6,93 

UGS : HR10 Catégories : ,

Description

Historail

trimestriel

n° 10

juillet 2009
Présence ferroviaire sur la Manche
Historail
Historail
Tout ce que vous voulez savoir sur l’histoire du rail
(N° 10)
juillet
2009
9,90
trimestriel
F:
La numérotation
des locomotives
Présence
ferroviaire
sur la Manche
Présence
ferroviaire
sur la Manche
Juillet 2009
Historail
Editorial
Avec ce numéro se termine ma collaboration aux Editions
La Vie du Rail
. Invité gentiment mais fermement à quitter les lieux
après plus de 30 ans de bons et loyaux services, crise oblige,
je m’en vais donc voguer sous d’autres cieux. En l’occurrence ceux
de l’Association pour l’histoire des chemins de fer en France
(AHICF). La transition n’en sera donc que plus douce…
Quid de l’avenir d’
Historail
? Deux autres numéros sont d’ores et
déjà programmés. Sous quelle forme? La décision ne m’appartient
plus. Sans doute, avec l’arrivée de nouvelles personnes dans
l’équipe, faudra-t-il s’attendre à quelques inflexions dans la ligne
éditoriale suivie jusqu’alors, qui était volontairement à contre-
courant de celles des revues concurrentes, mais le changement est
parfois bénéfique. Et nul n’est irremplaçable, a-t-on coutume de
dire.
Qu’il me soit ici enfin permis de remercier Georges Ribeill pour
son soutien inconditionnel. Ce journal était aussi un peu le sien.
Bruno Carrière
I
Trois petits tours et puis s’en vont…
I
4-
Historail
Juillet 2009
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Vincent Lalu
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL
François Cormier
DIRECTRICE ADMINISTRATIVE
ET FINANCIÈRE
Michèle Marcaillou
RÉDACTEUR EN CHEF
Bruno Carrière
DIRECTION ARTISTIQUE
AMARENA
CHEF D’ÉDITION
François Champenois
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
Pascale Cancalon
RÉDACTRICE GRAPHISTE
Marie-Laure Le Fessant
ONT COLLABORÉ
Georges Ribeill (conseiller
éditorial), Christophe Bouneau,
Isabelle Guillaume,
Mary Works Covington et
Sue Ann Monteleone.
PUBLICITÉ
Kiraouane Belhadri
VENTE AU NUMÉRO
Françoise Bézannier
DIRECTRICE DE LA DIFFUSION
Victoria Irizar
ATTACHÉE DE PRESSE
Nathalie Leclerc (Cassiopée)
INFORMATIQUE & PRODUCTION
Robin Loison
Informatique: Ali Dahmani
Prépresse: Vincent Fournier,
Kouadio Kouassi, Simon Raby.
IMPRESSION
Aubin imprimeur, Ligugé (86)
Imprimé en France
Historail
est une publication
des Éditions La Vie du Rail,
Société anonyme au capital
de 2 043 200 euros.
PRÉSIDENT DU CONSEIL
D’ADMINISTRATION
Vincent Lalu
PRÉSIDENT D’HONNEUR
Pierre Lubek
PRINCIPAUX ACTIONNAIRES
SNCF,
Le Monde, Ouest-France
France Rail, VLA.
Durée de la société: 99 ans
RCS Paris B334 130 127
Numéro de commission paritaire:
Siège: 11, rue de Milan
75440 Paris Cedex 09
Tél.: 01 49 70 12 00
Fax: 01 48 74 37 98
Le titre
Historail
a été retenu
avec l’autorisation du musée
du chemin de fer HistoRail
de Saint-Léonard-de-Noblat
Sommaire
Matériel
– La numérotation des locomotives électriques,
vingt ans de remise en question
Tourisme
– La Compagnie du Midi et l’essor du thermalisme
dans le grand Sud-Ouest
Anniversaire
– 1949, le Train de la Reconnaissance, symbole
de l’amitié franco-américaine
– Compassion et Gratitude: le Projet du
Merci Train
au Nevada
Dossier
Présence ferroviaire sur la Manche.
La Saga, partenaire maritime du Nord puis
de la SNCF de 1920 à 1974
L’Angleterre-Lorraine-Alsace (ALA), fidèle
à Dunkerque de 1926 à 1993
1917-1939: les ferry-boats investissent le détroit
Les premiers car-ferries
Curiosité
– Sécurité du personnel
Un petit dessin vaut mieux qu’un long discours
Littérature
– Lorsque les trains français séduisaient les jeunes
lecteurs américains au tournant du XIX
siècle
Guerre 39-45
– A l’ombre du 5 rue de Florence
Architecture
– Henri Pacon, un architecte au service du réseau de l’Etatp. 98
Mémoire
– L’AFAC, une «vieille dame» de 80ans qui fait
le bonheur des historiens
Livres
Juillet 2009
Historail
6-
Historail
Juillet 2009
Matériel
La numérotation
des locomotives
électriques, vingtans
de remise en question
En 1946, dans
un souci de
rationalisation,
la SNCF décide
de verser les 2D2
héritées des
anciens réseaux
dans la tranche
des 5001 à 5999.
La 2D2 544
Sud-Ouest
(ex-PO) devient
ainsi la 5544.
Photorail
Juillet 2009
Historail
L
a classification des locomotives
électriques comme celle des loco-
motives à vapeur repose sur la défi-
nition du type des engins considérés,
suivie d’un numéro de série. Relative-
ment simple tant qu’il s’agit de définir
le type par le nombre d’essieux por-
teurs (chiffres arabes) et d’essieux mo-
teurs (lettres latines capitales), l’opé-
ration devient plus complexe avec la
prise en compte de leurs caractéris-
tiques techniques: vitesse, alimenta-
tion en courant continu ou mono-
phasé, machine monocourant ou
polycourant,etc. Confrontée à l’hé-
ritage des grands réseaux, la direction
du matériel et de la traction confia
cette tâche à sa division des études
de traction électrique qui, de 1946 à
1966, s’appliqua à établir une numé-
rotation régulièrement remise en
cause par l’arrivée de nouveaux ma-
tériels aussi nombreux que variés.
A la Libération, la SNCF fut confrontée
à un important programme de
construction de locomotives élec-
triques destinées, pour une part, à la
ligne de Paris à Lyon (2D2 et BB), pour
l’autre, aux lignes à profil difficile, telle
la section Limoges – Brive de la relation
Paris – Toulouse (CC et BBB). Se posa
dès lors la question de l’identification
de tous ces nouveaux matériels.
Lors de sa création, la SNCF avait
opté pour une numérotation «ré-
gionale» reprenant à peu de chose
près celle retenue par les grands ré-
seaux, chacun pour son propre
compte. Seule l’identification des
types définis par le nombre des es-
sieux porteurs (chiffres arabes) et des
essieux moteurs (lettres latines capi-
tales) était commune et conforme
aux règles internationales définies par
la fiche UIC 612.0. A la suite de cet
indicatif (2D2, BB, CC…), figurait un
numéro de série pris régionalement
et bien souvent uniquement utilisé
par les initiés. C’est ainsi que, pour
La classification des locomotives tient
souvent du casse-tête. Elle relève pourtant
d’une démarche logique, à condition
d’en posséder les clés. Grâce à une étude
de P. Lothon publiée en 1968, celle des
locomotives électriques n’a plus de secret
En 1946,
toujours, la SNCF
attribue la
tranche 8001
à 8999 aux
nouvelles
locomotives de
ligne à 4 essieux
moteurs et
vitesse limite
inférieure à
105 km/h,
les prototypes se
voyant réserver
la première
centaine.
La 0401 devient
ainsi la 8001.
Photorail
(*) P.Lothon (ingénieur principal hors classe à la Division
des Etudes de Traction électrique),
La numérotation des
locomotives,
Revue générale des chemins de fer, février
1968.
Matériel
[ la numérotation des locomotives électriques,
8-
Historail
Juillet 2009
Photorail
Photorail
Tableaux RGCF Janvier 1968
Juillet 2009
Historail
les agents de l’ancien PO, les 500
n’étaient autres que les 2D2 dérivées
des célèbres prototypes 501 et 502
de Brown-Boveri et Winterthur, et les
4800, les 2D2 de l’ex-Compagnie du
Midi. Soucieuse pourtant de bien
marquer son territoire, la SNCF avait
retenu, dès 1939, le principe d’une
numérotation à quatre chiffres pour
les nouveaux matériels commandés
par ses soins. Ainsi, les cinq locomo-
tives 2D2 du type 500, construites en
1942-1943, étaient désignées
2D5546 à 5550, prenant en quelque
sorte la suite naturelle des locomo-
tives 2D2 503 à 545 de l’ex-PO. La
direction du matériel jugeait cepen-
dant cette barrière insuffisante pour
éviter tout risque de confusion avec
les engins hérités des grands réseaux.
Aussi décida-t-elle en 1945 de re-
considérer complètement le problème
et de définir une numérotation nou-
velle de tous les engins de traction
électrique anciens et modernes.
1946
– L’héritage
des grands réseaux
Chargée de ce travail, la division des
études de traction électrique estima
en premier lieu que la nouvelle nu-
mérotation devait permettre de situer
les locomotives dans le temps, c’est-
à-dire de pouvoir aisément faire la
distinction:

d’une part, entre les locomotives des
séries dites «régionales», à savoir les
engins mis en service par les anciens
réseaux et ceux construits postérieu-
rement par la SNCF à l’identique
(telles que les locomotives 2D2 citées
plus haut);

d’autre part, entre les locomotives
étudiées et construites suivant les
dispositions nouvelles spécifiées par
les nouveaux services spécialisés de
la SNCF.
vingt ans de remise en question ]
Prototype
monocourant
à courant
monophasé,
la BB 8051,
produite en
1951 par
Alsthom, sera
renumérotée à
deux reprises :
10001 en 1952
et 20006 fin
1963 (car apte
désormais
à circuler
également sous
1,5 kV continu).
Photorail
Matériel
[ la numérotation des locomotives électriques,
Il lui fallait, pour cela, répartir les dif-
férents matériels présents et à venir
dans des tranches de numéros bien
définis. Elle s’occupa d’abord des lo-
comotives en service:

toutes les 2D2 de l’ex-Midi, du PO
ou de l’Etat furent classées dans la
tranche de 5001 à 5999 (extension
logique de la décision de 1939);

toutes les BB de l’ex-Midi, dont la
numérotation d’origine à quatre chif-
fres se situait dans la tranche des
4000, conservèrent leur numéro, la
tranche de 4001 à 4999 leur étant
définitivement réservée;

toutes les BB du PO et de l’Etat fu-
rent classées dans la tranche de 1 à
999, ce qui permettait de conserver
la numérotation d’origine de presque
tout le matériel PO.
Toutefois, cette dernière disposition
étant contraire à la règle de la numé-
rotation à quatre chiffres, il fut décidé
de faire précéder d’un zéro les trois
10-
Historail
Juillet 2009
Première
machine à
courant
monophasé
livrée à la SNCF
en 1950, la
CC 6051 sera
renumérotée
20001 en 1954,
la tranche des
20000 étant
pour un temps
réservée aux
locomotives
bicourant* (par
opposition aux
locomotives
monophasées
monocourant
classées dans la
tranche des
10000).
* La 6051 était
apte à circuler
sous 50 HZ
monophasé mais
aussi sous 1,5 kV
continu à
puissance
réduite.
Photorail
Tableaux RGCF Janvier 1968
Juillet 2009
Historail
vingt ans de remise en question ]
Photorail
Matériel
[ la numérotation des locomotives électriques,
chiffres. A leur sortie d’usine, les loco-
motives BB de Brive – Montauban fu-
rent ainsi numérotées BB 0325 à BB
Restaient à classer les locomotives de
divers types (1CC1, 2BB2, 2CC2…)
affectées pour la majorité à la ligne
Chambéry – Modane. La tranche de
numéros allant de 3001 à 3999 leur
fut réservée.
Quant aux locomotives de manœu-
vres et de débranchement, qu’elles
soient d’origine régionale ou SNCF,
elles furent indifféremment regrou-
pées dans la seule tranche des 1000
(1001 à 1999). On avait estimé, en
effet, que les commandes de nou-
veaux matériels de cette catégorie se-
raient extrêmement rares du fait de
la réutilisation possible des matériels
déclassés.
Les tranches 0000, 1000, 3000, 4000
et 5000 étant réservées aux anciens
matériels et dérivés, la division des
études de traction électrique ne dis-
posait donc plus que des tranches
2000 et 6000 à 9000 pour la numé-
rotation des locomotives de ligne de
conception nouvelle. Elle commença
par les classer en deux grandes fa-
milles uniquement en fonction du
nombre de leurs essieux moteurs et
sans considération de leurs essieux
porteurs:

locomotives à 4 essieux moteurs:
BB, 2D2…

locomotives à 6 essieux moteurs:
CC, BBB…
Puis elle définit le service auquel elles
étaient destinées avec pour critère la
vitesse 105km/h qui, à l’époque, mar-
quait la frontière entre locomotives
pour trains de voyageurs et locomo-
tives pour trains de messageries.
La répartition retenue fut la suivante:

6001 à 6999: locomotives de ligne
à 6 essieux moteurs et vitesse limite
inférieure à 105km/h;

7001 à 7999: locomotives de ligne
à 6 essieux moteurs et vitesse supé-
rieure à 105km/h;

8001 à 8999: locomotives de ligne
à 4 essieux moteurs et à vitesse limite
inférieure à 105km/h;

9001 à 9999: locomotives de ligne
à 4 essieux moteurs et vitesse supé-
rieure à 105km/h.
La tranche 2000 fut réservée, quant à
elle, pour une utilisation ultérieure, en
fonction de l’évolution des matériels.
Poussant plus loin la réflexion, la divi-
sion des études de traction électrique
admit de retenir la première centaine
des tranches 6000, 7000, 8000 et
9000 pour les locomotives prototypes.
Trouvèrent ainsi leur place:

les CC 6001 et BBB 6002, locomo-
tives prototypes à 6 essieux moteurs
et vitesse maximale de 105km/h, étu-
diées pour la ligne Limoges – Brive;

les CC 7001 et CC 7002, locomo-
tives prototypes à 6 essieux moteurs
et vitesse maximale de 140km/h à
l’origine la série CC 7100;

la BB 8001 (ex-BB 0401), locomo-
tive prototype à 4 essieux moteurs et
vitesse maximale de 105km/h, étu-
diée pour le service mixte sur l’artère
Paris – Lyon, qui donna naissance à la
série BB 8100.
figure1
précise la classification re-
tenue.
La division des études de traction élec-
trique pensait à l’époque avoir large-
ment prévu l’avenir. De fait, dans les
années qui suivirent, aucune difficulté
ne se présenta.
Il n’y eut aucune hésitation pour bap-
tiser BB 9001 à 9004 les prototypes
des locomotives BB de vitesse
(140km/h) qui donnèrent naissance
à la série des BB 9200. De même, les
BB allégées (130km/h) furent dési-
gnées BB 9400.
1950
– L’avènement
du monophasé
Rien ne permettait alors d’imaginer
le développement important que
prendrait en France l’électrification
en courant monophasé à fréquence
12-
Historail
Juillet 2009
Tableaux RGCF Janvier 1968
Juillet 2009
Historail
industrielle, le célèbre 25kV 50Hz.
Aussi, la classification des premiers
prototypes engagés au début des
années 1950 sur la ligne d’essai
d’Aix-les-Bains à Annecy et La
Roche-sur-Foron posa-t-elle une pre-
mière difficulté. Embarras vite résolu,
il est vrai, le parti étant d’admettre
que pour chacune des tranches dé-
finies en 1946 (6000, 6100, 6200…,
7000, 7100, 7200…) les cinquante
premiers numéros seraient réservés
aux locomotives à courant continu
1,5kV et les cinquante numéros sui-
vants aux locomotives à courant mo-
nophasé 25kV 50Hz. Les quatre
prototypes à courant monophasé
trouvèrent ainsi naturellement leur
place dans les différentes tranches
réservées aux engins expérimen-
taux: CC 6051 et 6052, BBB 6053,
Mais la décision prise en 1952
d’électrifier en 25kV 50Hz la
grande artère du Nord-Est (Valen-
ciennes – Thionville) montra les li-
mites de la classification en place.
Les séries envisagées s’annonçaient
numériquement importantes et tout
laissait présager une vaste extension
de ce type d’électrification. La divi-
sion des études de traction élec-
trique proposa en conséquence
d’adopter une numérotation à cinq
chiffres pour les locomotives mono-
phasées (10000, 12000, 14000,
16000, 18000), réservant la numé-
rotation à quatre chiffres aux loco-
vingt ans de remise en question ]
Photorail
Photorail
Livrée par
Alsthom en
1951, la CC 6052
connut le même
sort que son
aînée…
… puisque
renumérotée
20002 en 1954.
Matériel
[ la numérotation des locomotives électriques,
motives à courant continu. Elle en
profita pour porter le critère de vi-
tesse des premières de 105 à
120km/h et pour faire intervenir des
notions de conversion de courant.
figure2
illustre le résultat obtenu:

10001 à 11999: locomotives
prototypes (10001 à 10099) et lo-
comotives de manœuvres (10101 à
11999);

12001 à 13999: locomotives de
ligne à 4 essieux moteurs et vitesse
limite inférieure à 120km/h;

14001 à 14999: locomotives de
ligne à 6 essieux moteurs et vitesse
limite inférieure à 120km/h;

16001 à 17999: locomotives de
ligne à 4 essieux moteurs et vitesse
supérieure à 120km/h;

18001 à 19999: locomotives de
ligne à 6 essieux moteurs et vitesse
supérieure à 120km/h.
Les notions de conversion de cou-
rant conduisent à créer des «sous-
14-
Historail
Juillet 2009
Mise en service
en 1958 pour
les besoins
de la ligne
Strasbourg-Bâle,
la machine
bifréquence
15 kV 16 2/3 et
25 kV 50 Hz
BB 30003 (par
opposition aux
tranches 10000
monocourant et
20000 bicourant)
fut renumérotée
20103 en 1959
(tranche des
20100 adoptée
pour les
locomotives
polycourant ne
circulant pas
sous 1,5 kV
continu).
Photorail
Tableaux RGCF Janvier 1968
Juillet 2009
Historail
séries»:

12001 à 12999, 14001 à 14999,
16001 à 16999, 18001 à 18999: lo-
comotives à conversion de courant;

13001 à 13999, 15001 à 15999,
17001 à 17999, 19001 à 19999:
locomotives à moteurs directs.
La première génération de machines
monophasées – BB 12000,
BB13000, CC 14000, CC 14100,
BB16000– y trouva facilement sa
place. De même que le prototype BB
805I: seul à fonctionner unique-
ment sous 25kV 50Hz, il devint la
BB10001 dans la tranche réservée
aux prototypes.
1954-57
– Les locomotives
bicourant et le double
rapport d’engrenages
A l’inverse de la BB 8051, les trois au-
tres prototypes de l’étoile de Savoie
étaient bicourant (à puissance réduite
sous 1,5kV, il est vrai). En outre, une
vingt ans de remise en question ]
Photorail
Matériel
[ la numérotation des locomotives électriques,
première commande de neuf loco-
motives dérivées du prototype
CC605I avait été passée. Une diffé-
renciation entre locomotives mono-
phasées monocourant et bicourant
s’imposait. La division des études de
traction électrique décida de réserver
aux secondes la tranche des 20000,
les prototypes 6051, 6052 et 6053
devenant respectivement les
CC20001, CC 20002 et BBB 20003,
et les neuf locomotives CC livrées en
1955-1958, classées 25001 à 25009.
Le problème se fit plus aigu avec la
mise en chantier, pour les besoins
de la ligne de Strasbourg à Bâle, de
quatre locomotives bifréquence ca-
pables de circuler sous les deux cou-
rants monophasés 15kV 16 2/3 Hz
et 25kV 50Hz. Pour les distinguer
nettement des précédentes et bien
marquer leur utilisation spéciale, on
leur affecta, lors de leur livraison en
1958, la tranche des 30000 (BB
30001 à 30004).
En 1952, la division des études de
traction électrique n’avait pas prévu
la réalisation d’un bogie monomo-
teur comportant un double rapport
d’engrenages donnant la possibilité
de transformer en quelques minutes
une locomotive de marchandises en
une locomotive de vitesse. Comment
classer ces locomotives capables,
dans la version monophasée alors à
l’étude, de circuler à 105 ou à
150km/h? Ce ne pouvait être qu’un
compromis. Elle admit de retenir la
vitesse maximale, et comme elles
étaient à conversion de courant (re-
dresseurs ignitrons), on les classa
dans la série 16500.
16-
Historail
Juillet 2009
Livrée en 1961
pour circuler
entre Paris et
Bruxelles, cette
BB tricourant
(1,5 kV continu,
3 kV continu et
25 kV 50 Hz
monophasé) fut
numérotée
26001 à sa sortie
d’usine selon
la classi�cation
adoptée en 1959
(tranche
des 26000
regroupant
les machines
tricourant
ignorant
le courant
continu). Elle fut
renumérotée
30001 �n 1963
(tranche des
30000, le chiffre
de tête
indiquant
désormais
le nombre de
courants sous
lesquels la
locomotive était
apte à rouler).
Photorail
Photorail
Tableaux RGCF Janvier 1968
Juillet 2009
Historail
1959
– Les locomotives
polycourant
A la fin des années 1950, la classifi-
cation établie ne donnait plus satis-
faction, en raison de l’augmentation
des locomotives polycourant. Une re-
prise de la numérotation s’avérait
donc indispensable, l’objet étant de
diviser les engins en deux grandes
classes selon leur capacité à circuler
ou non sous courant continu 1,5kV
et de tous les regrouper dans la
tranche des 20000. La notion de vi-
tesse était par contre abandonnée. La
figure3
précise la classification qui en
résulta:

20001 à 20099: les prototypes
isolés;

20101 à 24999: locomotives poly-
courant sans le 1,5kV continu;

25001 à 29999: les locomotives po-
lycourant avec le 1,5kV continu.
On constate que seules les locomo-
tives bifréquence (BB 30001 à 30004)
changeaient de numéro, devenant les
BB 20101 à 20104. La modification
était minime, mais la classification
adoptée plus satisfaisante pour l’es-
prit. En se rapportant aux tranches ré-
servées aux locomotives polycourant
avec le 1,5kV, il était désormais aisé
de différencier les engins bicourant
1,5kV-25kV 50Hz (sous série 25001
à 25999) des engins tricourant 1,5kV-
3kV-25kV 50Hz (sous série 26001 à
26999, dans laquelle les BB 26001 à
26002 à double rapport d’engrenages
trouvèrent leur place en 1961) ou
quadricourant 1,5kV-3kV-15kV
162/3 Hz-25 kV 50Hz (sous série
27001 à 27999).
Par la suite, aucune difficulté ne se
présenta pour classer les locomotives
bicourant destinées à assurer le ser-
vice sur Dijon – Neufchâteau
(BB25100 commandées en 1962) ou
sur Marseille – Vintimille et LeMans –
Rennes (BB 25200 et BB 25500 com-
mandées à partir de 1963). De même,
les quatre locomotives quadricourant
commandées à Alsthom en 1962 le
furent sous les numéros CC 27001 à
CC 27004.
1963
– Deux refontes
pour plus de clarté
Cependant, le progrès de la tech-
nique étant impossible à arrêter, la
rationalisation des constructions, étu-
diée dans le but de réduire le prix
d’acquisition du matériel moteur et
de faciliter la tâche des services char-
gés de son entretien, conduisit à
construire des locomotives mono-
courant à partir de locomotives bi-
courant en leur retirant soit l’appa-
reillage 1,5kV, soit l’appareillage
25kV. En conséquence de quoi la di-
vision des études de traction élec-
trique fut bientôt confrontée à l’arri-
vée de locomotives BB 1,5kV à
double rapport d’engrenages, dé-
duites des locomotives bicourant
BB25500. Ces nouvelles locomotives
trouvaient en effet leur place à la fois
dans la tranche de 8000 à 8999 (vi-
tesse égale ou inférieure à 105km/h
au rapport d’engrenages «petite vi-
tesse») et dans la tranche de 9000
à 9999 (vitesse 150km/h au rapport
d’engrenages «grande vitesse»).
Bien entendu, il lui était possible de
recourir à une solution de compro-
mis analogue à celle appliquée aux
locomotives monophasées BB 16500,
pour lesquelles elle avait pris en
compte la vitesse supérieure, mais il
lui sembla préférable, compte tenu
de la mauvaise utilisation de certaines
tranches de numéros, de procéder à
une nouvelle répartition. C’est ce
qu’elle fit en avril 1963, en limitant
à 8499 la série des locomotives à
4essieux moteurs à vitesse inférieure
à 105km/h et en réservant les 500
unités ainsi récupérées aux locomo-
tives à 4 essieux moteurs à vitesse su-
périeure à 105km/h, dont les BB cou-
rant continu à double rapport
d’engrenages
(voir
figure4
vingt ans de remise en question ]
Matériel
D’aucuns regrettaient cependant de
ne pouvoir distinguer facilement les
divers types de locomotives polycou-
rant, et que, dans les tranches de nu-
méros, aucune différenciation ne soit
faite entre les locomotives à un ou
deux couples d’engrenages.
Il ne pouvait être question de repren-
dre la numérotation générale, mais il
semblait possible de pallier ces incon-
vénients. Pour la distinction des loco-
motives polycourant, une solution
simple existait. Il suffisait que le pre-
mier chiffre du numéro caractérise
tout bonnement le nombre de cou-
rants sous lesquels la locomotive était
capable de fonctionner: deux pour
les bicourant, trois pour les tricou-
rant… Dans ces conditions, la classi-
fication générale des locomotives élec-
triques de la SNCF fut arrêtée comme
suit en décembre 1963:

1 à 9999: locomotives monocou-
rant (continu 1,5kV);

10001 à 19999: locomotives mo-
nocourant (monophasé 25kV
50Hz);

20001 à 29999: locomotives bi-
courant (continu 1,5kV et 3kV ou
monophasé 50Hz et 16 2/3 Hz);

30001 à 39999: locomotives tri-
courant (continu 1,5kV et 3kV +mo-
nophasé 25kV 50Hz, ou toute au-
tre combinaison);

40001 à 49999: locomotives qua-
dricourant (continu 1,5kV et 3kV
+monophasé 25kV 50Hz et 15kV
16 2/3 Hz).
Cette classification avait l’avantage de
n’exiger la reprise de la numérotation
que des deux locomotives tricourant
en service (qui de 26001 et 2 devin-
rent 30001 et 2) et des quatre loco-
motives quadricourant encore en
construction (commandées sous les
numéros 27001 à 004, elles furent li-
vrées en 1964 sous les numéros
40101 à 104).
Quant à la deuxième critique concer-
nant la présence d’un ou de deux
couples d’engrenages, il suffisait de
faire apparaître cette mention sur les
tableaux de numérotation.
Pour ce faire, on admit que les loco-
motives électriques se répartiraient en
quatre grandes catégories:

locomotives de manœuvres et de
débranchement;

locomotives à vitesse inférieure à
105km/h;

locomotives tous usages;

locomotives de vitesse.
figures5, 6 et7
donnent, pour
les trois grandes classes de locomo-
tives électriques (courant continu, cou-
rant monophasé et polycourant) la
numérotation ainsi codifiée.
1966
– La dernière touche
Par souci de simplification, une der-
nière modification fut apportée en
1966. Les catégories définies trois
ans plus tôt (hormis pour les loco-
motives régionales à courant continu)
et les indications de couples furent
supprimées.
Cette décision eut pour conséquence
d’édicter une nouvelle règle consistant
à attribuer aux locomotives bicourant
un indicatif égal à l’addition des nu-
méros de série des engins monocou-
rant de même type dont elles étaient
issues. L’exemple en fut donné par les
CC 21000 bicourant livrées à partir de
1969 (addition des CC 6500 continu
et des CC 14500 monophasé, ces der-
nières jamais construites) et par les BB
22200 sorties d’usine à partir de 1976
(addition des BB 7200 continu et des
BB 15000 monophasé).
Précisons que l’origine de cette règle
est née inopinément d’une simple
constatation, comme a tenu à le rap-
peler P.Lothon, ingénieur principal
hors classe à la division des études de
traction électrique, dont les travaux
nous ont servi de fil conducteur:
«[…]
je voudrais, pour mettre les choses
bien au point, dire comment, du ha-
sard, naquit une règle pour l’identifi-
cation des locomotives constituant une
même famille d’engins.»
En l’occur-
rence, les BB 25500 bicourant de
1964, dont on s’aperçut après coup
que l’indicatif répondait à la somme
de ceux des BB 8500 continu et des
figures 8,9 et 10
)…
Après 1966, la numérotation des lo-
comotives ne fit l’objet d’aucune ré-
vision notable. Hormis, peut-être,
l’ajout, au 1
janvier 1999, en tête du
numéro, d’un sixième chiffre corres-
pondant à la ventilation des machines
par activités: 1 pour les grandes lignes,
4 pour le fret, 5 pour le TER, 6 pour
l’Infrastructure et 8 pour l’Ile-de-
France.

18-
Historail
Juillet 2009
Photorail
Esquisse de
Paul Arzens
de la CC27000,
future machine
quadricourant
prévue pour
1964. Cette
numérotation,
préconisée
en 1959 pour
les engins de
ce type, ne
fut jamais
appliquée.
On lui appliqua
la tranche
des 40100,
attribuée par la
classi�cation de
décembre 1963.
Nom: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Prénom: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Adresse: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Train
20-
Historail
Juillet 2009
P
our la Compagnie des chemins de
fer du Midi, desservant un grand
Sud-Ouest (16 départements) de fai-
ble densité économique et souffrant
d’un déficit structurel, le tourisme
constituait une manne indispensable,
au même titre que pour l’Ouest-Etat
et plus encore que pour le PLM, ré-
seau le plus florissant derrière celui du
Nord. La création de la compagnie par
les frères Pereire en 1852 participa
pleinement à une phase d’extension
décisive de l’offre touristique régio-
nale: seule l’arrivée du chemin de fer
à Arcachon en 1857, à Biarritz en
La Compagnie du Midi
et
l’essor du thermalisme
dans le grand Sud-Ouest
Ayant connu une accélération décisive sous
la monarchie de Juillet, donc antérieurement à
la création de la Compagnie des chemins de fer
de Midi en 1852, le thermalisme constitua vite
une manne indispensable à l’économie du réseau,
de nombreux embranchements partant à l’assaut
des stations.
Tourisme
Photorail
Juillet 2009
Historail
1864 et à Lourdes en 1866 permit
l’essor spectaculaire de ces trois cen-
tres majeurs, qui polarisaient les nou-
veaux flux climatiques, balnéaires et
religieux. Mais avant même l’avène-
ment de cette trilogie fonctionnelle
sous le Second Empire, le Midi recueil-
lait un héritage ancien et considéra-
ble, celui du thermalisme, que nous
considérerons dans cette étude dans
sa stricte acception, celle de l’exploita-
tion des eaux minérales.
En effet, le grand Sud-Ouest dispose
dans ce domaine d’un capital géogra-
phique remarquable, centré sur les Py-
rénées qui possèdent le réseau de sta-
tions le plus dense de l’Hexagone,
affichant un faisceau presque exhaus-
tif de vertus thérapeutiques. Une sta-
tistique générale du ministère des Tra-
vaux publics recensant les
«malades»
curistes en 1881 fait apparaître les dé-
partements des Hautes-Pyrénées et
de la Haute-Garonne aux premier et
quatrième rangs nationaux, tandis
que ceux des Landes et de l’Hérault
suivent immédiatement aux cin-
quième et septième rangs
(1)
. Sans re-
monter jusqu’à l’Ancien Régime, la
vogue des stations thermales pyré-
néennes a connu une accélération dé-
cisive sous la monarchie de Juillet,
comme le suggère par exemple la
dénomination d’Amélie-les-Bains, sta-
tion consacrée par la reine Marie-
Amélie. La multiplication des
«voya –
ges aux Pyrénées»
depuis la fin du
XVlll
siècle, conformes à la nouvelle
(1) Les Hautes-Pyrénées occupent très
nettement la première place
nationale avec 44476 «malades»
curistes recensés, contre 18619 pour
le Puy-de-Dôme et 16439 pour
l’Allier. A eux seuls, les quatre
départements des Hautes et Basses-
Pyrénées, de la Haute-Garonne et des
Landes accueillent alors 35% des
curistes français. Le réseau thermal
des Pyrénées et du grand Sud-Ouest
est dominé par la trilogie Bagnères-
de-Bigorre (16697 «malades»),
Cauterets (15371) et Dax (10499).
Photorail
Photorail
sensibilité préromantique et roman-
tique, sauva progressivement cet es-
pace montagnard de sa réputation de
barbarie. Les images de bains de jou-
vence et d’oasis climatiques se substi-
tuèrent aux représentations de bout
du monde, et les stations devinrent
de véritables isolats de distinction spa-
tiale et sociale.
L’exploitation et la mise en valeur du
potentiel hydrominéral, par son ca-
ractère hérité et sa localisation dissé-
minée, représente pourtant le pan le
plus méconnu et le plus difficile à res-
tituer de la politique touristique de
l’ensemble des grands réseaux ferro-
viaires, au-delà du cas exemplaire du
Midi. À la fois prismes et acteurs de
l’histoire régionale du thermalisme,
les compagnies contribuèrent à la pro-
motion de ce dernier durant trois pé-
riodes fastes: la période fondatrice
du Second Empire et des Pereire,
l’apogée de la Belle Epoque et la
phase de relance des années vingt,
combinant modernisation et coordi-
nation avec les autres produits touris-
tiques. Au contraire, la Grande Guerre
et la crise des années trente furent
des freins déterminants pour la poli-
tique thermale des grands réseaux.
Celle-ci sut jouer en tout cas sur trois
leviers complémentaires: la réalisa-
tion préalable de la desserte ferroviaire
des stations, prolongée par la
recherche permanente de son amé-
lioration, la mise en place d’une tarifi-
cation et d’une propagande commer-
ciale diversifiées, enfin, une politique
externe d’incitation économique, d’in-
tégration, voire d’investissements di-
rects. Les deux premiers leviers rele-
vaient de la logique même de gestion
d’une entreprise ferroviaire et se re-
trouvent donc pleinement dans les
politiques thermales menées par le
PO et le PLM en Auvergne; l’action
particulière du Midi ne fait ici qu’illus-
trer l’attitude générale des compa-
gnies. Seul le troisième semble d’une
ampleur nettement supérieure par
l’ambition du programme élaboré du-
rant le premier tiers du XX
siècle.
22-
Historail
Juillet 2009
Photorail
Photorail
Tourisme
[ la Compagnie du Midi et l’essor
Juillet 2009
Historail
La promotion de
l’économie thermale par la
desserte et l’organisation
ferroviaires
La promotion du thermalisme passa
donc d’abord par la desserte et l’orga-
nisation des services ferroviaires. Cette
desserte des stations se substitua ou
se superposa la plupart du temps à
des moyens d’accès antérieurs. Il pré-
existait en effet parfois une infrastruc-
ture routière spécifique, réalisée au
XVIII
siècle par les intendants, grâce à
la corvée royale, et étoffée de façon
importante par le Second Empire lui-
même. Durant le Siècle des Lumières,
les intendants de la généralité d’Auch,
avec surtout le célèbre d’Etigny de
1751 à 1767, aménagèrent sur le pié-
mont pyrénéen une véritable rocade
Toulouse – Tarbes – Pau – Bayonne, sur
laquelle venaient déjà se greffer des
pénétrantes nord – sud desservant les
vallées. Cette ébauche de politique
de désenclavement du massif était
complétée par la réalisation du pre-
mier tronçon important d’une route
thermale transversale entre les deux
stations principales des Pyrénées, Ba-
gnères-de-Luchon et Bagnères-de-Bi-
gorre, par le col de Peyresourde et Ar-
reau dans la vallée d’Aure.
Le Second Empire, promoteur d’un
aménagement du territoire avant la
lettre, en particulier dans le grand
Sud-Ouest qui bénéficia de toute la
sollicitude du couple impérial, vit une
extension considérable de cette infra-
structure routière. Sous l’impulsion
personnelle d’Achille Fould, ministre
d’Etat, député de Tarbes et président
du conseil général des Hautes-Pyré-
nées, et à l’issue d’une villégiature de
Napoléon III à Saint-Sauveur en sep-
tembre 1859
(2)
, fut mise en œuvre la
construction d’une
«route thermale»
complète de 200km, allant de Lu-
chon aux stations des vallées d’Ossau
et d’Aspe, par les grands cols aména-
gés ou réaménagés par des travaux
spectaculaires (Soulor, Aubisque, Pey-
resourde, Tourmalet).
Achevée en 1867 au prix d’énormes
difficultés, cette route cherchait à pal-
lier l’absence d’un sillon naturel longi-
tudinal, en reliant les vallées méri-
diennes des Pyrénées centrales. Les
communications estivales entre les sta-
tions étaient réellement facilitées,
puisqu’il n’était plus nécessaire de re-
descendre sur le piémont, et la no-
tion même de réseau thermal prenait
ici toute sa valeur. Elle offrait d’autre
part un magnifique belvédère en face
des nouveaux sites consacrés de haute
montagne, prolongeant ainsi le sys-
tème de déambulation classique des
villes d’eaux. Elle ne constituait pour-
tant qu’une infrastructure touristique
interne, surimposée par rapport à un
milieu traditionnel
«agro-sylvo-pas-
toral»
, pour qui seules comptaient
les communications nord – sud avec
le piémont, voire avec l’Espagne, et
laissait pour l’instant de côté les sta-
tions de l’Ariège, des Pyrénées-Orien-
tales et de l’Aude, qui amorçaient
alors leur croissance. Surtout, elle ne
facilitait en rien l’accès initial d’une
clientèle de curistes par définition na-
tionale et même cosmopolite.
Globalement, l’infrastructure routière
restait de toute façon insuffisante pour
passer à une ère industrielle, celle de
l’exploitation intensive du potentiel
thermal. Seul le chemin de fer permet-
tait jusqu’aux années 1930 une réduc-
tion substantielle des distances-temps
et représentait donc une révolution,
au sens propre du terme, dans l’éco-
nomie du thermalisme, en amenant
un changement d’échelle radical.
(2) De façon classique, les voyages et séjours du couple
impérial furent souvent le levier le plus efficace des
politiques de promotion et d’aménagement touristique
des grands réseaux ferroviaires.
La desserte ferroviaire des stations se superposa la
plupart du temps à des moyens d’accès antérieurs.
du thermalisme dans le grand Sud-Ouest ]
Tourisme
[ la Compagnie du Midi et l’essor
Si les stations thermales n’ont bénéfi-
cié d’aucune priorité générale dans
l’aménagement du réseau ferroviaire,
priorité accordée par définition aux
lignes de plaine et de piémont reliant
des agglomérations de quelque im-
portance, elles ont en revanche joué
un rôle fondamental dans la consti-
tution et la configuration du réseau
montagnard. Beaucoup plus que des
flux industriels, agricoles et forestiers
somme toute restreints, elles justi-
fiaient en effet l’aménagement d’em-
branchements pyrénéens nord – sud,
dont elles constituaient parfois les ter-
minus comme pour les deux Ba-
gnères. Une situation identique se re-
trouvait dans le Massif central où les
deux artères de Laqueuille – Le Mont-
Dore et Riom – Châtelguyon ne de-
vaient leur existence qu’au rayonne-
ment des deux villes d’eaux desservies.
Dans les Pyrénées, ces embranche-
ments furent construits en théorie
dans l’ordre de leur rentabilité et de
leurs contraintes de réalisation tech-
nique. Un retard très net affecta glo-
balement la partie orientale du massif,
et dans une moindre mesure la partie
occidentale par rapport à sa partie
centrale, comme le montre la chro-
nologie des mises en service
(voirta-
bleau p. 26)
Pour mener à bien les premiers chan-
tiers, il fallut attendre la concession
effective du
«réseau pyrénéen»
1858, que les pouvoirs publics avaient
d’ailleurs envisagé de confier au Pa-
ris-Orléans pour prolonger les lignes
du Grand Central que ce dernier ve-
nait de reprendre. Jusque-là, l’arrivée
du chemin de fer à Dax en 1854
n’avait pas permis la renaissance du
thermalisme local, qui ne se manifesta
que dans les années 1870, et l’inau-
guration de Dax – Bayonne l’année
suivante n’offrait encore que des cor-
respondances hippomobiles malcom-
modes avec les seules stations des
Basses-Pyrénées. Toulouse – Bayonne
par Tarbes et Pau, au large développe-
ment kilométrique et à double voie,
constituait naturellement la rocade
sous-pyrénéenne maîtresse du nou-
veau réseau montagnard. A cause de
sections à profil difficile, comme la cé-
lèbre rampe de Capvern, renchéris-
sant son coût d’établissement, elle ne
fut cependant achevée qu’en 1867
avec la mise en service des derniers
tronçons de Montréjeau – Tarbes et
de Lourdes – Pau. Elle s’individualisa
rapidement par l’importance de son
trafic, dans lequel curistes et touristes
représentaient une part notable sans
que l’on puisse précisément la quan-
tifier: en 1911, elle figurait au qua-
trième rang des artères du Midi avec
une densité de 606000 voyageurs
par kilomètre.
Dès avant la mise en service complète
de la rocade, Tarbes, desservie très
précocement par rapport au reste du
réseau, s’affirma comme un véritable
nœud ferroviaire local, grâce à la sol-
licitude efficace de son député
A.Fould. Elle bénéficia ainsi en 1859,
en provenance de Morcenx, de la pre-
mière voie d’accès à la partie centrale
de la chaîne
(3)
. Surtout, le premier em-
branchement pyrénéen fut réalisé en
1862 pour la relier à la doyenne des
stations du massif, Bagnères-de-Bi-
gorre, qui profitait aussi de sa posi-
tion proche du piémont. L’antériorité
et la commodité de sa desserte consti-
tuèrent aussitôt un avantage décisif
par rapport à ses rivales. Cet embran-
chement précéda en effet de près de
dix ans ceux de Lourdes – Pierrefitte,
donnant accès indirectement à Caute-
rets et Luz-Saint-Sauveur, et de Mon-
tréjeau – Luchon, desservant la
«Reine
des Pyrénées»
, mis en service respec-
tivement en 1871 et 1873.
Comme le montre le tableau, une
nouvelle vague importante de mises
en service intéressant les stations ther-
males d’Ax, de Balaruc, de Lamalou,
des Eaux-Bonnes et des Eaux-
Chaudes, du Boulou, de Salies-de-
Béarn et d’Ussat se développa durant
les années 1880, dans le cadre des
concessions de 1868 et 1875. Une
dernière vague digne de ce nom
affecta les années 1890, au moment
où s’ouvrait la Belle Epoque, en ren-
dant accessibles les stations d’Amé-
lie-les-Bains, d’Arreau-Cadéac, de
Barbotan, de Cambo et de Vernet-les-
Bains. La rentabilité prévue de ces ar-
tères appartenant aux concessions
24-
Historail
Juillet 2009
Les stations ont joué un rôle fondamental
dans la constitution et la con�guration du réseau
montagnard.
Photorail
Juillet 2009
Historail
Freycinet de 1879-1883 était cepen-
dant d’emblée jugée fort aléatoire,
malgré la manne espérée des curistes.
Durant la Belle Epoque, de 1895-
1896 à 1914, la desserte et la poli-
tique d’exploitation ferroviaire des
villes d’eaux par la compagnie attei-
gnirent leur apogée. La carte du ré-
seau à la veille de la Grande Guerre
et les statistiques tirées des rapports
annuels du conseil d’administration
font alors apparaître pas moins de
24gares de stations à vocation ther-
male. Pour la majorité d’entre elles, il
s’agit d’une monoactivité ou du moins
de leur flux principal de trafic, et leurs
statistiques voyageurs, au-delà des li-
mites classiques de fiabilité des comp-
tages ferroviaires avant la création de
la SNCF, sont directement exploitables
pour notre étude. Au contraire, le tra-
fic de Bagnères-de-Bigorre correspond
globalement à celui d’une sous-pré-
fecture et d’un centre industriel im-
portant et dépasse largement le seul
flux thermal. Le cas est encore plus
patent pour Dax, qui fait figure d’ag-
glomération aux fonctions diversifiées
à l’échelle régionale.Enfin, Pierrefitte-
Nestalas ne constitue qu’indirecte-
ment la gare de Cauterets et Luz-
Saint-Sauveur par l’intermédiaire du
PCL (Chemins de Fer de Pierrefitte à
Cauterets et à Luz), et d’autre part,
elle devient elle-même au début du
siècle un centre industriel nota-
ble avec l’établissement d’usines hy-
droélectriques et électrochimiques.
Malgré ces précautions méthodolo-
giques, nous voyons clairement qu’en
1900 et 1913 le réseau thermal du
grand Sud-Ouest était dominé par les
quatre stations de Bagnères-de-Bi-
gorre, de Bagnères-de-Luchon, de
Cauterets et de Dax, qui se livraient
une intense compétition, tandis que
celles d’Argelès-Gazost, de Lamalou-
les-Bains et de Salies-de-Béarn accé-
daient à un rang de notoriété impor-
du thermalisme dans le grand Sud-Ouest ]
(3) Morcenx – Tarbes est animée en 1911 d’un trafic
important de 473000 voyageurs par kilomètre grâce
en partie au flux de curistes et de touristes acheminés
par le Pyrénées Express.
Photorail
Photorail
Tourisme
[ la Compagnie du Midi et l’essor
tant, avec un flux de plus de
100000voya geurs. La progression
du trafic de 1900 à 1913 s’avère d’ail-
leurs spectaculaire, dépassant en
moyenne les 30 pour 100, sauf à La-
malou, faisant donc de l’immédiat
avant-guerre l’apogée de la Belle
Epoque et globalement de l’ensem-
ble de l’histoire du thermalisme.
A l’inverse des stations balnéaires et
dans une moindre mesure des sta-
tions climatiques, très rares furent en
France les stations thermales créées
de toutes pièces par le chemin de fer.
La panacée de la desserte ferroviaire
relevait bien de la catégorie des
grands mythes économiques: le prin-
cipe de l’antériorité resta donc géné-
ral. A l’inverse, les villes d’eaux
demeurées à l’écart des réseaux ferro-
viaires, sans correspondance facile as-
surée par des tramways ou au pire
par un service hippomobile pour une
distance minime, ont eu bien du mal
à subsister. Tel était le cas d’Aulus en
Ariège ou même de Barèges dans les
Hautes-Pyrénées, qui ne dut son sa-
lut qu’à la clientèle de fond des mili-
taires: elles ne pouvaient absolument
pas rivaliser avec des concurrentes di-
rectement desservies. Sans représenter
pour autant une condition suffisante,
l’arrivée du chemin de fer constituait
en fin de compte un catalyseur remar-
quable. Elle conférait aux stations une
consécration décisive et étendait
considérablement les possibilités de
prospection commerciale.
L’histoire de la
«micro-station»
Cadéac dans les Hautes-Pyrénées en
est l’illustration caricaturale. Seule la
mise en service tardive en 1897 de
l’embranchement Lannemezan – Ar-
reau la fit sortir de sa profonde léthar-
gie, lui assurant trois décennies de
26-
Historail
Juillet 2009
Gares
Artères
Date de mise
Trafic voyageurs total
en service
Alet
Limoux-Quillan
1/07/1878
Amélie-les-Bains
Céret-Arles-sur-Tech
26/06/1898
Argelès-Gazost
Lourdes-Pierrefitte
26/06/1871
133 284150 296
Arreau-Cadeac
Lannemezan-Arreau
1/08/1897
Ax-les-Thermes
Tarascon-Ax-les-Thermes
22/04/1888
Bagnères-de-Bigorre
Tarbes-Bagnères
15/08/1862
230 768422 608
Bagnères-de-Luchon
Montréjeau-Luchon
17/06/1873
152 880139 056
Balaruc-les-Bains
Cette-Montbazin
25/07/1887
Barbazan
Montréjeau-Luchon
17/06/1873
Barbotan
Mont-de-Marsan-Mézin
12/12/1897
Cambo-les-Bains
Bayonne-Cambo
19/01/1891
Capvern
Tarbes-Montréjeau
20/06/1867
Dax
Bordeaux-Dax
12/12/1854
393 196423 368
Lamalou-les-Bains
Saint-Pons-Bédarieux
10/11/1889
Laruns-Eaux-Bonnes
Pau-Laruns
30/06/1883
Le Boulou
Elne-Céret
18/08/1889
Ogeu-Les-Bains
Buzy-Oloron
1/09/1883
Pierrefitte-Nestalas
Lourdes-Pierrefitte
26/06/1871
195 961173 642
Salies-de-Bearn
Pyoô-Saint-Palais
22/12/1884
Salies-du-Salat
Boussens-Saint-Girons
15/02/1866
Saubusse-les-Bains
Dax-Bayonne
26/03/1855
Thues-les-Bains
Villefranche-Bourg-Madame
Ussat-les-Bains
Tarascon-Ax-les-Thermes
22/04/1888
Villefranche-Vernet-les-Bains
Prades-Villefranche
2/06/1895
La desserte des principales stations thermales du grand Sud-Ouest
par la Compagnie du Midi et le trafic de leurs gares (1900-1908)
Source:
A.N. Compagnie du Midi 78 AQ-9 et 10. Rapports
annuels du Conseil d’administration. Annexe statistiques
XIII, Trafic des stations.
Remarques:
Le trafic voyageurs total cumule les arrivées
et les départs. La gare de Pierrefitte-Nestalas dessert
les stations de Cauterets et de Luz-Saint-Sauveur. Thuès-
les-Bains n’est desservie qu’à partir de 1911.
Le trafic de chaque gare recouvre naturellement d’autres
fonctions urbaines que la seule vocation thermale.
Le phénomène est particulièrement net pour les villes
les plus importantes, Dax en premier lieu, largement
multifonctionnelle, mais aussi Bagnères-de-Bigorre dont
la population et les activités industrielles connaissent à
cette époque une croissance substantielle. Les statistiques
de trafic par station ne figurent plus après 1919 dans
les Rapports annuels, montrant bien l’appauvrissement
regrettable des archives ferroviaires commerciales dans
l’Entre-deux-Guerres.
Juillet 2009
Historail
gloire locale avant la décrépitude des
années trente et la déchéance du se-
cond après-guerre. Son propagan-
diste officiel, le docteur Toujan, dans
un opuscule publié en 1904 à Tou-
louse,
La Vallée d’Aure et ses eaux
minérales
, représentatif d’une littéra-
ture prolifique confondant préoccu-
pations médicales et publicitaires,
soulignait que
«jusqu’en 1897 les
communications étaient particulière-
ment difficiles; il y avait deux heures
de diligence entre Arreau et Lanne-
mezan. Peu de touristes s’aventu-
raient dans la vallée et aucun ne son-
geait à s’installer pour quelques jours
dans un pays aussi isolé»
L’exploitation rationnelle de la des-
serte des stations reposait largement
depuis la fin du XIX
siècle sur l’orga-
nisation durant
«la saison»
, de juin à
octobre, de trains spéciaux, trains di-
rects et de luxe
(4)
. Les grands réseaux
travaillaient le plus souvent en collabo-
ration avec la Compagnie internatio-
nale des wagons-lits. Le Sud Express à
destination de la péninsule ibérique
en était l’archétype, et sa dénomina-
tion même promettait au voyageur
les effluves d’un exotisme méridional.
Outre la desserte directe des stations
balnéaires de la Côte d’Argent, il per-
mettait de multiples correspondances
avec les villes d’eaux de la partie occi-
dentale du massif pyrénéen: de fré-
quence trihebdomadaire, il était ex-
clusivement composé de wagons-lits,
salons et restaurants. Parmi ses cor-
respondances, figurait à partir de
1910 le Pyrénées-Côte d’Argent
Express, qui circulait notamment entre
Dax et Pierrefitte en août et septem-
bre. En diffusant ce terme de «Côte
d’Argent», adopté en 1905 par le
journaliste de
La Petite Gironde
, Mau-
rice Martin, pour rivaliser avec la Côte
d’Azur, la Compagnie du Midi confir-
mait bien la symbiose entre les diffé-
rentes formes de tourisme régional.
A l’autre extrémité de la chaîne pyré-
néenne, le Barcelone Express permet-
tait, lui, des relations directes avec les
stations des Pyrénées-Orientales, es-
sentiellement Vernet-les-Bains, le Bou-
lou et Amélie-les-Bains. En 1913, au
moment de l’ouverture de la station
climatique intégrée de Font-Romeu,
la compagnie créa un Vernet-les-Bains
– Font-Romeu Express qui facilitait en
particulier l’accès de l’importante clien-
tèle espagnole. Les villes d’eaux de la
partie centrale, avec la trilogie Caute-
rets-Bagnères-de-Bigorre-Luchon, bé-
néficiaient surtout depuis le tout dé-
but du siècle d’un train spécifique, le
Pyrénées Express, de fréquence biheb-
domadaire, qui empruntait la ligne
Morcenx – Tarbes et se voulait l’égal
du Sud Express
(5)
. Avec une spécialisa-
tion encore plus grande, le PLM et le
PO, pour la desserte des stations du
Massif central, organisaient au départ
de Paris le Thermal Express à destina-
tion de Vichy, Châtelguyon, Royat, La
Bourboule et Le Mont-Dore. Il existait
également, grâce à une coopération
du thermalisme dans le grand Sud-Ouest ]
(4) Ces trains avaient cependant une fonction touristique
et commerciale polyvalente, même si les curistes et
villégiateurs constituaient leur clientèle essentielle. Dans
ses rapports annuels, la Compagnie du Midi par exemple
ne distinguait pas des «trains thermaux», alors que les
trains de plaisir et de pèlerinages constituaient deux
catégories officielles.
(5) Il desservait également le pôle majeur de Lourdes.
Photorail
Tourisme
[ la Compagnie du Midi et l’essor
internationale classique entre les
grandes compagnies, un train de luxe
Londres – Paris – Vichy.
Les rapports du conseil d’administra-
tion des grands réseaux, qui don-
naient facilement, par tradition du
genre, dans l’autosatisfaction béate,
se devaient de célébrer chaque année
les améliorations de l’organisation de
ces trains, notamment la réduction de
durée de leur trajet. Ces rapports évo-
quaient aussi l’influence des condi-
tions climatiques sur le trafic thermal
et touristique, tout excès dans un sens
ou dans l’autre ayant des répercus-
sions négatives. Ainsi, par comparai-
son avec l’année 1908 jugée excel-
lente, 1909 se caractérise sur le réseau
du Midi
«par un temps défavorable
pendant la saison d’été, avec des
pluies fréquentes et des températures
peu élevées qui ont contribué à ralen-
tir le trafic»
, tandis qu’inversement,
en 1911,
«si la chaleur de l’été a at-
tiré vers la montagne et les plages une
affluence d’étrangers qui ne s’était
pas produite depuis longtemps, l’ex-
cès même de la température a certai-
nement entravé les déplacements lo-
caux de notre clientèle »
. En tout cas,
l’année 1913 correspond bien à un
apogée de la politique thermale des
grands réseaux ferroviaires, et la Com-
pagnie du Midi pouvait déclarer triom-
phalement, grisée par la conjoncture:
«la fréquentation croissante de nos
stations thermales et balnéaires at-
teste le succès de nos efforts multi-
ples pour adapter toujours mieux nos
services aux besoins du public».
venait-elle pas de mettre en marche
des trains supplémentaires sur la plu-
part des embranchements pyrénéens
pour faire face à une demande en
pleine expansion?
La Grande Guerre porta naturelle-
ment un brusque coup d’arrêt à cette
croissance. Une reprise du trafic se
manifesta cependant progressive-
ment dès 1917, et en fin de compte
les statistiques de 1918 ne laissaient
subsister sur le réseau du Midi qu’un
recul modéré, en moyenne de 10 à
15 pour 100, sur les maxima de
(6)
. Les potentialités de redémar-
rage semblaient préservées, même si
les années de croissance facile étaient
bien révolues.
L’entre-deux-guerres correspond
indiscutablement à une phase de re-
mise en question profonde du ther-
malisme en France, avec l’effondre-
ment de la clientèle étrangère, y
compris espagnole, l’obsolescence des
structures fonctionnelles de villégia-
ture, la concurrence active des diffé-
rents massifs à l’intérieur de l’Hexa-
gone et les nouvelles exigences de
transparence médicale sur les vertus
thérapeutiques de chaque station. La
plupart des villes d’eaux sentirent ainsi
le besoin de se médicaliser, au détri-
ment de leur fonction générale de vil-
légiature, oasis touristique pour privi-
légiés. Tel était bien le cas dans le
massif pyrénéen de Luchon, qui mena
une politique ambitieuse de moder-
nisation de ses équipements ther-
maux, symbolisée par l’inauguration
spectaculaire du Radio-Vaporarium-
Sulfuré en 1929, ensemble thérapeu-
tique unique en Europe qui renforçait
le rayonnement international de la
«Reine des Pyrénées
Au cœur même de cette logique de
modernisation et de ses représenta-
tions valorisantes, la Compagnie du
Midi développa une politique d’électri-
fication multiforme pour améliorer no-
tamment la desserte des stations ther-
males. Cette politique atteignit son
apogée au tournant des années vingt
et trente, mais l’électrification a joué
d’emblée un rôle important dans la
distinction spatiale et l’essor de ces sta-
tions. Elle constitua une dimension
souvent oubliée de l’aménagement de
leurs structures fonctionnelles de vil-
légiature. Les villes d’eaux pyrénéennes
se devaient en effet de profiter de
toutes les innovations techniques et
elles se placèrent ainsi au premier rang
national dans l’adoption de l’éclairage
électrique, sans aucun retard sur le
massif alpin. Argelès-Gazost en béné-
ficia dès 1885, avant Toulouse et
même Grenoble. Dès les années 1890,
se constituèrent les premières entre-
prises spécifiques de distribution, la
Société d’éclairage de Cauterets et la
Luchonnaise d’électricité
(7)
L’électrification précoce des établisse-
ments thermaux, hôtels et casinos, tri-
logie permanente, devenait tout aussi
nécessaire qu’une desserte ferroviaire
accélérée pour assurer la promotion
de ces équipements auprès d’une
clientèle exigeante de privilégiés, qui
intégraient pleinement l’innovation
dans leur mode de vie et leur code de
28-
Historail
Juillet 2009
L’année 1913 correspond à un apogée
de la politique thermale des grands réseaux.
Photorail
Juillet 2009
Historail
valeurs. Comme pour l’hôtel des Ver-
durin chez Proust, elle constituait un
signe éminent de distinction sociale,
de modernité technique et de confort
anglo-saxon, contribuant ainsi à l’ima-
gerie de la Belle Epoque. Dès 1891,
les affiches des Eaux-Bonnes faisaient
ressortir en lettres d’or la mention
«éclairage électrique public et privé»
comme un gage essentiel de séduc-
tion commerciale.
Le thermalisme joua donc un rôle de
modèle et d’entraînement dans la dif-
fusion régionale de l’électrification, et
cette symbiose fut renforcée par l’in-
troduction et le développement de la
traction électrique. En laissant de côté
les simples tramways, le PCL en réalisa
la première application dans le grand
Sud-Ouest. En juin 1898, la mise en
service pionnière, à l’échelle même de
l’Hexagone, d’une artère à voie étroite
de Pierrefitte à Cauterets visait à pro-
longer l’embranchement du Midi
Lourdes – Pierrefitte pour assurer sans
discontinuité la desserte de la ville
d’eaux
(8)
. Il s’agissait bien d’une date
fondamentale dans ses annales, car
au lieu de deux heures et demie, voire
trois heures, pour accomplir en dili-
gence le trajet depuis le terminus du
Midi, il suffisait désormais de 45 mi-
nutes. Mais outre le flux principal de
curistes, cette artère acheminait aussi
nombre de pèlerins lourdais ou de
«purs»
touristes attirés par les sites
du cirque de Gavarnie, du massif de
Néouvielle et du Vignemale. Le PCL,
exemple historique le plus important
dans les Pyrénées d’infrastructure
thermale de transport, était alors tech-
niquement à la pointe d’une politique
d’ouverture de lignes d’intérêt local
par des compagnies dites secondaires.
La Compagnie du Midi, grâce à la réa-
lisation de son ambitieux programme
d’électrification ferroviaire, qui com-
bina toutes les échelles géogra-
phiques, compléta et améliora par des
efforts continus son offre de dessertes.
Dans le domaine spécifique du ther-
malisme qui nous intéresse ici, elle
aménagea, à l’échelle locale, un che-
min de fer à crémaillère entre la sta-
tion de Luchon et le plateau de Su-
perbagnères. Cette voie mise en
service en 1913 donnait en hiver ac-
cès aux champs de neige, mais elle
offrait aussi en été un excellent but
d’excursion pour les curistes
(9)
. Le
conseil d’administration pouvait se fé-
liciter
«du succès des trains spéciaux
d’excursion mis en marche pour cette
nouvelle attraction qui, dans les vi-
sions de son parcours, réalise la plus
impressionnante synthèse de la splen-
deur pyrénéenne»
La promotion du
thermalisme par la tarifica-
tion et la propagande
La politique commerciale proprement
dite des grands réseaux pour la pro-
motion des stations thermales fut tout
à fait classique. Elle reposait à la fois
sur des initiatives tarifaires de plus en
plus étendues, diversifiées et d’ailleurs
du thermalisme dans le grand Sud-Ouest ]
(6) L’augmentation spectaculaire du trafic de Bagnères-
de-Bigorre rend compte de l’effort exceptionnel de
mobilisation de ses industries au service de la défense
nationale.
(7) Dans le même domaine des usages de l’électricité,
Luchon fut une des premières villes du Sud-Ouest, sinon
la première, à voir l’installation d’ascenseurs avant même
Toulouse.
(8) La ligne fut fermée à l’exploitation en 1949. Comme
sa raison sociale l’indique, une seconde voie étroite
électrifiée desservant la station de Luz-Saint-Sauveur fut
inaugurée en 1901 mais ferma dès 1939. L’existence
de cette infrastructure thermale de transport fut donc
éphémère puisqu’elle correspond à peine à un
demi-siècle.
(9) Skieurs et curistes pouvaient utiliser l’infrastructure
de luxe du Grand Hôtel de Superbagnères, ouvert en 1922
pour développer surtout une vocation climatique de
station d’altitude, à l’instar de Font-Romeu.
Photorail
Photorail
Tourisme
[ la Compagnie du Midi et l’essor
complexes, et sur un système efficace
de propagande par l’affiche. Elle at-
teignit naturellement son apogée à la
veille de la Grande Guerre.
La clientèle des curistes et villégiateurs
était par principe fort rémunératrice
pour le chemin de fer, puisqu’il s’agis-
sait essentiellement de privilégiés
voyageant avec leur famille et leurs
domestiques dans des trains de luxe.
Mais pour fidéliser et élargir cette
clientèle, les compagnies créèrent dès
la fin du XIX
siècle une avalanche ten-
tatrice de tarifs réduits
(10)
. Leurs af-
fiches arboraient ainsi souvent le mot
magique de
«réduction»
inscrit en
caractères gras, avec une gradation
savamment calculée des pourcen-
tages. Ces billets spéciaux étaient pré-
sentés avec un luxe de détails dans
leurs
Livret-guide officiel
, dans leurs
Guide-album
, qui fournissaient le
vade-mecum
du parfait touriste. Ils
faisaient miroiter également leurs
avantages dans des brochures tout
aussi abondamment illustrées, comme
Plages, villes d’eaux et excursions
, pu-
bliée en 1910, symbole d’une Belle
Epoque placée sous le signe d’une tri-
logie majeure annoncée par le titre.
Le Paris-Orléans avait d’ailleurs pré-
cédé dans ce domaine le Midi, en réa-
lisant dès 1899 une brochure
Stations
thermales et balnéaires de la Loire aux
Pyrénées
. Le PLM joua également un
rôle de premier plan dans le domaine
des publications de propagande tou-
ristique, avec surtout la collection de
ses atlas et son
Agenda
, dont l’édi-
tion devint annuelle à partir de 1911.
A la veille de la Grande Guerre, ce dis-
positif tarifaire des grands réseaux
comprenait de multiples combinaisons
de billets à itinéraire fixe ou faculta-
tif, individuels ou de famille
(11)
. Parmi
les plus prisées du public, figuraient
les cartes d’excursions dans les Pyré-
nées, dans le Massif central et dans
les Alpes, délivrées pour la période du
15 juin au 15 septembre, montrant
qu’aux yeux des grandes compagnies
tout villégiateur d’une station ther-
male se doublait forcément d’un tou-
riste excursionniste, rayonnant autour
de son centre de résidence. Ces cartes
créées en 1904 donnaient droit à une
libre circulation dans la zone choisie.
Sur le réseau du Midi, l’accès initial
aux villes d’eaux fut surtout facilité à
partir de 1903 par des billets spéci-
fiques
«de stations thermales et de
vacances»
, qui atteignaient en 1913
un chiffre d’affaires maximal de
3,644millions de francs pour 457000
billets délivrés, représentant 1,6 pour
100 du total des voyages. Ce pour-
centage s’avère à la fois très faible par
rapport à l’ensemble du trafic voya-
geurs et fort important par rapport
au flux touristique global.
Alors que le champ d’application des
tarifs réduits venait d’être élargi de
façon substantielle en 1911-1912,
le Comité consultatif d’action éco-
nomique (CCAE) dans sa remarqua-
ble
Enquête
de 1918
(12)
n’hésita pas
30-
Historail
Juillet 2009
Photorail
Photorail
Juillet 2009
Historail
à réclamer vivement de nouvelles
améliorations en faveur des stations
thermales et plus largement touris-
tiques. Il revendiquait classiquement
l’organisation de trains plus directs,
plus rapides et aux correspondances
bien étudiées, grâce en particulier à
l’électrification, mais il interpellait
surtout l’ensemble des grands ré-
seaux français, au-delà du seul Midi
dont il soulignait globalement les
efforts méritoires:
«Au lieu de consentir comme nous
l’avons vu trop souvent avant la
guerre des tarifs de faveur pour
l’étranger, nos compagnies auront
désormais le devoir impérieux de ré-
server avant tout aux stations fran-
çaises les divers avantages qu’elles ac-
cordent. Elles y auront pour la région
pyrénéenne un intérêt évident car,
plus que toute autre, cette région
constituant un terminus de réseau
peut fournir à toutes les compagnies
un ensemble important d’itinéraires
réalisant le maximum de recettes kilo-
métriques. Il semble au premier chef
nécessaire que l’exclusivisme régional
de certaines compagnies, trop sou-
vent attachées jusqu’ici aux stations
qu’elles peuvent directement desser-
vir, fasse place à une solidarité mieux
comprise.»
Le PO et le PLM étaient ici
directement visés…
Le CCAE réclamait également des ini-
tiatives supplémentaires pour
«les pe-
tits touristes»
, pariant précocement
sur une démocratisation de la clien-
tèle
(13)
, et s’en prenait à la tarification
jugée prohibitive des réseaux d’intérêt
local de montagne, en particulier du
PCL: en effet,
«au point de vue kilo-
métrique, les différences sont consi-
dérables par rapport aux tarifs de la
Compagnie du Midi. Les dépositions
reçues par la commission d’enquête
font ressortir que cette situation a trop
souvent pour conséquence d’écarter
les innombrables touristes que les pè-
lerinages de Lourdes pourraient ame-
ner dans les stations voisines, de di-
minuer les recettes des entreprises
fermières, de rendre dans les stations
la vie très chère à cause du prix élevé
de transport des denrées et d’aug-
menter les difficultés d’expédition des
eaux thermales»
Comme on le voit, les compagnies re-
présentaient des partenaires à la fois
indispensables et fort appréciés des
responsables du thermalisme. Pour-
tant, au cours de l’entre-deux-guerres,
la concurrence de l’automobile com-
mença à se faire sentir pour la des-
serte des villes d’eaux, mais le Midi,
vu les lacunes du réseau routier régio-
nal et la difficulté de certains itiné-
raires montagnards, sembla moins af-
fecté par cette concurrence que le PO
et le PLM, qui la signalèrent dans leurs
rapports dès 1926.
Depuis la fin du XIX
siècle, l’affiche
ferroviaire fournissait à tous les grands
réseaux l’illustration technique et poé-
tique magistrale de leur politique
de promotion des villes d’eaux.
du thermalisme dans le grand Sud-Ouest ]
(10) Inversement, bien entendu, l’accès aux places de luxe offertes dans
les trains classiques par la CIWL et à l’ensemble des places des trains spéciaux
de luxe, comme les Sud Express, Pyrénées Express et Barcelone Express, était
conditionné au paiement d’un supplément tarifaire important, correspondant
en général à la moitié du billet de première classe.
(11) L’affiche synthétique sur les stations thermales et balnéaires des Pyrénées,
réalisée par le maître réputé Hugo d’Alési à la fin des années 1890, illustre
fort bien cette politique tarifaire touristique. Elle égrène en effet la liste des
différentes réductions possibles, alléchante réclame disposée dans un
important cartouche: billets de voyages circulaires aux Pyrénées,
25 à 40p.100, billets d’excursions individuels et collectifs à itinéraires
facultatifs, 20 à 60p.100, billets d’aller et retour individuels et de famille pour
les stations thermales et balnéaires des Pyrénées et du golfe de Gascogne,
20 à 40p.100, billets spéciaux de pèlerinages pour Lourdes, 20 à 40p.100.
Cette affiche figure notamment dans P.Belves,
100 ans d’affiches des chemins
de fer
, Paris,
La Vie du rail
, 1980, affiche n°70.
(12) Comité consultatif d’action économique de la XVIII
e
région,
Enquête sur la
reprise et le développement de la vie industrielle dans la région pyrénéenne
(Hautes et Basses-Pyrénées)
, Bordeaux, Delmas, 1918.
(13) Le CCAE déclarait ainsi: «
On n’a peut-être point encore assez fait,
en dehors des trains spéciaux à tarifs réduits, pour attirer les petits touristes.
Les billets dits “de libre parcours” qui permettent, moyennant un prix à
forfait, de circuler librement dans une zone déterminée, sont encore trop peu
en usage. Il y a là pourtant un élément de recettes et de large propagande qui
est loin d’être négligeable.
» Ibid., p.447.
Photorail
Tourisme
[ la Compagnie du Midi et l’essor
E.deCrauzat écrivait en 1898 dans
la revue spécialisée
L’Estampe et l’Af-
fiche
«Il importe de savoir que par-
tout où on ira on trouve casinos et
hôtels, que ces établissements sont
installés dans des sites riants et en-
chanteurs; il est indispensable d’an-
noncer que les monts les plus abrupts
et les pics inaccessibles –jadis foulés
par les seuls pieds anglais– sont main-
tenant à la portée de tous, que che-
mins de fer et funiculaires permettent
aux touristes de prendre pour devise:
quo non ascendam
avec facilité de
réalisation.»
La contribution de l’af-
fiche à la promotion d’une identité
régionale était d’autant plus impor-
tante que pour beaucoup elle consti-
tuait, avec le calendrier des postes et
le décor des boîtes d’épices, une des
seules expériences esthétiques. Intro-
duite à la fin des années 1880, elle
connut très rapidement son âge d’or
durant la décennie 1895-1905. L’in-
vitation au voyage se devait de mettre
en valeur à la fois les facilités de la
desserte ferroviaire, la qualité des
structures fonctionnelles de villégia-
ture (établissements de bains, hôtels,
casinos), l’attrait naturel et climatique
des sites et les innombrables indica-
tions thérapeutiques des sources. La li-
tanie de ces vertus n’était pas cepen-
dant l’argument promotionnel le plus
efficace avant l’ère de la médicalisa-
tion et de la spécialisation ouverte
dans l’entre-deux-guerres.
D’emblée, l’exploitation de l’héritage
thermal de chaque région par les
grands réseaux ne fut pas pensée en
termes de spécialisation univoque. Du-
rant le Second Empire, l’organisation
de la desserte des villes d’eaux pyré-
néennes fut ainsi assurée en symbiose
avec celle des stations climatiques ré-
gionales, essentiellement Pau, qui at-
teignit un premier apogée durant la
monarchie de Juillet, et Arcachon, cité-
champignon des Pereire magnifiant
leur vocation de démiurge aquitain.
L’obsession de l’étalement annuel des
flux touristiques en dehors de la clas-
sique saison estivale et la recherche
d’une complémentarité géographique
entre les sites mondains guidèrent ra-
pidement l’action commerciale des
grandes compagnies. Par exemple,
l’affiche
L’Hiver au golfe de Gascogne
et aux Pyrénées
(14)
s’adressait à la
même clientèle cosmopolite de privilé-
giés que celle des stations thermales.
Dans le grand Sud-Ouest, la coordi-
nation spontanée avec la desserte
des nouvelles stations balnéaires em-
menées par Biarritz était également
évidente: les pérégrinations en train
spécial du couple impérial de Luz-
Saint-Sauveur à Biarritz et de Biarritz
aux Eaux-Bonnes symbolisaient la
densité de l’offre touristique régio-
nale, de même que l’indifférencia-
tion des catégories de villégiateurs
acheminés par le Sud Express, le Py-
rénées Express ou le Barcelone Ex-
press, grâce à un jeu complexe de
correspondances.
La coordination du thermalisme avec
les autres trafics touristiques ferro-
viaires resta longtemps spontanée,
empirique, marquée surtout par des
frontières indécises entre les types
d’activités et de produits, que confir-
mait l’imprécision des termes em-
ployés par les grands réseaux eux-
mêmes. Pour le Midi, l’arrivée à la
tête de la compagnie à la veille de la
Grande Guerre d’une nouvelle équipe
d’ingénieurs organisateurs épris de
modernisation animée par Jean-Raoul
Paul, directeur général de 1913 à
1932, se traduisit par une différen-
ciation plus nette des fonctions. Elle
s’accompagna surtout d’un appro-
fondissement de la coordination com-
merciale grâce à la création en 1919
d’un service spécifique de propa-
gande touristique et donc d’une inté-
gration rationnelle de la promotion
des villes d’eaux dans une politique
touristique multiforme.
La nouvelle équipe dirigeante voulait
également renforcer l’action externe
du grand réseau, c’est-à-dire le trans-
former en plate-forme de développe-
ment économique régional. Le Midi
intervint dès 1912 dans le domaine
32-
Historail
Juillet 2009
La coordination du thermalisme avec
les autres tra�cs touristiques ferroviaires
resta longtemps empirique.
Photorail
Juillet 2009
Historail
spécifiquement thermal par la consti-
tution d’une entreprise d’envergure,
la Société thermale des Pyrénées. Son
président-fondateur, Jacques Vernes,
était en effet l’un des administrateurs
les plus puissants de la compagnie, à la
tête de la seconde haute banque pari-
sienne de l’époque, et dans le mon-
tage financier que celui-ci réalisa, les
intérêts du conseil d’administration du
Midi étaient bien prépondérants.
Grâce à des négociations facilitées par
le poids de l’engagement ferroviaire, la
Société thermale obtint dès le début
de l’année suivante la ferme pour
trente ans des établissements ther-
maux et des casinos de Cauterets,
Bagnères-de-Bigorre et de Luchon, soit
les trois stations principales des Pyré-
nées centrales. Il s’agissait bien d’une
première expérience d’entente encou-
rageante, d’un premier pas décisif vers
l’unification du patrimoine thermal ré-
gional, dans une conjoncture de vive
concurrence nationale et internatio-
nale. Les résultats initiaux furent pro-
metteurs, et la société porta aussitôt
son capital à deux millions de francs
pour moderniser ses installations:
«La saison 1913 fut brillante; un
mouvement très important avait été
créé par une publicité intense autant
que par la propagande faite autour
des attractions mondaines, artis-
tiques et sportives installées avec
luxe. (…) Pour la saison 1914, la pro-
pagande dans toute l’Europe et aux
Etats-Unis fut activement conduite,
et la campagne s’ouvrit sous les plus
favorables auspices. L’affluence
jusqu’à mi-juillet dépassa les plus
belles espérances, et tout le monde
se félicitait de préparer ainsi l’achemi-
nement vers l’automne, qui devait
voir commencer les grands travaux
destinés à parachever la lutte contre
les stations allemandes, lorsque la
guerre éclata»
(15)
La conjoncture fut à tous points de
vue beaucoup moins favorable dans
l’entre-deux-guerres pour une inter-
vention financière directe des grands
réseaux dans le développement et la
modernisation des stations thermales,
afin de lutter en particulier contre la
concurrence des stations étrangères,
avant que le miracle commercial de
la Sécurité sociale ne démocratise for-
tement la pratique du thermalisme.
En fin de compte, la promotion du
thermalisme par les grandes compa-
gnies n’a jamais représenté une poli-
tique isolée, spécifique. Elle a toujours
au contraire constitué le volet d’une
politique touristique plus ou moins di-
versifiée selon le capital géophysique
de chaque espace régional desservi,
dans une recherche de la valorisation
de l’ensemble des saisons, le Midi im-
posant même durant le premier tiers
du XX
siècle le concept de saison per-
manente. L’action commerciale de ce
dernier, utilisant les leviers de la des-
serte, de la tarification et de la pro-
pagande, resta somme toute clas-
sique, à l’image de celle de ses
confrères et concurrents. La symbiose
entre infrastructure de transport et
paysage thermal triomphait partout
en France sur les affiches, où ne figu-
rait d’ailleurs que rarement leur point
de convergence, la gare, dont les
signes de distinction sociale n’étaient
pas évidents.
Le Midi offrit cependant une structure
de régionalisation touristique et ther-
male beaucoup plus cohérente géo-
graphiquement que le PO, le PLM ou
l’Etat. Son intervention à Cauterets,
Bagnères-de-Bigorre, Luchon, Dax et
même Capvern permit à ces stations
de résister beaucoup mieux que leurs
consœurs enclavées, en proie à une
obsolescence précoce, telles Barèges,
Luz-Saint-Sauveur et les Eaux-Bonnes.
Globalement, enfin, si l’héritage maté-
riel des différents grands réseaux ferro-
viaires dans le domaine spécifiquement
thermal resta somme toute limité au-
delà de la nationalisation, leur exis-
tence même contribua grandement,
dans la sphère des représentations, à
l’édification d’une légende dorée du
thermalisme. Les réminiscences histo-
riques ne couvrent-elles pas d’une aura
prestigieuse les séductions aseptisées
de la cure contemporaine?
Christophe BOUNEAU,
professeur d’histoire contemporaine
à l’université de Bordeaux,
directeur de la Maison des sciences
de l’homme d’Aquitaine
du thermalisme dans le grand Sud-Ouest ]
(14) Affiche d’E. Brun datant de 1894 figurant à la fois,
par une composition en médaillons, les stations de
Biarritz, Arcachon, Salies-de-Béarn, Saint-Jean-de-Luz
et Pau.
(15) CCAE, Enquête…, op. cit., p.402.
Photorail
34-
Historail
Juillet 2009
C
’est à l’initiative du journaliste et
chroniqueur radio Drew Pearson
(1897-1969) que le
Friendship Train
avait été affrété en vue d’apporter
une aide alimentaire aux populations
d’Eu rope occidentale qui souffraient
toujours des conséquences de la
guerre. Producteurs, industriels, mais
aussi simples particuliers, répondirent
spontanément et massivement à son
appel. De cinq à son départ de Cali-
fornie le 7novembre 1947 le nom-
bre de wagons attelés au convoi était
déjà de 145 à son passage à Chicago,
obligeant sa scission en deux rames
expédiées sur New York par deux iti-
néraires différents. Au total, ce sont
plus de 700wagons totalisant près
de 16000t de produits divers (den-
rées, mais aussi vêtements, médica-
ments et même carburants) qui af-
fluèrent sur les rives de l’Hudson.
Cette manne fut expédiée par ba-
teaux principalement vers la France et
l’Italie, secondairement aux Pays-Bas
et en Norvège.
La part française (6 000 t de produits
alimentaires) fut confiée au cargo
American Leader
de l’United State
Line qui, expédié de New Yok le 7 dé-
cembre, toucha Le Havre le 17. Il était
entendu que la répartition de sa car-
gaison se ferait par trains complets
jusqu’à divers centres d’éclatement
(Paris, Lyon, Marseille, Nancy, Arras,
Lille) puis par rail ou par route
jusqu’aux lieux de distribution (exem-
ple de Nancy vers Metz, Strasbourg,
Montbéliard et Saint-Dié)
(1)
. A défaut
de trains complets, des rames de
quelques wagons seraient achemi-
nées par les trains RA du service ré-
gulier. Toutefois, en signe de remer-
ciement, il fut décidé d’organiser
parallèlement un circuit plus officiel
concrétisé par la mise en circulation
d’un « train publicitaire » entre
Le Havre, Paris et Marseille. Formé de
quelques wagons de messageries si-
gnalés par des affiches barrées du slo-
gan «
Train de l’Amitié-Ravitaillement
offert spontanément au peuple de
France par le peuple américain en
symbole de son affection
» pour des
distributions symboliques, de deux
voitures couchettes et d’un wagon-
restaurant pour les officiels et les jour-
nalistes (dont Drew Pearson), ce train
Il y a soixante ans, le 6 janvier 1949, la gare de
Paris-Montparnasse a été le témoin d’un événement
aujourd’hui bien oublié : le départ à destination
des Etats-Unis, via Le Havre, du « Train de la
Reconnaissance française » (
Gratitude Train
Plus connu outre-Atlantique sous les appellations
de
Thank You Train
et de
Merci Train
, il était la
réponse des Français au « Train de l’Amitié »
Friendship Train
) reçu un peu plus d’un an plus tôt.
Anniversaire
1949,
Le Train
de la Reconnaissance,
symbole de l’amitié
franco-américaine
Photorail
La parade
à travers les rues
de New York
le 3 février 1949.
En tête, le
wagon offert
à l’Etat de
New York.
Juillet 2009
Historail
fit escale successivement à Rouen (le
19), à Paris
(2)
(le samedi 20), à Dijon et
Lyon (le 22), à Valence et à Avignon
(le 23), à Marseille enfin (le 24).
Un cheminot
reconnaissant
L’idée de répondre au Train de l’Amitié
par un Train de la Reconnaissance
française germe dans l’esprit d’un
cheminot ancien combattant, André
Picard. Reprise à son compte par la Fé-
dération nationale des anciens com-
battants et victimes de guerre des che-
mins de fer de France et de l’Union
française, dont Picard est l’un des délé –
gués généraux, elle est définitivement
adoptée le 12 décembre 1947. La
conviction de ses membres repose sur
(1) Le Centre des Archives historiques de la SNCF conserve
un dossier (020 LM 511-1) renfermant divers documents
(lettres, coupures de presse) se rapportant aux Trains de
l’Amitié et de la Reconnaissance.
(2) En gare de Saint-Lazare, voie 26, à 10h00.
Exceptionnellement, formation d‘une rame de 340 m
composée de 26 wagons type USA. Dans l’après-midi
du même jour, 50 camions expédiés de la gare des
Batignolles rejoignirent la place de l’Hôtel de Ville pour
une cérémonie identique.
Anniversaire
[ 1949, le Train de la Reconnaissance:
l’obligation morale de remercier par
un geste symbolique l’aide apportée
aux populations françaises par le peu-
ple américain. Une aide concrétisée
par le Train de l’Amitié, bien sûr, mais
pas seulement. Dans une note récapi-
tulative de l’action entreprise datée
du 10août 1948, le Comité national
d’organisation du Train de la Recon-
naissance, que la Fédération s’est em-
pressée de mettre en place, se fait un
devoir de récapituler tous les secours
antérieurs et rappelle notamment
que, pour le seul mois de septembre
1944, «
238000 colis de denrées et
29300 de médicaments rares comme
la pénicilline, l’insuline, la streptomy-
cine et des centaines de millions de
tubes de vitamines avaient été expé-
diés en France
Le premier acte du Comité national
d’organisation est d’associer au projet
les groupements d’anciens combat-
tants français qui s’y rallient avec en-
thousiasme pour former le Comité de
patronage. Totalisant plus de cinq mil-
lions d’adhérents, ces groupements
sont dûment répertoriés en marge des
correspondances officielles du Comité
national d’organisation.
L’annonce officielle
Le 18 décembre 1947, la Fédération
informe le ministre des Travaux pu-
blics de ses intentions (lettre cosignée
par Cast, son président, et Picard). Son
premier souci est de justifier un projet
dont l’adoption serait, sans nul
doute, de nature à prouver à la Na-
tion Amie la profonde gratitude de
tous les Français
». Une simple for-
malité tant sa finalité est évidente :
Il semble qu’après la réception de
ce « Train de l’Amitié », que la popula-
tion américaine a si lourdement
chargé de dons et d’affection, la
France se doive de faire un geste
digne d’Elle, digne aussi de Ceux qui,
par deux fois en un quart de siècle,
ont versé leur sang pour sa Libération
et la sauvegarde de son génie.
Elle s’applique ensuite à établir le bon
droit de sa démarche : «
Notre Fédé-
ration serait heureuse et fière de pren-
dre l’initiative de ce mouvement sen-
timental si légitime. Nous pensons, en
effet, qu’au titre de Cheminots et
d’Anciens Combattants, nous
sommes doublement qualifiés pour
entreprendre une action de ce genre
36-
Historail
Juillet 2009
En novembre
1947, le Train de
l’Amitié sillonne
les Etats-Unis
pour récolter
des dons en
faveur des
populations
européennes.
Ci-dessus,
la contribution
de l’Arkansas.
Le 18 octobre
1948, les deux
premières unités
des 49 wagons
du Train de la
Reconnaissance
sont dévoilées
au public
en gare
Saint-Lazare.
Photorail
Juillet 2009
Historail
qui serait à la fois symbolique et réa-
liste et consisterait à organiser ce que
nous appellerions le « Train de la Re-
connaissance française ».
La Fédération donne ensuite les
grandes lignes de son programme.
Elle prévoit la mise en marche d’un
train qui, parti de Paris après une cé-
rémonie à laquelle serait conviée une
délégation américaine, traverserait
tous les départements et ferait étape
dans les chefs-lieux et autres grands
centres pour recueillir «
les spécimens
les plus caractéristiques de l’art, de
l’industrie ou de la production régio-
nale
» offerts par chaque province.
L’ensemble de ces dons pourraient
faire l’objet d’une exposition (à New
York par exemple) «
qui ferait hon-
neur à la France et servirait grande-
ment sa cause
» avant d’être solen-
nellement remis aux 46 gouverneurs
des Etats et donner lieu à des en-
chères dont le produit serait réparti
entre les orphelins des anciens com-
battants américains. La presse, la ra-
dio, les actualités cinématographiques
seraient alertées pour donner à
cette initiative le maximum d’ampleur
et assurer son succès
Le projet de la Fédération rencontre
sans nul doute un écho favorable.
Dans son étude sur
La présence cultu-
relle de la France aux Etats-Unis pen-
dant la guerre froide 1944-1963
(Edi-
tions L’Harmattan, 2007), Laurence
Saint-Gilles rapporte que le président
du Conseil, Robert Schuman
(3)
prévu d’assurer lui-même le lance-
ment de la campagne nationale par
un éloquent discours radiodiffusé :
Meurtris par la guerre, ayant à peine
pansé nos blessures, nous ne pouvons
songer à égaler dans la générosité la
grande et puissante nation alliée.
Mais, qui donc, parmi ceux qui
m’écoutent ce soir, n’est en mesure
d’apporter sa contribution à cette ini-
tiative ? Qui n’est prêt à se dessaisir
d’un objet, d’un souvenir, d’une re-
lique, qui sera demain, pour l’un des
innombrables donateurs américains,
la marque de notre reconnaissance et
le symbole de notre affection?
L’information franchit l’Atlantique : le
congrès américain vote le 19 juin 1948
une loi spéciale exonérant de toutes
taxes les wagons et leur contenu.
Aucune denrée
alimentaire
Dans sa note en date du 10 août 1948
adressée aux groupements d’anciens
combattants, chambres de commerce
et des métiers ayant adhéré au projet,
le Comité national d’organisation af-
fine son programme. Les dons recueil-
lis «
ne comprendront aucun produit
nécessaire à l’économie française,
donc aucune denrée alimentaire
». La
consigne est stricte : «
Ces cadeaux
devront surtout avoir un caractère ty-
piquement français. Ils évoqueront au-
tant que possible la pensée, les tradi-
tions, le charme et le goût de notre
Pays. Ce seront, par exemple, des
symbole de l’amitié franco-américaine ]
Le Comité
national
d’organisation
se composait
comme suit :
président, Cast ;
vice-président,
Lobjois ;
commissaire
général,
de la Vasselais ;
secrétaire
général, Picard ;
trésorier,
Artiguenave ;
délégués à la
propagande,
Anne-Marie
Max (presse),
Le Rouzic
(radio).
Archives historiques SNCF
Photorail
Bénévoles
travaillant au
conditionnement
et à la répartition
des colis entre
les wagons.
(3) Président du Conseil du 24 novembre 1947 au 19 juillet
1948.
Anniversaire
[ 1949, le Train de la Reconnaissance:
objets historiques, artistiques, régio-
nalistes, folkloriques, etc. Ils pourront
comprendre notamment de la verrerie,
des cristaux, des porcelaines, des ob-
jets d’art, de la maroquinerie, des
émaux, de l’orfèvrerie, des bronzes,
des céramiques, de la poterie, des ob-
jets en bois travaillé, des tableaux, des
gravures, des peintures, des broderies,
des dentelles, des tapisseries, des
coiffes et costumes des provinces fran-
çaises, des crèches provençales, des
vitraux, des cloches, des articles de
Paris, etc., en général, des spécimens
de la production et de l’artisanat fran-
çais si réputés dans le monde.
» La col-
lecte sera conduite par les groupe-
ments d’anciens combattants, les
chambres de commerce, les chambres
de métiers, etc., et les chargements
seront effectués au cours de manifes-
tations solennelles.
Tout comme les collectivités, les parti-
culiers pourront remettre leurs pré-
sents aux centres de groupements lo-
caux et chacun «
portera une
étiquette sur laquelle figureront la
qualité du donateur et l’indication de
l’origine régionale.
» Ils seront conte-
nus dans 48 wagons du modèle histo-
rique « Hommes 40, Chevaux 8 »
(4)
qui ne répondent plus aux nécessi-
tés actuelles et seront remis, à titre de
souvenir, aux 48 gouverneurs améri-
cains
». Ces wagons «
remis en état
et portant les écussons des provinces
françaises seront centralisés à Paris où
sera formé le Train qui partira, après
une cérémonie nationale, vraisembla-
blement en novembre 1948.
Le Comité national d’organisation si-
gnale enfin qu’une maquette du Train
est actuellement exposée au 125, ave-
nue des Champs-Élysées.
Les deux premiers
wagons
Le lundi 18 octobre 1948, à 10 h 30,
gare Saint-Lazare, quai n° 26, les deux
premiers wagons (vides) du Train de
la Reconnaissance sont officiellement
dévoilés. Prenant la parole, le prési-
dent Cast insiste sur la forte symbo-
38-
Historail
Juillet 2009
Photorail
Le 6 janvier
1949, Michèle
Rannou, �lle
d’un cheminot
opérée aux
Etats-Unis,
donne le départ
du Train de la
Reconnaissance
pour Le Havre.
Porte-drapeaux
des associations
des anciens
combattants,
principaux
initiateurs
du projet.
Dubruille/Photorail
Juillet 2009
Historail
lique des 49 wagons (un par Etat plus
un pour la capitale fédérale Washing-
ton) qui entreront dans la composition
du convoi, «
choisis parmi ceux qui,
en 1917, ont assuré le transport des
troupes américaines en France
». Ces
wagons désormais historiques «
les sammies ont conservé un souvenir
inoubliable, qu’ils ont tenu à concréti-
ser par la formation, au sein de l’Ame-
rican Legion, d’une section spéciale
dite « 40 hommes – 8 chevaux »
». Il
rappelle leur finalité : recevoir les
dons du peuple de France, et plus
spécialement et même exclusivement,
des objets ou articles non consomma-
bles évoquant les traditions, le goût et
le charme de notre pays
Cast se félicite ensuite que l’opération
suscite outre-Atlantique «
un grand
enthousiasme
» et annonce qu’un co-
mité comprenant le président Harry
Truman, Thomas Dewey (gouverneur
de l’Etat de New York), le général
Dwight Eisenhower et Drew Pearson
prépare des manifestations grandioses
pour la réception du Train. Encore
faut-il que les Français répondent mas-
sivement à l’appel. En effet, poursuit-
il, si la SNCF et la Compagnie géné-
rale transatlantique sont prêtes à
fournir les moyens de transport indis-
pensables, il faut des dons. Il en ap-
pelle aux médias: «
Et ici, Mesdames
et Messieurs, je fais appel à votre
concours qui nous est indispensable. A
celui de la presse, de la radio, du ci-
néma.
» Précisant que l’expédition du
Train pourrait se faire autour 25 no-
vembre, il poursuit : «
Notre Comité
national d’organisation (…) a précisé-
ment pensé que la cérémonie d’au-
jourd’hui serait pour vous l’occasion
d’amorcer, dès maintenant, une pro-
pagande très large et très poussée,
jusqu’au 15 novembre, pour la col-
lecte des dons dans toutes les pro-
vinces de France.
Quelque 52 000 dons
De l’organisation de la collecte des
dons officiellement lancée ce 18 oc-
tobre 1948, nous ne savons que peu
de chose. Seules quelques pièces
comptables nous apprennent que les
transports par rail s’effectuent soit
d’une ville quelconque sur Paris direc-
tement, soit d’une ville sur un des cen-
tres de rassemblement de province,
soit encore desdits centres de rassem-
blement sur Paris. En mars 1949, le
Service commercial SNCF présente la
facture des transports exécutés pour
le compte du Comité national d’orga –
ni sation pendant les mois de novem-
bre, décembre 1948 et janvier 1949:
816030,9 francs pour les colis desti-
nés au Train de la Reconnaissance
(2400 envois sur Paris-Orsay) ; 7458
francs pour les colis parvenus après le
départ du Train et retournés aux expé –
diteurs ; 733 264 francs pour le train
de Paris-Montparnasse au Havre. Des
sommes que le président de la SNCF
Pierre Tissier renonce à recouvrer à ti-
tre de participation de l’entreprise à
l’œuvre du Train de la Reconnaissance.
Pas plus que ne seront réclamés les
200346 francs dus à la Sceta (Société
de contrôle et d’exploitation de trans-
ports auxiliaires, filiale de la SNCF) pour
la mise à disposition d’un certain nom-
bre de camions pour transports divers.
On estime à six millions le nombre des
personnes ayant répondu à l’appel des
symbole de l’amitié franco-américaine ]
Photorail
Photorail
Accueil à
Carson-City
du wagon
destiné à l’Etat
du Nevada.
(4) Le choix se portera sur d’anciens wagons PLM du type J.
Anniversaire
[ 1949, le Train de la Reconnaissance:
groupements des anciens combat-
tants. Près de 52 000 objets divers au-
raient été ainsi réunis, pesant ensem-
ble quelque 250 tonnes : œuvres d’art
(le président Auriol offre 49 vases de
Sèvres), souvenirs historiques (une
canne ayant appartenu au marquis de
Lafayette, un quadricycle Léon Bollée),
robes de grands couturiers, travaux
d’aiguille, jouets, livres, dessins d’en-
fant, etc. On dit même qu’une pau-
vre femme n’ayant rien à offrir trempa
sa main dans la peinture et mit son
empreinte sur un des fourgons. Sur
place, ces dons seront répartis auprès
de la population de chaque Etat. Cer-
tains seront mis aux enchères et les
sommes récoltées reversées aux œu-
vres. Seules les pièces les plus pré-
cieuses seront conservées par les auto-
rités pour être confiées à des musées,
écoles, églises et autres institutions.
Le grand jour
Contrairement aux premières prévi-
sions, c’est avec un peu plus d’un mois
40-
Historail
Juillet 2009
La question du transport depuis la France jusqu’aux Etats-
Unis des wagons entrant dans la composition du Train de
la Reconnaissance est soumise au Comité central des ar-
mateurs français (CCAF), qui annonce aussitôt prendre en
charge l’aspect financier de l’opération. Les premiers
contacts pris avec les compagnies de navigation opérant en-
tre l’Europe et les Etats-Unis laissent entendre que deux
navires du type « liberty » seraient nécessaires. Un avis que
ne partage pas le commandant Georges Icart qui, ayant
eu vent du problème au détour d’une conversation, dé-
clare pouvoir accueillir la totalité des wagons à bord de
son navire, le Magellan, unité à deux ponts de 9 400 tonnes
propriété de l’Union industrielle et maritime. A l’époque,
membre de l’équipage en qualité de lieutenant, le com-
mandant J. Laboisette, a laissé un témoignage particulière-
ment vivant de cet épisode
(1)
. A commencer par la séance
de travail imposée par le commandant Icart – «
Débrouil-
lez-vous comme vous voulez mais nous chargerons ces fa-
meux wagons…
» – à trois de ses subordonnés. «
A nous
trois
, rapporte J. Laboisette,
nous nous sommes bien amu-
sés sur les plans du navire avec des petits wagons en carton.
En utilisant les fonds des cales et les panneaux de cales des
entreponts (ils pouvaient supporter la charge) nous sommes
arrivés à conclure qu’il y avait la place pour 50 wagons, à
condition qu’ils soient tous du même type.
Restait à embarquer les wagons au Havre. Or une rumeur
circulait selon laquelle les dockers, obéissant à une
consigne de la CGT, rechigneraient à ce travail par réaction
aux lois McCarthy qui, outre-Atlantique, faisaient la chasse
aux communistes. Finalement, ce sont les contremaîtres
des sociétés de manutention du port, sous surveillance de
la gendarmerie, qui assurent le travail, les wagons arri-
vant le long du bord par quatre ou cinq pour être hissés
sans retard à bord du Magellan, dont les ponts des cales
ont été au préalable équipés de rails soudés munis de sa-
bots pour bloquer les roues.
Du Havre à New York à bord du
Magellan
UIM-Marine
Le 2 février
1949, sirènes,
jets d’eau,
avions de chasse
accompagnent
le Magellan et
sa précieuse
cargaison dans
sa remontée
triomphale de
l’Hudson.
Juillet 2009
Historail
de retard qu’est donné le départ du
Train de la Reconnaissance. Le 6 jan-
vier 1949, une cérémonie en gare de
Paris-Saint-Lazare, présidée par l’am –
bassadeur des Etats-Unis en France,
Jefferson Caffery, permet de découvrir
une partie du convoi. «
Peints en gris,
roues, essieux, tampons vernis en
noir
», les vieux wagons PLM ont fière
allure : «
Chacun d’eux, en dehors des
écussons aux couleurs vives des pro-
vinces françaises, porte une bande tri-
colore peinte en travers alternant ces
mots :
gratitude train
train de la re-
connaissance.
Une plaque de cuivre
est, en outre, apposée où l’ins crip tion
suivante a été gravée :
« Ce wagon uti-
lisé pendant la I
Guerre mondiale est
offert par la SNCF à l’état de… »
(5)
Après les traditionnels discours, les in-
vités se portent en tête du quai. Choi-
sie symboliquement pour avoir été
deux ans plus tôt opérée d’une maladie
de cœur à Baltimore
(6)
, Michèle Ran-
nou, neuf ans, fille d’un modeste agent
SNCF de la région du Sud-Est, agite le
guidon, synonyme de départ.
symbole de l’amitié franco-américaine ]
Chargé le 10 janvier, le Magellan quitte Le Havre le 14 à la
mi-journée. La traversée d’est en ouest de l’Atlantique
nord en plein hiver peut s’avérer éprouvante. Le comman-
dant Icart opte pour la route du sud (entre le 35
et le
parallèle), plus longue que celle du nord mais généra-
lement moins exposée : le chargement est fragile et les
objets enfermés dans les wagons ne sont pas forcément
bien fixés. Par beau temps, il faut compter de 14 à 16 jours.
La traversée s’effectue par beau temps sans encombre.
Seule alerte, le 20 janvier le Magellan reçoit un message
radio de Paris lui demandant de donner immédiatement
sa position, le bruit ayant couru qu’il avait sombré ! Le 28
au matin, donc bien avant le délai imparti, le navire est en
vue des côtes américaines. La veille, ordre a été donné au
commandant Icart de « trouver un mouillage discret »
afin de laisser le temps au paquebot De Grasse, à bord
duquel se trouve la délégation française, de rallier New
York. Mais difficile de passer inaperçu lorsque l’on a écrit
noir sur blanc sur la coque de chaque côté en lettres de
deux mètres de haut « MERCI AMERICA ».
C’est sans compter sur les responsables de l’American Le-
gion qui, chargés de réceptionner le Train, interviennent
pour le faire accoster au plus vite. A l’aube du 2 février, le
Magellan reprend sa route avec une quarantaine de journa-
listes venus à sa rencontre. Laissons la parole à J. Laboisette:
Tous pavillons au vent vers 9 heures nous avons viré et
commencé de remonter la rivière [
l’Hudson
]. Tous les ba-
teaux américains que nous croisions du plus petit au plus
grand, eux aussi pavoisés, nous saluaient de trois coups
de sifflet ou de corne. Par politesse, nous répondions avec
notre sirène.
Lorsque nous sommes arrivés à la hauteur de la statue de
la Liberté nous avons été rejoints par six bateaux pompes,
toutes leurs lances en batterie qui nous faisaient une sorte
de couloir d’eau. Il faisait un froid de canard et cette eau
retombait en glace dans la rivière ! A ce même moment
des patrouilles d’avions à réaction nous survolaient à basse
altitude et se relayaient pour nous accompagner. Il y avait
aussi une escorte d’hélicoptères volant à la hauteur du
bateau et avançant à la même vitesse.
Ce fut, de mémoire de New-Yorkais, la plus belle arrivée
connue, même mieux que celle du  »
Normandie
 » avec son
ruban bleu, avant la guerre.
Les « piers » de New York n’étant pas équipés en grues
capables de décharger les wagons, le Magellan accoste
sur la rive droite de l’Hudson, au port de New Jersey. Le dé-
barquement commence immédiatement. Au départ du
Havre, quatre cheminots avaient pris place à bord du na-
vire : un « administratif » porteur des documents relatifs
à la cargaison et trois techniciens missionnés pour prépa-
rer les wagons en vue de leur mise à terre.
Sur le quai, toute une série de remorques routières et fer-
roviaires attendaient, conçues spécialement pour recevoir
les wagons en raison de leurs systèmes d’attelage et de
freinage incompatible avec la réglementation des che-
mins de fer américains. Les trois premiers wagons débar-
qués sont ceux de l’Etat de New York, de l’Etat de
Washington et de Washington DC (capitale fédérale). Des-
tinés à descendre la 5
Avenue pour la parade, ils sont dé-
posés sur des remorques routières.
(2)
Le reste n’est que bonheur, comme l’écrit J. Laboisette :
Le commandant et madame Icart furent invités dans la
voiture décapotable du maire avec toute une suite de vé-
hicules du même genre où se trouvaient aussi nos passa-
gers SNCF, précédés d’un défilé de majorettes, d’anciens
combattants des deux guerres… suivis par les trois re-
morques chargées de leur wagon. Tout ceci par un temps
splendide mais glacial, sous une pluie de confettis. Incroya-
ble! Il fallait le voir pour le croire !
Le 5, le Magellan reprend la mer.
L’embarquement
des wagons au
Havre se �t en
catimini à l’abri
de la vindicte
des dockers de
la CGT qui, à
l’instar du parti
communiste, ne
cautionnaient
pas l’opération.
Photorail
(1)
http://uim.marine.free.fr/hisnav/archives/navires_uim/
op-com/magellan-train.htm
(2) En réalité, seul le wagon destiné à l’Etat de New York
participa à la parade du 3 février.
Anniversaire
[ 1949, le Train de la Reconnaissance:
42-
Historail
Juillet 2009
En réalité, le convoi est momentané-
ment retenu en gare des Batignolles
en raison d’un mouvement revendi-
catif des dockers du port du Havre où
les wagons doivent être chargés à
bord du
Magellan
, navire de l’Union
industrielle et maritime. Parti le 14, ce
dernier rallie New York le 2 février, où
il est délesté le jour même de sa pré-
cieuse cargaison.
La parade de New York
En fait, passant outre les consignes, les
responsables de l’American Legion
pressent le mouvement, fixant au len-
demain 3 la parade à travers les rues de
la ville de l’unité destinée à l’Etat de
New York. Fort heureusement pour la
délégation de la Fédération nationale
des anciens combattants des chemins
de fer de France, le
De Grasse
, attendu
pour le 6 février, rallie New York dans la
nuit, permettant à MM.Cast, Picard,
Antiguenave et Mlle Max de se join-
dre
in extremis
aux représentants offi-
ciels du gouvernement français,
M.Junot et Mme Geoffray. Tout ce pe-
tit monde se transporte à la Battery,
point extrême de la presqu’île de Man-
hattan, où le cortège doit se former.
Une lettre en date du 7 février adres-
sée par un certain Gaveau au direc-
teur du Service commercial SNCF rend
compte des détails de la parade. A
midi, le cortège s’ébranle en direction
de l’Hôtel de Ville en passant par
Broadway «
où se trouvait une nom-
breuse foule malgré la température
assez basse
». D’après Grover Wha-
len, adjoint au maire de New York,
la foule était encore plus nombreuse
que lors du retour mémorable de
Lindbergh après son vol de l’Atlan –
tique
». La remise officielle du wagon
par Henri Bonnet, ambassadeur de
France, à William O’Dwyer, le maire
de New York, donne lieu à l’Hôtel de
Ville à une cérémonie «
très émou-
vante
». Suit une série de réceptions
clôturée par un dîner au Waldorf-As-
toria Hôtel offert par la colonie fran-
çaise de New York et l’Association des
anciens combattants français aux
Etats-Unis. «
Je dois ajouter,
précise
Gaveau,
que les trois agents de la
SNCF, arrivés la veille sur le Magellan :
MM.Dughes, Cetre et Le Gall étaient
présents à cette réception dans leur
tenue bleue absolument impeccable.
Ils remportèrent un immense succès.
Le 5 février, la délégation au complet
repart en direction de Washington,
s’arrêtant en cours de route à Phila-
delphie et Baltimore. La matinée du 6
conduit ses membres au cimetière
d’Arlington sur la tombe du soldat in-
connu américain où Cast remet au
commander
Perry Brown, de l’Ameri –
can Legion, le flambeau allumé sous
l’Arc de Triomphe et transporté à bord
De Grasse
. L’après-midi, le train de
huit wagons destinés aux Etats du Sud
est présenté en gare de Washington
en prélude à la remise par l’ambassa –
deur Bonnet du wagon promis au
Washinton DC. La cérémonie est suivie
d’une réception organisée par l’Asso –
ciation des Chemins de fer américains
regroupant plus de 700 personnes.
Gaveau témoigne ensuite de la réus-
site de l’opération : «
En dehors de ces
manifestations officielles, je puis vous
donner l’assurance que la présence du
Train et de la délégation française a
provoqué partout un grand enthou –
siasme chez le peuple américain.
» Le
Train figure partout en première page
des journaux parus le 3. «
J’attire éga-
lement votre attention sur nos an-
nonces de publicité dans le
New York
Times
et le
Herald Tribune
du 2, ainsi
que sur l’annonce faite par les services
de Mr. Drew Pearson qui a paru dans
toute la grande presse américaine.
A travers les Etats-Unis
Mais tout ceci n’est qu’un début. Ga-
veau égrène le programme à venir.
ambassador
Bonnet «
attache une
très grande importance à ce que les
membres
[de la délégation française]
circulent dans le nombre maximum
d’Etats afin de présenter eux-mêmes
les cadeaux offerts par le peuple fran-
çais au peuple américain.
» Un point
de vue partagé par Pearson qui insiste
pour que le plus grand nombre possi-
ble des membres de la délégation
soient présents au terme de la tour-
née à Los Angeles où sera organisée
une grande fête en leur honneur le
19 février. Cast est ainsi chargé de vi-
siter la West Virginia, le New Hamps-
hire, l’Iowa ; Picard, l’Ohio, l’Indiana,
l’Iowa, le Nebraska, etc.
Les représentants du gouvernement
français devant bientôt rentrer à Paris,
c’est donc sur la délégation de la
SNCF que retombe en grande partie la
tâche de présenter le Train au peuple
américain
». Bonnet et Pearson insis-
tent pour que les agents SNCF venus
sur le
Magellan
participent à ces
voyages «
et montrent leurs uni-
formes SNCF qui obtiennent partout
un très grand succès
».
Le succès remporté par Dughes, Cetre
et Le Gall, qui se voient attribuer les
Etats de la Nouvelle Angleterre
(Rhode-Island, New Hampshire,
Maine, Massachusetts et Vermont) est
confirmé par Charles Bruneau (de la
représentation permanente de la
SNCF aux Etats-Unis) : «
La parfaite
Les trois agents SNCF remportent un immense
succès dans leur tenue bleue impeccable.
Archives historiques SNCF
Dughes, Cetre
et Le Gall,
les trois agents
techniques
délégués par
la SNCF aux
Etats-Unis.
Juillet 2009
Historail
tenue du personnel SNCF choisi pour
accompagner le train et la bonne
grâce avec laquelle ces agents se sont
efforcés de satisfaire la curiosité des
nombreux spectateurs,
confie-t-il le
7février dans une lettre adressée à
Yves Legrand, ingénieur en chef des
Etudes du Matériel,
a reçu sa récom-
pense au cours d’une réception orga-
nisée par l’American Railroads Asso-
ciation, où sur la prière de Madame
Henri Bonnet, le général Omar Bradley,
chef d’état-major général, a tenu à
montrer la haute estime en laquelle il
tenait la SNCF en posant spécialement
avec eux pour les photographes.
De la suite des festivités, nous ne
savons plus rien hormis la répartition et
l’éclatement en six rames des
«Hommes 40, Chevaux 8 », solide-
ment arrimés sur des wagons plats à
bogies encadrés de voitures Pullman
réservées aux personnalités officielles,
journalistes et reporters. Force est de
constater que l’accueil fait outre-Atlan –
tique à l’élan de générosité des Fran-
çais n’a guère été relayé par la presse
nationale.
Notre Métier, l’hebdo –
madaire du cheminot
ne consacre ainsi
au Train que deux courts articles, le
premier lors de son départ de Saint-
Lazare (n°183 du 24 janvier), le second
lors de son arrivée à New York (n°187
du 21 février limité à une photo). Der-
nier avatar, une « cocktail-party » or-
ganisée à Paris en l’honneur de la dé-
légation SNCF le jeudi 17 mars 1949,
au Foyer interallié des chemins de fer,
de 18h30 à 20h00, offre à Huart,
Dughes, Cetre et Le Gall l’occasion
d’une ultime apparition publique
(7)
Bruno CARRIERE
symbole de l’amitié franco-américaine ]
I
l y a soixante ans, plus exactement le
23 février 1949, était reçu à Carson
City, capitale du Nevada, le wagon du
Train de la Reconnaissance destiné à
remercier les populations locales de
l’aide apportée deux ans plus tôt aux
sinistrés français. Les lettres de Ma-
dame Bouthier et d’Alfred Nahon, re-
produites ci-dessus et page suivante,
sont deux exemples des témoignages
poignants joints aux cadeaux.
A la différence de certains autres
Etats, celui du Nevada a veillé jalou-
sement à la conservation dudit wa-
gon et d’une partie de son précieux
chargement, confiés aux soins du Ne-
vada State Museum.
Depuis l’automne dernier, grâce à une
petite subvention culturelle de l’Etat,
un petit groupe d’Américains et de
Français travaillent au recensement
des présents adressés depuis la
France. Leur tâche consiste également
à associer tous les objets aux noms
de leurs généreux donateurs en les
rapprochant des lettres qui les accom-
pagnaient, une mission particulière-
ment délicate, tous les témoignages
écrits ayant été préservés à part. Ob-
jets et lettres sont ensuite photogra-
Compassion et
Gratitude: le Projet du
Merci Train
au Nevada
Un témoignage
particulièrement
touchant :
la lettre d’une
habitante
d’Angoulême
accompagnant
une
bonbonnière
en porcelaine
de Limoges
sauvée des
bombardements.
Nevada State Museum
(5)
Notre Métier,
n° 183 du 24 janvier
1949.
(6)
Notre Métier
, n° 116 du
16 septembre 1947.
(7) Depuis plusieurs années,
un mouvement en faveur de la
restauration des wagons offerts
(certains ont été malheureusement
détruits) s’est développé outre-
Atlantique. Un site en a établi la liste
et propose de nombreuses photos :
http://www.mercitrain.org
Anniversaire
[ 1949, le Train de la Reconnaissance:
phiés et numérisés, les pièces les plus
remarquables étant appelées à enri-
chir le site Internet spécialement créé
pour mettre en valeur cette manifes-
tation de l’amitié franco-américaine.
Poussant plus loin leurs investigations,
les membres de notre petit groupe
s’emploient aussi à retrouver des per-
sonnes ayant participé de près aux
deux événements que furent la col-
lecte des vivres pour le Train de l’Ami-
tié et la réception du wagon du Train
de la Reconnaissance. Ils ne désespè-
rent pas non plus de remonter la piste
jusqu’à quelques-uns des plus jeunes
donateurs français de l’épo que. Cette
dernière mission échoit depuis le mois
de janvier à Aurélie Delaissez-Forstall.
L’une de ses principales satisfactions
a été de retrouver Marcel Leandri. Agé
de 10 ans en 1948, il n’avait pas hé-
sité alors à se défaire de sa collection
de petits soldats de plomb – «
un petit garçonnet
», précisait-t-il
dans sa lettre. L’heureux bénéficiaire
fut Robert Morrill, tout émerveillé d’un
tel trésor. Les deux enfants vont cor-
respondre pendant trois ans avant de
se perdre de vue. Grâce à Aurélie, ils
pensent se rencontrer pour la pre-
mière fois cet été
(1)
La résurgence de cet épisode des rela-
tions franco-américaines ne pouvait
passer inaperçue. Outre un reportage
télévisé consacré au travail de nos
amis et à l’émouvante histoire de Mar –
cel et Robert (diffusé au JT de TF1 le
8mai dernier), les autorités françaises
ont témoigné de leur intérêt en délé-
guant sur place en février l’atta ché
culturel du consulat de San Francisco,
Jean-Francois Questin, et l’attaché
pour l’Education de l’ambassade de
France à Washington DC, Catherine
Petillon. Un échange culturel et édu-
catif pour des étudiants en doctorat
est actuellement en projet.
Mary Works Covington
and Sue Ann Monteleone.
Traduction Aurélie Delaissez Forstall
(1) Une autre Française, Véronique
Chacon-Guyot, s’occupe plus
particulièrement de la traduction
en anglais des missives jointes
aux présents.
44-
Historail
Juillet 2009
Nevada State Museum
Nevada State Museum
Nevada State Museum
Un aperçu
des dons
pieusement
conservés par le
Nevada State
Museum de
Carson City.
Les soldats de
plomb offerts
par Marcel
Leandri à Robert
Morrill. Les deux
hommes, âgés
aujourd’hui
de 70 ans,
devraient
se rencontrer
cet été.
Carte jointe
par Alfred
Nahon à la
théière en cuivre
que le sort
destina à l’Etat
du Nevada.
Juillet 2009
Historail
symbole de l’amitié franco-américaine ]
En 2002, une restauration
complète du wagon « 40/8 » du
Nevada a été achevée. Initiée
par David et Denise Parsons (une
autre Française) et Don Quesin-
berry, elle a été réalisée par le
personnel du Nevada State
Railroad Museum de Carson City
aidé de plusieurs bénévoles.
Le wagon est désormais exposé
avec quelques-uns des cadeaux
originaux dans ce même musée.
Les travaux ont pu être menés à
bien grâce à l’obligeance de la
Forty & Eight Society (créée en
1920 par des anciens combat-
tants de la Première Guerre
mondiale avec pour symbole le
célèbre wagon 40 hommes et
8chevaux) qui s’est chargée de
la collecte de fonds et au soutien
des Amis du Musée du chemin
de fer d’État du Nevada. Les
dons de nombreux citoyens ont
également contribué au projet.
La Restauration du wagon « 40/8 » du Nevada
Le Nevada State Museum est à
la recherche de témoignages
de personnes ayant fait un don
au Train de la Reconnaissance
ou ayant un souvenir précis de
ce train. Il est également preneur
de toute subvention afin
de poursuivre ses recherches
et valoriser la collection.
Contact : Sue Ann Monteleone
Greffier / Histoire UFR
Nevada State Museum
600 N. Carson St. Carson City,
NV 89701-4004
SueAnn.Monteleone@nevadaculture.org
Le wagon offert
à l’Etat du
Nevada avant
et après sa
restauration
en 2002.
Coll. Bohall/Nevada State Museum
Nevada State Railroad Museum
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
A
u lendemain de la guerre, la
Compagnie du Nord se trouve
dans l’expectative quant au devenir
de ses deux paquebots, le
Nord
et le
Pas-de-Calais
, toujours frappés de
réquisition. Aussi accueille-t-elle
favorablement les ouvertures faites
par la Société centrale des ferry-
boats, compagnie en gestation qui
envisage de reprendre la ligne de fer-
ries exploitée depuis 1917 par les
autorités militaires britanniques entre
Calais et Richborough. En effet,
faute de pouvoir disposer immédia-
tement des installations terminales
et du matériel naval de ce service,
46-
Historail
Juillet 2009
La Saga,
partenaire maritime
du Nord puis de la
SNCF de 1920 à 1974
En 1920, le Nord cède à la Société anonyme
de gérance et d’armement (Saga) le
Nord
et le
Pas-de-Calais
, les deux paquebots qu’il affecte
depuis 1899 au transport d’une partie du courrier
sur le détroit. Un service que la SAGA poursuit pour
le compte du Nord puis de la SNCF jusqu’en 1974
avec ses propres navires – dont les célèbres
Côte
d’Azur
et
Côte d’Argent
lancés en 1931 et 1933 –
puis ceux de l’armement naval SNCF.
Depuis 1848, le service du courrier
entre la France et l’Angleterre s’ef-
fectue
via
Calais et Douvres à raison
de deux services postaux quotidiens
dans chaque sens, les «malles» dites
de jour (départ de Paris et de Lon-
dres en milieu de journée) relevant
de la responsabilité de la Direction
générale des Postes, les «malles»
dites de nuit (départ de Paris et de
Londres en début de soirée) du Ge-
neral Post Office. Si le parcours par
rail est assuré par la Compagnie du
Nord côté français et par le South
Eastern Railway côté anglais, les tra-
versées maritimes, confiées à des
packet-boats
» (paquebots poste),
sont mises en adjudication à partir
de 1854. Que ce soit sur mer ou sur
terre, le transport du courrier peut
s’avérer une affaire juteuse en rai-
son des subventions qui s’y ratta-
chent, versées par les deux adminis-
trations postales.
En 1872, le London, Chatham and
Dover Railway (qui depuis 1861 des-
Le Nord armateur malgré lui
Suite page48
Roger-Viollet
Juillet 2009
Historail
sert Douvres au départ de Londres en
concurrence avec le South Eastern)
obtient la concession des traversées
maritimes des malles françaises (de
jour). Déjà en possession depuis 1863
de la concession des traversées mari-
times des malles anglaises (de nuit),
il détient ainsi un monopole de fait
sur le détroit (1).
En 1893, le gouvernement français
entend remédier à cette situation en
remettant à l’honneur le pavillon
français. Aucune candidature natio-
nale ne se dessinant, il se tourne alors
vers le Nord. Bien qu’ayant toujours
refusé jusqu’à présent ce rôle d’arma-
teur, celui-ci finit par céder et accepte,
pour une subvention triple de celle
versée au Chatham par la Direction
générale des Postes, de prendre en
charge les traversées maritimes des
malles de jour (convention du 16 mai
1895). Cependant, ne disposant pas
dans l’immédiat de paquebots, il ob-
tient du Chatham qu’il lui loue deux
de ses unités: le
Victoria
et l’
Invicta
qui commencent leur service sous les
couleurs françaises le 3 octobre 1896.
Les deux paquebots commandés par
le Nord – le
Nord
et le
Pas-de-Calais
entrent en service le 11 février 1899
seulement, leur construction et leur
mise au point ayant pris plus de
temps qu’initialement prévu.
Sa concession des services maritimes
des malles de jour ayant été recon-
duite à la veille de la Première Guerre
mondiale, le Nord décide au sortir du
conflit d’en confier l’exécution à un
tiers: la Saga.
(1) En concurrence, le South Eastern
et le Chatham finissent par signer en
1863 un accord de coopération basé
sur un partage des charges et des
recettes.
Calais, 24 juin
1913. En visite
of�cielle en
Angleterre, le
président
Poincaré choisit
de regagner la
France à bord
du
Pas-de-Calais
,
l’un des deux
paquebots du
Nord, aisément
reconnaissables
à leurs roues
à aubes
quelque peu
anachroniques
pour l’époque.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
cette société se propose, en atten-
dant, d’acquérir les deux paquebots
en question au prix global de
3000000francs. L’accord passé
entre les deux parties porte l’octroi
d’un délai de réflexion de trois mois
à dater du 7 juillet 1919.
Aucune suite n’ayant été donnée au
dossier, le Nord est approché en mai
1920 par un nouvel acheteur poten-
tiel, la Société anonyme de gérance
et d’armement (Saga). Fondée le
12avril 1919, cette compagnie s’était
donnée pour mission: dans un pre-
mier temps, de gérer des navires
confiés tant par la Marine nationale
que par la marine marchande; dans
un second temps, d’acquérir et d’ar-
mer ses propres bateaux. Son ambi-
tion première, qu’elle remplira, était
d’effectuer des services réguliers au
départ de Dunkerque, Boulogne et
Anvers sur le Maroc. Contrairement
à une idée assez largement répandue,
la Saga n’était pas une filiale du Nord
et n’est jamais entrée dans son capital.
Les pourparlers entre le Nord et la
Saga aboutissent à la signature, le
27mai 1920, d’un traité entérinant
l’achat pour 4000000francs des pa-
quebots
Nord
et
Pas-de-Calais
. L’acte
de vente précise
«que les deux bâti-
ments ainsi vendus ne pourront être
affectés à aucune opération de
concurrence de commerce directe ou
indirecte contre la Compagnie du
Nord»
. Ce qui ne pose pas problème,
la Saga ayant envisagé d’affecter les
deux unités à un service régulier entre
le Bosphore et le Danube! Le
Nord
est remis à ses nouveaux propriétaires
le 29 mai, le
Pas-de-Calais,
le 21 juin
(1)
En définitive, le Nord réussit à convain-
cre la Saga d’assurer pour son compte
le service postal entre Calais et Dou-
vres à partir du 19 août 1920. De pro-
visoire, l’entente devient officielle par
la signature d’une convention prenant
effet le 7 mai 1921. La Saga se charge
de l’ensemble des dépenses d’exploi-
tation des deux vapeurs et frais an-
nexes. En retour, le Nord lui aban-
donne les avantages attachés au
service français sur le détroit, notam-
ment la part maritime des billets émis
sur le continent à destination de l’An-
gleterre (
via
Calais) et celle afférente
48-
Historail
Juillet 2009
Calais, 23 août
1909: le
paquebot
Nord
en attente de
départ. Il assure
depuis 1899,
avec le
Pas-de-
Calais
, son sister-
ship, le transport
des malles de
jour sur le
détroit. Les deux
unités seront
rachetées par la
Saga en 1920.
Le Nord convainc la Saga d’assurer pour son
compte le service postal entre Calais et Douvres.
CCI Calais
Juillet 2009
Historail
aux colis postaux transportés. Le
South Eastern and Chatham Railway
ne connaissant pas la Saga, tous les
comptes du service sont assurés par
le Nord. L’accord est tacitement re-
conductible d’année en année.
En janvier 1923, la Saga décide l’ac-
quisition auprès du Southern Railway
(héritier du South Eastern and Cha-
tham Railway) des paquebots à tur-
bines
Empress
et
Invicta
pour suppléer
le
Nord
et le
Pas-de-Calais,
atteints
par la limite d’âge.
Cette démarche ne suffit cependant
pas à satisfaire le Nord, les deux nou-
veaux venus n’étant plus d’une prime
jeunesse, puisque construits en 1905
et 1907. Aussi insiste-t-il pour que son
partenaire se dote d’unités neuves sus-
ceptibles de rivaliser avec celles du
Southern, notamment avec les
Isle of
Thanet
et
Maid of Kent
, entrés en ser-
vice en 1925, et le luxueux
Canterbury
alors en chantier. Le 14 juin 1927, la
direction de la Saga se déclare enfin
prête à lui donner satisfaction:
«Quoique les paquebots
Empress
Invicta
soient encore en excellent état,
je ne méconnais pas la valeur des ar-
guments, d’ordre plutôt politique et
moral, au nom desquels vous désirez
pouvoir mettre en parallèle avec les
navires anglais récemment construits
par le Southern Railway des paque-
bots postaux français conformes aux
derniers perfectionnements, tant dans
le domaine technique que dans le do-
maine des aménagements intérieurs
et des commodités de toute nature à
offrir aux passagers.»
Problème, la dé-
pense, estimée entre 50 et 60 millions,
s’avère bien supérieure aux réserves fi-
nancières constituées à cette fin.
Un large appel au crédit s’avérant né-
cessaire, la Saga émet le souhait que
le Nord lui garantisse l’exploitation de
son service maritime pour une longue
durée, à des conditions équivalentes à
celles observées jusqu’ici. Le Nord
donne son accord le 5 octobre 1927.
Moyennant la construction, dans un
délai moyen de deux ans, de deux pa-
quebots
«offrant à tous points de vue
les derniers perfectionnements pou-
vant intéresser la voie Calais – Dou-
vres»
, il s’engage à maintenir à la
Saga tous les avantages liés au ser-
vice maritime français dans le détroit
pour une période d’au moins dix ans,
cette période commençant à courir le
jour de la mise en service du second
paquebot. Le 21 novembre, fort de
Calais, 1934.
Entrés en service
en 1931 et 1933,
le
Côte d’Azur
et le
Côte
d’Argent
, les
deux nouveaux
paquebots
postaux de
la Saga,
stationnent
devant la gare
maritime.
Le
Côte
d’Argent
est
moins rapide,
mais moins
gourmand
en charbon.
CCI Calais
Photorail
(1) La réquisition frappant les deux bateaux avait
été levée en 1919, en août pour le
Pas-de-Calais
,
le 12septembre pour le
Nord
. La Saga prend également
en gérance en 1925, et jusqu’en 1932, le
Capitaine-
Illiaquer
, cargo acheté par le Nord à l’Etat en 1922.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
cette promesse, une assemblée extra-
ordinaire de la Saga autorise à cet ef-
fet un emprunt hypothécaire de
40millions auprès du Crédit foncier.
Construit à Graville (Le Havre) par la
Société des forges et chantiers de la
Méditerranée, le
Côte d’Azur
entre en
service le 22 avril 1931 en présence
de Louis de Chappedelaine, ministre
de la marine marchande, non sans
avoir atteint aux essais la vitesse de
23,17 nœuds (plus de 42km/h)
(2)
. Sorti
des mêmes chantiers, son sister-ship, le
Côte d’Argent
, moins rapide (22,94
nœuds) mais d’une consommation
plus économique, suit le 2 mai 1933.
Un mois plus tard, il entre en collision
avec le cargo suédois
Clive
, sans trop
de dommages heureusement.
L’inauguration du
Côte d’Azur
lieu à la mise en marche d’un train
spécial (départ de Paris-Nord à 10h45,
arrivée à Calais-Maritime à 14h00)
composé de voitures Pullman propres
à accueillir les quelque 200 invités
conviés à l’événement. La traversée
s’effectue en un peu plus d’une heure
(départ de Calais à 14h50, arrivée à
Douvres à 16h05). Le retour sur Calais
et Paris est assuré en soirée. Plus dis-
crète, la mise en service du
Côte d’Ar-
gent
ne mobilisera qu’une seule voi-
ture Pullman attelée aux trains
réguliers 71 (aller) et 6 (retour).
Entre-temps, le 18 mars 1926, la Saga
avait pris la décision de participer à la
création de la Société Angleterre-Lor-
raine-Alsace (ALA) pour l’établisse-
ment d’une ligne de paquebots en-
tre Dunkerque et Tilbury, avant-port
de Londres sur la Tamise.
Le 20 juillet 1934, compte tenu de la
crise, le Nord accepte de prolonger
l’engagement de la Saga jusqu’au
31décembre 1950.
La substitution de la SNCF aux
grandes compagnies au 1
janvier
1938 pose le problème de la recon-
duction à terme des accords passés
entre le Nord et la Saga. En effet, en
cas de retrait de cette dernière fin
1950, la solution la plus logique et la
moins onéreuse pour la SNCF serait
qu’elle lui rachète ses paquebots. Or,
leur valeur ayant doublé entre 1930 et
1938, cette perspective ne sied pas à
la SNCF. Comme lui en donne le droit
l’article 11 du décret-loi du 31 août
1937, elle introduit alors deux modifi-
cations importantes. Contrairement à
la situation antérieure, elle se réserve
une part des bénéfices de l’exploita-
tion (1,6 shilling par voyageur). Sur-
tout, elle s’assure la pleine propriété
des deux paquebots à l’expiration du
contrat, à charge pour la Saga de les
lui livrer
«en bon état d’entretien et
prêts à prendre la mer»
. Rendez-vous
est pris pour le 31 mars 1944 afin
d’examiner la clause de reconduction
après 1950.
Au 1
janvier 1939, date de la prise
d’effet de l’avenant explicité plus haut,
le nombre de traversées entre Calais
et Douvres et entre Boulogne et Fol-
kestone est de quatre dans chaque
sens, dont trois assurées par le Sou-
thern Railway et une par le Nord, le
partage des recettes s’effectuant au
prorata des efforts consentis.
La guerre rend caduc le rendez-vous
programmé
(3)
. Pire, non contente d’in-
50-
Historail
Juillet 2009
Inauguré en
1951, le ferry-
boat
Saint-
Germain
remplace le
Côte
d’Argent
disparu
en 1945. Bien
qu’exploité par
la Saga, il est la
propriété de
l’Armement
Naval SNCF.
La salle à
manger du
Saint-Germain
.
Photorail
Photorail
terrompre le trafic postal, elle est fa-
tale aux deux paquebots. Coulé en
juin 1940 par une bombe à Dun-
kerque le long du quai Freycinet 1, le
Côte d’Azur
est renfloué par les Alle-
mands qui l’emploient comme mouil-
leur de mines sous le nom d’
Elsass
il saute en Norvège devant Namsos le
3 janvier 1945, victime d’une de ses
propres mines. Quant au
Côte d’Ar-
gent
, surpris par les Allemands à La
Pallice et transformé également en
mouilleur de mines sous le nom
Ostmark,
il est coulé par l’aviation
alliée le 21 avril 1945 au large de l’île
danoise d’Anholt.
Ayant été soumis depuis septembre
1939 à un régime voisin de la réquisi-
tion (régularisé sous la forme d’une
charte-partie d’affrètement en date
du 15 septembre 1940), les deux pa-
quebots disparus se devaient d’être
remplacés par l’Etat, moyennant paie-
ment par leur propriétaire de soultes
d’âge et de qualité
(4)
. Cette opération
s’annonçait donc très bénéfique pour
la Saga, assurée d’entrer en posses-
sion de navires neufs au moindre prix.
D’autant qu’elle estimait que l’accord
passé avant guerre –qui lui faisait
obligation de remettre en toute pro-
priété à la SNCF le
Côte d’Azur et le
Côte d’Argent
– ne pouvait s’appli-
quer aux nouvelles unités.
La SNCF contestant cette façon de
Juillet 2009
Historail
Le paquebot
Côte d’Azur
,
deuxième du
nom, a pris en
1951 la relève
de son aîné
disparu au large
des côtes
norvégiennes
en 1945.
Le salon
«Messieurs» de
première classe
du
Côte d’Azur
.
Photorail
Pierre Bernier/Photorail
(2) Le
Côte d’Azur
est lancé
le 15mars 1930, le
Côte d’Argent
le 21avril 1932.
(3) C’est à bord du
Côte d’Azur
que
le président Albert Lebrun se rend
en voyage officiel en Angleterre le
21mars 1939.
(4) Compensations financières
destinées à tenir compte du
vieillissement fictif des paquebots
depuis leur disparition (4% an de
leur valeur en 1939) et des
perfectionnements apportés aux
unités neuves.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
voir, de nouveaux pourparlers entre
les deux parties aboutissent en mai
1947 à deux projets d’accord, l’un
portant sur la cession des deux futurs
navires promis par l’Etat, l’autre les
conditions de leur exploitation. Ces
projets sont examinés et entérinés par
le conseil d’administration de la SNCF
le 10 mars 1848. La Saga acceptait
d’abandonner les deux nouvelles uni-
tés moyennant le remboursement par
la SNCF des soultes dues à l’Etat et
le versement d’une indemnité de
20mil lions à titre d’indemnité de ré-
siliation du contrat d’exploitation cou-
rant jusqu’à fin 1950. En effet,
conformément au nouveau contrat
d’exploitation destiné à entrer en vi-
gueur dès la livraison du premier na-
vire, la Saga –
« qui exploitait le ser-
vice d’une manière satisfaisante
depuis de nombreuses années et qui
jouit d’une excellente réputation dans
les milieux anglais»
– est désormais
considérée comme un simple
«en-
trepreneur de traction et de gestion à
bord»
, avec pour rémunération une
part des bénéfices d’environ 1/5
contre 4/5 précédemment.
Le contrat définitif, applicable à comp-
ter de la livraison de la première unité,
est signé le 3 avril 1948. La SNCF a
tout lieu d’être satisfaite, puisque de-
vant
«recevoir, pour une soulte to-
tale de 52 millions en chiffres ronds,
deux navires neufs valant aujourd’hui
quelque 1200millions au lieu de
deux paquebots vieux»
Entre-temps, à la demande de la
SNCF, la Saga intercède auprès de
l’Etat pour que l’un des deux paque-
bots à remplacer soit un ferry-boat.
La SNCF redoute en effet que les pa-
quebots aient à souffrir de la concur-
rence de l’avion. A l’inverse, elle
52-
Historail
Juillet 2009
Le
Compiègne
,
premier car-ferry
SNCF, le jour
de son
inauguration le
22 juillet 1958.
Son entrée en
scène conduit
l’Armement
Naval à revoir
à la baisse le
contrat, jugé
trop généreux,
qui lie la Saga
à la SNCF.
Autre élément
de la �otte
transmanche de
la Saga, le car-
ferry
Chantilly
fait son entrée
en 1966.
Pilloux/Photorail
Photorail
estime que le trafic par ferry-boat est
appelé à se développer en raison des
avantages qu’il présente: rapidité,
suppression des manutentions,etc.
Satisfaction lui est donnée avec la
mise en service, en juillet 1951, en-
tre Dunkerque et Douvres, du
Saint-
Germain
(5)
, ferry-boat lancé le 5 avril
précédent par le chantier naval da-
nois d’Elseneur. Il est suivi en août,
entre Calais et Folkestone, par le pa-
quebot
Côte d’Azur
(6)
, deuxième du
nom, mis à flot par la Société des
forges et chantiers de la Méditerra-
née le 3 avril 1950.
En 1958, la Saga hérite d’une troi-
sième unité, le
Compiègne
(7)
, premier
car-ferry commandé par la SNCF.
Lancé le 7 mars par les Chantiers réu-
nis Loire-Normandie au Grand-Que-
villy, il entre en service en juillet entre
Calais et Douvres.
L’entrée sur scène de cette dernière
unité fait bondir la rémunération ver-
sée annuellement à la Saga qui, de
20 à 61 millions de 1952 à 1958,
passe à 135 millions en 1958. Les
prévisions pour 1959 s’élevant à
215millions, dont 117 pour le seul
Compiègne
, la SNCF, estimant que
ces émoluments dépassaient la va-
leur des services rendus, décide de
dénoncer le contrat de la Saga. Re-
vue à la baisse, la rémunération fait
l’objet d’un nouvel accord signé le
9janvier 1961.
Les mises en service du car-ferry
Chan-
tilly
en juin 1966 (lancé à Nantes le
9octobre 1965 par les Chantiers Du-
bigeon) et du porte-conteneurs
Trans-
container I
(9)
en mars 1969 (lancé le
30 novembre 1968 à La Seyne par les
Constructions navales et industrielles
de la Méditerranée, héritières des
Forges et chantiers de la Méditerra-
née) font l’objet de deux avenants en
date des 28 septembre 1966 et
24juin 1970. L’allocation proportion-
nelle aux recettes tarifaires et la parti-
cipation aux frais généraux sont rem-
placées par une indemnité annuelle
de gérance fixe.
Ayant progressivement cessé son ac-
tivité d’armement depuis 1970, la
Saga vend ses derniers navires en
1973. Elle demande en conséquence
à la SNCF de mettre un terme à son
contrat. Ce
«divorce par consente-
ment mutuel»
(selon la formule de
Roger Hutter) est entériné par le
conseil d’administration de la SNCF le
28 novembre 1973. Entré dans les
faits le 30 septembre 1974, il marque
la fin d’une collaboration de plus d’un
demi-siècle.
Bruno CARRIÈRE
Juillet 2009
Historail
Mis en service
en 1969 entre
Dunkerque et
Harwich, le
Transcontainer I
,
spécialisé dans
le transport des
containeurs, est
la dernière unité
con�ée par la
SNCF à la Saga,
qui se retire
en 1974.
Pilloux/Photorail
Pilloux/Photorail
(5) Retiré du service en 1988.
(6) Retiré du service en 1972.
(7) Retiré du service en 1981.
(8) Retiré du service en 1987.
(9) Retiré du service en 1986.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
E
n 1923, la fusion et la concentra-
tion des compagnies de chemins
de fer anglais entre les mains de qua-
tre grands groupes ont pour consé-
quence de réserver au London and
North Eastern Railway (LNER) le béné-
fice de toute la façade maritime orien-
tale de l’Angleterre, depuis l’estuaire
de la Tamise (Londres) jusqu’à celui du
Tay en Ecosse (Perth). Fort de sa posi-
tion, le LNER ne tarde pas à monopo-
liser l’ensemble du trafic continental
intéressant sa sphère d’influence, ses
bateaux assurant l’essentiel des rela-
tions régulières entre Harwich d’une
part, Anvers, Hoek van Holland (Pays-
Bas) et Zeebrugge (Belgique) d’autre
part. Un moment sur les rangs avec
sa ligne de Queensborough à Fles-
singue, le Southern Railway (SR) finit
lui aussi par renoncer, laissant à l’Etat
belge le soin d’assurer seul un service
réduit entre Douvres et Ostende.
C’est dans ce contexte que le London
Midland and Scottish Railway (LMSR),
agacé d’être tributaire du LNER pour
54-
Historail
Juillet 2009
En 1926, le Nord préside en sous-main,
par le biais de la Saga, à la création de
l’Angleterre-Alsace-Lorraine (ALA) pour
l’exploitation de la liaison maritime
Dunkerque – Tilbury. Mais, victime de la
crise économique, l’ALA tombe en 1933
dans l’escarcelle du Southern Railway
et ses paquebots cèdent la place en 1936
à un service de ferry-boats reporté sur
Dunkerque et Douvres. Le rôle de l’ALA
se réduit alors à l’exploitation du
Twickenham-Ferry, l’un des trois ferries
lancés pour l’occasion.
L’Angleterre-Lorraine-Alsace
(ALA), fidèle à Dunkerque de
ses échanges avec le continent, dé-
cide de réagir en créant une ligne
concurrente. Il est d’autant plus dé-
terminé à aboutir que le courant de
trafic entre les grands centres manu-
facturiers des Midlands et de l’Ecosse
qu’il dessert et les métropoles indus-
trielles du nord-est de la France ne
cesse de croître depuis la fin de la
guerre. Son choix se porte sur une
ligne de Tilbury à Dunkerque.
Situé sur la rive droite de la Tamise, à
35km en aval de Londres, Tilbury a le
double avantage d’être directement
desservi par ses voies et d’être le der-
nier port de l’estuaire accessible aux
paquebots. Quant à Dunkerque, c’est
le port du continent le plus rappro-
ché de Londres, la distance par mer
n’étant que de 115 milles, contre 120
environ pour Calais et 130 pour Os-
tende. Cette situation, amorce d’un
axe de communication privilégié entre
l’Angleterre, le nord-est de la France,
la Suisse, l’Italie et l’Europe centrale,
n’avait jamais pu être exploitée à sa
juste valeur avant 1870, faute de rela-
tions rapides par voie ferrée, puis en
raison de l’annexion de l’Alsace-Lor-
raine par l’Allemagne. Aussi les rela-
tions Angleterre – Suisse avaient-elles
été assurées jusqu’en 1914 par Ca-
lais/Boulogne – Amiens – Tergnier –
Juillet 2009
Historail
Port de
Dunkerque, quai
des Monitors.
A gauche, la
gare maritime
en construction.
Les paquebots
de l’ALA sont
déjà présents.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
Langres – Belfort – Bâle d’une part, Os-
tende – Bruxelles – Strasbourg – Bâle
d’autre part. Or, en rendant tout son
potentiel à Dunkerque, le retour de
l’Alsace-Lorraine à la France offrait de-
puis 1918 la possibilité d’une relation
plus directe, via Lille – Mézières – Lon-
guyon – Metz – Strasbourg – Bâle.
Soucieuses de ramener au rail français
le trafic entre l’Angleterre, la Suisse et
l’Italie, les Compagnies du Nord et de
l’Est suivent de près l’initiative du
LMSR. C’est ainsi que lorsque celui-ci,
pour des raisons politiques, se retrouve
dans l’impossibilité de réaliser lui-
même son projet, le Nord n’hésite pas
à répondre à son appel, l’objet étant
de faire assurer le service de paque-
bots envisagé par une société fran-
çaise. Finalement, c’est à la Saga
(1)
, qui
depuis 1920 assure pour son compte
le service postal entre Calais et Dou-
vres, que le Nord confie l’opération.
L’acte de création de la société ano-
nyme Alsace-Lorraine-Angleterre (ALA)
est déposé chez maître Barillot, notaire
à Paris, le 29 octobre 1926. Le capi-
tal, fixé à 10 millions de francs, divisé
en vingt mille actions de 500 francs
chacune, est entièrement souscrit et
confirmé par acte notarial en date du
23 février 1927. Sur ces 20000 ac-
tions, plus de 95% sont aux mains
de la Saga, les 884 autres étant répar-
ties entre vingt personnes: banquiers,
industriels et autres entrepreneurs de
transport. Le même jour, les souscrip-
teurs, réunis en assemblée générale
constitutive au siège de la Saga, à Pa-
ris, 9, rue de Montchanin, décident de
changer la raison sociale de l’entre-
prise, qui prend la dénomination de
Angleterre-Alsace-Lorraine (ALA).
Outre l’armateur Hirsch Jokelson
(2)
, qui
hérite de la direction générale, on
trouve parmi les autres actionnaires
Paul-Emile Javary, directeur de l’ex-
ploitation du Nord et principal artisan
de l’opération, mais aussi son fils,
François, nommé directeur général
adjoint. La présidence échoit au gé-
néral vicomte de La Panouse. Les pré-
sidents des chambres de commerce
de Dunkerque, de Nancy et de Stras-
bourg entrent comme administra-
teurs, preuve de l’attachement des
groupements économiques régionaux
au développement du nouvel axe
France-Angleterre.
La contribution du LMSR passe par la
cession à l’ALA, à très bas prix, de
quelques-uns de ses bateaux, et l’as-
surance de créer au départ de Tilbury
des trains spéciaux en correspon-
dance, comportant des voitures di-
rectes pour les principales villes du
centre et du nord de l’Angleterre:
Edimbourg, Glasgow, Bradford,
Leeds, Liverpool, Manchester. Ces en-
gagements sont entérinés par l’entrée
au conseil d’administration de l’ALA
d’un représentant du LMSR, le major
Ralph Glynn. Enfin, pour éviter à l’ALA
de supporter les frais des hypothèques
pesant sur les bateaux, il est entendu
que le Nord donnerait au LMSR sa
propre garantie et serait lui-même
couvert par la Saga.
Les 27, 28 et 29 avril 1927, l’ALA
prend livraison à Dunkerque de trois
paquebots de la flotte du LMSR retirés
des lignes de Holyhead à Kingston et
56-
Historail
Juillet 2009
Déléguée par la Nord, la Saga souscrit
plus de 95% du capital de l’ALA.
Carte
des liaisons
ferroviaires en
correspondance
avec les
services
maritimes
de l’ALA.
Génie Civil/Photorail
Juillet 2009
Historail
de Fleetwood à Belfast, entre l’Angle-
terre et l’Irlande. Le prix d’achat est
fixé à 60000livres
(3)
, somme rem-
boursable à tempérament jusqu’au
15 décembre 1931. Ces unités, qui
subissent quelques remaniements
pour répondre aux exigences du pa-
villon français, sont très vite francisées
sous les noms évocateurs de
Lorrain
(ex-
Rathmore
Flamand
(ex-
London-
derry
) et
Alsacien
(ex-
Duke of Argyll
Avec leurs deux cheminées et leur
étrave verticale, chacun de ces navires,
d’une longueur de 109m, peut trans-
porter de 950 à 1200 passagers
(dont un tiers en places couchées) et
36 automobiles.
L’inauguration de la ligne
a lieu du 12 au 14 mai 1927
«La compagnie de navigation An-
gleterre-Lorraine-Alsace (ALA) a
tenu à célébrer l’inauguration de
sa ligne Dunkerque – Tilbury d’une
manière qui se généralise de plus
en plus; par une sorte de répéti-
tion générale la présentant à un
groupe d’invités telle qu’elle sera
en fonctionnement normal.
«Cette inauguration a eu lieu les
12, 13 et 14 mai. Les invités ayant
à leur tête MM.de La Panouse,
président, et Jokelson, directeur de
l’ALA; Javary, directeur général, et
Lévy, chef des services commer-
ciaux du Chemin de fer du Nord;
Trystram, vice-président de la
chambre de commerce de Dun-
kerque, s’embarquèrent à Dun-
kerque, le 12 à minuit, sur le s/s
Alsacien
et furent reçus à 7h30 le
13 à Tilbury par l’état-major du
London Midland and Scottish Rail-
way. Un train spécial les transporta
à Liverpool et, après une visite de
ce grand port, les ramena, en pas-
sant par Manchester, à Londres, où
leur fut offert par le LMSR un
grand banquet présidé par Sir
W.Guy Granet, qu’entouraient Sir
Josiah Stamp, le financier anglais
bien connu, président de la LMS;
le général de La Panouse;
MM.Jokelson, Billecocq,etc.
«Le retour eut lieu le 14, en
compagnie d’un important grou –
pe britannique. A la gare mari-
time de Dunkerque, une récep-
tion avait été préparée par la
chambre de commerce et la ville.
Enfin, à Paris, le soir, un banquet
fut offert par la Compagnie du
Nord et l’ALA. Le lendemain, nos
hôtes anglais regagnèrent leur île
par le premier service régulier de
Dunkerque à Tilbury.»
Chronique des transports
du 4 juin
1927
Le Flamand effectue
la première liaison
commerciale dans la nuit
du 15 au 16 mai
Les traversées s’effectuent de nuit à
raison d’un départ quotidien dans
chaque sens, mesure qui a pour effet
de combler heureusement la lacune
qui existait depuis la suppression, par le
Southern Railway, de la malle de nuit à
Calais. Les 95 milles, dont près de la
moitié en Tamise, sont couverts en
6heures 30, y compris les manœuvres
au départ et à l’arrivée. Ce laps de
temps est suffisamment long pour per-
mettre aux voyageurs un repos effectif,
mais assez court pour les dispenser de
prendre un repas à bord, ce qui se ré-
percute sur le prix du passage et dis-
pense l’ALA des sujétions d’un restau-
rant obligatoire, en lui laissant les profits
d’un buffet facultatif. Les départs de
Dunkerque et de Tilbury ont lieu res-
pectivement à 0h15 et 23h30, les arri-
vées correspondantes à 6h45 et 6h00.
Toutefois, les passagers sont autorisés
à monter à bord dès 20heures pour
jouir d’un sommeil de durée normale.
(1) Société anonyme de gérance et d’armement,
créée en 1919.
(2) H.Jokelson assura également la direction de la Saga
du 1er décembre 1926 à sa mort, en 1933.
(3) Quelque six millions de francs.
Le
Flamand
(ex-
Londonderry)
est l’un des trois
paquebots
rachetés au
London Midland
and Scottish
Railway (LMS).
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
A Dunkerque, la correspondance avec
Paris est assurée par un train spécial
direct effectuant le trajet (308km) sans
arrêt en 3 heures 40. Le train régulier
partant de Dunkerque-Ville dessert di-
vers points intermédiaires et donne à
Longueau la correspondance avec
Rouen et LeHavre. Un second train
spécial assure les relations avec l’est
de la France, la Suisse et l’Italie,
via
Lille, Aulnoye, Charleville, Longuyon,
Metz, Strasbourg et Bâle: 730km par-
courus en 10heures 40. Des voitures
directes assurent les correspondances
au départ de Lille pour Bruxelles et
Reims – Dijon – Marseille; d’Aulnoye
pour Liège – Cologne – Berlin; de Lon-
guyon pour Luxembourg et Nancy –
Belfort – Berne – Loetschberg – Milan;
de Strasbourg pour Stuttgart – Munich
– Vienne; de Bâle pour Zurich – Saint-
Moritz et le Gothard – Milan.
Les relations avec Manchester, Liver-
pool, Sheffield, Edimbourg, Glasgow
et autres villes importantes de la
Grande-Bretagne sont assurées, au
départ de Tilbury, par un train spécial
en correspondance à Londres-Saint
Pancras avec quatre trains du LMSR,
et vice-versa. Ce train marque un arrêt
à Barking, station terminus d’une des
lignes du métro londonien, pour éviter
aux voyageurs sans bagages le détour
par Saint-Pancras.
Un voyageur parti de Londres à 22h30
arrive ainsi à Paris le lendemain à
10h20 et peut en repartir à 20h00
pour rentrer à Londres le surlendemain
de son départ à 8h00, ayant joui de
près de dix heures susceptibles d’être
utilement employées et de treize
heures de repos sur un total de trente-
quatre heures. S’il est vrai que le trajet
dure douze heures contre sept, via Ca-
lais ou Boulogne, cet inconvénient est
compensé, outre la différence de prix,
par la suppression des frais d’hôtel à
Londres pour les voyageurs de l’inté-
rieur, par le caractère plus pratique de
l’horaire et par la suppression d’un
transbordement sur deux.
Le prix de la traversée est de
148francs en 1
classe et de 78francs
en 3
classe (il n’y a pas de 2
classe).
Les couchettes en cabine font l’objet
de suppléments qui varient de
130francs (cabine de luxe) à
15,50francs (cabine à 3 ou 4 lits). Les
couchettes ordinaires en salon avec
couverture et oreiller sont délivrées au
prix de 6,20francs. De Paris à Londres,
il en coûte, pour un aller et retour
(4)

via Dunkerque: 455,35 fr (1
cl.),
294,30 fr (2
cl.*); 241,45 fr (3
cl.);

via Calais ou Boulogne: 597,70 fr
cl.); 433,75 fr (2
cl.*); 306,85 fr
cl.).
*Le billet comprend le voyage
en 2
e
classe sur le réseau Nord et en
3
e
classe sur le bateau et les chemins
de fer anglais.
Les prix du trajet Paris – Londres font
ressortir pour chacune des classes une
économie de l’ordre de 25% sur ceux
du trajet par Calais.
58-
Historail
Juillet 2009
Des liaisons Paris – Londres plus longues que
par Calais ou Boulogne, mais 25% moins chères.
G.F. Fenino/Photorail
Après avoir pris
le contrôle de
l’ALA en 1932,
le Southern
Railway
remplace en
1936 les
paquebots par
un service de
ferry-boats.
Les autorités
françaises ont
fait pression
pour que
l’un des trois
ferries– le
Twickenham-
Ferry (ci-contre)
– soit rétrocédé
à l’ALA.
En 1927, le nombre de voyageurs
transportés passe de 2900 en juin à
11400 en juillet, 9600 en août et
6800 en septembre. Soit, précise une
note en date du 28octobre,
«une
moyenne de 100 voyageurs par ba-
teau, ce qui dénote combien la ligne
est appréciée par les voyageurs dési-
reux d’épargner leur temps en voya-
geant de nuit confortablement dans
un lit, et leur argent en épargnant les
frais d’hôtel à Londres ou sur le conti-
nent, frais inévitables pour ceux qui
empruntent les services de jour»
Le trafic marchandises connaît une
progression plus régulière, passant de
162t en juin à 1374t en décembre.
Au départ de Dunkerque, les expédi-
tions portent principalement sur des
denrées en provenance des halles de
Paris et, pendant la saison d’été, des
primeurs en provenance des régions
d’Orléans, Montauban, Moissac, Cer-
bère. A cela, s’ajoutent des groupages
de Suisse et de Paris, rubans de Saint-
Etienne, tissus et laines de Roubaix,
vermouths et châtaignes d’Italie. Au
départ de Tilbury, ce sont les jutes,
laines et étains qui dominent.
Cependant, la brume, omniprésente
dans la Tamise, multiplie les dangers
de navigation: le 23 février 1928, l’
Al-
sacien
coule une barge devant Tilbury
et entre en collision avec un cargo lors
de son voyage de retour sur Dun-
kerque. Ces deux incidents, qui ne
sont pas les premiers, montrent la né-
cessité d’avoir recours le plus tôt pos-
sible à un quatrième navire pour assu-
rer la régularité du service. Les accords
initiaux passés avec le LMSR pré-
voyaient la mise à disposition de cette
unité supplémentaire. Ce qui est fait
en avril 1928 avec la livraison du
Pi-
card
(ex-
Duke of Cumberland
), sister-
ship de l’
Alsacien
Le trafic des marchandises, en expan-
sion avec 2444t en mars1928, incite
Juillet 2009
Historail
(4) Tarif d’octobre 1927. Les prix
varient sans cesse en raison des
fluctuations de la livre et du franc.
Photorail
Cette af�che de
Garretto éditée
en 1937
promeut le
service de
wagons-lits
inauguré le
14octobre 1936
entre Londres
et Paris.
Le «Night-
Ferry» (train de
nuit direct Paris-
Londres de la
CIWL) au départ
de Dunkerque le
15 octobre 1936.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
60-
Historail
Juillet 2009
l’ALA à faire l’acquisition de deux car-
gos, plus spécialement destinés aux pro-
duits exigeant des délais de livraison
courts, comme les primeurs. Ces deux
bateaux, le
City of Charleroi
et le
Mer-
wed
, entrent en service le 20 mai 1928.
Mis en possession des premiers résul-
tats globaux de l’exercice 1928, chif-
fres particulièrement encourageants,
Javary père ne dissimule pas sa satis-
faction:
«Vous voyez,
écrit-il à Ro-
bert de Rothschild le 6 mars 1929,
que l’enfant a, de mois en mois, une
assez belle croissance malgré toutes
les tentatives d’étranglement dont il
a été l’objet de la part de ses voisins
de l’Est, en Belgique et en Hollande,
de l’Ouest en Angleterre… et parfois
aussi du côté français.»
En réalité, les comptes ne sont pas
aussi brillants et s’avèrent même très
inférieurs aux prévisions. C’est ainsi
qu’au terme de la première année
d’exploitation, le LMSR, non content
de porter secours à la nouvelle société
par le versement d’une subvention de
5000livres, doit encore s’engager à
couvrir les déficits d’exploitation à ve-
nir, à charge pour l’ALA de le rem-
bourser ultérieurement. L’année 1929
s’achève sur une note plus optimiste,
le nombre des voyageurs ayant tran-
sité par Dunkerque et Tilbury
(102275) étant supérieur à celui de
lignes plus anciennes comme Harwich
– Flessingue (66265 voyageurs), Har-
wich – Anvers (63764), Southamp-
ton – LeHavre (61595) ou Southamp-
ton – Saint-Malo (67914). Mais, la
crise économique mondiale aidant,
l’embellie est de courte durée. Après
avoir stagné pendant deux ans, le tra-
fic s’effondre brutalement en 1932.
(1)
(2)
(3)(4)
38595
7914124798
1022753271726456429
1139483577629462568
11574835000
4092716016
(1) voyageurs, (2) marchandises en
tonnes, (3) sacs postaux en tonnes,
(4) automobiles accompagnées.
Au nombre des voyageurs comptabi-
lisés en 1930, il faut ajouter celui du
service spécial d’excursions de jour
que le
Lorrain
assura trois fois par se-
maine entre Dunkerque et Southend-
on-Sea du 12 juillet au 31 août, soit
5548 personnes. Desservie par le
mauvais temps, cette expérience ne
fut pas renouvelée.
Dans son édition du 18 décembre
1931,
Le Phare de Calais
évoque les
difficultés de l’ALA. Sous le titre:
«On
ferme. On ferme. La faillite de la ligne
Dunkerque – Tilbury»
, il précise:
Faillite non point au sens judiciaire de
ce terme, bien entendu, mais en ce
sens qu’une exploitation commerciale
raisonnable de cette ligne a été recon-
nue impossible après avoir coûté af-
freusement cher à ceux qui l’ont folle-
ment tentée et particulièrement au
London Midland and Scottish Railway
qui, si nous en croyons nos informa-
tions, garantissait le déficit de l’exploi-
tation…»
De fait, l’ALA a pris la déci-
sion, dès le mois d’octobre, de fermer
sa ligne fin avril 1932, date de l’expira-
tion des accords la liant au LMSR, sauf
à s’entendre avec le Southern avec le-
quel des contacts ont été noués. Et
c’est en vain que Javary père propose
différentes combinaisons susceptibles
de faire revenir l’ALA sur sa décision,
comme la formation d’une compagnie
avec des bateaux possédés à parts
égales par le Nord et le LMSR, l’exploi-
tation du service par le LMSR directe-
ment, ou encore la création d’un pool
des recettes avec le Southern.
Le 29 février 1932, Sir Herbert Wal-
ker, directeur général du Southern,
accepte de reprendre le rôle joué
jusqu’alors par le LMSR, un change-
ment bientôt entériné par la démis-
sion du major Glynn et l’entrée au
conseil d’administration de F.A. Brant,
chef du trafic continental du Sou-
thern. La nouvelle donne se traduit
Les paquebots
Flamand
Alsacien
Lorrain
Constructeur
Wm. Denny & Bros, Wm. Denny & Bros,
Vickers Sons
Dumbarton (1904)
Dumbarton (1909)& Maxim Ltd, Barrow
(1908)
Longueur
103,63
103,63
94,55
Largeur
12,80
12,50
12,20
Creux
5,69
5,49
4,73
Tirant d’eau en charge
4,47
4,72
3,91
Jauge brute
(tx de 2830 k)
1968
2038
1569
Port en lourd
(t de 1000 k)
Machine
1 turbine Parsons HP, 1 turbine Parsons HP,
2 machines
2 turbines Parsons BP2 turbines Parsons BP
triple expansion
Puissance totale
(ch)
8000
8500
6300
Vitesse
(nœuds)
Passagers de 1
classe
dont couchés
Passagers de 3
classe
dont couchés
aussitôt par le transfert, dès le 1
mai,
du terminus anglais de l’ALA de Til-
bury à Folkestone. La distance entre
ces deux ports étant plus courte, le
mouvement a peu d’incidences sur la
durée de la traversée, pas plus qu’il
n’en a jusqu’à Londres, desservi par
un service de trains particulièrement
accéléré. Par contre, il a l’avantage
d’éviter les brouillards de la Tamise en
hiver, de permettre l’économie des
frais importants de pilotage et d’auto-
riser la vente d’un bateau, le
Lorrain
cédé en septembre à un ferrailleur
belge pour 182000francs. Le service
reste quotidien et limité à une traver-
sée de nuit dans chaque sens.
Pourquoi cet intérêt soudain du Sou-
thern pour une ligne notoirement dé-
ficitaire? La réponse réside dans les
pourparlers engagés par cette compa-
gnie avec le Nord à propos d’une ligne
de ferries à créer entre la France et
l’Angleterre pour juguler la concur-
rence que leur font alors la Société
belgo-anglaise de ferry-boats (ligne de
Zeebrugge à Harwich) et sa filiale la
Compagnie française de ferry-boats
(ligne Calais – Harwich), en activité de-
puis 1924 et 1931. Le Southern est as-
sez favorable à cette création, en dépit
du fait que ses cargos assurent tou-
jours la presque totalité du trafic mar-
chandises franco-anglais que lui assure
le Nord par Boulogne, Calais et Dun-
kerque. Par contre, conscient que le
service de ferries envisagé sera fatal
aux bateaux de l’ALA, le Nord y est
plus réticent. D’où la nécessité pour le
Southern de disposer d’une monnaie
d’échange susceptible de faire pression
sur son partenaire tout en préservant
ses intérêts. Or, ne dit-on pas dans les
milieux bien informés que l’ALA est
l’instrument choisi par Javary père pour
assurer une «situation» à son fils Fran-
çois? Ce dernier y occupe, est-il be-
soin de le rappeler, les fonctions de di-
recteur général adjoint depuis 1927.
Une faille que le Southern exploite aus-
sitôt à son avantage, même si la ma-
nœuvre n’échappe à personne. C’est
ainsi que dans une note manuscrite en
date du 18 novembre 1932 le secré-
Juillet 2009
Historail
L’ALA aurait été l’instrument choisi par Javary
père pour assurer une «situation» à son �ls.
En 1961, l’ALA
reçoit la gérance
du
Saint-
Germain
, ferry
lancé par la
SNCF dix ans
plus tôt. Ici, au
franchissement
de la nouvelle
écluse Trystram
en 1955.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
62-
Historail
Juillet 2009
taire général du Nord, Vagogne, confie
à un mystérieux correspondant com-
ment le Southern
«fait pression sur le
directeur de la Compagnie du Nord
pour obtenir la création d’un terminus
de ferry-boats à Dunkerque en pro-
mettant de conserver sa situation au
fils du directeur en question»
. Un
chantage d’autant plus facile à exer-
cer que la cession par la Saga d’une
grande partie de ses actions permet au
Southern de prendre le contrôle de
l’ALA dès 1933. Cette même année
voit la disparition de Hirsch Jokelson.
L’arrivée du Southern a pour consé-
quence immédiate de diviser les frais
d’exploitation par deux, mais le report
du terminus anglais sur Folkestone ne
séduit guère la clientèle qui continue
de s’éroder.
VoyageursMarchandises
(en tonnes)
33794
10053
28267
9999
26092
18042
La concurrence du service de nuit de
la ligne Dieppe – Newhaven, qui of-
fre des tarifs sensiblement inférieurs,
est la principale raison de cette dés-
affection. Le nombre des voyageurs
utilisant le service de nuit par Dieppe
ne cesse dès lors de croître au détri-
ment des bateaux de l’ALA, comme le
montre le bilan des quatre mois les
plus chargés (juin à septembre) pour
les années 1931, 1932 et 1933:
193119321933
Dunkerque
726742009319421
Dieppe
493453666741164
En 1936, l’ouverture de la nouvelle
ligne de ferry-boats entre Dunkerque
et Douvres consacre la disparition des
paquebots de l’ALA, au terme d’une
ultime rotation assurée dans la nuit
du 4 au 5 octobre. L’
Alsacien
et le
Flamand
sont vendus à des démolis-
seurs allemands, le
Picard
à un ar-
mateur grec.
L’ALA ne disparaît pas pour autant du
paysage maritime. En effet, à la suite
d’une démarche du sous-secrétariat
d’Etat à la Marine marchande sou-
cieux de voir le pavillon français conti-
nuer à flotter sur le détroit, le Sou-
thern accepte de lui céder en pleine
propriété pour 150000livres l’un de
ses trois nouveaux ferry-boats, le
Twickenham-Ferry
, dont elle assure
directement la gestion.
Réfugié en Angleterre en mai 1940, le
Twickenham-Ferry
reprend son service
entre Dunkerque et Douvres le 30 no-
vembre 1947 seulement, après avoir
été converti à la chauffe au mazout.
En 1951, le lancement du ferry SNCF
Saint-Germain
conduit à une mise en
commun des équipages du
Twicken-
ham-Ferry
et du nouveau navire, dont
l’exploitation a été confiée à la Saga.
Cette dernière compagnie obtient
d’ailleurs de la SNCF en 1961 de pou-
voir sous-traiter à l’ALA la gérance du
Saint-Germain
En 1969, la Saga confie à l’ALA la gé-
rance d’une seconde unité de la SNCF
spécialisée dans le transport des
conteneurs, le
Transcontainer I,
entré
en service entre Dunkerque et Har-
wich le 14 mars.
Posée depuis 1959, la question du
remplacement du
Twickenham-Ferry
repoussée à deux reprises en raison
des projets de construction du tunnel
sous la Manche, est résolue en 1969
par la commande en Italie d’un nou-
veau ferry-boat, le
Saint-Eloi
, à livrer
fin 1971. Les retards apportés à sa
construction pour cause de faillite des
chantiers génois de Pietra Ligure re-
pousse sa mise en service au 12 mars
1975. Pratiquement un an après le
départ du
Twickenham-Ferry
, retiré
du service
(5)
à la suite de l’arrivée en
Chartres
, nouveau car-
ferry/train-ferry SNCF.
Passée sous contrôle des British Rail-
ways en 1977, puis de la Stena en
1990, l’ALA vend sa dernière unité,
le
Saint-Eloi
, à l’armement grec Aga-
pitos fin 1993 après une ultime sai-
son entre Calais et Douvres. Elle dispa-
raît en 1996.
Bruno CARRIÈRE
La gare maritime réservée aux paquebots de l’ALA s’élève quai des Monitors, à l’entrée du port
d’échouage. Le bâtiment, long de 100m et large de 14, est construit en briques et couvert en
plaques ondulées d’ouralithe sur une charpente en fer. Il comporte un hall où se trouvent
les services de l’ALA: les voyageurs débarqués entrent dans ce hall, passent à la salle des ba-
gages où se fait la visite de la douane, puis à la salle des pas perdus où se trouvent les guichets
du chemin de fer, et enfin sur les trottoirs qui encadrent les deux voies réservées au station-
nement des trains. Une chaussée empierrée destinée aux véhicules routiers sépare le bâti-
ment de la gare des deux trottoirs, eux-mêmes en retrait de la bordure du quai occupée par
les chemins de roulement des grues portuaires. Un hangar pour les colis à embarquer et un
hangar pour les opérations douanières sur les colis débarqués complètent le bâtiment.
Les trains en provenance de la gare de Dunkerque-Ville utilisent les voies de desserte du môle
n°2. En cas d’avarie au pont tournant qui permet de franchir les bassins de Freycinet, la gare
maritime est desservie par une voie de secours passant sur le pont tournant de l’écluse Trystram
et aboutissant à la gare de triage.
La gare maritime de Dunkerque
(5) Vendu le 4 avril 1974 à une
entreprise espagnole pour être
ferraillé, il quitte définitivement
Dunkerque le26 mai.
C
hercher le meilleur moyen de tra-
verser le détroit, c’est ce à quoi
Thomé de Gamond, le pionnier du
lien fixe transmanche, a travaillé de
1833 à 1876. De ses différentes
solutions, l’histoire ne retient généra-
lement que celles relatives aux tun-
nels et aux ponts. C’est oublier son
projet de transbordeur géant étudié
en 1837, l’année même de l’inaugu –
ration de la ligne de Paris à Saint-
Germain! Un monstre mû par des
roues à aubes et prêt à engloutir
l’équivalent de quatre trains compo-
sés chacun de 25 voitures ou
wagons. Les progrès de la navigation
aidant –un premier service de ferry-
boats est inauguré le 3 février 1850
sur l’estuaire du Firth of Forth, en
Ecosse–, l’idée est reprise en 1870
tant en France par Henri Dupuy de
Lôme qu’en Angleterre par John
Fowler et Evan Leigh, qui dévoilent
simultanément les plans de «navires
porte-trains», désignés chez nous
sous le vocable erroné de «ferry-
Juillet 2009
Historail
Construits lors de la Première
Guerre mondiale pour
les besoins en ravitaillement
des armées, les premiers
ferry-boats peinent ensuite à
s’imposer en tant que vecteur
commercial. Il faut attendre
1936 et l’ouverture de la ligne
Dunkerque – Douvre pour
qu’ils prennent toute leur
importance, grâce notamment
au célèbre train-ferry.
1917-1939:
les ferry-boats
investissent
le détroit
CCI Calais
Apparu �n 1917
entre Dieppe et
Southampton,
Le train-ferry
n°3 naviguera
à partir de1931
entre Calais
et Harwich pour
le compte de la
Société française
des ferry-boats.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
boats», et outre-Manche sous celui
plus exact de
«Trainferries»
. Leurs
projets n’aboutiront pas, pas plus
d’ailleurs que ceux développés plus
tard par l’Intercontinental Railway
Company en 1903 (ligne Calais –
Douvres) et la Channel Ferries Deve –
lopment Company en 1910 (ligne
Dieppe – Newhaven).
Lorsque la Première Guerre mondiale
éclate, nombreux sont ceux qui, déjà,
regrettent que le projet de tunnel sous
la Manche n’ait pas abouti. De fait,
les cargos et chalands qui ravitaillent
les armées britanniques stationnées
en France sont de très loin les princi-
pales victimes des torpilles et mines
allemandes. Il faut compter aussi sur la
multiplication des ruptures de charge.
L’embarquement et le débarquement
des matériels s’opèrent à l’aide de
grues, et certains d’entre eux, comme
les canons lourds ou les locomotives,
exigent d’être démontés avant le
transport et remontés dans le port de
destination. D’où une débauche de
moyens, de temps et d’énergie qui,
fin 1916, conduit le War Office à dé-
cider la création d’un service de ferry-
boats entre les deux pays.
Des trois bâtiments commandés en
janvier 1917, un est mis en service en-
tre Southampton et Dieppe dès le
17décembre (
Train Ferry n°3
TF 3
les deux autres entre Richborough et
Calais le 10 février 1918 et entre Rich-
borough et Dunkerque le 14 juin
Train Ferry n°1
Train Ferry n°2
TF 1 et TF 2
La menace que les succès militaires
64-
Historail
Juillet 2009
Le Génie civil/Photorail
Le Génie civil/Photorail
Le 6 décembre
1934, la Cock
o’the North,
en route pour
le banc d’essai
de Vitry,
emprunte
la voie
Harwich-Calais.
Venu tout droit
du Canada
en renfort
des TF 1, 2 et 3,
le Léonard
entre en service
le 6 novembre
1918 entre
Cherbourg et
Southampton.
Juillet 2009
Historail
allemands du printemps de 1918 font
peser sur Calais et Dunkerque incite
les autorités britanniques à concentrer
une plus grande partie du trafic trans-
manche plus à l’ouest. Pour ce faire,
l’acquisition d’un quatrième ferry-boat
est décidée. La construction d’une
nouvelle unité exigeant des délais trop
longs, le choix se porte sur un bâti-
ment du Canada National, le
Leonard
utilisé entre 1914 et 1917 à la traver-
sée du fleuve Saint-Laurent entre Qué-
bec et Lévis. Ce dernier franchit l’At –
lantique par ses propres moyens en
17 jours et commence son nouveau
service entre Southampton et Cher-
bourg le 6 novembre 1918, quelques
jours seulement avant l’armistice. Cédé
peu après à l’anglo-saxonne Petroleum
Company et transformé en pétrolier,
il est ferraillé en 1932.
Au lendemain de la victoire, le gou-
vernement britannique décide la vente
des installations terminales établies en
France. Aucun candidat ne s’étant pré-
senté, celles-ci sont finalement cédées
aux chambres de commerce des ports
concernés: moyennant leur abandon
et le versement d’une subvention im-
portante, ces dernières s’engagent à
prendre à leur charge tous les travaux
inhérents à l’entretien ou à la suppres-
sion des terminaux.
A Dieppe, où l’exploitation de la
passerelle par les Anglais cesse en no-
vembre 1920, les installations sont
ainsi reprises par la chambre de com-
merce, qui, contre la somme de
150000francs, accepte de se substi-
tuer au gouvernement britannique
dans les obligations contractées par
ce dernier vis-à-vis du gouvernement
français. Mais les démarches entre-
prises pour trouver un partenaire sus-
ceptible de reprendre leur exploitation
ayant échoué, le poste, laissé sans em-
ploi, est finalement démonté en 1928.
Il en est autrement à Calais, où une
Société centrale des ferry-boats, diri-
gée par M.Bodin, futur président de la
chambre de commerce locale, tente
de ranimer la ligne Calais – Richbo-
rough. Cette société fait l’essai, les 10
et 11 octobre 1921, d’un train de
fruits et légumes formé de 28 wagons
prêtés pour l’occasion par le South
Eastern and Chatham Railway et ré-
partis par moitié entre le PLM et le PO.
Chargés dans la matinée, les wagons
sont regroupés à Paris-Bercy, d’où ils
sont expédiés à 17h01. Parvenue à
Calais dans la nuit, la rame est aussitôt
embarquée à bord du
TF3
, puis réex-
pédiée de Richborough sur la gare lon-
donienne de Gravel Lane, où elle arrive
à 14h30. Chacun peut alors consta-
ter le bon état du chargement. Mal-
heureusement, l’expérience tourne
court. Si, en 1923, un service de ferry-
boats existe toujours au départ de Ca-
lais –
« seulement irrégulièrement, de
loin en loin, quelque deux fois par
mois au plus»
, précise
Le Petit Calai-
sien
–, le refus du Nord et du South
Eastern and Chatham à y participer
conduit bientôt la Société centrale des
ferry-boats à déposer son bilan.
Cette démission du Nord et du South
Eastern and Chatham –ce dernier ex-
ploite plusieurs cargos au départ de
Boulogne et de Calais– est mise à
profit par le Great Eastern Railway
(fondu au 1
janvier 1923 dans le
London and North Eastern Railway
–LNER) et le gouvernement belge,
qui, en 1922, s’entendent pour établir
une nouvelle ligne de ferry-boats en-
tre les deux pays. Les intérêts du pre-
mier sont représentés par la Great Eas-
tern Train Ferries Company, relayée
sur le continent par la Société belgo-
anglaise des ferry-boats.
Deux postes sont construits: l’un à
Harwich (Angleterre) à partir des an-
ciennes installations de Southampton,
pour la passerelle, et de Richborough,
pour les engins de levage, l’autre à
Zeebrugge (Belgique), à partir de celles
de Dunkerque. La Great Eastern Ferries
acquiert par ailleurs les
TF1, TF2
TF3
. De son côté, la Société belgo-an-
glaise des ferry-boats s’engage à four-
nir les wagons, loués par ses soins au
gouvernement belge parmi les milliers
d’unités au gabarit anglais importés
d’outre-Manche pendant la guerre.
La ligne Harwich – Zeebrugge est inau-
Projet d’af�che
non éditée
dessinée par
Cassandre
en 1933.
En 1921, la Société centrale des ferry-boats tente
de ranimer la ligne Calais – Richborough.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
gurée le 24 avril 1924 à raison d’une
traversée par jour dans chaque sens,
avec départ entre 8 et 9h le matin et
arrivée vers 5h le soir. En réalité,
compte tenu des manœuvres d’ap –
proche, notamment à Zeebrugge où
l’accès du port est commandé par une
écluse, le trajet total d’un mouillage à
l’autre exige de neuf à dix heures. Le
service est assuré par le LNER pour le
compte de la Great Eastern Train Fer-
ries. Il se limite aux seules marchan-
dises et voitures accompagnées. La
gestion des wagons est assurée à par-
tir de Bruxelles et de Milan par deux
bureaux centraux de distribution diri-
gés directement par la Société belgo-
anglaise des ferry-boats pour l’un, par
une société italienne affiliée (The Ferry-
boats Company for England) pour
l’autre. Les frais de transbordement
par Harwich et Zeebrugge sont éva-
lués à 4 shillings par tonne, contre 15
à 20 shillings par la voie classique.
En France, le 22 avril 1924, soit deux
jours avant la mise en exploitation de
la ligne d’Harwich à Zeebrugge, le mi-
nistre des Travaux publics avait été
saisi d’une réclamation émanant de
l’Association commerciale agricole,
créée au lendemain du conflit à l’ini-
tiative du Syndicat central des agricul-
teurs de France dans le but de faciliter
l’écoulement des produits de ses
adhérents, notamment sur les mar-
chés étrangers. Largement implantée
en Algérie et en France, cette asso-
ciation se plaignait de n’avoir eu au-
cune réponse à sa demande faite aux
réseaux français de pouvoir faire circu-
ler sur leurs lignes 300 wagons au ga-
barit anglais que la Société belgo-an-
glaise des ferry-boats se faisait fort de
lui prêter à titre d’essai. En fait, l’ac-
cord qui liait les deux parties était plus
large. Moyennant la cession d’une
partie de son capital, l’Associa tion
commerciale agricole avait obtenu de
la Société belgo-anglaise de pouvoir
se charger de l’acheminement des
fleurs, fruits, primeurs et autres den-
66-
Historail
Juillet 2009
Durant l’été
1932, une
micheline
du type 11
emprunte
la ligne
Zeebrugge-
Harwich pour se
rendre à l’usine
Michelin de
Stoke-on-Trent.
Doc. Michelin
rées entre la France et l’Angle terre,
via
Zeebrugge et Harwich, mais en-
core, à terme, la promesse de la res-
tauration à Calais d’un terminal sem-
blable à celui de Zeebrugge. Erigée
depuis 1923 en société anonyme au
capital de 1250000francs, l’Asso –
ciation commerciale agricole ne ca-
chait d’ailleurs pas avoir déjà réuni les
fonds nécessaires à la création d’une
Société française des ferry-boats.
Alertés par le ministre, les réseaux dé-
cident de ne rien entreprendre avant
de connaître les premiers résultats de
l’expérience poursuivie entre Harwich
et Zeebrugge et, surtout, de
«ne rien
faire qui soit de mesure à faciliter la
réussite de l’entreprise anglo-belge
concurrente»
, donc de ne pas autori –
ser l’Association commerciale agricole
à introduire en France les 300 wagons
au gabarit anglais qu’elle entendait
exploiter au titre de
«wagons de par-
ticuliers»
. Cette interdiction n’em –
pêche pas quelques wagons ordi-
naires de parvenir jusqu’à Zeebrugge,
le transbordement étant assuré, dans
ce cas, de wagon à wagon à proxi-
mité du ferry-boat. Aux injonctions
ministérielles, les réseaux, conduits par
le Nord, continuent d’opposer l’argu –
ment financier. Ainsi, en 1926:
«Si
le ferry-boat Zeebrugge – Harwich
peut obtenir des résultats plus satis-
faisants, c’est que ses charges de ca-
pital sont faibles, étant donné qu’il a
pu acheter à l’amirauté anglaise, dans
des conditions très avantageuses, le
matériel qu’il utilise (bateaux et ap-
pontement d’Harwich) et que, par ail-
leurs, le réseau anglais qu’il dessert le
subventionne, dit-on, très large-
ment.»
Et, faute de mieux, ils annon-
cent la mise à l’étude
«d’un système
de transport par cadres, démontables
ou non, embarqués et débarqués à la
grue»
. Une solution qui, dans la pra-
tique, s’avérera assez décevante.
L’affaire en reste là jusqu’au rejet par la
Chambre des communes, le 30 juin
1930, par 179 voix contre 172, d’une
motion demandant la mise en chantier
du tunnel sous la Manche. Cette déci-
sion a pour conséquence l’annonce,
dès le mois d’octobre, de la création
effective de la Société française des
ferry-boats, qui se propose, avec le
soutien actif de la Société belgo-an-
glaise des ferry-boats, d’exploiter une
ligne entre Calais et Richborough.
Cette fois-ci, le Nord et le Southern
réagissent aussitôt, d’autant que, chif-
fres à l’appui, ils doivent admettre que
la voie de Zeebrugge leur fait une sé-
rieuse concurrence. C’est ainsi que,
pendant les six premiers mois de l’an-
née, seuls 24 wagons de fruits et pri-
meurs expédiés d’Italie ont transité par
Boulogne, contre 520 par Zeebrugge,
où l’absence de manutention permet
un départ pour l’Angleterre plus mati-
nal (1h contre 5h le matin à Boulogne)
et facilite la pénétration du marché
londonien grâce à des prix plus bas,
les écarts allant jusqu’à 20%. Aussi
prônent-ils la constitution d’une so-
ciété tripartite au sein de laquelle cha-
cun apporterait sa contribution: pour
le Nord, la constitution, en coopéra-
tion avec les réseaux français, d’un
parc de wagons spéciaux; pour le
Southern, l’installation d’un terminal
à Douvres; pour la Société française
des ferry-boats, la fourniture de deux
bateaux et la mise à disposition des
installations de Calais dont elle s’est
assuré la concession. Il est convenu,
par ailleurs, de la nécessité de parvenir
avec la Société belgo-anglaise des
ferry-boats à un partage du trafic qui
réserverait à la voie de Calais le trafic
issu de certains pays comme, par
exemple, la Suisse, l’Italie, la France et
l’Espagne, la voie de Zeebrugge héri-
tant du trafic de l’Allemagne et des
régions d’Europe centrale.
Juillet 2009
Historail
La Société française des ferry-boats fait son
apparition sur le détroit en 1931.
Fenino/Photorail
Lancé en 1934,
le Twickenham
Ferry entre en
service entre
Dunkerque et
Douvres sous
pavillon français
(ALA) en
octobre 1936.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
Mais, en 1931, faute de pouvoir arri-
ver à un accord, le Southern rompt
les négociations et déclare son inten-
tion de créer sa propre ligne, en par-
ticipation avec le Nord ou avec son
appui. Déçue de la tournure prise par
les événements, la Société française
des ferry-boats décide alors d’agir
seule et de renoncer au terminal de
Richborough au profit d’Harwich, pri-
vant ainsi les voies du Southern des
bénéfices du trafic à venir. Détaché
du service Harwich – Zeebrugge, un
premier ferry-boat, le
TF3
, rejoint Ca-
lais dans la matinée du 8 novembre
1931 pour en repartir à midi chargé
de neuf wagons en provenance d’Ita –
lie. Le service, qui est tributaire de la
marée, donc soumis à des horaires
variables, prévoit deux rotations par
semaine, plus quelques départs sup-
plémentaires en périodes de pointe.
En fait, ce service, contrarié par les
difficultés financières de la Great Eas-
tern Train Ferries –bientôt rachetée
par le LNER–, ne devient régulier
qu’en juin 1932, à raison de trois dé-
parts par semaine, les mercredis, ven-
dredis et dimanches
(1)
Cette même année, le PO met en ser-
vice ses premiers wagons à gabarit
anglais, partie d’une commande de
390 unités passée en dépit des pres-
sions exercées par le Nord. Il est d’ail-
leurs imité par le Midi (250 wagons
en construction) et le PLM (100 wa-
gons isothermes par le biais de la So-
ciété de transports et entrepôts frigo-
rifiques). Les trois compagnies finissent
même par obtenir le bénéfice d’un
tarif spécial appliqué à la circulation
de ces wagons, prélude à la signature
d’une convention passée entre le
Nord d’une part, les réseaux français
et la Société française des ferry-boats
d’autre part.
Cette dernière assure le transport de
2070 wagons en 1933 et de 3257
autres en 1934. Par comparaison, le
nombre de wagons qui transitent par
Zeebrugge en 1935 est de 9777.
Le 6 décembre 1934, la ligne de Har-
wich à Calais sert de support au trans-
port de la dernière-née du London
and North Eastern Railway: la 141
Cock o’the North
, en route pour le
banc d’essai de Vitry. Après plusieurs
courses sur le réseau d’Orléans et une
brève présentation en gare du Nord
aux côtés de la Super Pacific 3.1285,
le
«Coq du Nord»
, comme l’auront
baptisée les journalistes, reprendra le
chemin du retour par la même voie, le
21 février 1935.
Peu désireux d’entrer en concurrence
à Calais avec la Société française de
ferry-boats, le Southern jette son dé-
volu sur Dunkerque le 6 juillet 1933.
Au grand dam de la chambre de com-
merce de Calais, qui attire aussitôt
l’attention des pouvoirs publics sur la
nécessité d’adapter l’appontement
68-
Historail
Juillet 2009
Première
ferroviaire pour
le Twickenham
Ferry qui
peut emporter
40 wagons ou
12 wagons-lits.
Photorail
projeté à Dunkerque aux bâtiments de
la ligne Calais – Harwich:
«S’il n’en
était pas ainsi,
poursuit-elle,
l’on pour –
rait se trouver, en cas de guerre, dans
une situation très difficile et ne pas
pouvoir utiliser les ferry-boats, dont
l’importance s’est révélée au cours de
la dernière guerre.»
Elle est relayée
par la Société française des ferry-boats
qui, dans une lettre au sous-secrétaire
d’Etat aux Travaux publics, souligne:
«Le désir du Southern Railway, sou-
tenu par le Nord, est, évidem ment,
que nos bateaux ne puissent pas ac-
coster dans l’appontement qui va être
construit à Dunkerque et dans celui
de Douvres: ceci, pour les motifs que
vous devinez. […] Il y a là une ques-
tion suffisamment importante, au
point de vue national, pour que les ri-
valités commerciales s’effacent.»
message est bien reçu puisque les
études préliminaires à l’avant-projet
du poste de Dunkerque prennent en
compte l’obligation de pouvoir rece-
voir les ferry-boats de Calais, de la
même façon qu’on planifie les modifi-
cations à apporter au poste de Calais
pour accueillir les futurs bâtiments de
la ligne de Dunkerque à Douvres.
Le grand perdant est une nouvelle fois
le port de Dieppe à qui l’Administra –
tion avait demandé, en 1932, une
étude sur les possibilités d’une restau-
ration des installations du terminal des
ferry-boats de Dieppe, démonté qua-
tre ans plus tôt.
Le Southern avait établi ses calculs sur
la mise en exploitation de trois ferry-
boats. Leur étude est confiée, début
1933, aux chantiers Burmeister &
Wain de Copenhague. Le cahier des
charges leur imposait de prévoir des
bâtiments capables d’emporter à
chaque voyage 47 wagons (le cas
échéant, un certain nombre de slee-
ping-cars), 36 automobiles et 30
conte neurs de 8m
, et pouvant assu –
rer le couchage de 290 voyageurs. Ils
devaient tenir compte également de
l’incapacité pour le port de Douvres
de recevoir des navires longs de plus
de 110m et des difficultés de naviga-
tion dans le détroit. Ce qui les a
conduits à retenir un navire suffisam-
ment large pour permettre l’établis –
sement des quatre voies nécessaires
au garage de 40 wagons ou de
12wa gons-lits (320m de longueur
uti le) et à dessiner une coque à la fois
stable et résistante, exigences résolues
par l’adoption d’une section presque
carrée pour diminuer l’effet du roulis et
l’embarquement par l’arrière, de sorte
que l’avant du navire soit aussi massif
que celui d’un bâtiment ordinaire.
Commandés par le Southern Railway
aux chantiers Swan, Hunter and
Juillet 2009
Historail
Document
publicitaire pour
la promotion
du service direct
de wagons-lits
entre Paris
et Londres
inauguré le
12 octobre 1936.
(1) Au mois d’avril 1934, pour répondre aux demandes
des exportateurs de fruits et primeurs, le nombre des
traversées sera porté à deux par jour dans chaque sens,
mesure reconduite l’année suivante.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
Wigham Richardson’s de Walker-on-
Tyne, près de Newcastle, les trois uni-
tés sont lancées en 1934: le
Twicken-
ham Ferry
le 15 mars, le
Hampton
Ferry
le 30 juillet, et le
Shepperton
Ferry
le 22 octobre. L’ouverture de la
ligne ayant été retardée, ils sont provi-
soirement garés à Southampton, puis
à Douvres. Un intermède employé à
la vente du
Twickenham Ferry
à l’ALA,
en 1936, afin d’affirmer la présence
du pavillon français sur le détroit.
La question des voitures-lits est abor-
dée pour la première fois en 1931.
L’initiative en revient au Southern, qui
craignait
«que l’existence du ferry-
boat n’amène, de la part du public,
une poussée en faveur de son exten-
sion au service voyageurs»
. La possi-
bilité d’un tel service n’emporte pas
l’adhésion immédiate du Nord, qui es-
time qu’outre la nécessité d’établir un
terminal plus élaboré, donc plus coû-
teux, il serait difficile d’imposer une
telle dépense à la CIWL (Compagnie
internationale des wagons-lits), et
«qu’un train de nuit ne permettrait
qu’exceptionnellement la continua-
tion directe au-delà de Paris par une
clientèle de sleeping-cars»
. Bien que
persuadé que, moyennant un sup-
plément d’une livre, les voyageurs
trouveraient un avantage à économi-
ser une nuit d’hôtel, le Southern n’in-
siste pas. Mais l’idée n’en fait pas
moins son chemin et, en 1933, à l’is-
sue d’une énième réunion, le nom-
bre des voitures-lits destinées au futur
service direct Paris – Londres est fixé à
12, le Nord estimant ce nombre suf-
fisant pour la formation, en roule-
ment normal, de deux rames de qua-
tre unités chacune.
Construites aux frais de la CIWL par
les Ateliers du nord de la France
(Blanc-Misseron), les voitures-lits sont
livrées de novembre 1935 (n°3788) à
mai 1936 (n°3799). Faute d’une uti-
lisation immédiate, elles sont provisoi-
rement garées à Aulnoye. Du type F
ferry, elles offrent 18 places de 1
de 2
classes réparties en neuf com-
partiments à deux lits superposés, le lit
supérieur pouvant être rabattu. Le
succès rencontré par le nouveau ser-
vice conduira la CIWL à commander,
en 1937, une seconde série de six voi-
tures (n
3800à3805) à la Compa-
gnie générale de construction (Saint-
Denis). Elles lui seront livrées en juillet
1939, pour être équipées dans ses
propres ateliers.
Ne pouvant compter sur les wagons
spéciaux, mis au gabarit britannique,
des lignes de Zeebrugge et de Calais à
Harwich pour des raisons de rivalités
commerciales évidentes, le Nord et le
Southern invitent le PLM, le PO et le
Midi à se joindre à eux afin de s’en-
tendre sur la façon de gérer les wa-
gons de ce type, déjà construits ou à
construire, dans le cadre du futur ser-
vice de ferry-boats entre Dunkerque
et Douvres. Evoquée en 1933, l’idée
d’une société d’exploitation dont le
capital serait souscrit, à parts égales,
par le Southern et les sept réseaux
français est finalement abandonnée
par crainte que celle-ci soit encline à
privilégier la ligne de Douvres à Dun-
kerque au détriment des services de
Calais et de Zeebrugge. Ce qui, pense
Raoul Dautry, directeur des Chemins
de fer de l’Etat, serait perçu, notam-
ment par les Belges,
«comme un
geste inamical des chemins de fer fran-
çais à leur égard»
. Aucune solution
n’ayant encore été retenue en 1936, il
est alors entendu que toute latitude
serait laissée aux parties concernées,
à charge pour chacune d’elle de pros-
pecter sa clientèle et de veiller à la
bonne utilisation de son matériel.
Au moment de la mise en service de
la ligne Dunkerque – Douvres, le nom –
bredes wagons au gabarit anglais
70-
Historail
Juillet 2009
Une fois garés
à l’intérieur
du Twickenham
Ferry, les
wagons sont
solidement
arrimés.
Photorail
appartenant aux réseaux français
s’élèvera à 1458, non compris 100
wa gons isothermes propriété de la
Société de transports et entrepôts fri-
gorifiques.
Fixée dans un premier temps au
septembre 1934, l’inauguration du
service est repoussée à plusieurs re-
prises en raison des retards apportés à
la construction du poste de Douvres.
Il faut attendre deux ans pour que
toutes les conditions soient réunies.
Implanté à l’angle nord-est du bassin
d’évolution de la darse V, à la croisée
des quais Freycinet et de Panama, le
terminal de Dunkerque est essayé les
7 et 8 novembre 1935 avec le
concours du
Shepperton Ferry
La première traversée commerciale a
lieu dans la nuit du 5 au 6 octobre
1936, tant au départ de Dunkerque
que de Douvres. Elle a pour consé-
quence l’abandon simultané de la
ligne de paquebots de Dunkerque à
Folkestone, exploitée depuis 1932 par
l’ALA. Quelques jours plus tôt, la Com-
pagnie française de ferry-boats avait
également renoncé à son service Ca-
lais – Harwich, au terme d’un ultime
voyage assuré le 30 septembre.
Des trois ferry-boats, garés en attente
depuis 1935, deux appartiennent au
Southern (le
Hampton Ferry
Shepperton Ferry
), le dernier (le
Twickenham Ferry
) ayant été vendu
à l’ALA pour la sauvegarde du pa-
villon français.
Le service proposé à partir du 5 octo-
bre n’inclut pas encore les voitures-
lits directes Paris – Londres de la CIWL
(tableau 1)
L’inauguration officielle a lieu le 12oc-
tobre en présence du ministre des Tra-
vaux publics, Albert Bedouce. Les pre-
mières circulations des voitures-lits
directes Paris – Londres de la CIWL ont
lieu dans la nuit du 14 au 15 octobre
au départ de Londres, du 15 au 16
octobre au départ de Dunkerque.
Quitter Paris en soirée et se retrouver
au cœur de Londres le lendemain ma-
tin après une longue nuit de repos de-
vient un jeu d’enfant. Un avantage
que de nombreux slogans (
«De Paris
à Londres sans quitter son lit»
) et af-
fiches (
«Bonsoir Paris… bonjour Lon-
dres»
, de Garetto, en 1937) répètent
à souhait
(tableau 2)
Des trains ordinaires sont mis en
marche à l’usage des voyageurs de
et 3
classes, tant au départ de
Paris que de Bruxelles et de Bâle, et
vice-versa.
A partir du 15 octobre, un service de
jour est assuré de Dunkerque à Dou-
vres, en correspondance avec le train
de Douvres à Londres, et vice versa
(tableau 3)
Le service de nuit a lieu tous les jours
sans exception, le service de jour tous
les jours excepté le samedi. Un troi-
sième service est mis en marche pen-
dant certaines périodes de l’année
pour assurer le transport de trafics sai-
sonniers (fruits, légumes, fleurs), avec
départ de Dunkerque à 20h20 et arri-
vée à Douvres à 1h20. Un premier bi-
lan, arrêté au 31 août 1937, montre
que plus de 63000 voyageurs, dont
33000 par voitures-lits, ont emprunté
la ligne depuis son ouverture, en octo-
bre 1936.
Une autre statistique indique que le
nombre de voitures accompagnées
s’est élevé, en 1937, à 1590, ce qui
est peu. En fait, il semble que les ama-
teurs de ce type de prestation optent
encore en majorité pour la voie de Ca-
lais, où le
Forde
et l’
Autocarrier
, bâti-
ments spécialement affectés à ce type
de trafic, continuent d’être largement
sollicités pendant la belle saison.
La guerre interrompt le service dès le
4 septembre 1939, les voitures-lits du
dernier train dirigé dans la nuit étant
rapatriées vides dans la matinée par
le
Twickenham Ferry
Bruno CARRIÈRE
Se retrouver au cœur de Londres après une
longue nuit de repos devient un jeu d’enfant.
20 h 05départ
Paris-Nord
arrivée10 h 04
0 h 26arrivéeDunkerque-Maritimedépart6 h 09
1 h 15départ
arrivée4 h 45
4 h 45arrivée
Douvres-Maritime
départ1 h 15
5 h 387 h 30*départ
arrivée0 h 4623 h 35*
9 h 30*arrivéeLondres-Cannon Street
Londres-Charing Crossdépart
arrivée
Londres-Victoria
départ23 h 00
et 3
classe uniquement.
1
14h15départDunkerque-Ferryarrivée
18h20arrivéeDouvres-Ferrydépart
18h55départDouvres-Maritime
1,2,3 cl
1,2 cl
arrivée11h36
20h40arrivéeLondres-Victoriadépart10h00
3
21h50départ
Paris-Nord
arrivée
1h30arrivée
Dunkerque-Ferry
départ
2h00départ
Dunkerque-Ferry
arrivée
6h15arrivée
Douvres-Ferry
départ
6h39départ
Douvres-Ferry
arrivée
6h47arrivée
Douvres-Maritime
départ
6h50départ
Douvres-Maritime
arrivée
8h30arrivée
Londres-Victoria
départ
2
Juillet 2009
Historail
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
72-
Historail
Juillet 2009
Les premiers
car-ferries
Le développement de l’automobile a conduit à l’apparition
à la fin des années 1920, sous l’impulsion de la Townsend Bros
Car Ferries Ltd et du Southern Railway, d’un nouveau type
de navire: le car-ferry. Les vieux navires réaménagés avec
chargement des autos par grues cèdent bientôt la place
à des unités spécifiques complétées par des postes
d’embarquement permettant aux automobilistes d’accéder
directement aux ponts de stationnement.
Photorail
Armé par le
capitaine Stuart
Townsend en
1930, le
Forde
prend la relève
de l’
Arti�cer
et
du
Royal Firth
en place depuis
1928. Ces navires
ne rappellent
en rien nos
modernes car-
ferries : à défaut
de passerelles
d’accès, des
grues assurent
l’embarquement
et le
débarquement
des automobiles.
A
u début du siècle, les automobi-
listes avaient toujours la possibi-
lité de franchir la Manche, précédés
ou suivis de leur véhicule, le trans-
port étant assuré par les cargos des
services maritimes des compagnies
ferroviaires tant au départ de Dieppe
que de Boulogne. La demande ne
cessant de croître, le Southern
Railway n’hésita pas même à doter
deux de ces nouveaux paquebots de
ponts spéciaux: le
Riviera
en 1911 et
Engadine
en 1914. Mais le petit
nombre de places offertes (de deux à
six par traversée) et les tarifs prati-
qués, par trop prohibitifs, n’étaient
pas faits pour encourager le recours
à ce type de service.
C’est pour avoir été confronté au pro-
blème qu’un ancien officier britan-
nique, le capitaine Stuart Townsend,
se résout à la fin des années vingt à se
lancer dans le transport des voitures
accompagnées. En effet, l’histoire veut
qu’en 1927, et à trois reprises, venu
rendre visite à son épouse retenue en
France (à Hardelot, dans le Pas-de-Ca-
lais) pour raison de santé, il ait pré-
féré, une fois rendu à Calais, acheter
une voiture d’occasion pour la reven-
dre aussitôt son séjour terminé, opé-
ration en définitive moins onéreuse
que le fret exigé par les compagnies.
Une rapide étude convainc Townsend
de la rentabilité de son projet, le point
d’équilibre s’établissant à dix voitures
transportées chaque jour pendant un
mois. En 1928, soutenu par le jour-
nal
The Autocar
et la Civil Service Mo-
toring Association, il obtient de la
Townsend Bros Shipping Ltd –com-
pagnie fondée en 1889 au sein de la-
quelle il possède d’importants inté-
rêts– d’armer un ancien charbonnier,
Artificer
(1)
, qui, sommairement amé-
nagé de façon à recevoir quinze voi-
tures, commence ses rotations entre
Douvres (Eastern Docks) et Calais
(quai Paul-Devot) à partir du 28 juin.
En dépit d’un confort rudimentaire et
d’une traversée relativement longue
de deux heures, le nouveau service
devient vite populaire, grâce notam-
ment à des tarifs inférieurs de moitié
à ceux proposés par le Southern Rail-
way: deux livres pour un aller simple
(2)
contre cinq livres et quinze shillings.
Anecdote amusante, le nombre des
voyageurs désireux d’accompagner
leur véhicule (moyennant un supplé-
ment de dix shillings) étant presque
toujours supérieur à la capacité d’ac-
cueil de l’
Artificer,
qui, faute de li-
cence, ne peut embarquer que douze
passagers, Townsend tourne la diffi-
culté en invitant ses clients à prendre
les paquebots du service régulier à des
conditions défiant toute concurrence.
Il lui suffit pour cela d’acheter à
l’avance des billets d’excursion à demi-
Juillet 2009
Historail
(1) Ex-Mercury, construit en 1905, propriété de la
‘T’ Steam Coasters Ltd de Newcastle, démoli en 1935.
(2) Trois livres et quinze shillings pour un aller et retour.
CCI Calais
Le Southern
Railway réplique
à Townsend
en 1931 avec
l’Autocarrier.
De 1932 à 1934,
ce dernier se
partagera entre
Calais-Douvres
et Boulogne-
Folkstone.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
tarif, le coupon aller et le coupon re-
tour étant utilisés dans la même jour-
née, mais par deux clients différents!
Moins onéreuse, la traversée par l’
Ar-
tificer
permet également aux auto-
mobilistes de s’affranchir de l’obliga-
tion qui leur était faite jusqu’alors,
pour des raisons de sécurité, de vider
leur réservoir d’essence avant l’em-
barquement. Mesure qui n’était pas
sans apporter certains désagréments.
Townsend lui-même avait été
confronté à ce problème lorsque, re-
joignant Boulogne au terme de l’un
de ses voyages sur le continent, il était
tombé en panne sèche à quelques ki-
lomètres du port pour n’avoir pas
voulu refaire le plein en pure perte.
C’est pourquoi, après de nombreuses
démarches, il avait obtenu des autori-
tés britanniques l’autorisation que les
voitures puissent être embarquées
avec l’équivalent de deux gallons d’es-
sence (neuf litres environ). Il justifiait
cette dérogation par le fait que, pen-
dant toute la durée de la traversée, il
était impossible d’accéder aux autos
rangées à fond de cale et non sur le
pont comme c’était le cas pour les pa-
quebots, ce qui minimisait de beau-
coup les risques humains en cas d’in-
cendie. Par la suite, les automobilistes
disposeront à Calais d’une pompe à
essence installée à proximité immé-
diate du quai Paul-Devot.
L’intention de Townsend n’était pas
de faire concurrence au Southern Rail-
way, mais bien d’attirer son attention
sur le problème du transport des au-
tomobiles. Pour cela, il s’était donné
un mois pour le convaincre du bien-
fondé de sa démarche, et un autre
mois pour l’inciter à abaisser ses ta-
rifs. D’ailleurs, le contrat d’armement
de l’
Artificer
n’était lui aussi que d’un
mois, renouvelable par tacite recon-
duction. Le succès de l’entreprise dé-
passe toutes ses espérances: sus-
pendu à la fin de la belle saison, le
service est repris dès le mois de jan-
vier 1929 à raison d’une rotation tous
les deux jours. Mieux, Townsend
prend le risque de créer une filiale: la
Townsend Bros Car Ferries Ltd. Le
74-
Historail
Juillet 2009
Les candidats à
l’embarquement
sur le
Forde
ne
manquent pas.
En 1937, à
Calais, il faut
en moyenne
1’30 pour
charger un
véhicule et
2’30 pour le
décharger.
CCI Calais
Juillet 2009
Historail
7septembre, l’
Artificer
, dont l’agré –
ment arrive à expiration, est remplacé
par le
Royal Firth
(3)
Comme l’avait souhaité Townsend, le
Southern Railway réagit vite et intro-
duit, courant 1929, ses propres «
car
carriers
» (de simples cargos armés
pour l’occasion) entre Calais et Dou-
vres et entre Boulogne et Folkestone.
Mais Townsend n’avait pas prévu que
ce dernier irait jusqu’à casser les prix,
fixant le prix du passage à moins de
deux livres par auto. Contraint de s’ali –
gner sur les tarifs de son rival, il com –
prend vite que le trafic hivernal ne
(3) Construit en 1921, propriété de
la Border Shipping Co. de Newcastle.
CCI Calais
Un mouvement
de grève des
dockers
calaisiens en juin
1936 conduit
Thownsend
à procéder à
l’embarquement
des véhicules sur
le
Forde
par
une passerelle
mobile de
fortune après
suppression
du bastingage
arrière
(ci-dessous)
.
Mais ce procédé
ne sera employé
que très
exceptionnel-
lement, le
recours aux
grues restant
de rigueur
(ci-contre)
.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
76-
Historail
Juillet 2009
sera pas suffisant pour deux et pré-
fère sagement suspendre son service
l’automne venu, dégageant pour sa
première année d’exploitation un bé-
néfice de… 80 livres!
Townsend met ce répit à profit pour
préparer sa riposte. Le
Royal Firth
étant, lui aussi, sous contrat d’arme –
ment, Townsend décide le rachat pour
5000livres d’un ancien dragueur de
mines voué à la démolition, le
Ford
(4)
dont il confie la transformation pour
14000livres à la Earle’s Shipbuilding
& Engineering Company de Hull. En
effet, les automobilistes n’ayant cessé
de revendiquer le droit d’accompa –
gner leur véhicule, il était devenu ur-
gent de leur offrir des conditions de
confort au moins égales à celles des
paquebots. Inauguré le 15 avril 1930,
le
Forde
(avec un e pour se différen-
cier d’un autre bâtiment marchand),
avec ses trois salons, dont un réservé
aux dames, et ses trois cabines pri-
vées, remplit partiellement ces condi-
tions. Aménagé de façon à pouvoir
transporter 28 autos et 168 per-
sonnes, non compris 34 hommes
d’équipage, il permet en outre de
franchir le détroit en une heure et de-
mie, à raison d’une rotation par jour:
Départ
Arrivée
Douvres11h30
Calais13h00
Calais15h00
Douvres16h30
Townsend précise que son ambition
est, grâce à des tarifs raisonnables,
«de faire en sorte que les automo-
bilistes n’hésitent plus à prendre leur
auto pour se rendre sur le conti-
nent, même pour l’espace d’un
week-end»
A l’automne, terme de son service
saisonnier, la Townsend Bros Car
Ferries aura assuré le transport de
4600autos et de 12000 personnes,
en dépit d’une interruption du ser-
vice pendant un mois suite à une
avarie
(5)
. Mais si le
Forde
suffit à pren-
dre en charge l’intégralité des pas-
sagers, une partie seulement des vé-
hicules transite par lui faute de places
suffisantes, le surplus étant alors
acheminé en parallèle par un cargo
affrété pour l’occasion.
Dès 1931, et dans les années qui
suivent, le service débute le 1
avril
pour finir le 31 octobre. Entre-
temps, le Southern Railway mettait
en chantier le premier navire spécia-
lement conçu pour le transport des
automobiles accompagnées: l’
Auto –
carrier
. Construit par les chantiers
David et William Henderson de Glas-
gow, il effectue son voyage inaugu-
ral le 30 mars 1931, de Douvres à
Calais, avec 54 passagers et… une
seule automobile!
Mis en service commercial le lende-
main, à raison d’une rotation par jour,
il transporte pour ses deux premières
traversées quatorze personnes et cinq
autos à l’aller, dix personnes et une
auto au retour.
Départ
Arrivée
Douvres12h15Calais14h00
Calais16h00Douvres17h45
Propriété du
Southern
Railways,
l’Autocarrier est
le premier
navire à avoir
été spécialement
conçu et
construit pour le
transport des
automobiles
(1931). Mais
l’emploi de
grues reste la
règle.
CCI Calais
Juillet 2009
Historail
Contrairement au
Forde
, il assure un
service ininterrompu tout au long de
l’année, y compris les dimanches. Le
même jour, la Townsend Bros Car Fer-
ries reprend son service saisonnier
–vingt et un passagers et dix voitures
pour sa première traversée–, obéis-
sant aux mêmes horaires qu’en 1930.
Doté d’une classe unique, l’
Autocar –
rier
offre à ses clients deux salons dont
un réservé aux dames, une salle à
manger avec bar et un cabinet de toi-
lettes avec baignoire! Il est aménagé
de façon à pouvoir emporter
120voyageurs et 35 voitures à une
vitesse de 15 nœuds contre 13 pour le
Forde
. Par contre, comme pour ce
dernier, l’embarquement et le débar-
quement des autos continuent d’être
assurés au moyen de grues, les véhi-
cules étant solidement arrimés sur des
cadres.
«Voilà un nouveau navire qui
ouvre une nouvelle ère dans l’âge de
l’automobile»
, annonce le
Daily Mail
De 1932 à 1934, l’
Autocarrier
se par-
tage entre Boulogne et Folkestone
d’une part, Calais et Douvres d’autre
part. En 1933, le service s’établit
comme suit:
Jusqu’au 30 juin
Départ
Arrivée
Folkestone10h30Boulogne12h30
Boulogne14h30Folkestone16h30
Àpartir du 1
juillet
Départ
Arrivée
Douvres10h45Calais
Calais
14h00Douvres15h30
Les autos doivent être à quai une
demi-heure avant le départ du ba-
teau. Les tarifs diffèrent selon la taille
des véhicules, classés en cinq catégo-
ries: de 8 ft 6 ins et moins (2£ 3 s
6d) à plus de 10 ft 6 ins (5 £ 15 s).
Moyennant un supplément, l’auto –
mobiliste peut assurer sa voiture au-
près de la compagnie. Le prix du pas-
sage pour les personnes est de 12 s
6 d (de 7 s et 6 d pour les enfants en-
tre trois et quatorze ans). En périodes
de pointe, et à l’exemple de la Town-
send Bros Car Ferries, le Southern fait
appel à des cargos d’appoint non ha-
bilités au transport des voyageurs.
Mais, paradoxe, la concurrence que
se livrent le Southern et la Townsend
Bros Car Ferries –le nombre de véhi-
cules transportés passe de 9817 en
1931 à 12723 en 1935 et à 22919
en 1938– n’a pratiquement aucune
(4) Construit en 1918.
(5) Le 29 avril, le
Forde
heurte le quai Paul-Devot à son
arrivée de Douvres.
Le
Hallade
,
ancienne
frégate de la
Royal Navy
rachetée par
Townsend prend
la relève du
Forde
en 1950.
Dossier
[ présence ferroviaire sur la Manche ]
78-
Historail
Juillet 2009
incidence sur l’amélioration du ser-
vice. C’est ainsi qu’aucune suite n’est
donnée aux études menées par la
Townsend Bros Car Ferries et la cham-
bre de commerce de Calais en 1930
pour l’installation d’un terminal spéci-
fique au quai sud-est de l’avant-port,
qui aurait permis aux automobilistes
de pouvoir embarquer et débarquer
eux-mêmes leur voiture par l’intermé –
diaire d’une passerelle mobile. En fait,
ce système n’est employé qu’un court
moment, du 9 au 30 juin 1936,
quand, en raison d’une grève des
dockers et des grutiers de Calais, la
Townsend Bros Car Ferries prend le
parti de charger le
Forde
par l’arrière
(après suppression du bastingage) à
l’aide de plateaux de fortune.
La suggestion faite en 1932 par le re-
présentant de l’Automobile Associa-
tion à Calais d’aménager le hangar
Paul-Devot en une
«gare maritime
automobile»
(proposition renouvelée
en 1938) ne rencontre pas plus
d’écho. Ce manque d’initiative contri-
bue à pénaliser les automobilistes, qui
restent soumis à des délais d’attente
trop longs en dépit des progrès ap-
portés à la manutention des véhicules
et à l’accomplissement des formalités
douanières. En 1937, le temps moyen
par voiture s’établit à Calais à deux
minutes et demie à l’arrivée et à une
minute et demie au départ. Ce qui
donne pour les derniers «servis» à
l’arrivée une attente d’une heure et
quart, voire plus en cas de recours à
un cargo d’appoint.
Des voix s’élèvent aussi contre l’im-
prévision des deux compagnies en
lice, peu pressées de renouveler leur
matériel naval. Et de citer en exemple
le
London-Istanbul
qui, depuis le mois
d’août 1936, assure un service équiva-
lent entre Ostende et Douvres pour
le compte des Chemins de fer belges.
Obtenu par transformation de l’an-
cien paquebot
Ville-de-Liège
(construit
en 1913), le
London-Istanbul
peut
emporter 200 passagers et 60 autos
réparties sur trois ponts solidaires dont
deux couverts. Sa grande particularité
est de posséder quatre passerelles mo-
biles qui, fixées aux flancs du navire
à la hauteur de chaque pont, permet-
tent aux véhicules d’embarquer et de
débarquer par leurs propres moyens
quelle que soit leur position par rap-
port au quai. Mais, autorisé à Os-
tende, l’emploi de ses passerelles reste
interdit à Douvres où la manutention
continue d’être assurée par des grues.
La concurrence du
London-Istanbul
conduit l’
Autocarrier
à cesser son ser-
vice dès le 18 octobre.
Il faut attendre 1937 pour que le Sou-
thern Railway et la Townsend Bros Car
Ferries s’emploient enfin à harmoni-
ser leurs services. Cette nouvelle colla-
boration est surtout perceptible en
1939 lorsque, confrontées à une dimi-
nution notable du trafic, les deux
compagnies parviennent à un accord
prévoyant, pour la période comprise
entre le 15 et le 24 mai, d’alterner la
mise en route de l’
Autocarrier
et du
Forde
(exception faite du samedi), le
premier circulant les lundis, mercre-
dis, vendredis et samedis, le second
les mardis, jeudis, samedis et di-
manches. Il est également entendu
que l’
Autocarrier
alignera ses horaires
sur ceux du
Forde
, à savoir:
Départ
Arrivée
Douvres11h30Calais
Calais
14h45Douvres16h15
La guerre interrompt les activités des
deux bâtiments, réquisitionnés par la
Royal Navy.
Transformé en bateau d’assistance, le
Forde
participe à l’évacuation de Dun-
kerque, puis à diverses opérations ar-
mées. Il reprend son service entre
Douvres et Calais le 17 avril 1947,
avant d’être retiré du service le 18 oc-
tobre 1949.
Il est relayé par le
Halladale
, ancienne
frégate de la Royal Navy (1944) ra-
chetée par Townsend en 1949 et ré-
aménagée en conséquence. Introduit
entre Douvres et Calais le 6 avril 1950,
il demeure en place jusque fin 1961.
Il est remplacé par le
Free Enterprise
premier d’une longue série.
Egalement présent à Dunkerque, l’
Au-
tocarrier
sert ensuite de «recreation
ship» pour les équipages de la Royal
Navy. La guerre terminée, il reprend
ses rotations entre Calais et Douvres
dès le 15 mai 1946 (service de ma-
rée), puis sur la ligne Folkestone – Bou-
logne le 1
avril 1947 (service fixe).
L’arrivée du
Dinard
sur les mêmes re-
lations le 1
juillet de cette même an-
née le cantonne bientôt à des services
intermittents entre Southampton et
Saint-Malo/Le Havre. Il tire sa révé-
rence le 6 août 1954.
Paquebot lancé en 1924 pour les be-
soins du Southern Railway, le
Dinard
après avoir œuvré entre Southamp-
ton et Saint-Malo/Le Havre, est trans-
féré au sortir de la guerre (qu’il a tra-
versée sans dommage comme
navire-hôpital) sur les lignes Folkes-
tone/Douvres – Boulogne/Calais (à par-
tir du 1
juillet 1947), non sans avoir
été transformé au préalable en car-
ferry avec chargement des véhicules
par grues. Une seconde transforma-
Il faut attendre 1937 pour que
Townsend
et le
Southern harmonisent en�n leurs services.
Juillet 2009
Historail
tion le dote en 1952 d’une porte ar-
rière permettant un accès direct aux
ponts sans rupture de charge. En re-
trait depuis l’arrivée cette même an-
née du moderne
Lord Warden
(pre-
mière unité anglaise sur le détroit
conçue dès le départ comme car-
ferry), il est cependant maintenu en
service jusqu’en 1958.
L’armement naval SNCF n’entre que
tardivement dans le débat. Le projet
de construction d’un car-ferry n’est
officiellement évoqué qu’en octobre
1955.
«La construction d’un tel na-
vire,
commente le Comité de la flotte
réuni le 19,
s’inscrirait, en effet, dans
la ligne de la politique commerciale
amorcée par la SNCF depuis quelque
temps et tendant à favoriser le déve-
loppement des transports d’automo –
biles par chemin de fer, ainsi qu’en
témoignent, notamment, les condi-
tions fort intéressantes offertes aux
automobilistes qui utilisent les wagons
de la STVA pour rapatrier leur voiture
de la Côte d’Azur sur Paris. Or, il est
vraisemblable que, d’ici 1958, ces wa-
gons seront en nombre suffisant pour
que lesdites conditions puissent être
étendues au transport d’automobiles
vers la Côte d’Azur et sur d’autres re-
lations touristiques.»
Ce sera le
Com-
piègne
, mis en service entre Calais et
Douvres en 1958.
La place croissante prise par les car-
ferries et les perfectionnements ap-
portés aux derniers venus, notam-
ment le chargement par l’arrière sans
aide extérieure, conduisent à l’installa –
tion de postes d’embarquement avec
rampes mobiles obéissant aux hau-
teurs de la marée et permettant aux
conducteurs d’embarquer eux-mêmes
leurs véhicules. Chose faite à Calais
le 27 juin 1951, à Boulogne le 16 juin
1952 et à Douvres le 30 juin 1953.
En 1951, 35335 voitures transitent
par Calais. La construction à proximité
du poste d’accostage d’une gare ma-
ritime spécialement affectée au tran-
sit des «motoristes» s’impose. Elle
voit le jour en 1953.
Bruno CARRIÈRE
Le
Compiègne
,
premier car-ferry
français, mis
en service entre
Calais et
Douvres en 1958
par l’Armement
naval SNCF.
Photorail
Un site incontournable
pour les passionnés:
http:www.simplonpc.co.uk
80-
Historail
Juillet 2009
Curiosité
Juillet 2009
Historail
Sécurité du personnel
Un petit dessin vaut mieux
qu’un long discours
Préambule au P. 9a n° 1
Chaque année, au cours de leur travail, de nombreux cheminots sont
les victimes d’accidents.
Il ne se passe guère de jour que la SNCF n’ait à déplorer la mort d’un
de ses agents. D’autre part, le nombre annuel des accidentés du travail
atteints d’une incapacité physique permanente est considérable.
Or, l’examen des causes de ces accidents révèle que près de 80 % de
ceux-ci auraient été évités si leurs victimes (ou parfois des tiers) n’avaient
manqué de prudence ou d’attention, péché par une trop grande
confiance en eux-mêmes, perdu la notion du danger ou mal appliqué les
mesures de sécurité.
Cette constatation permet de combattre l’idée assez généralement
répandue que le cheminot court de nombreux risques d’accidents
considérés, le plus souvent, comme inévitables.
La lecture et l’étude attentives du présent règlement P 9a N° 1
montrent qu’il est pourtant facile d’éviter le plus grand nombre des
accidents survenant pendant le travail dans le domaine du chemin de fer,
à condition d’observer les conseils ou les prescriptions contenus dans ce
règlement ainsi que dans ceux particuliers aux différents Services.
Toutefois, ces documents ne peuvent tout prévoir, au risque d’être trop
importants et d’une étude difficile. Aussi, dans une circonstance
imprévue, le cheminot devra-t-il se laisser guider par son bon sens, par
l’esprit de sécurité que la pratique continuelle des règles de prévention
aura développé en lui.
Tout nouvel entrant au chemin de fer découvre que le moindre de ses faits
et gestes sera régi par des règlements dûment codifiés et périodiquement
remis à jour. Le P. 9a N° 1 – « Sécurité du personnel – Prescriptions
générales à observer pour éviter les accidents » – en est un exemple type.
Approuvé par décision ministérielle du 31 octobre 1947, le règlement en
notre possession (tirage de 1957) en est déjà à sa sixième version.
Compte tenu de la sensibilité du sujet, il a été jugé bon de frapper
l’imagination des personnes concernées (le P. 9a N° 1 est remis
individuellement aux agents les plus exposés) en illustrant les principaux
risques par des illustrations pour le moins suggestives…
Curiosité
[ sécurité du personnel. Un petit dessin
82-
Historail
Juillet 2009
Il est interdit de
transporter une
échelle le long
des voies de
telle façon
qu’elle puisse
être atteinte par
le passage d’un
véhicule.
Il est interdit de rester sur les voies à l’approche des trains
ou machines.
Avant de traverser les voies, il faut avoir soin de regarder
toujours dans les deux directions.
Circulation
sur les voies
Juillet 2009
Historail
vaut mieux qu’un long discours ]
Attention! Danger! Un train peut en cacher un autre.
Il est dangereux de poser le pied dans les ornières
de contre-rails, etc.
Il est interdit de
circuler sur la
voie en tournant
le dos aux trains.
Curiosité
[ sécurité du personnel. Un petit dessin
84-
Historail
Juillet 2009
Protection des agents
Il est interdit de passer entre les
véhicules en manœuvre et les murs
des halles et des quais.
Il est interdit de se tenir sur les
tampons. On risque d’être précipité
à terre.
Il est interdit de passer la tête par la
porte entr’ouverte si celle-ci n’est pas
immobilisée par un dispositif d’arrêt.
Juillet 2009
Historail
vaut mieux qu’un long discours ]
Il est interdit de s’asseoir sur les tampons d’un véhicule.
On risque d’être blessé en cas de tamponnement.
Il est interdit de se pencher de
manière à dépasser le gabarit en
dehors des machines, tenders,
véhicules des trains en marche.
Il est interdit de s’asseoir sur les perches à décrocher.
On peut tomber et passer sous les véhicules.
Il est interdit de s’asseoir sur un
marchepied. On risque de se briser
les jambes contre un obstacle.
Il est interdit d’accompagner du matériel roulant en
engageant le gabarit, on s’expose à être blessé au
passage d’un obstacle.
Curiosité
[ sécurité du personnel. Un petit dessin
86-
Historail
Juillet 2009
Prévention des accidents causés par l’électricité
Ne mettez pas le
pied sur un rail
conducteur pour
le franchir; vous
risquez d’être
électrocuté.
N’urinez jamais sur le rail conducteur
de courant.
Chauffeurs,
attention
au jet du tuyau
arroseur,
celui-ci est
fréquemment
mouillé
extérieurement.
Prenez garde à
la caténaire.
Agents de route: attention
aux caténaires en remplissant
vos sablières ou en nettoyant le corps
cylindrique de vos machines.
Juillet 2009
Historail
vaut mieux qu’un long discours ]
88-
Historail
Juillet 2009
D
ans les années 1880, un genre
devient à la mode chez les édi-
teurs pour la jeunesse américaine, es-
sentiellement regroupés à Boston et
à New York. Ce genre à succès est ce-
lui des récits de voyage (
Travelogue
Storybooks
) qui associent au dépay-
sement une vocation pédagogique.
En racontant les périples, plus ou
moins mouvementés, de voyageurs
et de touristes américains, ces récits
dispensent des informations sur la
géographie, l’économie et l’histoire
des pays traversés. Leur popularité
s’inscrit dans un contexte où la bana-
lisation du tourisme relance la tradi-
tion du «grand tour» et entraîne une
profusion de guides touristiques. Cer-
tains récits mènent leurs lecteurs vers
des terres lointaines, jusqu’en Asie,
en Afrique ou au Proche-Orient. D’au-
tres leur font, plus modestement, tra-
verser l’Atlantique pour découvrir une
France où la troisième République se
met en place au sortir de la guerre de
1870 et de la Commune. Comme le
second Empire, le nouveau régime fait
reposer la prospérité du pays sur l’ex-
pansion de son système ferroviaire.
Les trains et les réseaux ferrés de cette
France qui s’achemine vers la Belle
Epoque inspirent les récits de voyages
américains. Cet intérêt traduit du
pragmatisme, la mise en scène d’un
plaisir esthétique, ainsi qu’un espoir
dans l’avenir du monde.
Plus de cent ans après les jeunes lec-
teurs qui reçurent en étrennes ces ré-
cits de voyages richement illustrés, par-
courons, à notre tour, les pages que
des auteurs américains, célèbres en
leur temps, consacrèrent aux trains
français. Les écrivains se nomment He-
zekiah Butterworth, Elizabeth Williams
Champney, Edward Everett et Susan
Hale, James Dabney McCabe, Thomas
Wallace Knox. Leurs récits paraissent
entre 1879 et 1895. Ils s’intitulent:
Voyages en zigzag en Europe
(1879),
Trois Etudiantes de Vassar en voyage
d’agrément à travers la France
(1883),
Trois Etudiantes de Vassar en France
(1888),
Witch Winnie à Paris
(1893),
Witch Winnie à Versailles
(1895),
Voyage en famille à travers la France
(1881),
Quatre Jeunes Américains en
voyage à travers l’Europe
(1881),
jeunes voyageurs en Europe
(1892).
Ces récits de voyage américains consti-
tuent des documents instructifs sur le
transport ferroviaire dans la France de
la fin du XIX
siècle. Ils offrent l’image
d’un pays moderne, doté d’un réseau
Littérature
Le Tour du monde en quatre-vingts jours
commence son éblouissante
carrière en 1873. Ce roman de Jules Verne est un succès de librairie
immédiat, qui inspire une adaptation scénique et des jeux éducatifs que
l’on nommerait aujourd’hui des «produits dérivés». Il offre à l’admiration
de nombreux Français, jeunes et moins jeunes, le Pacific Railroad, ce ruban
de fer qui relie New York et San Francisco depuis 1869. Une étape
spectaculaire du
Tour du monde en quatre-vingts jours
se déroule à bord
du train qui traverse les États-Unis d’Amérique en sept jours. Quelques
années après la publication du roman de Jules Verne, c’est au tour des
trains français de séduire et de distraire les jeunes lecteurs américains.
Lorsque les trains français
séduisaient
les jeunes
lecteurs américains
au tournant du XIX
siècle
Juillet 2009
Historail
ferré performant, de trains conforta-
bles et capables de satisfaire des voya-
geurs exigeants. Il n’est pas surprenant
que les touristes anglo-saxons des ré-
cits, qui arrivent en France après avoir
traversé l’Atlantique ou la Manche, ef-
fectuent un trajet en train depuis les
ports de la Manche jusqu’à Paris, qui
constitue l’étape centrale du voyage
en France. La plupart commencent
leur périple depuis des gares de la côte
normande, du Havre ou de Dieppe.
Certains s’attardent à Deauville et à
Trouville, où ils constatent le succès de
ces stations balnéaires reliées à la capi-
tale par le chemin de fer. Thomas Wal-
lace Knox vante la popularité du billet
circulaire, une formule à prix réduit qui
permet à son acheteur de faire libre-
ment étape dans différentes villes de la
côte dans un temps donné. Les voya-
geurs américains en provenance du
Havre et de Dieppe passent tous par
Rouen. Certains s’arrêtent pour visiter
le patrimoine architectural de la ville.
La ligne Rouen – Paris fait l’objet de
différentes précisions. Le lecteur ap-
prend qu’elle a été achevée en 1843,
que sa percée a demandé une grande
habileté technique en raison de la si-
tuation géographique de Rouen,
qu’elle est très fréquentée. Il décou-
vre aussi la durée du trajet, évaluée à
environ deux heures. En parallèle, les
voyageurs d’Edward Everett et Susan
Hale mettent cinq heures pour attein-
dre Paris depuis Le Havre.
Seuls les voyageurs de James Dabney
McCabe, qui se rendent de Londres à
Paris, empruntent une ligne de che-
min de fer différente. Après avoir tra-
versé la Manche entre Douvres et Ca-
lais, ils prennent un train pour la gare
du Nord et s’intéressent aux différents
arrêts: Boulogne, Abbeville, Amiens,
Creil, présenté comme l’un des princi-
paux nœuds ferroviaires français. Une
fois arrivés à Paris, quelques voyageurs
s’aventurent un peu plus loin, par
exemple sur les lignes du PLM (Paris-
Lyon-Méditerranée). La compagnie est
Pages de garde
d’un
«Travelogue
Storybook»
(récit de
voyages) écrit
pour les jeunes
Américains.
Ces récits se font l’écho de trains confortables
capables de satisfaire des voyageurs exigeants.
Littérature
[ lorsque les trains français séduisaient
décrite comme la principale de France
et Thomas Wallace Knox est prêt à lui
décerner le premier rang mondial.
Les gares parisiennes sont surtout le
lieu du départ vers les monuments et
les châteaux d’Ile-de-France. À une
époque où le trafic de banlieue ex-
plose, tous les voyageurs des récits de
voyage américains prennent le train
pour la gare de Versailles, qui leur of-
fre l’accès au prestigieux château édi-
fié par Louis XIV. Les admirateurs de
Napoléon se risquent à Fontainebleau
et à Compiègne, les peintres et les ar-
tistes en quête de pittoresque, à
Écouen, où les trains de la Compagnie
du Nord les amènent en une demi-
heure depuis Paris. Plus originale, Eliza-
beth Williams Champney envoie à Fer-
rières l’une de ses étudiantes de Vassar.
La jeune fille prend un train en compa-
gnie de touristes désireux de voir le vil-
lage et le château des Rothschild.
Dans les récits de voyage, le train fran-
çais n’est pas seulement un mode de
transport, pratique et moderne, qui re-
lie des lieux de visites. C’est aussi une
fenêtre sur des us et coutumes exo-
tiques. L’enregistrement des bagages
et les repas sont deux sujets qui retien-
nent l’attention des auteurs. Pour ces
étrangers, l’enregistrement des ba-
gages va de pair avec le passage en
douane. Les avis divergent sur la ques-
tion. Les Hale et Thomas Wallace Knox
sont plutôt ironiques et jugent qu’un
Américain doit s’armer de toute sa pa-
tience pour affronter les douanes fran-
çaises et les employés chargés de resti-
tuer les bagages dans les gares
d’arrivée. En revanche, James Dabney
McCabe est convaincu par l’efficacité
du système d’enregistrement, et ses
voyageurs sont satisfaits par ce service.
L’excellence de la cuisine française est
un cliché des récits de voyage améri-
cains de l’époque. Les repas proposés
par les compagnies de chemin de fer
ne suscitent pas de dithyrambe. Ils
sont, toutefois, appréciés. En ouvrant
les livres de Thomas Wallace Knox et
de James Dabney McCabe, le jeune
lecteur américain apprend que deux
types de restauration sont proposés à
bord des trains français. Le premier a
lieu à proximité des voies lors d’arrêts
de quinze à vingt-cinq minutes: les
voyageurs descendent du train et peu-
vent se restaurer à table. L’un des
jeunes touristes de Thomas Wallace
Knox emprunte un train de la compa-
gnie Paris-Lyon-Méditerranée. Il trans-
crit minutieusement le déroulement
d’un dîner dans son journal de
voyage:
«Une heure avant d’arriver
au buffet, un employé nous a de-
mandé combien nous serions pour dî-
ner. Nous lui avons répondu que nous
serions quatre. Il a touché sa casquette
et il est parti. Quand nous sommes ar-
90-
Historail
Juillet 2009
ONTEXTE
Trois étudiantes américaines se trou-
vent à Paris pendant la guerre de
1870. L’une d’entre elles se rend à
Ferrières pour faire des croquis de la
campagne française.
XTRAIT
Un court voyage en train amena
Sallie à la station d’Ozoir-la-Fer-
rière. Tout le trafic semblait
concentré dans le sens inverse. Il y
avait peu de voyageurs dans celui
de Sallie, qui se retrouva seule
dans son compartiment. La jeune
fille se mit à observer les prépara-
tifs du siège. Elle dépassa plusieurs
nouvelles lignes de défense et dif-
férents cantonnements de mobiles.
C’étaient des soldats solidement
bâtis, qui arboraient un air résolu
et patriotique. Ils inspiraient plus
de confiance que les gardes natio-
naux, un corps composé essentiel-
lement de petits commerçants
dont l’unique effort semblait
consister à se faire pousser les
moustaches. On voyait dans les
gares des quantités de victuailles
qui attendaient d’être envoyées à
Paris. L’approvi sionnement de la
capitale semblait bien assuré. Mais,
en dépit de ces préparatifs de
guerre, il était difficile de croire
que trois cent mille Prussiens ap-
prochaient de la ville. Un omnibus
attendait en gare pour emmener
nos touristes jusqu’au village à
travers des paysages charmants.
Trois étudiantes de Vassar en France,
d’Elizabeth Williams, 1888
Carte du réseau
ferroviaire
de la région
parisienne
inserrée dans
l’ouvrage d’E.W.
Champney,
Three Vassar
Girls in France
,
Trois étudiantes
de Vassar en
France (1888).
Juillet 2009
Historail
rivés en gare, les tables étaient dres-
sées pour nous. La commande avait
été transmise par télégraphe. On nous
a désigné une table pour quatre. La
soupe fumait dans les assiettes qui
avaient été servies au moment où le
train s’arrêtait. Le repas était composé
de cinq plats qui ont tous été servis
avant même que le précédent ait été
fini.»
L’autre type de restauration satis-
fait aussi les jeunes appétits des per-
sonnages des récits. Il est proposé à
bord des trains. Les voyageurs passent
leur commande et un employé leur
apporte des paniers renfermant aussi
bien les plats et les boissons que la
vaisselle et les couverts. Conformé-
ment au stéréotype alors à la mode,
les voyageurs américains des récits
sont des pragmatiques attachés à la
modernité et au confort des trans-
ports. C’est aussi en esthètes qu’ils
empruntent les trains français.
Les récits de voyage qui nous intéres-
sent sont de beaux livres que les édi-
teurs mettent en vente à la période des
fêtes de fin d’année et qui sont offerts
pour Noël ou pour les étrennes. Dans
un contexte concurrentiel, les éditeurs
soignent la mise en pages, la variété
des illustrations, la richesse des carton-
nages. Cette dimension esthétique se
retrouve à l’intérieur des récits. Pour les
touristes américains, la France repré-
sente le pays des arts, du raffinement et
du bon goût. Pour enrichir leur culture
ou, tout simplement, par plaisir, les
voyageurs sont attentifs à l’originalité
des paysages, à l’architecture des mo-
numents, aux collections des musées.
Les trains n’entrent pas dans le champ
de leur contemplation. Cette absence
d’intérêt contraste avec l’engouement
inspiré par les navires. Les somptueux
transatlantiques de l’époque suscitent la
verve des auteurs, qui célèbrent leur
puissance, leur symétrie et leur beauté.
Ils envahissent aussi l’espace des
illustrations, depuis les cartonnages
jusqu’aux gravures qui accompagnent
le texte. Aucun train n’est utilisé comme
élément décoratif. Sa valeur esthétique
est bien différente, et elle est évidente
pour chacun des auteurs.
Le XIX
siècle s’est enthousiasmé pour
les panoramas. Ces immenses toiles
peintes, circulaires, représentaient des
villes, des paysages, des batailles ou
des sujets religieux. Elles étaient pré-
sentées au spectateur dans des ro-
tondes éclairées par le toit, de manière
à renforcer l’impression de trompe-
l’œil. Pour le voyageur assis dans son
wagon, les paysages qui se succèdent
tout au long de la ligne de chemin de
fer constituent un panorama dont les
les jeunes lecteurs américains au tournant du
e
siècle ]
De beaux livres que les éditeurs mettent en vente
à la période des fêtes de �n d’année.
Fil conducteur
des
Travelogue
Strorybooks
, le
train n’entre
que très
rarement
comme élément
d’illustration.
Littérature
sujets sont indéfiniment renouvelés.
Les auteurs de «travelogues» ne se
lassent pas de décrire l’enthousiasme
de leurs jeunes spectateurs à la vue
des paysages qui défilent. Ces pay-
sages sont généralement agrestes et
bucoliques. Ils sont souvent fournis par
la campagne entre la côte normande
et Paris, et par les alentours de la capi-
tale. L’arrivée à la gare Saint-Lazare of-
fre un spectacle digne d’intérêt lorsque
les dômes des monuments de la ca-
pitale se profilent derrière les arbres.
Les voyageurs empruntent aussi le
chemin de fer de petite ceinture. Ce
voyage circulaire d’une durée de deux
heures enchante les Américains, qui
regardent la capitale depuis des an-
gles variés. Les fenêtres des wagons
sont des espaces particulièrement
convoités par les jeunes voyageurs.
Ceux-ci se précipitent vers les places
les mieux situées dès leur entrée dans
le compartiment. Parfois, ils échangent
leurs sièges en cours de trajet pour
multiplier les points de vue. Pour aller à
Versailles, ils achètent des billets de troi-
sième classe. Ils peuvent ainsi s’installer
à découvert et profiter d’une meilleure
vue qu’à l’intérieur des wagons.
Dans les récits, tout converge pour
souligner la dimension artistique de
ces paysages dont le cadre épouse ce-
lui des fenêtres des trains. Les auteurs
prennent des peintres pour person-
nages. Ils dotent leurs héros d’amis ar-
tistes. Elizabeth Williams Champney
est l’épouse d’un dessinateur qui l’ac-
compagne lors de ses séjours en
France. La plupart de ses voyageuses
sont des étudiantes des beaux-arts.
Les commentaires des spectateurs à la
fenêtre puisent dans le vocabulaire de
l’esthétique. Pour les uns, les paysages
semblent une succession de
«tableaux
de la France»
. Les autres ont l’impres-
sion de voir
«un panorama mobile»
Les paysages décrits, avec leurs fermes
aux toits de chaume, pourraient être
calqués sur la toile d’un peintre de
l’école de Barbizon. Les paysannes au
travail dans les champs que contem-
plent par la vitre les touristes d’Heze-
kiah Butterworth paraissent des ré-
pliques des
Glaneuses
de Jean-François
Millet. Quant aux voyageurs des Hale,
ils arrivent à la gare Saint-Lazare au
crépuscule. Le choix de ce moment de
la journée, où les contours se brouil-
lent, suggère que les auteurs pour-
raient avoir à l’esprit la toile de Claude
Monet (1877) au moment où ils
construisent leur description.
Vus depuis les fenêtres des trains, les
paysages français se transforment en
autant d’œuvres d’art. Dans un récit
de voyage, le chemin de fer permet à
un jeune peintre américain de faire des
allers-retours entre le Louvre, où il
contemple les toiles des grands maî-
tres, et Écouen, où il loge dans un hô-
tel bon marché. Cette ville historique
lui offre des conditions de vie avanta-
geuses et de nombreux sujets d’inspi –
ration originaux. La situation semble
idéale. Le jeune Américain s’inquiète
pourtant de la menace que recèlent
le tourisme et les échanges: les visites
des étrangers transforment Écouen,
qui va perdre sa singularité. Le train
annonce-t-il la mort du pittoresque?
Les récits de voyage américains le pré-
sente, plus généralement, comme la
promesse d’un avenir meilleur.
Le train est le symbole d’un monde en
marche à une époque de foi dans le
progrès. Il rapproche les territoires, les
nations et leurs ressortissants. Les lignes
de chemin de fer prolongent les voies
maritimes. Les voyageurs des récits sont
les représentants d’un monde où
l’Amérique n’est plus qu’à une dizaine
de jours de l’Europe. Pour Thomas Wal-
lace Knox, les trains et les paquebots
sont les emblèmes du tourisme mo-
derne, qui est transcontinental. La mo-
bilité des voyageurs et la continuité des
territoires sont autant de gages de l’ins-
tauration de la paix mondiale.
Les années 1880 voient l’échec du pro-
jet du tunnel sous la Manche, que Pa-
ris et Londres ont officiellement envi-
sagé dans les années 1870. Les
travaux, qui ont commencé en 1878,
ont permis de réaliser 1800 mètres de
galeries de part et d’autre de la
Manche. En 1881, le gouvernement
britannique interrompt ce chantier qui
éveille des inquiétudes en Angleterre.
Les récits ne mentionnent jamais cet
échec. Résolument optimistes, ils font
des chemins de fer l’espace d’une col-
laboration internationale, financière,
technique et commerciale. Les compa-
gnies françaises adaptent leurs horaires
à ceux des transatlantiques américains.
Quant à la ligne ferroviaire entre Rouen
et Paris, elle a été construite grâce à
une réunion de fonds anglais et fran-
çais. La moitié de ses ingénieurs et de
ses ouvriers vient de Grande-Bretagne.
À l’inverse, la guerre est synonyme
d’une suspension immédiate de la cir-
culation ferroviaire.
«Plus de trains»
c’est ainsi que les Américains de
Trois
Etudiantes de Vassar en France
, qui
séjournent à Paris en 1870, consta-
tent que les Prussiens assiègent Paris.
Les récits de voyages américains perpé-
tuent la confiance saint-simonienne
dans le chemin de fer, considéré
comme vecteur de la paix universelle.
John Dos Passos, qui est né à Chicago
en 1896, a-t-il lu, dans sa jeunesse,
ces récits de voyage qui construisent
une image si séduisante du chemin de
fer français et de l’avenir du monde?
Dans son premier roman,
Initiation
d’un homme
(1920), son héros tra-
verse, à son tour, l’Atlantique pour
prendre un train français. Mais il s’agit
d’un train militaire,
«rempli d’une
forte odeur de sueur et de vinasse»
qui emmène soldats et ambulanciers
américains sur le front de la Grande
Guerre. Vus depuis l’année 1917, les
récits de voyage des éditeurs pour la
jeunesse semblent des utopies défini-
tivement révolues.
Isabelle GUILLAUME
92-
Historail
Juillet 2009
Les fenêtres des wagons sont des espaces
convoités par les jeunes voyageurs.
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11,90
Date d’expiration :
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F:
HORS-SÉRIEJUILLET 2009
FRANCE / 11,90
BELGIQUE / 13,90
LUXEMBOURG / 13,40
SUISSE / 23FS
ESPAGNE/ 13,90
HORS-SÉRIE
Les Caravelles
Une invincible armada

HORS-SÉRIEJUILLET 2009

FRANCE / 11,90


BELGIQUE / 13,90


LUXEMBOURG / 13,40


SUISSE / 23FS

ESPAGNE/ 13,90


11

Frais de port
offerts !
,90
HORS-SÉRIE
Rail Passion
Juin 2009
Parution
le 15 juin
Les Caravelles, une invincible
armada
BON DE COMMANDE
Dessin Sylvain Lucas
François Pobez
André Grouillet
Lionel Mollard
HISTO
Benoît Girardot
94-
Historail
Juillet 2009
D
eux livres récemment publiés
sous la signature de Cécile Des-
prairies s’attachent à évoquer les lieux
du Paris de la collaboration
. Leur lec-
ture nous apprend ainsi que l’im-
meuble situé au 5, rue de Florence,
hôtel particulier du XIX
siècle de cinq
étages avec combles et marquise,
d’une surface au sol de près de
200m
, non comprise une arrière-
cour de 60 m
, propriété de la SNCF
dans les années 1950, avait abrité le
premier siège du Service de contrôle
des administrateurs provisoires (SCAP),
chargé de liquider les entreprises juives
dans le cadre de « l’aryanisation éco-
nomique » de la France. Et l’auteur
de rappeler que le premier président
en titre du SCAP, en poste de décem-
bre 1940 à mars 1941, n’était autre
que Pierre Fournier ! Ce même Pierre
Fournier qui présidait depuis peu aux
destinées de la SNCF… Pourquoi cette
double casquette ? Pourquoi un SCAP
dans des locaux qui, contrairement à
ce qui est indiqué, étaient déjà occu-
pés par la SNCF ? Etrange collusion
qui mérite investigation.
De la Banque de France
à la SNCF
Pierre Fournier (1892-1972), brillant
inspecteur des finances, entre à la
Banque de France le 6 février 1929
comme second sous-gouverneur.
Promu premier sous-gouverneur dès
le 27 septembre suivant, il est chargé
de faire un rapport approfondi sur la
situation financière des chemins de
fer français. Ce travail, rendu en 1932,
le familiarise avec la gestion des com-
pagnies. Nommé enfin au poste su-
prême de gouverneur de la Banque
de France le 20 juillet 1937, il fait d’of-
fice partie du premier conseil d’admi-
nistration de la SNCF.
Eté 1940, Paris est occupé. Les Alle-
mands entendent aussitôt faire main
basse sur l’économie française en im-
posant un cours forcé du mark qui
permettra,
les frais d’occupation
prélevés chaque jour, de la pressurer à
bon marché. Ils entendent de même
faire main basse sur les ressources de
la Banque de France dont les caves
servent de refuge à l’or de la Banque
de Belgique. Le 31 août, le gouver-
neur Fournier étant en désaccord to-
tal avec les prétentions allemandes, le
ministre des Finances vichyssois Yves
Bouthillier nomme à sa place Yves
Bréart de Boisanger qui, en tant que
président de la Commission française
d’armistice, discute à Wiesbaden, de-
puis fin juin 1940, les modalités de la
future collaboration économique
(2)
Voilà donc Fournier nommé « gou-
verneur honoraire », sans affectation.
Pas pour longtemps.
Le 12 septembre, en effet, il est pro-
pulsé à la présidence de la SNCF en
remplacement de Pierre Guinand qui,
miné par la maladie, est poussé vers la
retraite. Cette promotion, Fournier la
doit en grande partie à Jean Berthelot
qui, nommé par Bouthillier cinq jours
plus tôt à la tête du secrétariat d’Etat
aux Transports et aux Communica-
tions, a sous sa tutelle la SNCF, une
maison à laquelle les Allemands s’in-
téressent de près et qu’il connaît bien,
en ayant été le directeur général ad-
joint depuis l’été 1939.
A l’ombre
du 5 rue de Florence
Président de la SNCF et directeur du SCAP, le Service de contrôle
des administrateurs provisoires chargé de liquider les entreprises juives
dans le cadre de « l’aryanisation économique » de la France : ces deux
fonctions furent occupées de façon concomitante par Pierre Fournier
fin 1940. Un épisode peu connu de la carrière de ce haut fonctionnaire.
Guerre 39-45
Pierre Fournier,
président de
la SNCF de 1940
à 1946.
Banque de France/Photorail
Juillet 2009
Historail
On peut imaginer que ce nouveau
poste, confié plus sans doute en rai-
son de son expérience que de ses
convictions, convient bien à Fournier.
Il va lui permettre notamment de s’op-
poser autant que possible aux prélè-
vements, locomotives et wagons, exi-
gés par l’occupant.
Pourquoi le SCAP au
5 rue de Florence ?
Berthelot a toujours reconnu son ar-
deur à installer un régime technocra-
tique non entravé par les trop longs
détours des nombreux comités et
commissions délibératifs qui entou-
rent son ministère
. En décembre
1940, le Conseil supérieur des Trans-
ports de 81 membres créé en 1937
en même temps que la SNCF est ainsi
remplacé par un Conseil général des
Transports de 38 membres En fait, ce
dernier n’est qu’une « coquille vide »
et semble ne s’être jamais réuni
(4)
. De
même, en vertu de la loi du 18 sep-
tembre 1940 sur les sociétés ano-
nymes, le conseil d’administration de
la SNCF est réduit de 33 à 12 admi-
nistrateurs et son émanation, le co-
mité de direction, supprimé. Réuni
pour la première fois le le 6 novem-
bre, le nouveau conseil confirme Four-
nier dans ses fonctions.
Une seconde mission l’attend cepen-
dant : la direction du SCAP. Créé le
9décembre 1940, le nouveau service
s’installe donc au 5, rue de Florence,
ancienne antenne à Paris du réseau des
Chemins de fer d’Alsace et de Lorraine,
devenu vacante au lendemain de la
création par la SNCF d’une sous-direc-
tion à Strasbourg, occupée et libérée
depuis peu par le défunt Conseil su-
périeur des Transports qui y était ins-
tallé
. La proximité du siège de la SNCF
peut expliquer ce choix destiné à faci-
liter les allées et venues de Fournier.
Qu’y fait Fournier ?
L’ordonnance du 18 octobre 1940,
qui stipulait que toute affaire juive de-
vait avoir un administrateur provisoire,
appelait naturellement un étroit
contrôle de ces administrateurs char-
gés d’aryaniser les entreprises juives.
Les historiens spécialistes de Vichy ont
jugé différemment la manière dont
Pierre Fournier avait accepté puis as-
sumé cette délicate tâche.
Henry Rousso
oppose implicitement
Fournier à Melchior de Faramond, son
successeur à la tête du SCAP en avril
technicien zélé au service de
la politique de Xavier Vallat
(7)
Christian Bachelier
est soupçonneux,
si ce n’est accusateur : «
Ce n’est pas
là une étape naturelle dans la carrière
d’un haut fonctionnaire, comme
Le 5, rue de
Florence à Paris,
siège du SCAP
en 1940-1941.
Bono/Photorail
Guerre 39-45
[ à l’ombre du 5 rue de Florence ]
Fournier, ancien gouverneur de la
Banque de France, président de la
SNCF, que d’accepter d’être nommé à
la tête d’un service subalterne, nou-
veau et, de surcroît, provisoire – ceci
d’ailleurs étant inscrit dans son inti-
tulé même. Est-ce là une sorte de
contrepartie à sa nomination à la pré-
sidence de la SNCF? Le gouverne-
ment de Vichy veut-il ainsi donner un
parfum de probité à cette opération
de spoliation ? La première confé-
rence de Fournier aux administrateurs
provisoires est en effet tout empreinte
de morale, de rappel à la notion de
service public, d’intérêt général
(« Il
s’agit d’une mission qui a un carac-
tère de service public. […] Elle exige
évidemment, de votre part, du tact,
vous vous trouverez souvent en pré-
sence de situations difficiles ; il vous
appartient d’éviter les brutalités et des
vexations qui sont inutiles à l’exécu-
tion de la mission que vous avez reçue
[…]. C’est une tâche sévère et rude,
vous devez considérer que c’est à un
esprit de sacrifice de votre part qu’on
a fait appel en vous désignant »
9)
Des collaborateurs proches ont attesté
de l’intégrité de Fournier :
Chef idéal, homme de grande cul-
ture, il fut considéré comme doué
d’une intelligence supérieure et d’une
intégrité à toute épreuve »,
témoi-
gnera en 1946 la secrétaire traduc-
trice du SCAP lors d’un procès de col-
laboration
(10)
Pierre Fournier était un homme de
grande tradition, insoupçonnable de
quelque faiblesse que ce soit à l’égard
de l’Allemagne. C’est, je crois, Bar-
naud qui l’avait décidé à intervenir
dans cette dramatique aventure. Il n’y
a persévéré que quelques semaines
se souvient l’inspecteur des finances
Gruson
Jugements précisément contestés par
Annie Lacroix-Riz
, pièces à l’appui :
Pierre-Eugène Fournier signa des
notes de service très dociles envers
l’occupant […]. Ainsi, à la mi-janvier
en exécution des ordonnances
allemandes du 20 mai et du 18 octo-
bre 1940, je fais nommer, dans la plu-
part des boutiques israélites de Paris,
des administrateurs provisoires en vue
de procéder à leur vente ou à leur li-
quidation
; […] le 3 mars :  »
les ad-
ministrateurs provisoires qui rencon-
treraient des difficultés dans leur prise
de pouvoir de la part d’israélites étran-
gers seraient invités à les aviser que,
dans le cas où ils seraient mis dans
l’impossibilité de remplir leur mandat,
ils sont habilités à faire appel aux au-
torités d’occupation pour obtenir l’ap-
pui nécessaire. Si cet avertissement
restait sans effet, les administrateurs
provisoires devraient nous en aviser
immédiatement par un rapport rela-
tant l’opposition qu’ils ont rencon-
trée; une note sera préparée pour
mettre le Dr Blanke [
Referent
(chef de
service) de l’aryanisation au Militär-
befelshaber in Frankreich] au courant
de l’incident
(14)
[…].
S’il n’est pas «
particulièrement animé
d’un esprit antisémite
», Philippe Ver-
heyde souligne un certain comporte-
ment ambigu de Fournier
création du SCAP répond à l’impé-
rieuse exigence, comme son nom l’in-
dique, de contrôler et surveiller l’acti-
vité des administrateurs provisoires.
Mais aussi, elle souligne la volonté et le
souci de ne pas laisser ces derniers en
contact direct avec les Allemands. Faire
écran entre l’entreprise et son admi-
nistration et les desseins supposés du
vainqueur, tel est en partie l’objectif
non formulé qui prévaut à sa forma-
tion. Faire écran ne signifie pas pour
autant qu’il y ait émergence d’une op-
position aux mesures allemandes. Au
contraire, dans un mémorandum,
Pierre Fournier informe que le but de
sa mission est
« l’exclusion de toute in-
fluence juive sur la condui te générale
de la vie économique française »
, qu’il
entend accom plir avec l’approbation
des autorités allemandes. Et il ajoute
que les décrets allemands
« devront
être appliqués consciencieusement
sans cependant porter atteinte aussi
bien aux intérêts de l’Economie fran-
çaise en général, qu’à ceux des per-
sonnes privées »
Aux commandes du SCAP
jusqu’à quand ?
C’est Ph. Verheyde qui nous apprend
que «
la présence d’un officier alle-
mand attaché au SCAP
» va motiver la
démission de Fournier. La création
concomitante du Commissariat gé-
néral aux questions juives (CGQJ) le
29 mars 1941, confié à des antisé-
mites notoires, explique la mise sous
son contrôle du SCAP et son rapa-
96-
Historail
Juillet 2009
Le 18 mars 1941, trois of�ciers allemands
investissent le SCAP. Fournier démissionne aussitôt.
Juillet 2009
Historail
triement au siège de la banque Drey-
fus, choisi comme siège du CGQJ. Le
fait est précisé ultérieurement par Lau-
rent Joly
(16)
Le 18 mars, trois offi-
ciers allemands du MBF investissent
le SCAP. Le service français sur lequel
les autorités occupantes n’avaient en-
core aucune prise, contrairement à la
préfecture de Police de Paris, par
exemple, est désormais sous surveil-
lance allemande. Immédiatement,
Pierre-Eugène Fournier démissionne.
Fournier, rescapé
du SCAP…
Globalement, les historiens spécialistes
n’ont donc pas accablé Fournier, qui
apparaît plutôt toujours réfractaire à
une ingérence physique de l’occupant
à ses côtés. La plaquette nécrolo-
gique
qui relate en forme de pané-
gyrique la carrière de Fournier ne si-
gnale évidemment pas ces trois mois
passés à temps partiel à la tête du
SCAP. Il est vrai que, contrairement
aux autres dirigeants du SCAP et du
CGQJ, il échappera à l’opprobre pour
cet épisode de sa carrière. Et s’il sera
bien épuré, à retardement et avec dis-
crétion, en août 1946, ce sera pour
de tout autres motifs.
L’immeuble du 5, rue de Florence a
été vendu récemment par la SNCF
et transformé en un ensemble d’ap-
partements privés. Par l’interphone,
nous questionnons l’une des co-
propriétaires:
– Connaissez-vous le passé de cet
immeuble ?
Oui, c’est ici que la SNCF préparait
les convois de la déportation…
Nous rectifions ses propos :
– Pas tout à fait…, même s’il y était
question d’affaires juives…
Oui, peut-être bien, mais quoi que
vous disiez, j’ai toujours ressenti la pré-
sence de mauvaises ondes dans cet
immeuble…
Nous aimerions connaître le sentiment
des agents de la SNCF qui ont long-
temps occupé cet immeuble durant
la seconde moitié du XX
Georges RIBEILL
(1)
Ville lumière, années noires. Les lieux du Paris de la Collaboration
, Denoël, 2008 ;
Paris dans la
Collaboration
, Seuil, 2009.
(2) Michel Margairaz, « La Banque de France et l’Occupation », in
Banques, banque de France et
Seconde Guerre mondiale
, Albin Michel, 2002, p. 48.
(3)
« Tous les comités consultatifs, plus nuisibles qu’utiles, derrière lesquels les ministres du passé
s’abritaient commodément, ont été supprimés. Désormais, c’est le secrétaire d’Etat qui décide,
après telles enquêtes qu’il ordonne. Dans le même esprit, le Conseil général des transports,
substitué au Conseil supérieur des Transports, émet des avis, mais qui ne lient plus le pouvoir
gouvernemental. »
(AN, F 14 13629, Rapport de Berthelot au Maréchal Pétain, août 1941, cité
par C. Bachelier dans son Rapport, p. 81)
(4) Nicolas Neiertz,
La coordination des transports en France de 1918 à nos jours
, CHEFF, 1999,
p. 182.
(5) Le nouveau Conseil général des transports s’était transporté au 2 bis, rue de Solferino.
(6) « L’aryanisation économique : Vichy, l’occupant et la spoliation des juifs », YOD,
Revue des
études modernes et contemporaines hébraïques et juives,
n° 15-16, 1982 ; repris in
Vichy.
L’événement, la mémoire, l’histoire,
Folio Histoire, 2001, p. 121 ; p. 134.
(7) A la tête du Commissariat général aux questions juives en 1941-1942.
(8) La SNCF sous l’occupation allemande, 1940-1944, Rapport documentaire, IHTP-CNRS, 1995,
Tome 1, p. 150
(9) CDJC, XCVI-17, Conférence du président Fournier, directeur du SCAP, du 13 février 1941.
(10) CDJC, XCVI-64, Instruction c/Antignac et tous les autres, p. 11b.
(11) François Bloch-Laîné, Claude Gruson,
Hauts fonctionnaires sous l’occupation,
Odile Jacob, 1996,
p. 41.
(12)
Industriels et banquiers sous l’Occupation. La collaboration économique avec le Reich et Vichy,
Armand Colin, 1999, p. 29-30 ; p. 79 et note p. 571.
(13) Lettre 553 de Fournier à la Direction de l’Enregistrement (Finances), tampon du 16 janvier
1941, AJ 38, vol. 334 ; voir Lacroix-Riz A., « Collaboration économique franco-allemande et
aryanisation », Sievers H. dir.,
L’or nazi.
(14) Note de service de Fournier, 3 mars 1941, AJ 38, vol. 322.
(15)
Les mauvais comptes de Vichy. L’aryanisation des entreprises juives,
Perrin, 1999, p. 30-32.
(16)
Vichy dans la « Solution finale ». Histoire du Commissariat général aux questions juives (1941-
1944),
Grasset, 2006, p. 134.
(17) Pierre Fournier (1892-1972).
98-
Historail
Juillet 2009
Architecture
Henri Pacon,
un architecte
au service du
réseau de l’Etat
Photorail
Inaugurée en 1932, la
gare du Havre fut le
premier gros contrat
exécuté par Pacon
pour le réseau de
l’Etat. Au premier plan,
la tour d’horloge,
signal visible dans
toutes les directions.
Juillet 2009
Historail
L
a collaboration de Raoul Dautry et
d’Henri Pacon commence en dé-
cembre 1928, un mois à peine après
la nomination du premier à la tête des
Chemins de fer de l’Etat. Sorti tardive-
ment de l’Ecole des beaux-arts en
1911, Pacon, qui a participé à la re-
construction de la ville de Reims au
lendemain de la Grande Guerre (en-
gagé volontaire en août 1914, il est
décoré de la croix de guerre), est sur-
tout connu comme architecte-déco-
rateur privé, activité qui le conduit,
parallèlement à la construction d’im –
meubles, villas et magasins, à agen-
cer des intérieurs, voire à en dessiner
l’ameublement.
En fait, les deux hommes se connais-
sent depuis 1926, mis en contact par
le journaliste et critique d’art Léandre
Vaillat, celui-là même qui avait cou-
vert la reconstruction du réseau Nord,
l’ancien fief de Dautry. Mieux, ils s’ap –
précient. En 1934, Dautry confie à Pa –
con le soin de reconstruire et d’amé –
nager «La Bastidette», la petite
propriété qu’il vient d’acquérir à Lour-
marin, dans le Lubéron
(1)
Pour l’heure, c’est la vieille gare de Pa-
ris-Montparnasse qui pose problème
à Dautry. La vétusté et l’insuffisance
de ses installations sont la source d’en –
gorgements chroniques. Des travaux
ont bien été entrepris avant sa prise
de fonctions à l’effet de la doter d’une
annexe «arrivée» à l’angle de l’ave –
nue du Maine et du boulevard Vau-
girard, mais il est à craindre qu’elle ne
soit pas opérationnelle pour le rush
des prochaines grandes migrations es-
tivales. Dautry s’adresse alors à Pacon
pour terminer le chantier au plus vite.
Ce dernier sait qu’il joue gros. Qu’il
réussisse et il pourra prétendre aux
grandes commandes liées à la moder-
nisation du réseau de l’Etat. Pari ga-
gné: en juillet 1929, la gare de
Maine-Arrivée est mise en service
(2)
La reconnaissance de Dautry ne se fait
pas attendre. Dès le mois d’août
1929, son agence, créée trois ans plus
tôt, est invitée à plancher sur la nou-
velle gare du Havre, dont les projets se
sont succédé sans succès depuis
1920. L’étude définitive est achevée
en mai 1930, la première pierre po-
sée le 5 mai 1931 et le bâtiment inau-
guré solennellement le 1
octobre
1932. Dans le même temps, il travaille
à l’esthétique et à l’aménagement in-
térieur des 50 voitures transatlan-
tiques destinées principalement à la
clientèle américaine transitant par les
ports du Havre et de Cherbourg.
Le jour de la mise en service de ces
voitures, qui coïncide avec la pose de
la première pierre de la gare du Ha-
vre, Pacon est absent, en voyage
d’études outre-Atlantique, missionné
par Dautry, preuve de l’intérêt et de
la confiance que lui porte le directeur
général du réseau de l’Etat. Accom-
pagné par les ingénieurs Frédéric Sur-
leau (voie et bâtiments), Jean Lévy
(traction) et Jean Girette (exploitation),
il s’imprègne à New York, Washing-
ton, Saint-Louis, Chicago et au Ca-
nada des tendances et techniques ar-
chitecturales américaines. Un voyage
guidé par des motivations similaires
le conduira bientôt en Allemagne en
compagnie de Surleau, à Berlin et à
Stuttgart notamment.
L’intervention de Pacon dans le do-
maine, inusité pour un architecte, du
matériel roulant ne s’arrête pas là.
Après les voitures transatlantiques, il
s’attaque en février 1932 aux formes
et à la mise en couleur de la «Super
Mountain» 241-101 qui sera livrée à
l’Etat en août, puis, dans les mois qui
suivent, à celles de la nouvelle voiture
à étage de banlieue, mise en service
en avril 1933. Et bien que les circons-
tances de la collaboration soient tou-
jours mal connues, il travaille de
concert avec le «sorcier de Mols-
heim» à la silhouette si caractéris-
tique du premier autorail Bugatti qui
circule dès le 1
juillet de cette même
année entre Paris et Deauville.
Dautry s’était fait connaître du grand
public par la construction pour les
cheminots du réseau Nord de grandes
cités-jardins, à commencer par celle
de Tergnier, inaugurée en 1921. Les
agents du réseau de l’Etat rencontrant
les mêmes difficultés à se loger, il en-
treprend sans attendre un effort par-
ticulier dans ce domaine et lance en
1931 un premier programme de
construction d’immeubles locatifs en
banlieue parisienne, à Clichy, Asnières
et Nanterre. Ce dernier groupe, le plus
important avec 214 logements, est
attribué à Pacon. L’ensemble, accom-
pagné de services sociaux (un jardin
d’enfants, deux crèches-garderies, un
Directeur général des Chemins de fer de
l’Etat de 1928 à 1937, Raoul Dautry a fait
appel à plusieurs architectes pour
apporter leur participation à la
modernisation du réseau. Parmi eux,
Henri Pacon (1882-1946), dont le travail
s’est porté sur les gares mais aussi, plus
surprenant, le matériel roulant.
Avant son implication dans le ferroviaire, Pacon
était surtout connu comme architecte-décorateur.
Architecture
[ Henri Pacon, un architecte au service
service médical, une école d’ensei –
gne ment ménager) et d’équi pements
collectifs (deux lavoirs, une boulan-
gerie, un économat) est livré en sep-
tembre 1932.
Mais Pacon n’en a pas fini avec les
gares. Dautry est un homme pressé.
Les commandes s’enchaînent. L’étude
de la gare du Havre à peine bouclée
en mai 1930, Pacon met en route
celle de la future gare de Chartres,
dont la construction proprement dite
s’échelonne de janvier 1933 à juillet
1934. Et si le projet de la gare de
Dives-Cabourg, confié à ses soins en
novembre 1930, n’aboutit pas, celui
de la gare de Caen, qui lui est soumis
en avril 1933 pour être finalisé, fait
l’objet d’interventions jusqu’en octo-
bre 1935, plus d’un an après la livrai-
son du gros œuvre en juillet 1934.
En 1934 toujours, Pacon est sollicité
pour superviser les travaux des locaux
du rez-de-chaussée de l’hôtel Termi-
nus Saint-Lazare (exception faite du
vestibule et du hall), propriété du ré-
seau de l’Etat –les nouvelles installa-
tions étant inaugurées le 8 octobre
1935. Ces travaux sont conduits pa-
rallèlement à ceux qui, dans le même
temps, doivent contribuer à la «mo-
dernisation» de la gare Saint-Lazare:
aménagement des boutiques et des
buvettes disposées dans la salle des
pas perdus côté rue de Rome, trans-
formation des cours de Rome et du
Havre avec déplacement des accès du
métro et, surtout, remplacement des
grilles par une rangée de construc-
tions métalliques formant vitrines
d’exposition et supportant de larges
surfaces publicitaires
(3)
Le programme d’électrification de la
ligne de Paris au Mans, mené de 1934
à 1937, bénéficie également des lu-
mières de Pacon. Il intervient princi-
palement sur le matériel roulant:
construction des extrémités de la
caisse et aménagement intérieur des
automotrices Budd en acier inoxyda-
ble (Z3701 à 3721), esthétique des
locomotives 2D2 5401 à 5423. Au
programme, figure aussi la recons-
truction des gares de Meudon, de Bel-
leville et de Chaville-RG. Pacon hérite
des études de cette dernière gare en
avril 1935. Ralenti par les mouve-
ments sociaux, le chantier ne sera ter-
miné que début 1938.
Mises en service en 1937, les voitures
allégées du réseau de l’Etat (35 tonnes
contre 48 pour les véhicules de type
traditionnel alors en usage), à la sec-
tion ovoïde si caractéristique qui leur
vaudra le qualificatif de
«voitures sau-
cisson»
, sont la dernière touche ap-
portée par Pacon à un matériel rou-
lant. Maître de l’aménagement inté-
rieur, il est aussi à l’origine du dessin
des baies en forme arrondie.
Sa dernière contribution «ferroviaire»
date de 1938 avec la décoration du
hall de la gare des Invalides en l’hon-
neur de la réception à Paris, en juil-
let, des souverains britanniques.
Sans oublier sa participation au
«grand dessein» de Dautry visant le
déplacement et la transformation de
la gare Montparnasse et dont il ne
subsiste que deux pages d’esquisses.
Pacon, dont l’œuvre dépasse large-
ment le domaine ferroviaire –on lui
doit notamment les écuries du baron
Edouard de Rothschild à Chantilly en
1928 et la décoration des paquebots
Ile-de-France
Normandie
en 1933
et 1935 –, travaille encore pour Dau-
try qui, nommé ministre de l’Arme-
ment en 1939, l’emploie à la
construction de logements pour le
personnel des usines de la Direction
des poudres. C’est à cette époque
que son agence semble cesser toute
activité. En octobre 1940, il demande
au directeur général des Beaux-Arts
(il est alors désigné comme architecte
en chef des Bâtiments civils et des Pa-
lais nationaux) à être maintenu en
congé illimité pour raisons de santé
et se retire à Lourmarin où il retrouve
Dautry soucieux d’échapper à la vin-
dicte de tous ceux qui l’accusent de
figurer au nombre des responsables
de la débâcle
(4)
Bruno CARRIÈRE
(1) Pacon avait été chargé en 1926
de la restauration du château
de Lourmarin. Propriétaire d’un mas
en ces lieux, il en avait fait connaître
les charmes à Dautry en 1929.
(2) Pacon participe cette même
année à la réfection partielle
de la gare Montparnasse proprement
dite, notamment au nouvel habillage
des guichets.
(3) Constructions détruites en 1979.
(4) Gérard Monnier,
L’Architecte
Henri Pacon (1882-1946)
, Publications
de l’université de Provence, 1982.
Rémi Baudouï,
Dautry 1880-1951.
Le Technocrate de la République,
Balland, 1992.
100-
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Dautry est un homme pressé. Les commandes
s’enchaînent : gares, mais aussi matériels roulants.
Parallèlement
à la gare de
Maine-Arrivée,
Pacon travailla
en 1929 à la
modernisation
(kiosques,
guichets) de
la vieille gare
Montparnasse.
Coll. P. Tullin
Coll. P. Tullin
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Historail
du réseau de l’Etat ]
La gare du Havre en 1932 et son
grand hall central (45 x 24 m) à
ossature de béton armé. Cinq
voûtains de «béton translucide»
forment la couverture.
La gare du Havre en 1932. Le
dépouillement ornemental se
retrouve jusque sur les quais.
Coll. P. Tullin
Coll. P. Tullin
Coll. P. Tullin
Photorail
Photorail
Architecture
[ Henri Pacon, un architecte au service
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Les mêmes principes architecturaux retenus pour
la gare du Havre ont présidés à la construction
des gares de Chartres (ci-dessus en 1934) et de
Caen (ci-contre en 1935).
Walter/Photorail
Photorail
Photorail
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Historail
du réseau de l’Etat ]
En 1935, Pacon
remplace les
vieilles grilles
délimitant la
cour du Havre
de la gare Saint-
Lazare par des
vitrines
publicitaires qui
subsisteront
jusqu’en 1979.
Dernière gare à
l’actif de Pacon,
Chaville RG,
ouverte en 1938.
Con�é à Pacon
en 1930, le
projet de la gare
de Dives-
Cabourg
ne verra jamais
le jour.
Photorail
Photorail
Architecture
[ Henri Pacon, un architecte au service
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1928-1929, la gare de Maine-Arrivée sort de terre
Etaiement du
talus jouxtant
les voies. Un
témoignage
caractéristique
du savoir-faire
de nos aïeux.
Préparation
des fondations
le long du
boulevard de
Vaugirard. A
droite, la plate-
forme des voies
conduisant à la
vieille gare
Montparnasse.
Coll. P. Tullin
Coll. P. Tullin
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du réseau de l’Etat ]
Finition de la
dalle du rez-de-
chaussée au
niveau du
boulevard de
Vaugirard.
Mise en place de
la couverture
au niveau des
voies. On
distingue
parfaitement à
l’arrière-plan
les bâtiments de
la vieille gare
Montparnasse.
Coll. P. Tullin
Coll. P. Tullin
Architecture
[ Henri Pacon, un architecte au service
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La gare de Maine-Arrivée sort de terre
Ouverte sur
le boulevard
de Vaugirard,
la salle des
bagages
témoigne par
ses dimensions
d’une époque
pas si lointaine
où tout
déplacement
s’accompagnait
d’une armada
de malles et
de valises.
Coll. P. Tullin
Coll. P. Tullin
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du réseau de l’Etat ]
L’entrée monumentale de la gare et
les escaliers d’accès à la plate-forme.
Coll. P. Tullin
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Architecture
[ Henri Pacon, un architecte au service
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Les voitures transatlantiques de 1931,
première incursion de Pacon dans le
domaine du matériel roulant.
Circulant entre Le Havre, Cherbourg
et Paris, ces voitures répondaient aux
attentes de la clientèle américaine.
Collection Philippe Carré/Photorail
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du réseau de l’Etat ]
Pacon travailla à
l’esthétique de
la 241-101,
censée assurer
la traction
des trains
transatlantiques.
Sortie en 1932,
elle ne répondit
pas à l’attente
du réseau
de l’Etat.
La collaboration
de Pacon avec
Ettore Bugatti
en 1932-1933
n’a toujours
pas livré tous
ses secrets.
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Architecture
[ Henri Pacon, un architecte au service
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Parmi les plus belles réussites du
réseau de l’Etat, les voitures à étage
de banlieue (1933) portent la marque
de Pacon, notamment au niveau de
l’organisation intérieure.
/Photorail
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du réseau de l’Etat ]
Livrées en 1937-1938, les
automotrices Budd (Z 23701 à 721)
doivent à Pacon leurs extrémités de
caisse et leur aménagement intérieur
(1
re
classe ci-contre en haut, 2
e
classe
ci-contre en bas).
L’électri�cation
de la ligne Paris-
Le Mans donne
encore
l’occasion
à Pacon
d’intervenir sur
l’habillage des
2D2 501 à 523
construites entre
1936 et 1937.
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Architecture
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Dernière
intervention de
Pacon sur le
matériel, les
«voitures
saucisson» de
1937 se
caractérisent par
leur caisse
ovoïde et leurs
baies vitrées en
formes de
hublot.
La cité de l’avenue Henri-Martin à Nanterre (1932) est l’une des contributions
de Pacon aux logements à loyer modéré développés par Dautry.
Coll. P. Kamoun
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C
réée en 1929, l’Association fran-
çaise des amis des chemins de fer
(AFAC) – «
Un groupement unissant
dans toute la France, ceux qui, de près
ou de loin, s’intéressent d’une façon
quelconque aux chemins de fer
(1)
fête cette année ses 80 ans. Privilège
de l’âge, sa revue,
Chemins de Fer
, est
devenue une mine d’informations
pour les historiens. En effet, si l’associa-
tion s’est donné pour objectif la dé-
fense du chemin de fer, sa revue s’est
appliquée parallèlement à mieux faire
connaître les aspects techniques, com-
merciaux, voire humains, d’un moyen
de transport que d’aucuns, s’appli-
quaient déjà à l’époque à pourfendre.
Le hasard a fait que je suis tombé, il y
a peu, sur les premiers écrits de
l’AFAC, accueillis, faute sans doute de
ressources suffisantes, dans un jour-
nal ami dont le titre,
Le Rail, organe
d’information, d’éducation et de dé-
fenses ferroviaires
, rappelait justement
les buts poursuivis par les membres
de l’association. Né en 1923, parais-
sant Le 1
et le 15 de chaque mois,
puis hebdomadaire depuis le 6 octo-
bre 1929,
Le Rail
se place en effet sur
le terrain corporatif (rassemblement
des intérêts de tous ceux qui vivent
de la voie ferrée), au-dessus du ter-
rain syndical donc, jugé trop étroit et
presque toujours démagogique.
Le Rail
s’ouvre à l’AFAC pour la pre-
mière fois dans son numéro du 1
er
fé-
vrier 1929: trois colonnes pleines sur
une demi-page coiffées d’un car-
touche spécifique (Bulletin de l’AFAC)
dessiné par E. A. Schefer, précédées
d’un éditorial de R. Claude, son prési-
dent: «
A sa naissance, nous voulons
que notre organe soit sympathique à
tous, nous le voulons fort, nous vou-
lons que par sa bonne tenue et l’inté-
rêt qu’il présentera, il crée des rela-
tions amicales entre tous. C’est le rôle
qu’il doit avoir sans relâche par la
suite.
» Le premier article, signé Léon
Robinet, ancien élève de l’Ecole Poly-
technique, traite des «
avantages na-
tionaux de l’unification de tous ma-
tériels ferroviaires
». Etude poursuivie
tout au long des n
2 et 3
(2)
Bruno Carrière
Mémoire
(1)
De l‘Union naît la force. Adhérez à l’AFAC
, Bulletin de
l’AFAC, n° 14, 1
er
août 1929.
(2) Les numéros suivants font la part belle au modélisme.
Il faut attendre le n° 13 du 15 juillet 1929 pour renouer
avec la technique sous la forme d’un article consacré aux
locomotives électriques à grande vitesse de la Compagnie
du Midi.
L’AFAC,
une «vieille dame»
de 80ans qui fait
le bonheur des historiens
Photorail
Photorail
Livres
STEPHANIE SAUGET
A la recherche des
Pas Perdus.
Une histoire des
gares parisiennes.
Chacun a toujours en tête
l’ouvrage de référence de
Karen Bowie,
Les Grandes
Gares parisiennes du
XIX
siècle
(1997), et son
approche plus spécifiquement
architecturale du sujet. Il fau-
dra désormais compter aussi
sur l’étude de Stéphanie
Sauget, résumé de sa thèse
de doctorat en histoire, qui
s’est plus intéressée aux
aspects environnementaux et
sociologiques des lieux.
En fait, Stéphanie Sauget, qui
se réfère à Alain Corbin,
«l’historien du sensible», ne
nous épargne aucun détail
de la vie de ces «
lieux de
passage, de rencontre,
de sociabilité et de représen-
tation
» que furent les
terminus parisiens entre 1837
et 1914. Certes, la démarche
universitaire peut rebuter,
mais la richesse des thèmes
abordés et des informations
distillées mérite une lecture
attentive, crayon à la main.
Libre après à chacun d’établir
son glossaire en fonction de
ses centres d’intérêt.
Editions Tallandier, 2 rue Rotrou,
75006 Paris. 300 p., 25
COLLECTIF
Auxerre et
l’arrivée du train
au XIX
e
siècle
Une légende obstinée veut
que la municipalité d’Auxerre
ait délibérément refusé
le passage sur son territoire
de la ligne de chemin de fer
de Paris à Lyon et à Marseille
lors de sa construction au
milieu du XIX
siècle.
Pourtant, les archives disponi-
bles montrent clairement
l’inanité de cette légende.
Trois historiens locaux se sont
employés à rétablir la vérité :
Alain Bataille (
La Question du
choix de l’itinéraire du chemin
de fer entre Paris et Lyon
Jean-Pierre Rocher (
Auxerre et
le chemin de fer sous la
Monarchie de Juillet : les pro-
tagonistes
) ; Geoges Ribeill
La Desserte ferroviaire
d’Auxerre : une trop longue
histoire, 1833-1855
). En défi-
nitive, c’est à un relief trop
difficile au sud de la ville et au
puissant lobby dijonnais
qu’Auxerre doit d’avoir été
évincée. Et surtout pas à
l’attitude irréprochable des
édiles municipaux et des élites
politiques du département.
Les Cahiers d’Adiamos 89 (n° 2
mars 2009), 55 p., 5
(+ 2,18
de port). Adiamos 89, 7 rue des
Mésanges, 89000 Auxerre ; tél. :
LES CAHIERS DE LA CITE
DU TRAIN N° 9
Les Locomotives de
M. Du Bousquet
L’Association du Musée
français du chemin de fer
nous invite dans cette
neuvième livraison à partir à
la découverte des locomotives
Nord de Gaston du Bousquet
et plus particulièrement
des 230 série 3513 à 3662
mises en service pour
les premières en 1908 et
des 232 prototypes 3.1101 et
3.1102 livrées en 1911.
Une place à part est faite à
la 3.1102 qui, laissée sans
emploi, fut découpée longitu-
dinalement afin d’être
présentée dans un but didac-
tique à l’Exposition de 1937
sous le titre générique «la vie
intérieure d’une locomotive».
Un fac-similé d’un document
pédagogique distribué à cette
occasion est joint à la publica-
tion. La prochaine parution
(n° 10) sera consacrée aux
automotrices électriques
Sprague-Thomson TE 1080 et
ligne de Sceaux.
Renseignement-Vente :
Geneviève Schmitt.
Tél. : 03 89 60 74 01. E-mail :
musee.ch.fer@wanadoo.fr.
+ 2
de port.
EVELYNE ET
JEAN-PIERRE RIGOUARD
Cartes ferroviaires
Henri-Marie Petiet
Petit-fils de Jules Petiet, direc-
teur de la Compagnie du
chemin de fer du Nord
de 1845 à 1871, et frère du
baron Petiet, fondateur des
automobiles Ariès, dont il fut
un proche collaborateur,
Henri-Marie Petiet
(1894-1980), «HMP», se
posa à partir de 1942 comme
le digne successeur de la
Maison Fleury et autres
éditeurs de cartes postales de
moindre renom de
l’entre-deux-guerres. C’est
dans son magasin parisien,
A la Belle Epreuve
, qu’il
réalisa plus de 750 cartes pos-
tales à partir des clichés pris
par les maîtres de la photo
ferroviaire de l’époque,
les Vilain, Fénino, Renaud,
Hermann, Pol Gillet,
Fohanno, Orget, Romouil et
Bègue. Passés maîtres dans la
mise en valeur des cartes pos-
tales ferroviaires, Evelyne et
Jean-Pierre Rigouard se sont
attachés ici à sélectionner le
meilleur du travail de HMP,
optant comme à leur habi-
tude pour une présentation
des locomotives par réseaux,
les trains en ligne faisant
l’objet d’un chapitre à part.
Editions Alan Sutton, collection
Mémoire en Images, en vente à
Vie du Rail
. Réf. : 121 005, 36
114-
Historail
Juillet 2009

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