La ligne Chambéry – Modane sur l’axe international Dijon – Turin est connue depuis son électrification, au milieu des années 20, pour ses monstres encore appelés les « Dinosaures », dont le plus grand fut couronné un temps le roi des engins moteurs, car « le plus puissant du monde ». Mais quand il fallut renforcer le parc moteur pour répondre à l’augmentation du trafic, la SNCF se tourna, non plus vers la concentration de l’énergie sur une motrice solitaire, mais vers l’union de la force, modeste mais sûre, de deux machines solidaires, associées dans l’effort, sous la forme d’unités indéformables. C’est ainsi que sont nées les unités Maurienne, à partir des BB 1 à 80. Les « Biquettes » vinrent donc au secours des « Dinosaures ». Le récit qui suit se déroule en décembre 1979 à bord de la dernière des unités Maurienne constituée des BB 33 et 50.
Arrivé la veille au soir sous la neige, descendant d’une confortable rame RGP pour affronter l’air glacial de Modane, ce n’est que le lendemain matin au sortir du foyer que commence l’aventure.
Le jour se lève sur la gare-frontière de Modane. On devine la montagne à travers les nuages de brume qui flottent dans le paysage. Les premiers rayons d’un soleil intermittent se faufilent et les installations de ce haut lieu ferroviaire se découvrent, bâtiments, faisceaux de voies et signaux, avec un peu plus loin trains et machines.
Voici la rotonde. Elle n’abrite pour le moment que trois machines. Deux CC : une 6500 et une 7100, et, blottie contre le mur de l’édifice, comme pour essayer d’échapper au froid, l’unité Maurienne se cache dans l’ombre.
Dès la fin des années 1950, la signature du traité de Rome provoque une forte augmentation du trafic franco-italien sur la ligne de la Maurienne. Des renforts en matériel de traction sont nécessaires sur cet axe alimenté par troisième rail. En l’absence d’autres locomotives immédiatement disponibles, le recours à des BB 1-80 s’avère concevable à condition de faire circuler les locomotives en unité double indéformable équipée de frotteurs à ses extrémités. Cette disposition permet à l’ensemble d’être suffisamment long (25,380 m) pour franchir les coupures du troisième rail au niveau des appareils de voie sans interrompre son alimentation électrique. De plus la puissance de l’unité double atteint près de 2000 kW.
Des BB 1-80 du dépôt de Lyon-Mouche sont rendues disponibles par l’arrivée des BB 9400, plus modernes et plus puissantes. Les modifications, effectuées sur les locomotives aux ateliers d’Oullins et au dépôt de Dole, portent sur le montage de frotteurs aux deux extrémités de l’ensemble, d’équipements électroniques de contrôle et du freinage par récupération, la dépose des deux pantographes d’extrémité et la mise hors-service des cabines se faisant face. Entre 1961 et 1968, ce sont 11 «unités Maurienne» (soit 22 locomotives) qui sont ainsi constituées et affectées au dépôt de Chambéry. Les unités Maurienne circulent seules ou accouplées par deux ou trois; très polyvalentes, leurs services sont appréciés mais, en 1976, le remplacement du troisième rail par la caténaire sur cet axe permet à toutes les locomotives à courant continu d’y circuler. Les unités Maurienne perdent leur intérêt et, vieillissantes, elles sont radiées en 1979, leurs services étant repris par des BB 8100 récemment mutées à Chambéry et dont la puissance est supérieure à celle des unités Maurienne.