1ère partie : D’une bataille du rail à l’autre, une communauté forgée
Les dirigeants des grandes compagnies ont tôt construit les assises d’un corporatisme « cheminot », synonyme d’attachement au métier, de stabilité professionnelle, de dévouement à un service public. Par le recrutement d’enfants d’agents, ils ont escompté même quelques dividendes du coût investi dans leurs institutions sociales. En 1938, héritant de sept réseaux, la SNCF a opté pour regrouper autant de « cultures d’entreprise » sous la bannière d’une « famille cheminote » unifiée, inspirée par le PLM. Les défi s des deux « Batailles du Rail », Résistance puis Reconstruction, faciliteront cette fusion, les dirigeants de la SNCF exaltant durablement cet « esprit cheminot ». Jusqu’en 1949, il imprègne le coude-à-coude des équipes sur les chantiers de l’après-guerre. C’est à cette date que Louis Armand instaure un nouveau cours, où le maître-mot de « productivité », alliant modernisation technique et dégraissage des eff ectifs, vient fouetter les troupes cheminotes. Puis viendra dans les années 1970 un autre modèle, où la concurrence impose aux dirigeants de la SNCF de nouveaux outils et stratégies : marketing, régionalisation, fi liales… Lentement forgée depuis plus d’un siècle, cette « famille cheminote » survivra-t-elle à ces nouveaux impératifs de gestion ?
En 1935, à l’occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles, l’image organique et non pas mécanique de l’univers ferroviaire était explicitement reconnue par les dirigeants des sept grands réseaux français1 : « Le chemin de fer n’est pas une carrière comme une autre : c’est souvent par une vocation profonde qu’il appelle à lui les jeunes gens. Il attire comme la mer, la mine ou l’armée. Les fils y succèdent volontiers à leur père. Des générations d’hommes et de femmes y ont trouvé et y trouveront la tâche qui, par ses diffcultés techniques et sa noblesse morale, satisfait les esprits et leur impose l’alerte et consciencieux accomplissement du labeur quotidien ». Un corps aux cellules idéalement protégées de la naissance à la mort : « Les institutions sociales des chemins de fer forment un tout, parce qu’elles sont ordonnées et embrassent la vie du cheminot depuis l’entrée de l’agent au réseau jusqu’au décès du retraité ou de sa veuve, depuis la naissance jusqu’à l’établissement de ses enfants. » Ainsi s’articulaient idéalement le commissionnement des agents, les soins médicaux gratuits, les caisses de secours en cas d’accident ou de maladie, les caisses de retraite enfin.
La chère et bien-aimée SNCF… Un corps d’élite qui devrait toujours se souvenir de ses origines familiales populistes.