’autres besoins, et l’étude de leur
constitution, à l’aide des archives
encore conservées dans l’établisse-
ment, apporte un éclairage nouveau.
Critères
Parmi les différents critères mis en
avant pour définir la politique d’ac-
quisitions ou justifier telle ou telle
entrée dans les collections, celui de
l’utilité est l’un des plus importants. Il
figure dans le rapport que l’abbé
Grégoire soumettait à la Convention
nationale en 1794: le Conservatoire
devait en effet rassembler les
machines utiles à l’industrie, et l’on
retrouve cette notion dans de nom-
breux échanges entre les professeurs
de l’institution. De ce point de vue, il
est intéressant de constater que les
collections ne comportent quasiment
que des représentations d’inventions
réellement sanctionnées par l’expé-
rience. À de rares exceptions près, on
n’y voit en effet pas d’éléments res-
tés au stade du projet, mais bien des
pièces qui témoignent d’une utilisa-
tion effective sur le terrain ou des
résultats d’expériences conduites selon
des protocoles rigoureusement éta-
blis. On retrouve ainsi la description
d’un très grand nombre d’inventions
représentées par des objets ou des
dessins dans la plupart des grandes
publications savantes du
XIX
comme le
Bulletin de la Société d’en-
couragement pour l’industrie natio-
nale,
Mémoires et compte rendu
de la Société des ingénieurs civils
Publication industrielle
dirigée par
Jacques Eugène Armengaud (1810-
Si l’on se place du point de vue de
l’innovation, les représentations visi-
bles à travers les collections mettent
en évidence des questions d’effica-
cité, de rendement, de productivité
ou de rentabilité. Celles-ci peuvent
passer par des dispositions méca-
niques particulières, comme on peut
le voir par exemple à travers le châssis
de la Victorieuse
, Patentee de 1838
l’accouplement des essieux d’une
machine Engerth étudié pour le fran-
80-
Historail
Janvier 2015
Janvier 2015
Historail
chissement de courbes de faibles
rayons, ou les pistons employés par
le PLM à la fin des années 1860 dont
les anneaux sont conçus pour limiter
les pertes de vapeur et les frotte-
ments. On verra dans la même
optique des échantillons de tubes à
fumée munis d’ailettes pour accroître
la surface de chauffe et optimiser
l’utilisation de la vapeur.
Consacré à l’explication des sciences
appliquées à l’industrie, le Conserva-
toire constitue une collection illustrant
certains procédés que l’on retrouve
couramment dans les ateliers de
constructions mécaniques. L’établis-
sement n’a pas vocation à former des
ingénieurs ferroviaires ou des conduc-
teurs de locomotives, mais à prodi-
guer un enseignement général des
machines en mobilisant des exemples
concrets, lesquels peuvent toucher
l’univers ferroviaire. Le fonds princi-
pal du Portefeuille industriel est ainsi
consacré aux machines-outils et à
l’équipement des ateliers. On y trouve
de nombreuses feuilles décrivant
des tours à roues de locomotives,
des machines à cintrer les bandages
des roues, à faire les rainures sur les
essieux, des mortaiseuses à moyeux
ou des alésoirs pour cylindres. Il s’agit
alors pour l’institution de constituer
une collection détaillant certaines
machines réellement employées dans
les ateliers de construction mécanique
en privilégiant des critères d’efficacité,
de simplicité d’utilisation et de robus-
tesse en s’appuyant sur ce qui est uti-
lisé, entre autres, dans l’industrie fer-
roviaire.
Sur le plan de l’enseignement, les col-
lections répondent à des critères spé-
cifiques, relatifs à la lisibilité des objets
ou des dessins, à l’explication que l’on
peut en faire, au procédé technique
qui s’y trouve et que le professeur
pourra présenter à ses auditeurs. Là
encore, il n’est pas forcément néces-
saire de constituer une collection fer-
roviaire exhaustive, mais bien de ras-
sembler des pièces significatives du
point de vue de l’innovation, mettant
en avant les principaux jalons tech-
nologiques. On peut ainsi compren-
dre pourquoi les modèles réduits de
locomotives sont si peu nombreux
dans les collections: le modèle d’une
locomotive Stephenson de 1833 a
longtemps suffi à expliquer le fonc-
tionnement général d’une locomo-
tive à vapeur. D’autres objets, comme
des modèles de tiroirs, de coulisses
ou de soupapes, par exemple, per-
mettaient d’approfondir certains
points particuliers.
Utilisation
Le Conservatoire des arts et métiers
est souvent qualifié, dans les archives
XIX
siècle, d’établissement « dou-
ble », combinant des cours de
[ panorama des collections ferroviaires du musée des Arts et Métiers]
© Musée des Arts et Métiers-Cnam, Paris/Photo Dephti-Ouest
Chemin de fer
de Paris à Versailles
(rive gauche
de la Seine).
Machine locomotive
de Hawthorn.
Élévation. Lavis
de couleurs
sur traits de crayon
et d’encre, au 1/10,
contresigné par
Auguste Perdonnet
(1801-1867). 1840.
manière générale, les collections fer-
roviaires se sont organisées selon trois
grandes phases.
Jusqu’en 1850, l’établissement a
conduit une politique d’acquisition
reposant quasi exclusivement sur des
achats
. Le Conservatoire disposait
alors d’un budget dédié pour acheter
dessins et modèles selon les priorités
déterminées par les différents profes-
seurs. On s’adressait à des fournis-
seurs spécifiques: pour les dessins, le
Conservatoire faisait appel à des des-
sinateurs de machines parmi lesquels
Nicolas Louis César Leblanc (1787-
1835)
ou Jacques Eugène Armen-
gaud
, qui furent par ailleurs profes-
seurs dans l’établissement, sont les
plus connus. Pour les modèles, on sol-
licitait des constructeurs de modèles
pédagogiques auxquels on spécifiait
les écorchés, coupes ou animations à
prévoir. Les plus célèbres étaient alors
Pierre et Alexandre Clair
, Eugène
Philippe
ou Jules Digeon
. Philippe
a commis deux des plus beaux
modèles de la collection, à savoir la
locomotive Planet de Stephenson que
la Fonderie de Chaillot avait importée
en France en 1833, et le châssis de
Victorieuse
, locomotive qui officia
notamment sur le Paris – Versailles (rive
gauche). On lui doit également des
modèles de pompes alimentaires, sif-
flets, grues pour tender et plaques
tournantes, l’ensemble permettant de
créer une première salle des chemins
de fer, sans doute avant la fin des
années 1830. Les professeurs étaient
aussi attentifs à l’excellence, souvent
repérée dans les expositions des pro-
duits de l’industrie ou par la Société
d’encouragement pour l’industrie
nationale. C’est ainsi que le Conser-
vatoire a pu acheter un indicateur du
temps de la marche des convois, de
l’horloger Paul Garnier, primé à l’ex-
position de 1844
, ou un modèle du
frein pour wagons de Jean-Baptiste
Laignel, distingué par la Société d’en-
couragement puis par l’Académie des
sciences
Le développement de la
collection entre 1850 et 1930
À partir des années 1850, les acquisi-
tions ont reposé en partie sur les
achats opérés par l’établissement,
mais également sur un réseau que les
professeurs ont progressivement mis
en place grâce aux relations qu’ils
entretenaient avec le monde indus-
triel et savant. De nombreux objets
sont alors entrés sous forme de dons,
mais ceux-ci étaient très souvent
requis par l’établissement.
La participation à des expériences
pour lesquelles le Conservatoire a
[ panorama des collections ferroviaires du musée des Arts et Métiers]
© Photos Musée des Arts et Métiers-Cnam, Paris/M. Favareille
Locomotive à
vapeur « La Fusée »
de Jean-Jacques
Heilmann, vers
1892-1903.
Injecteur, mis au
point par Henri
Giffard (1825-1882).
Vers 1858.
Janvier 2015
Historail
prêté des dynamomètres lui a en effet
permis de nouer des liens étroits avec
les compagnies de l’Est, de l’Ouest,
du Nord et du PLM. L’établissement
a alors pu solliciter en contrepartie des
dons pour enrichir ses collections,
comme ceux de modèles de wagons
offerts par le Nord en 1867, d’élé-
ments de pistons du PLM en 1868 ou
d’un modèle de foyer à pétrole Sainte-
Claire Deville offert par l’Est en 1870.
Les expositions universelles ont
occupé une place essentielle pour
comprendre la politique d’acquisitions
du Conservatoire à cette époque. Au
moment où se profilait la première
d’entre elles, à Londres, en 1851, la
direction de l’établissement négociait
des crédits spéciaux pour procéder à
des acquisitions. Le ministre du Com-
merce octroya alors une ligne de
100000francs, soit vingt fois plus
qu’en temps normal, pour procéder
à des achats. Les expositions de Paris
en 1855, 1867, 1878, 1889 et 1900,
l’exposition de Londres en 1862 ou
l’Exposition internationale d’électricité
en 1881 ont ainsi été autant d’occa-
sions d’enrichir significativement les
collections
. On y repérait des inno-
vations importantes et l’on comman-
dait de nombreux dessins pour le Por-
tefeuille industriel. Les professeurs,
très souvent membres des jurys, en
profitaient pour négocier des dons:
on peut mentionner un modèle de
tour pour tourner les roues de
wagons de Camille Polonceau ou des
appareils de pesage pour locomotives
de la firme autrichienne d’Heinrich
Daniel Schmid offerts lors de l’Exposi-
tion de 1855, des tableaux représen-
tant les foyers fumivores de l’ingénieur
Tenbrick, de la Compagnie de l’Est,
donnés par l’inventeur lors de l’Expo-
sition de 1867, des échantillons de
rails offert par Alfred Guebhard, ingé-
nieur à l’Est, après l’Exposition de
À partir des années 1890, on constate
un phénomène de « muséification »
des galeries, qui assument de plus en
plus leur caractère historique et rétros-
pectif. Cela n’empêche pas d’acqué-
rir des pièces innovantes, mais on
peut relever la mise en avant de cer-
taines figures historiques. Le Conser-
vatoire, de par son prestige et son
rayonnement, était alors une vitrine
prisée: le petit-fils de Marc Seguin
(1786-1875) a ainsi offert en 1892 un
modèle réduit de la célèbre locomo-
tive de son aïeul, comblant une lacune
importante dans les collections; en
1901, le fils d’Alexandre Louis Deghi-
lage (1841-1901), donnait deux
modèles de locomotives Bourbonnais
du PLM et Columbia de l’Est, ainsi que
deux aquarelles que son père avait
prévu d’offrir au Conservatoire.
Paul Decauville avait bien perçu l’au-
dience que pouvaient lui offrir les
galeries du Conservatoire. Il a fourni le
célèbre chemin de fer qui se trouve
encore aujourd’hui dans les espaces
du musée et qui servait au déplace-
ment des pièces de la collection, et a
offert à l’institution un très beau
modèle réduit illustrant ses produc-
tions. Mais là encore, la notion d’uti-
lité, que nous avons abordée plus
haut, prime: le directeur du Conser-
vatoire se réservait le droit de refuser
des dons si ceux-ci ne présentaient
pas d’intérêt pour les auditeurs ou
les visiteurs de l’établissement.
Une nouvelle salle
des chemins de fer
Les profondes modifications que
connaît l’enseignement technique au
début du
siècle, mettant en cause
le modèle particulier du Conservatoire
des arts et métiers, le changement de
tutelle (passant du ministère du Com-
merce à celui de l’Éducation natio-
nale) modifient le rôle et la place des
collections. On constate un net ralen-
tissement dans les acquisitions, malgré
l’entrée de quelques pièces de très
belle facture, comme un modèle de
locomotive électrique offerte par le
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MUSÉE
© Musée des Arts et Métiers-Cnam, Paris/S. Pelly
Locomotive à
vapeur de Marc
Seguin. Modèle au
1/6, vers 1860-1890.
dance plus globale en faveur du patri-
moine industriel, alors complètement
délaissé, a peut-être détourné l’at-
tention de la SNCF d’une collection
essentiellement constituée de
modèles. En outre, le départ de Mau-
rice Daumas en 1976, conservateur
puis directeur du Musée national des
techniques du Cnam, largement
impliqué dans l’actualisation de la salle
des chemins de fer, a sans doute
contribué à stopper cette collabora-
tion. Cette section a été profondé-
ment réorganisée au moment de la
rénovation du musée des Arts et
Métiers, dans les années 1990. La
consultation de l’édition 1952 du
Catalogue des collections, qui recense
les pièces historiques et les premiers
éléments de ce dépôt, laisse entrevoir
un ensemble touffu, qui « brouille les
cartes » quant à la compréhension de
la constitution des collections et à leur
utilisation. Il faut rappeler que la salle
des chemins de fer, telle qu’elle a
existé de 1944 à 1992 correspondait
à une organisation particulière de l’ex-
position permanente du musée des
Arts et Métiers, subdivisée en sections
thématiques précises. La construction
de réserves dédiées à la conservation
et à l’étude des collections a offert la
possibilité de dépasser cette vision et
d’entrevoir la philosophie originelle
des collections ferroviaires.
Aujourd’hui, une quinzaine de
modèles parmi les plus remarquables
sont exposés dans les espaces dédiés
aux transports dans l’exposition per-
manente. La locomotive Seguin et la
Planet de Stephenson permettent au
visiteur de se remémorer les débuts
du chemin de fer, entre la France et
l’Angleterre. Un très beau modèle
de Crampton, offert en 1908, met en
perspective la question de la vitesse,
complété par un autre modèle d’une
Forquenot du Paris-Orléans, recon-
naissable à sa chaudière recouverte
de laiton. Une machine compound
Mallet et la Pacific Nord à la livrée cho-
colat caractéristique illustrent les pro-
grès des locomotives au
tandis qu’une motrice E4801 du Midi
rappelle le changement progressif
d’énergie de traction.
Parmi les derniers grands fonds acquis
ces vingt dernières années, il nous faut
mentionner un ensemble de modèles
réduits particulièrement intéressants
sur lesquels l’artiste et designer fran-
çais Paul Arzens a travaillé, entrés
dans les collections dans le cadre
d’une dation en 1993
, ainsi que le
don, plus récent, d’une roue de TGV.
Mises à l’honneur en 2007 et 2009 à
travers deux expositions relatives à la
grande vitesse
, les collections ferro-
viaires du musée des Arts et Métiers
doivent, de par la nature même du
musée, à dimension généraliste, être
rapprochées des autres modes de
transport et des procédés illustrés par
les collections présentées dans les
autres sections du parcours de visite.
Les objets liés à l’usage et au perfec-
tionnement de la vapeur et de l’élec-
tricité, les moteurs à combustion
interne, le tournage des roues ou le
système manivelle-bielle trouvent,
dans les collections ferroviaires, d’écla-
tantes applications. C’est dans ce sens
que se définit actuellement une poli-
tique d’acquisition, touchant certains
points cruciaux de la technologie fer-
roviaire comme le captage du courant
à grande vitesse, le roulement ou la
signalisation.
Lionel Dufaux,
responsable des collections
Énergie et Transports
musée des Arts et Métiers, Cnam
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MUSÉE
© Musée des Arts et Métiers-Cnam, Paris/Photo studio Cnam
La salle
des chemins de fer
du Musée national
des techniques
(aujourd’hui musée
des Arts et Métiers),
vers 1960.
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BONNES FEUILLES
Gare-aéroport »
à la pointe du pro-
grès, comme les journalistes la com-
plimentaient lors de son ouverture en 1969,
la gare Montparnasse est la seule gare pari-
sienne n’ayant conservé aucun élément de
son histoire. Pourtant, c’est avec plaisir que
nous continuons avec elle notre collection
dédiée aux gares de Paris, à la découverte de
son passé. La modernisation liée au TGV
Atlantique a enfoui ses voies sous une triste
dalle de béton. Mais la nouvelle gare du
Maine-Montparnasse de 1969 avait le mérite
de rationaliser l’exploitation ferroviaire en rupture d’un ensemble dis-
persé, constitué de deux annexes remédiant à l’étroitesse de la gare ori-
ginelle de la Compagnie de l’Ouest, qui n’avait pas été agrandie
depuis 1900. Il est d’ailleurs regrettable que ce grand projet, initié du
temps du Réseau de l’État, n’ait pas été concrétisé à cette époque, ce
qui aurait sans doute gratifié Paris d’une splendide gare « Arts déco ».
Pour débuter notre ouvrage, il nous est apparu indispensable d’évo-
quer le Réseau Ouest-État, marqué par l’empreinte de son grand
directeur, Raoul Dautry. L’électrification Paris – Le Mans et le qua-
druplement des voies jusqu’à Versailles à la veille de la création de la
SNCF permettront de faire face au développement ultérieur du tra-
fic sans gros travaux complémentaires, sauf aux gares annexes de
Montparnasse, jusqu’à l’expansion du réseau banlieue à partir des
années 1970.
Nous parcourons ensuite en images, de l’immédiat après-guerre à
la naissance de la nouvelle gare, l’ensemble ferroviaire de Montpar-
nasse: l’ancienne gare de 1852, la gare de Maine-Arrivée de 1929 et
la gare de Maine-Départ de 1937. De nombreuses vues des trois
bâtiments témoignent d’un monde disparu. En hommage à la seule
gare tête de grandes lignes de Paris démolie, l’ancienne gare est
abondamment illustrée sur ces trois aspects: côtés ville, guichets et
quais, invitant le lecteur à prendre la place des voyageurs d’avant le
25septembre 1965. L’environnement alentour, les façades d’im-
meubles, les automobiles et les célèbres autobus parisiens vert et
crème à plates-formes susciteront la curio-
sité ou rappelleront sans doute des souve-
nirs aux familiers des lieux. Nous poursui-
vons par la banlieue, relativement modeste
en rapport à la densité de celle de son
homologue de Saint-Lazare, s’étendant
jusqu’à Chartres sur la ligne de Bretagne
et Dreux sur celle de la Normandie, même
s’il faut y associer la ligne des Invalides, qui
s’en distingue par son trafic intense et son
électrification ancienne.
Les figures emblématiques des lignes de
Montparnasse, les automotrices Z 3700 et locomotives 2D2 5400 à
l’esthétisme insufflé par le modernisme du Réseau de l’État, chères
aux amateurs, sont bien entendu en bonne place. La vapeur est,
quant à elle, éminemment représentée par les belles 141 P, la série de
Mikado la plus évoluée construite pour la SNCF, elles qui feront de la
résistance jusque dans la nouvelle gare! Les dépôts de locomotives,
dont seul subsiste celui de Montrouge, sont traités dans l’esprit de la
collection.
Notre volonté est avant tout d’offrir au lecteur un panorama de la
gare Montparnasse avec ses trains qui soit riche et varié. Riche par la
qualité iconographique des clichés, varié par la diversité des thèmes
évoqués. Le grand format s’est d’ailleurs imposé abondamment, en
raison de la qualité des images trouvées, permettant de mettre en
valeur l’environnement, et de plonger avec plus de force dans des
vues pleines d’humanité, comme à notre habitude…
Didier Leroy et Paul-Henri Bellot
(extrait de l’avant-propos)
Paris-Montparnasse
et sa banlieue
Continuant leur tournée des grandes gares
parisiennes, Didier Leroy et Paul-Henri Bellot
s’intéressent, cette fois-ci, à la seule d’entre elles
qui ait été démolie. Ce qui ne rend que plus précieux
leur travail de restitution du passé par le texte
et par l’image.
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Janvier 2015
Historail
Au début des années 50, perché sur une potence de signalisation, le photographe réalise une vue du Maine-Départ d’avant l’agrandissement, dont les installations
non couvertes sont réduites au minimum! Le panneau des départs face aux escaliers d’accès apparaît un peu rudimentaire mais remplit sa fonction. La voie 11, où un
chargement de colis est en cours dans le fourgon de queue, hérite d’une disposition curieuse puisqu’elle est aussi une voie d’accès à la gare Montparnasse. (Y. Broncard)
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En haut: ambiance «vapeur» garantie aux aurores de la journée du samedi 4mars 1967. L’express 401 Paris-Montparnasse – Granville est assuré par la 141 P 268 mariée
au tender 34 P 50. Les voyageurs s’intéressant à la locomotive font partie d’un groupe de l’Afac (Association française des amis des chemins de fer), allant visiter
le dépôt d’Argentan, alors totalement dévolu à la traction à vapeur. (G. Chambard)
En bas, de gauche à droite: la 2D2 5408 est arrivée la première en tête d’un train qu’elle a pris en charge au Mans. Le flot des voyageurs n’est pas encore atténué que
la 141 P 222 se glisse à ses côtés avec un train en provenance de Granville comportant une tranche de Bagnoles-de-l’Orne. Derrière la 2D2, déjà munie de son disque de
queue pour rentrer à Montrouge, la première voiture est une voiture-fauteuils de 1
classe de 56 places, un petit parc réalisé en 1955 et 1956. (M. Oger/Photorail – SNCF©).
La 141 C 231 en tête de l’omnibus 1413 pour Dreux va partir. En 1956, elle côtoie sous la verrière de la gare Montparnasse une automotrice Budd Z 3700. Cette Mikado
attachée au dépôt de Trappes sera mise en attente d’amortissement le 20mars 1967, puis radiée l’année suivante. (Bernier/Photorail – SNCF©)
Livres/Revues
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acques Pechméja (1927-
2010) avait rédigé une
autobiographie à usage
familial que le CER de
Bordeaux a décidé de
publier. Issu d’une
modeste famille de
Moissac, c’est par la voie
de l’apprentissage qu’il
entre à la SNCF, « monté à
Paris » passer le concours
et faire partie des 35 recru-
tés sur 350 candidats,
affecté en septembre1942
à Périgueux, puis achevant
sa première année à
Toulouse. Ouvrier au dépôt
vapeur de Montauban
(septembre1945), puis de
Castres (janvier1949), sta-
giaire à la conduite élec-
trique à Toulouse (prin-
temps 1949), puis comme
chauffeur (été 1950), muté
à Bordeaux (novembre
1951), il est enfin nommé
en 1955 élève conducteur
électricien.
Parallèlement, après un
bref passage à FO, avisé
qu’il a été trompé par son
recruteur, il rallie la CGT,
puis en 1956, suite aux
événements de Budapest,
il adhère au PCF:
« Si l’on
attaque un parti qui a
œuvré pour les grandes
idées humanitaires et
sociales de la planète avec
autant de violence, c’est
qu’il doit être le bon »
(p.146)
. Délégué de base
élu dans diverses ins-
tances locales, à l’occa-
sion de ses rencontres, il
réalise les vertus de l’ap-
prentissage à la SNCF,
meilleur moyen pour nous
faire aimer notre métier.
Dans toute ma carrière,
les apprentis ont défendu
leur outil de travail et ce
que leurs aînés avaient
gagné avant eux. Dans les
responsabilités qui m’ont
fait voyager dans toute la
France, j’ai retrouvé aux
postes de responsabilité
les anciens de l’apprentis-
sage. Mais le libéralisme
petit à petit grignote.
(p.140)
. Il est remarqua-
ble que dans cette auto-
biographie, la vie du rou-
lant ou celle du militant
ne prenne pas le dessus
sur sa vie familiale; ses
loisirs (sports, camping)
comme ses voyages de
vacances, sont largement
évoqués. Tel son séjour à
« l’hôtel des syndiqués »
qu’est le chalet Pierre-
Semard
(p.168)
. Émotion
en 1969 à Moscou devant
le corps embaumé de
Lénine ou à Leningrad en
apprenant des cheminots
russes que les roulants
prennent leur retraite à 55
ans, mais que
« si le rou-
lant voulait rester et s’il
était reconnu apte, il tou-
chait alors son salaire plus
la moitié de la retraite »
(p.209)
. Cette retraite
dont il est heureux de pro-
fiter en 1977, à 50 ans:
« C’était une revendica-
tion qui avait été arrachée
après les grèves de 1910.
Ce n’était pas un cadeau
des patrons mais une vic-
toire des cheminots par
leur magnifique grève »
(p.223)
. Méconnaissance
donc du régime légal
obtenu en 1909 et de « la
grève pour la thune » per-
due l’année suivante: où
l’on comprend ainsi que
Jacques Pechméja incar-
nait bien un humble et
dévoué militant de base,
doté d’une culture syndi-
cale bien approximative.
e qui frappe dès l’ou-
verture ce livre, c’est la
qualité de la reproduction
des nombreuses photos
qui y figurent, la plupart
inédites. Ce sont pour
l’essentiel des plaques
photographiques réalisées
il y a un siècle par un pho-
tographe professionnel,
V.Builes, aujourd’hui pos-
sédées par Roger Latour,
complétées par des vues
actuelles.
Si le sujet peut sembler
limité dans l’espace, soit
les 51 kilomètres de cette
ligne électrifiée et à voie
unique, jalonnée d’une
dizaine de tunnels dont
celui hélicoïdal de Saillens
(1752m) et celui de
Puymorens (5414m), et
reliée à Barcelone par une
ligne espagnole, il s’étire
le temps de ce chantier
interminable, de 1908
jusqu’à l’inauguration le
21 juillet 1929, en pré-
sence des deux ministres
français et espagnol des
Travaux publics.
La priorité documentaire
est donnée aux légendes
précises des chantiers de
terrassement ou d’ou-
vrages d’art, aux grèves
nombreuses des ouvriers
espagnols, terrassiers et
mineurs chargés de
creuser le tunnel de
Puymorens dont on per-
çoit les dures conditions
de travail et de vie, affron-
tant les forces de l’ordre,
gendarmes et hommes de
troupe, dans un austère
décor montagnard. En
1913, une grève de 6
mois met en difficulté
l’entrepreneur Edmond
Bartissol pris entre le mar-
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Format: 220mm x 270mm.
144 pages.
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VIENT DE PARAÎTRE
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