Le jeu équivoque des compagnies et de leur personnel
Dans Paris assiégé par l’armée de Bismarck, les compagnies et leurs agents contribuent à résister patriotiquement : dans leurs ateliers et gares, on fabrique des armes et des ballons, on moud du blé. L’armistice du 28 janvier change la donne. Mais Paris reste aux mains d’un peuple armé, hostile au nouveau pouvoir réactionnaire installé à Versailles. Le rôle des compagnies va changer. Au ravitaillement de la population, succède, après le 18 mars et l’organisation de la Commune, un rôle décisif militaire : fourbir à Versailles les armées qui iront mater l’insurrection. Les compagnies vont jouer intra-muros un rôle ambigu, au service de la répression en réalité. Dans cet affrontement sanguinaire entre deux camps, on perçoit la résistance triomphante des « féodalités du rail » tenant bien en mains des agents asservis.
Automne-hiver 1870. La mobilisation patriotique des compagnies et de leurs agents
Durant le premier siège de Paris par les Prussiens 1, plus un seul train ne circule entre Paris et la province. Les compagnies cherchent à garder la main sur leurs employés des services centraux et des gares comme sur les ouvriers de leurs ateliers désoeuvrés, en les mobilisant au service de la défense nationale et au secours des Parisiens assiégés. Les agents de l’Ouest, du Paris-Orléans (PO) et du Nord sont organisés en bataillons spéciaux de la Garde nationale, les 243e, 251e et 256e, c’est-à-dire mobilisés à leur emploi. Cette mobilisation revêt des aspects sociaux bien tangibles, voire spectaculaires.
Ainsi les compagnies participent à la floraison d’ambulances qu’assiste une Société internationale qui n’est pas encore devenue la Croix-Rouge ; des blessés sont accueillis dans les salles d’attente des gares transformées en infirmeries ; trois compagnies ont installé des lits à leur siège : au Midi, 4, rue Clary ; au PLM, 88, rue Saint-Lazare ; au Paris-Orléans, 8, rue de Londres mais aussi à la gare d’Ivry. Le président du Nord, le baron Alphonse de Rothschild, en a confié l’organisation à son épouse, au siège même de sa banque, 19, rue Laffitte. Dix-sept ateliers parisiens de mécanique sont convertis opportunément en arsenaux auxiliaires de l’État, dont les ateliers du PLM (2, rue du Charolais), de l’Est (22, rue Pajol), du Nord (78, rue des Poissonniers), de l’Ouest (116, rue Saussure), du Paris-Orléans (rue Picard) et du Chemin de fer de Sceaux (place d’Enfer). On y répare des armes, on y fabrique des canons et des affûts. La réparation des fusils chassepots et à tabatière exigeant des ouvriers qualifiés, les gardes nationaux et les gardes mobiles peuvent venir y faire réparer leurs fusils gratuitement. Les ateliers de l’Orléans et de l’Ouest ont en charge la construction de locomotives et wagons blindés, qui seront employés bientôt contre les Prussiens dans les combats de Villiers, Choisy et du Bourget2.